la critique sociologique dans la littérature africaine 

Quel lectorat pour l’écrivain africain ? La question s’est rapidement posée dans Présence Africaine (créée en 1947) puis dans Notre Librairie (créée en 196855). Dans le cadre de la littérature francophone africaine56 qui nous concerne ici directement, nous nous alignons dans l’approche sociologique qui remonte déjà à plus d’une quarantaine d’années. On doit la première étude sociologique (de niveau universitaire) dans la littérature francophone négro-africaine – à notre connaissance – à Mohamadou Kane57 suivie trois ans plus tard par celle de Marcien Towa, élève (au sens propre du terme) de Lucien Goldmann, qui s’est réclamé clairement de la méthodologie de son maître : le structuralisme génétique58 ; la même année, Bernard Mouralis se sert de l’approche sociologique pour étudier le couple individu/collectivité dans le roman africain59 ; un ans après paraît l’étude de Sunday O. Anozif60 ; quatre ans plus tard, Roger Mercier, dans le droit fil de Mohamadou Kane, a étudié la réception de la littérature africaine61. Quatre ans plus tard encore, l’Université Paris III consacre à la réception de la littérature africaine un colloque62 et, la même année, Guy Ossito Midiohouan soutient une thèse sur le même sujet dans la même université63. Un an plus tard, Jacqueline Leiner, avec d’autres chercheurs d’ailleurs, a étudié la réception critique des littératures africaines et antillaises64. En 1980, c’est Emmanuel-Fernandez I. Aniegbuna qui étudie, dans une approche sociologique, le rapport entre le roman nigérian et la tradition africaine65. Deux ans plus tard, paraît l’étude d’Amar Chechari66. Quatre ans plus tard enfin, Bernard Mouralis (encore lui !) tente de repérer, à partir d’une étude des titres des romans francophones africains, le destinataire de ces derniers67.

Il a fallu attendre par contre les années 1990 pour voir les chercheurs s’intéresser à nouveau à la sociologie de la littérature africaine et, depuis, l’intérêt pour cette approche ne s’est plus fait jamais démentir. Signalons par exemple l’étude de Janos Riesz68 (déjà citée) puis celles de Romuald-Blaise Fonkua et Pierre Halen69. En 2001, Bernard Mouralis réfléchit sur l’apport que la notion de champ littéraire peut apporter aux études francophones70. Claire Ducournau a étudié en 2003 la réception d’Allah n’est pas obligée de Kourouma71 sous la direction d’ailleurs de Michel-P. Schmitt. En 2008, Buata B. Malela a fait paraître son étude sur la naissance du champ littéraire afro-antillais72. Et tout récemment, David Koffi N’goran a étudié le rapport entre la littérature africaine et la tradition à partir de la notion de champ littéraire73. Germain-Arsène Kadi s’est servi de cette même notion de champ littéraire pour étudier la littérature ivoirienne74.

Notes
55.

Voir sur cette question Janos Riesz, « Les littératures d’Afrique noire vues du côté de la réception », Revue de Littérature Comparée, 1, 1993, p. 11 et 12.

56.

Pour une synthèse de la critique africaine, voir Locha Mateso, La Littérature africaine et sa critique, Paris, ACCT/Karthala, 1986. Mais on peut lire aussi sur le sujet Noureini Tidjani-Serpos, Aspects de la critique africaine, Paris, CEDA/Silex, 1987 ; pour les tendances actuelles de la critique négro-africaine, on pourra consulter les deux livres de Boniface Mongo-Mboussa qui présentent tout de même une dimension de vulgarisation : Désir d’Afrique, Paris, Gallimard, « Continents noirs », 2002 et L’Indocilité, Paris, Gallimard, « Continents noirs », 2005.

57.

Mohamadou Kane, « L’écrivain africain et son public », Présence Africaine, 58, 2ème trimestre 1966, p. 9-31.

58.

Marcien Towa, Poésie de la négritude. Approche structuraliste, Sherbrooke, Naaman, 1983. Cet ouvrage, on l’aura compris, constitue sa thèse de troisième cycle soutenue en 1969.

59.

Bernard Mouralis, Individu et collectivité dans le roman négro-africain d’expression française, Abidjan, Université d’Abidjan, 1969.

60.

Sunday O. Anozif, Sociologie du roman africain : réalisme, structure et détermination dans le roman moderne ouest-africain, Paris, Aubier-Montaigne, 1970.

61.

Roger Mercier, « La littérature négro-africaine et son public », Revue de Littérature Comparée, 191-192, 1974, p. 398-408.

62.

Critique et réception des littératures négro-africaines. Actes du colloque de Paris III, 10-11 mars 1978, in L’Afrique Littéraire et Artistique, 50, 4ème trimestre 1978.

63.

Guy Ossito Midiohouan, Contribution à l’étude de l’accueil et de la réception critique de la littérature négro-africaine en France (1808-1948), Paris, Paris III, 1978.

64.

Jacqueline Leiner, Réception critique de la littérature africaine et antillaise d’expression française, Paris, Jean-Michel Place, 1979.

65.

Emmanuel-Fernandez I. Aniegbuna, Sociologie de la littérature ouest-africaine : l’apport de la tradition dans le roman, Limoges, Université de Liège, 1980.

66.

Amar Chechari, Réception de la littérature africaine d’expression française jusqu’en 1970, Paris, Silex, 1982.

67.

Bernard Mouralis, « Essai de titrologie romanesque », Présence Africaine, 114, 1986, p. 53-78.

68.

Janos Riesz, « Les Littératures d’Afrique noire vue du côté de la réception », Revue de Littérature Comparée, 1, janvier-mars 1993, p. 11-22.

69.

Voir Romuald-Blaise Fonkua, « L’Afrique en Khâgne. Contribution à une étude des stratégies senghoriennes du discours dans le champs littéraire francophone », Présence Africaine, 154, 2ème semestre 1996, p. 130-175 ; Romuald-Blaise Fonkua, Pierre Halen, réunis par, Les Champs littéraires africains, Paris, Karthala, 2001 ; Pierre Halen, « Notes pour une topologie institutionnelle du système littéraire francophone », in Papa Samba Diop et Hans-Jürgen Lüsebrink, Littératures et sociétés africaines. Regards comparatistes et perspectives interculturelles, Tübingen, Narr, 2001, p. 55-67 ; Pierre Halen, « Le «système littéraire francophone» : quelques réflexions complémentaires », in Lieven D’Hulst et Jean-Marc Moura, Les études littéraires francophones : état des lieux, Université Lille III, « Travaux et recherches », 2004, p. 25-37 ; Pierre Halen, « Les littératures « du Sud» ne tombent des nues », Notre Librairie, 160, déc. 2005-fév. 2006, p. 16-20.

70.

Bernard Mouralis, « Réflexion sur le champ littéraire africain dans la période 1988-1998 : enjeux et perspectives de la production littéraire francophone », in Bernard Mouralis, L’Illusion de l’altérité. Etudes de littérature africaine, Paris, Champion, 2007, p. 67-76.

71.

Claire Ducournau, La réception d’Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma : du « lecteur implicite » à des lecteurs français et sénégalais, Lyon, Lyon 2, 2003.

72.

Buata B. Malela, Les Ecrivains afro-antillais à Paris (1920-1960). Stratégies et postures identitaires, Paris, Karthala, 2008.

73.

David K. N’goran, Le Champ littéraire africain : essai pour une théorie, Paris, L’Harmattan, « Critiques littéraires, 2009.

74.

Germain-Arsène Kadi, Le Champ littéraire africain depuis 1960. Romans, écrivains et sociétés ivoiriens, Paris, L’Harmattan, « Palinure », 2010.