L’appartenance à des groupes, la nature et la qualité des rapports entre ces groupes déterminent en grande partie les relations entre individus. Aussi, une organisation ne fonctionne véritablement que si ses membres partagent les mêmes valeurs. C’est le ciment invisible qui permet d’opérer efficacement. C’est dans ce sens que développer l’implication des employés dans leur travail constitue la mesure dans laquelle la situation de travail représente une part importante de la vie de ces derniers, part centrale pour eux et leur identité.C’est donc une attitude d’engagement de soi favorisant une portion importante du processus dirigeant les motivations d’accomplissement. En d’autres termes, Lodalhl & Kejner (1965) affirment que c’est le degré auquel une personne s’identifie psychologiquement à son travail ou l’importance du travail pour son image de soi, mais c’est aussi la mesure dans laquelle la performance au travail affecte son estime de soi.
Le développement de l’implication au travail passe ainsi par l’identification de la culture interne. Culture que les organisations s’efforcent de préciser et de faire partager à l’ensemble de leurs salariés afin de les associer tous à leurs objectifs. L’organisation devient alors un lieu d’apprentissage culturel dont l’enjeu psychologique est l’accès à l’identité d’un groupe pour ses membres. Dans cet objectif, l’image que ces derniers ont d’eux-mêmes dépendra de la reconnaissance sociale, ou non, qui leur est réservée. La mobilisation par la culture puise en partie ses ressources dans ces phénomènes identificatoires. En conséquence, le milieu du travail véhicule des valeurs et sous-tend l’existence de règles de pensée et d’actions qui ont des effets sur les comportements sociaux et culturels des travailleurs. L’environnement du travail apporte une culture à ses membres qui, en retour, l’assimilent et se l'approprient : elle devient partie d’eux-mêmes, en quelque sorte.
La situation organisée du travail engendre donc des formes d'identités collectives qui participent à des modifications de l’identité personnelle, à travers la reconnaissance de soi dans les groupes de travailleurs. Elle inculque également des modes de perception du groupe et de soi dans le groupe qui marquent de leur empreinte la vie sociale, hors du travail. Aussi, pour Trognon (2004), ce qu’une personne produit, ou même ce qu’elle est, constitue une réflexion de ses relations avec autrui.
De ce fait, si une structure organisationnelle a une « image propre », les individus qui y travaillent devraient se reconnaître dans cette image et se l’approprier afin de maintenir ou encore d’accéder à une Image de soi positive et/ou satisfaisante.
En nous intéressant aux agents de l’Administration gabonaise, nous voulons montrer comment ces derniers s’approprient les attributions de leur structure, lorsqu’ils doivent se définir en tant qu’agents du secteur public, et quelle sera l’influence de cette appropriation sur leur Image de soi, au niveau individuel et collectif (collectivité professionnelle à laquelle ils appartiennent) et par rapport à la société en général. La satisfaction professionnelle résulte en partie de cet ensemble d’aspects. Comme le soulignent Delorme & Larouche (1978), la satisfaction est comme une résultante affective à l’égard du travail et des rôles que détient un individu, résultante issue de l’interaction dynamique de deux ensembles de coordonnées que sont les besoins humains et les incitations de l’emploi.
De ce fait, comme la motivation, la satisfaction tient compte des besoins humains et de diverses conditions crées pour stimuler l’individu. Dans cette perspective, la satisfaction dans l’organisation semble bien passer par la satisfaction des besoins d’accompagnement, de considération, de responsabilité…
Pour construire l’image professionnelle, le sujet va puiser dans sa propre auto-estimation (familiale, sociale, culturelle, politique….) et aux sources de son groupe d’appartenance ou d'un groupe de référence qu'il a choisi.
Ainsi ce travail s’appuie-t-il sur une démarche dont le but est de mettre en évidence, d’une part, l’Image de soi des individus et les différents traits d’un groupe pouvant l'influencer et, d’autre part, l’évaluation du degré de satisfaction au travail, à partir des conditions elles-mêmes, pouvant également influencer ladite image. En d’autres termes, cette étude vise à démontrer comment les individus, appartenant à une catégorie sociale donnée s’en approprient les attributs lorsqu’ils doivent se définir et évaluer leur degré de satisfaction au travail. L’image de soi est liée au degré de satisfaction professionnelle, dans le contexte élargi du groupe social d'appartenance ou de référence.
Le choix de ce sujet tient au constat d’une situation observée en milieux de travail, notamment à la Direction Générale de la Lutte contre la Corruption et l’Enrichissement Illicite (DGLCEI) et au Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance Sociale du Gabon. Des structures dans lesquelles nous avons passé des stages.
Dans ces deux administrations citées en référence, nous avons observé les fonctionnaires dans leur environnement de travail ; les méthodes ou le plan d’action que chaque directeur général ou chaque directeur technique mettait en place pour amener les agents à adopter des stratégies spécifiques qu'ils ont déterminées. En d’autres termes, les stratégies de chaque direction générale consistent à inciter ces derniers à s’impliquer davantage dans leurs tâches.
Malgré la volonté de ces responsables et de l’esprit coopératif de la majorité des agents, ces deux administrations connaissent des dysfonctionnements dus à des causes endogènes et exogènes. Plusieurs paramètres coexistent selon le rapport d’activité de la Direction Générale des Ressources Humaines au Secrétaire Général du Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance Sociale (2007):
Divergence entre mission-activités et organisation du travail ;
Absence d’initiatives dans le travail ;
Inactivité des agents dans les directions techniques ;
Mauvaise utilisation de certains agents par rapport à leur profil ;
Insuffisance des effectifs ;
Insuffisance de moyens adéquats indispensables à la réalisation du travail, etc.
Ces difficultés engendrent une situation qui, globalement, alourdit considérablement l’efficacité du travail et elles semblent être à l’origine des retards et de l’absentéisme que nous avons observés.
Cette forme de désintérêt suggère une démotivation individuelle d'abord qui, à la longue, peut susciter une démotivation collective, avec un cortège de causes que nous mettons en relation avec la notion de satisfaction, plus précisément, l'insatisfaction ici.
Les facteurs de satisfaction sont liés au contenu du travail : accomplissement, considération, tâches en elles-mêmes, responsabilités, promotions, etc. Ils sont liés aussi à des sentiments de mécontentement ou d’insatisfaction : politique générale de l'administration, compétence technique, supervision, salaires et avantages sociaux, compétences humaines de l’encadrement, conditions de travail (cf. la structure du questionnaire, p.138), etc.
Ces observations et les difficultés qu'elles suggèrent nous ont amenée à nous interroger sur l'existence éventuelle d'une relation entre l’organisation d’une structure (c’est-à-dire les contraintes ou les obligations imposées par celle-ci et qui peut être aussi définie comme son image ou sa représentation) et l'image que les membres ont d'eux-mêmes par rapport à ladite structure.
Notre propos est alors de comprendre si, malgré leurs conditions de travail, ces fonctionnaires peuvent maintenir une image de soi satisfaisante et que deviendrait cette image s’ils se comparaient aux agents d’autres départements ministériels?
Compte tenu de toutes ces difficultés, les fonctionnaires ont du mal à intégrer leur appartenance au ministère. C’est pourquoi, certains agents remplissent seulement de façon partielle les missions qui leur sont assignées. Au fil du temps, chez ces agents, cette situation a provoqué un sentiment de frustration et d’insatisfaction, face à des collègues d’autres départements ministériels. Cette situation a été pour nous un signe révélateur de problème dans la gestion et la dynamique de cette structure ministérielle qu’est le Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance Sociale qui, soulignons-le, est justement le ministère qui s’occupe des questions du travail au sens large.
Forte de ce constat, nous nous sommes posée un certain nombre de questions. En effet, dans ces conditions, comment les agents, pourraient-ils s’approprier les attributions de leur ministère pour accéder à une Image de soi positive ou satisfaisante ou pour la maintenir ? Dans ce cas, quelle serait l’influence de cette qualification de leur Image de soi, au niveau individuel et collectif ?
Notre étude consistera donc à rechercher les effets sociaux et l’impact du niveau de satisfaction des situations professionnelles sur l’Image de soi au sein des groupes d’appartenance, en milieu professionnel. Elle trouve son origine dans les résultats des travaux effectués par Tajfel & Turner (1978), deux psychosociologues qui ont contribué au développement des recherches intergroupes, en proposant des articulations théoriques entre les notions de comparaison et de catégorisation sociale et la notion d’identité sociale. Ces auteurs expliquent que l’évaluation de son propre groupe est déterminée relativement à certains autres groupes spécifiques à travers des comparaisons sociales en termes d’attributs ou de caractéristiques chargées de valeurs. Une différence positive entre groupe d’appartenance et groupe autre produitune identité sociale positive ; une différence négative entraîne une identité sociale insatisfaisante. C’est donc de l’interaction, de la nature des rapports existant entre une personne et son lieu de travail que résulterait son sentiment de satisfaction ou d’insatisfaction. D’où la théorie de l’équité sociale d’Adams (1963) selon qui, l’individu observe son environnement de travail pour savoir s’il est traité avec équité. Si à l’issu de cette comparaison, celui-ci est insatisfait de sa situation, l’iniquité qu’il perçoit crée en lui une tension qu’il va chercher à réduire. Cette tension le conduit à réagir, à se mettre en mouvement, à déployer les efforts nécessaires pour réduire le sentiment d’iniquité qui l’anime. Cela signifie qu’il est déterminé, donc motivé : il va mobiliser les ressources susceptibles de le conduire vers la satisfaction.
L’intérêt scientifique de cette recherche réside dans l'application de ces postulats, pour les vérifier et/ou les discuter, dans un contexte purement africain, celui du Gabon ; le milieu professionnel choisi étant la haute administration. En effet, pour une même profession, les individus diffèrent d'un contexte culturel à un autre, d’un continent à un autre, d’un pays à l’autre, d’un environnement professionnel à l’autre, d’un groupe à un autre, etc.
De ce fait, notre recherche doit tenir compte des particularités de l’environnement culturel, du milieu professionnel, du groupe de travail lui-même, etc. données qui conditionnent le comportement des membres d'une communauté professionnelle. Les mécanismes développés dans le milieu du travail, par exemple, diffèrent aussi d’un groupe à l’autre et suivant les circonstances ; d’où l’importance du poids de l’environnement culturel du travail pour la compréhension de cette problématique.
Ainsi, il s’agira de savoir s’il existe une relation entre l’Image de soi et la satisfaction professionnelle au sein des groupes d’appartenance. Ce qui signifie que l’Image de soi serait-elle liée aux différents niveaux de satisfaction ?En d’autres termes, l’Image de soi dépendrait-elle des différents niveaux de satisfaction des individus selon leur appartenance ?
Si l’on veut évaluer la satisfaction d’un fonctionnaire, il apparaît évident qu’une connaissance la plus fine possible de ses attentes soit nécessaire, notamment les déterminants cognitifs tels que les représentations (croyances, connaissances et attitudes), le désir, l’identification et l’imitation. En effet, la satisfaction est une variable latente dont les précurseurs sont les attentes et la perception des aspects de l’emploi. La satisfaction serait donc la traduction émotionnelle d’une opération cognitive de comparaison entre les attentes et la perception des aspects de l’emploi. Le fonctionnaire compare les aspects de son emploi (perception des contributions) et des avantages qu’il en retire (caractéristiques de l’emploi), avec ceux d’autres personnes considérées comme point de repère à l’intérieur et à l’extérieur de son ministère de tutelle. C’est à l’issue de cette comparaison que celui-ci se sent satisfait ou insatisfait. C’est pour cette raison que Jouandeau (2004) affirme que la satisfaction est l’état psychologique qui résulte des émotions entourant le décalage entre attentes et l’état de la situation professionnelle dans l’ensemble de ses aspects. Ces émotions sont couplées aux premières sensations de l’individu, face à l’objet de comparaison qu’il aura délibérément choisi. Dès lors, le concept « attente » doit faire l’objet d’une étude approfondie, car il relève d’une construction psychologique pouvant être comprise comme une représentation mentale. Compte tenu que l’Image de soi peut être aussi conçue, selon Khilstrom & al. (1992) comme la représentation mentale que chacun a de sa propre personnalité, c’est-à-dire qu’elle peut être considérée comme un ensemble de connaissances qu’un individu possède sur lui-même. Et que ces connaissances renvoyant à l’Image de soi font appel à des processus mentaux, la question que nous nous posons est de savoir si l’Image de soi et les attentes peuvent être liées ? En d’autres termes, l’Image de soi dépendrait-elle des attentes des individus en ce qui concerne les aspects de leur emploi ?
Pour rendre compte de ce fait, nous avons fait passer un questionnaire à 150 agents du Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance Sociale. Seuls 73 ont rendu leur questionnaire et seulement 63 étaient exploitables. C’est un questionnaire que nous avons adapté à notre recherche. Il s’agit du Minnesota Satisfaction Questionnaire (MSQ) de Weiss, Dawis, England & Lofquist (1967-1977) ; du modèle des déterminants de la satisfaction à l’égard du salaire de Lawler (1971) et de l’inventaire d’estime de soi de Coopersmith (1967). Ce questionnaire comprend trois grandes parties : la première contient des informations d’ordre générales destinées à rassurer les enquêté(e)s de la confidentialité des résultats ; la deuxième partie recueille les caractéristiques générales des sujets ; et enfin la troisième partie concerne le questionnaire à proprement dit. Ce dernier repose sur un ensemble de sous-échelles réparties en trois sous-parties montrant d’abord les informations générales sur l’Image de soi, puis la satisfaction basée sur les aspects de l’emploi et enfin la satisfaction basée sur la comparaison des caractéristiques réelles et perçues de l’emploi et du sujet.
Ce travail se divise en deux grandes parties. La première partie traite des aspects théoriques. Elle comprend les définitions des concepts et les modèles théoriques y afférant et l’hypothèse de la recherche. La seconde partie, quant à elle, traite d’abord de la présentation de la fonction publique et du Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévoyance Sociale, de la définition de la population d’enquête et de la contextualisation de l’échantillon ; puis les aspects méthodologiques articulés autour des outils de collecte, de traitement et d’analyse des données suivis de l’interprétation, des limites de cette étude et des perspectives pour une recherche ultérieure.