4. L’architecture

Mazamba de sa fenêtre, méditant en saison de pluie observe son village : « Il savait qu’en ces temps de pluie, ceux qui avaient des toits en tôle ondulée ou en béton armé avaient dormi les poings fermés, enfouis dans leurs draps, bercés par l’harmonie de la pluie sur le toit […]. Par contre ceux qui avaient des cases en feuilles de cocotier, en paille ou en raphia, avaient dû changer souvent la place de leur lit ou de leur natte131. » C’est bien à une présentation des différentes maisons comoriennes que l’on assiste.

Jusqu’à peu près aux années 1970 en fait, on pouvait distinguer deux types de maisons aux Comores : celle de pierre et la case rectangulaire en feuilles de cocotiers tressés. La première relève de la civilisation urbaine et reste une marque des cultures arabes tandis que l’autre est une manifestation des cultures africaines et se développe dans les zones extra-urbaines ou rurales.

Bien sûr, les citadins (nobles et bourgeois) bâtissent en pierre alors que les autres, venus s’installer en ville en qualité de domestiques ou d’ouvriers, dans les villes tout comme les zones rurales, construisent leurs maisons en feuilles de cocotiers. Dotée d’un un sol cimenté, la maison de pierre se compose généralement de deux ou trois chambres, d’une cour non couverte entourée de hauts murs et sur laquelle on trouve la cuisine et les toilettes ; la façade comme l’intérieur sont blanchis à la chaux. La maison en feuilles de cocotiers ou case traditionnelle est faite de murs de terre montés sur des croisillons de bois et recouvertes de feuilles de cocotiers tressés ; les murs peuvent être faits également de panneaux de feuilles tressées. C’est une case rectangulaire répartie en deux ou trois pièces avec une cour qui donne sur les toilettes et la cuisine132. Pour simplifier, la maison en pierre va être celle de la tranche de la population la plus favorisée et celle en feuilles de cocotiers celle, bien sûr, de population la moins favorisée.

A partir des années 1970, va apparaître une troisième maison en bois et en tôle ondulée (entourée et couverte de tôles) nommée double tôle : moins commode que la maison en pierre, plus confortable que celle en feuilles de cocotiers, elle restera la maison de ce que l’on peut nommer la classe moyenne – si tant est qu’on puisse importer cette terminologie dans cette région du monde – dans plusieurs régions du pays. A partir des années 1990, les maisons en tôles seront massivement remplacées par celles en briques par les immigrés comoriens installés en France surtout à la Grande Comore.

Deux sortes de maisons se distinguent dans le roman : celle de la population favorisée et celle de la population défavorisée. C’est dans la première que Guigoz, futur président de la République Comorienne, dormait sur une natte pendant son enfance « […] comme quatre-vingt dix-huit pour cent des jeunes comoriens de sa génération133. » C’est dans celle-ci que vivent Mma Said (cette femme désespérée par la rupture des ligaments du genoux de son fils Said dans un match de foot), la grand-mère de Said, « […] affalée sur une natte134 », et Said lui-même qui « […] était étendu sur un lit en bois » et qui « […] avait en guise de matelas une natte tressée avec des feuilles de cocotier. » C’est bien dans cette case traditionnelle sans éclairage que vit toute cette famille135. C’est toujours dans une maison de ce type que se loge Foundi Shandrabo, le sorcier136, logement dont les murs sont en feuilles de cocotiers tressées137.

Deuxième maison : celle de la classe protégée. Mais là quelques nuances s’imposent. On rencontre en fait trois logements : celle des colons, celle de la classe nantie comorienne et enfin celle des petits fonctionnaires comoriens. La première est une résidence aux terrasses blanches, spacieuse, confortable, bien équipée en électroménager et très verdoyante. Au départ des propriétaires (les colons partis à l’indépendance du pays en 1975), elle sera prise par les serviteurs les plus fidèles de la Révolution138.

La deuxième est celle où a lieu les réunions des comploteurs (les hommes politiques révolutionnaires bientôt maîtres du pays), villa immense, blanche, moderne, verdoyante et construite le long de la lagune139, ou celle du Docteur Idi Wa Mazamba140 dont le sol est recouvert d’une moquette141, le salon meublé de fauteuils et de canapés en faux cuir, avec une cheminée autour de laquelle des poufs sont jetés142 et un vaisselier143. C’est en somme un salon de luxe, bien décoré, très moderne et bien équipé en machines144.

La troisième est celle des petits fonctionnaires comoriens généralement d’origine anjouanaise. Elle n’est certes pas aussi inconfortable que les cases traditionnelles, mais le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’est pas aussi commode que les deux précédemment décrites. Elle a en plus le malheur d’être située juste à côté de celle des colons (hyper luxueuse !), séparée de celle-ci par une route partiellement bitumée comme pour marquer la discrimination coloniale, ce qui pouvait naturellement créer beaucoup de frustration. C’est une maison qui ressemble à une caserne, couverte de tôle ondulées (ce qui accentue la chaleur dans cette région tropicale), sans climatiseur ni ventilateur, ni végétation pour adoucir la chaleur145.

Les maisons, le plus souvent, se mélangent dans les villages vu que la tradition exige que l’on construise sur la place « natale » pour offrir des meilleures conditions de vie à sa famille et la sortir ainsi de la misère.

Notes
131.

Ibid., p. 56-57. C’est nous qui soulignons.

132.

Claude Robineau, Approche sociologique des Comores, op. cit., p. 37-40 ; Hervé Chagnoux, Ali Haribou, Les Comores, op. cit., p. 48.

133.

Mohamed Toihiri, La République, op. cit., p. 25.

134.

Ibid., p. 63.

135.

Ibid., p. 64.

136.

Ibid., p. 68-69.

137.

Ibid., p. 70.

138.

Ibid., p. 187.

139.

Ibid., p. 31.

140.

Désormais Mazamba

141.

Mohamed Toihiri, Le Kafir, op. cit., p. 9.

142.

Ibid., p. 53.

143.

Ibid., p. 150.

144.

Ibid., p. 229.

145.

Mohamed Toihiri, La République, op. cit., p. 187.