B. Le roman comme nécessité

Deux nécessités se sont présentées à Toihiri. L’une générique et l’autre esthétique. Générique car le romancier a déclaré ne vouloir écrire q’un roman (en réponse à la question pourquoi n’avoir pas écrit un essai ?) :

‘Mon livre est né avant tout d’un désir littéraire. Je ne me sentais pas motivé pour écrire une analyse politique. J’ai voulu surtout me distinguer de mes congénères des pays en voie de développement qui traitent habituellement de sujets purement historiques ou sociologiques. Le genre romanesque est encore rare en ce qui nous concerne92.’

Pourquoi le roman ? Absence de motivation pour affronter une analyse politique, envie de se distinguer des romanciers francophones (entendre par là essentiellement africains) et désir d’inaugurer une tradition encore inexistante aux Comores : celle du roman. Et pourquoi le réalisme – deuxième nécessité ? Deux réponses peuvent se dégager : pour une raison personnelle – le réalisme est une esthétique qui lui plait. L’autre raison pourrait être extra personnelle : l’esthétique réaliste lui est imposée par le cours des choses car originellement « […] le réalisme naît d’une question posée par l’Histoire. L’œuvre réaliste veut comprendre ce qui arrive. […] une nouvelle société vient d’apparaître, dont le fonctionnement est à éclaircir. Un nouveau monde s’est constitué et avec lui une nouvelle manière de percevoir et de représenter le réel. […] La tâche du réaliste sera de penser cette situation inédite […]93 ». C’est justement ce qui arrive à Toihiri : il a voulu rendre intelligibles les bouleversements sociaux et historiques qu’ont vécu les Comores de 1975 à 1989 : révolution d’inspiration marxiste (1975-1978) à laquelle a succédé une dictature conservatrice et semi libérale sur le plan économique (1978-1989). Autrement dit, chez notre romancier, le réalisme est aussi bien une esthétique qu’une pragmatique.

Notes
92.

Christine Vève et Mohamed Toihiri, entretien, « Le premier roman comorien en français », Elite-Afrique, 0, 1986, p. 64-66. Le numéro est introuvable aujourd’hui mais on peut consulter l’entretien sur http://www.comores-online.com/mwezinet/litterarture/toihiri.htm .

93.

Philippe Dufour, Le Réalisme. De Balzac à Proust, op. cit., p. 7-8.