D. Manière de s’affronter

1. Communauté et Individu

Conflit connu, très connu, dans le roman africain francophone qui a retenu l’attention de Bernard Mouralis voilà plus de quarante244 que l’on retrouve dans le roman toihirien. C’est que « […] le Comorien est d’abord un être communautaire avant d’être individu245 […] ». Et la société comorienne, aujourd’hui encore, ignore littéralement l’individu ; pour elle tout doit se rapporter à la communauté. Malheur aux personnes qui veulent s’inscrire en faux contre cette vision des choses : elles sont au mieux considérées comme vecteurs des tares des Occidentaux – critique d’autant plus percutante que le plus souvent ce sont des individus ayant étudié en France ou dans un pays francophone –, au pire scrupuleusement marginalisé par la communauté. Mazamba, bien que croyant mais non pratiquant246, se rend d’ailleurs à la mosquée moins par envie ou conviction que par peur de la marginalisation :

‘L’appel à la prière […] montait, très haut, comme s’il cherchait à atteindre les cieux. Les croyants laissaient tout pour se préparer à aller à la mosquée ; même pour ceux qui n’étaient pas des grands pratiquants, comme Mazamba, se faisaient un devoir social d’y aller le vendredi, jour de la grande prière et les jours de Ides. Dans un pays où la communauté est tout et l’individu rien, il est toujours prudent de se noyer dans la masse dans ce genre de grandes messe communautaires 247 . ’

Domination de l’individu par la communauté si importante que celui-là doit rendre des comptes à celle-ci pour ses actes – ce qui serait plus dans l’ordre des choses dans un pays où ne règne pas l’anarchie – mais aussi pour ceux des membres de la famille dont il est issu : père, mère, frère, oncle… Qu’on n’ oublie pas le cas du fugitif Nawal dont la famille a du payer pour lui son impolitesse : « En attendant que le garçon fût retrouvé et châtié, sa famille était bannie248. » Au cours de la dispute qui opposait Mzé Karibaya à Mzé Mchangama, le premier assomma le second en lui disant que sa famille avait couvert le village de Mitsandzalé d’enfants illégitimes249. Humilié et fortement contrarié, Mzé Mchangama a dû rappeler que l’oncle de son contradicteur était un kleptomane célèbre ayant une prédilection pour les animaux comestibles250.

Notes
244.

Bernard Mouralis, Individu et collectivité dans le roman négro-africain d’expression française, Abidjan, Annales de l’Université d’Abidjan, 1969.

245.

Mohamed Toihiri, Le Kafir, op. cit., p. 80.

246.

Ibid., p. 57-58.

247.

Ibid., p. 57. C’est nous qui soulignons.

248.

Ibid., p. 85-86.

249.

Ibid., p. 90-91.

250.

Ibid., p. 92.