1. Une domination pure et simple

Deux conceptions s’affrontent dans le roman africain francophone au sujet de la femme : celle liée à la tradition (soutenue par les vieux) et l’autre liée à la modernité (défendue par les jeunes et les femmes elles-mêmes). La première considère que la femme constitue une marque de richesse ; c’est en somme un bien matériel prestigieux à acquérir. Et du reste, pour les défenseurs de cette tradition libérer la femme, ciment de la société, revient à faire exploser cette dernière. La deuxième, estimant la femme comme un individu à part entière doué de raison, réclame son émancipation. Cette vision veut accorder à la femme africaine le pouvoir d’organiser sa vie comme elle l’entend. Remarquons tout de même que dans la plupart des romans écrits par la première génération (jusqu’aux indépendances), et même aujourd’hui encore dans une certaine mesure, les personnages féminins occupent des strapontins216.

Dans La République, on remarque assez vite que la femme est complètement absente des instances dirigeantes du pays : aucune femme dans la classe politique qui va s’emparer très prochainement du pouvoir et qui va instaurer le régime révolutionnaire ; aucune femme non plus dans le gouvernement révolutionnaire – ceci s’expliquant par cela217. La femme reste globalement assujettie. Mais si nous voulons introduire quelques nuances, on se rend compte que deux modèles de femme se distinguent rapidement : une dominée et une autre rebelle ou relativement émancipée. Dans la première catégorie, on peu inclure la femme du sorcier Shandrabo qui sert fidèlement son mari en orientant et en conseillant sa clientèle ainsi qu’ en trompant autant que possible les milices révolutionnaires chargées de réprimer la sorcellerie :

‘Elle [Mma Said] s’annonça dans la case de Foundi Shandrabo et demanda à voix basse si celui-ci était là.
La femme de Shandrabo fit oui de la tête avec des airs de conspiratrice. Elle la mena à lui. […] D’abord Mma Said ne comprit pas pourquoi on l’amenait au lit du Foundi. La femme de celui-ci expliqua que depuis que Guigoz a déclaré la chasse aux sorciers, Foundi pour pouvoir recevoir en toute tranquillité a dû répandre partout le bruit qu’il était malade et ne pouvait pas bouger.
Le Foundi se mit sur son séant et demanda à sa femme d’aller faire le guet dehors. Il précisa qu’elle devait réunir quelques fillettes pour piler le madaba [feuilles de manioc] et faire autant de bruit que possible afin de couvrir sa voix au moment où il allait faire ses prières218.’

Ajoutons à cette catégorie de femmes soumises ces femmes qui, l’après-midi, se trouvent obligatoirement et invariablement à la cuisine tandis que la gente masculine, elle, s’amuse : les hommes en jouant aux cartes et les garçons en faisant du sport :

‘Les hommes palabraient, jouaient aux cartes, aux dominos, qui sous un manguier, qui sous un badamier centenaire et qui au bangweni [place publique]. Les femmes, inquiètes, se creusaient la tête pour savoir ce qu’elles allaient pouvoir préparer à manger. Les jeunes gens emplissaient les terrains de sport, dépensant leur surplus d’énergie219.’

Dans la catégorie des dominées, incluons également Samira, première femme de Issa et mère de ses enfants, qui se voit imposée une coépouse sans aucun moyen de contestation. Et du reste, on devine son mécontentement, mais on ne la voit nulle part le manifester : elle n’a même pas droit à la parole ; comme pour nous signifier qu’une femme s’occupe de sa maison et fait des enfants. Le reste, tout le reste, est une affaire d’hommes220 !

Notes
216.

Voir Mohamadou Kane, Roman africain et tradition, Dakar, Les Nouvelles Editions africaines, 1982, p. 375-378.

217.

Mohamed Toihiri, La République, op. cit., p. 31-46.

218.

Ibid., p. 69.

219.

Ibid., p. 106.

220.

Mohamed Toihiri, Le Kafir, op. cit., p. 78-79.