B. Manière de se marier

1. Une tradition déjà ancienne

Question sociétale extrêmement importante aux Comores, et singulièrement à Ngazidja. Problématique présente dans le roman que nous étudions, et particulièrement dans Le Kafir. Dans La République, elle est juste évoquée et de façon très succincte : c’est pendant le conflit opposant Malgaches et Comoriens à Majunga (Madagascar) que le lecteur apprend les deux choses qui comptent pour le Comorien (principalement issu de l’île de Ngazidja) : le religion et le grand mariage (le respect de la tradition). En effet, Mzé Swalihi Hamadi, juste avant de mourir, eut deux pensées :

‘La première pensée qui traversa son esprit fut celle de la prière de l’Answir [celle de 16h] qu’il n’avait pas eu le temps d’accomplir. Ensuite il pensa avec un sentiment de honte à son grand mariage qu’il n’avait pas eu le temps de faire malgré ses cinquante ans passés 202 .’

Evocation lointaine du grand mariage signifiant, en passant, que les Comoriens, attachés à la religion et la tradition, restent profondément conservateurs. Il occupe cependant, dans Le Kafir une place de choix si bien que l’on peut affirmer qu’il constitue l’un des sujets majeurs du roman. Ainsi, la quatrième de couverture commence-t-elle par une dispute évoquant ce grand mariage : « Moi j’ai marié ma fille, moi ! J’ai aussi marié ma nièce ! J’ai aussi marié mon neveu ! dit Mzé Karibaya ».

Dans le roman, la question du mariage, en l’occurrence du grand mariage (c’est le nom que l’on lui donne à Ngazidja) est portée par Issa Mungwana, ami d’enfance du Dr Mazamba. Le premier, qui avait déjà une femme (Samira) et des enfants, décide de prendre pour son grand mariage une seconde femme(Marie-Ame). Il a respecté la tradition à la lettre : Toirab (fête dansante organisée le samedi), Zifafa (danse qui l’accompagne chez sa nouvelle femme), don de beaucoup d’argent, d’or, une voiture203...

De quoi s’agit-il exactement en fait ? D’un très grand et long mariage né, selon les historiens et les anthropologues, à la fin du dix-neuvième siècle pour lutter contre l’aliénation coloniale204. En effet, traumatisés par la colonisation française, sans repères face à la dépossession terrienne et à la suppression pure et simple des pouvoirs des sultans, les Comoriens ont voulu s’approprier des valeurs-refuges qu’ils ont trouvées dans les confréries (dans la religion) et dans la construction d’une coutume sécurisante :

‘Les Grand-Comoriens [les Comoriens issus de la Grande Comore ou de Ngazidja] s’appliquèrent à reconstruire et à perpétuer dans l’imaginaire et le symbolique ce pouvoir politique dont ils venaient d’être dépossédés. Le grand mariage devint tout naturellement l’espace privilégié où s’opéra le transfert205.’
Notes
202.

Mohamed Toihiri, La République, op. cit., p. 94.

203.

Mohamed Toihiri, Le Kafir, op. cit., p. 159-173.

204.

Sur cette question, consulter les deux travaux de référence existants : Said Abdourahim, Mariage à Ngazidja. Fondement d’un pouvoir, Bordeaux, Bordeaux II, 1983 ; Sultan Chouzour, Le Pouvoir de l’honneur. op. cit.

205.

Cette analyse a été formulée par Said Abdourahim dans sa thèse mentionnée ci-haut et reprise par Sultan Chouzour, Le Pouvoir de l’honneur. Tradition et contestation en Grande Comore, op. cit., p. 197.