2. Une tradition très coûteuse

Processus long, très long pouvant prendre des années sinon des décennies selon les localités et les moyens des personnes concernées ; une durée allant de paire avec des dépenses franchement insoutenables. Cette vieille tradition s’est implantée essentiellement à Ngazidja (Grande Comore) ; les autres îles (Anjouan, Mohéli et Mayotte) étant épargnées ! Et même à Ngazidja, elle diffère selon les villes et villages en fonction de leurs tailles ou de degré de progressisme de leurs élites. Difficile donc d’en donner une description exacte. Risquons quand même une description rapide.

Tout commence, mutatis mutandis, par les fiançailles. Cette formalité qui, jadis, était très simple, est devenue très onéreuse. C’est le moment où les deux parties conviennent du mariage à venir. Dès le moment scellé, le garçon envoie des bijoux et des pièces d’or accompagnées d’une importante somme d’argent. En retour, la famille de la fille envoie au garçon des bonnets, des boubous, des chaussures, des cigarettes…Et à partir de ce moment, s’établit un mouvement permanent d’échanges de cadeaux qui se remettent à toutes les grandes occasions, notamment les deux grandes fêtes musulmanes (Id El fitr et Id El Kébir). Cette période des fiançailles peut durer longtemps ; elle peut excéder, dans certains cas, une décennie.

Vient ensuite le Madjlis. Le fiancé réunit une très grande quantité de riz et annonce son intention de préparer son Madjlis. Geste qui déclenchera un large mouvement impliquant tout le village (chaque famille, sachant qu’un jour elle aura à faire face à une prestation identique, s’efforce à chaque prestation d’apporter sa contribution en organisant dans sa maison un repas qu’elle met au compte du fiancé qui devra, le moment venu, payer cette dette). Le village peut lui avancer jusqu’à une cinquantaine de repas (chaque repas comptant dix kilos de riz). La famille de la fiancée peut apporter une contribution d’une cinquantaine de repas. En fin de compte, on se retrouve avec plus d’une centaine de repas.

On réunit vers les midis toute la population masculine (les femmes, bien sûr, restant au foyer pour préparer les repas !) sur la place publique du quartier du fiancé qu’on répartit en plusieurs groupes et qu’on dirige vers les maisons où sont préparés les repas, tout en respectant la hiérarchie coutumière. Précisons que parallèlement à la préparation de ces gigantesques repas, les femmes s’adonnent, toute la matinée et une bonne partie de l’après-midi à des chants et danses qui doivent être récompensés par de l’argent émanant des familles des futurs époux (récompense pouvant atteindre douze mille euros !)

A partir de vingt heures, une très grande cérémonie pouvant compter jusqu’à mille invités a lieu : au menu un discours en arabe (que personne ne comprend bien sûr !) annonçant le programme de la soirée, une lecture du coran, un prêche, et une distribution de gâteaux et boissons (cocas, fantas…). Pas moins de vint milles euros peuvent être dépensés le jour du Madjlis.

Suivront enfin les cérémonies du mariage proprement dit : danse féminine du jeudi soir (à partir de vingt et une heures), danse masculine du vendredi (même heure), un très grand dîner donné samedi (jusqu’à cinq cent invités !), une danse mixte le samedi soir également devant être récompensée par beaucoup d’argent (jusqu’à dix mille euros)…Pensons au Docteur Mazamba, lors du twarab de Pangani, indigné de voir des billets de banque jetés alors qu’il manque de tout dans son service à l’hôpital206. Sans entrer dans les détails, c’est plus de dix jours de festivités, de cérémonies, de repas207

Notes
206.

Mohamed Toihiri, Le Kafir, op. cit., p. 106-108.

207.

Pour plus de détails, voir Sultan Chouzour, Le Pouvoir de l’honneur, op. cit., p. 173-194.