4. Une préférence anjouanaise malgré tout…

Mazamba semble préférer les autres îles comoriennes à son île natale parce que celles-ci ne sont pas plombées par le grand mariage, une tradition extrêmement coûteuse ancrée essentiellement – on s’en souvient encore – à la Grande Comore qui avait le privilège de l'irriter vigoureusement. Il s’interroge un beau jour dans son bureau : « Pourquoi ne suis-je pas né à Mmwali, Ndzuani ou Maoré où le anda n’existe pas ? » […] « Là-bas, au moins les gens sont moins hypocrites. Le poids du anda n’englue pas toutes leurs aspirations !285 »

Mais cet intérêt pour les autres îles se précise en se focalisant nettement sur Anjouan. Un intérêt déjà sensible dans La République puisque Anjouan y est nommée « Anjouan-La Perle286 » reprenant le nom que les colons avaient donné à cette île faisant référence à sa beauté. En vérité, Mazamba est littéralement fascinée par l’île d’Anjouan. Pour lui, celle-ci est « splendide287 », « pleine de merveilles288 » où les femmes, comme la nature, sont belles :

‘Si vous deviez rester encore quelques jours, Mazamba s’adressant à Aubéri, je vous conseillerais deux endroits : Moya […] pour la beauté de ses femmes ; on les croirait modelées par les mains artistes de leurs pères et de leurs mères ; le deuxième endroit, c’est la région de la Cuvette, pour la beauté du site. Là, de petites vallées ombragées par la faune comorienne et les hameaux traduisent un bonheur vert, bleu, brumeux et nostalgique : tout être qui y arrive, entre en communion avec la nature. Votre peau frémit au tremblement du feuillage, votre âme se mouille de la buée, et votre cœur s’alourdit de nostalgie enfantine à la vue de la fumée se dégageant des toits des maisons289.’

Anjouan attire Mazamba par sa sensualité et par ses multiples parfums, absents dans les autres îles, qui aromatisent ses campagnes, ses villes et ses maisons290, par son « art de vivre inconnu dans les autres îles291 » et surtout par ses femmes qui  visiblement ne l’indiffèrent pas : « Les femmes laissent transparaître dans la profondeur de leurs yeux une innocence perverse ; leur démarche est une rythmique pendant que leur sourire traduit une bonté câline et leur intonation des pans d’utopie 292  ». Aubéri, en allant dans le même sens que Mazamba, ajoute qu’ : « - Il n’y a pas que le paysage qui soit beau ici, il y a aussi…les hommes293… » Mazamba avoue éprouver de l’admiration pour la tradition d’initiation installée à Anjouan qui consiste, juste avant le mariage, à préparer une jeune fille à sa vie sexuelle imminente294. En fait tout incite à croire que tout ce qui est relatif à Anjouan ne peut être qu’éloigné de la laideur. Même le narrateur s’y met à son tour dans la valorisation de cette île :

‘Cette nuit-là, comme toutes les nuits anjouanaises, était pailletée d’or, parsemée d’argent, parfumée d’étoiles, de clarté et de senteurs de mangues, de litchis, de goyave, d’orchidée d’ylang-ylang, de yasmine et d’encens venu de Mascatte que les mains des amantes versaient avec ferveur dans les encensoirs chiraziens295. ’

Mazamba, concédant vouer un « culte » à Anjouan, connaît très bien l’île pour y avoir exercé un an comme médecin296. Et tout au long de ce séjour professionnel, le Dr Mazamba s’est senti à l’aise avec son métier et a rencontré des subordonnés dévoués et consciencieux. La population anjouanaise ? Eh bien, elle lui a réservé un accueil chaleureux. Du reste, ajoute le Dr Mazamba, l’un de ses rares amis est originaire d’Anjouan297. Mais juste avant de prononcer ce plaidoyer en faveur de l’île d’Anjouan, le Dr Mazamba a pris soin de tordre le coup à tout le discours péjoratif que l’on tient communément sur les Anjouanais qu’il qualifie de « balivernes298 ». Pour lui, il est strictement fondé sur la méconnaissance des uns et des autres et que, par conséquent, ces derniers ne sont ni des assassins, ni des avares ni des jaloux excessifs.

Notes
285.

Mohamed Toihiri, Le Kafir du Karthala, op. cit., p. 179-180.

286.

Mohamed Toihiri, La République, op. cit., p. 196.

287.

Mohamed Toihiri, Le Kafir, op. cit., p. 21.

288.

Ibid., p. 22.

289.

Ibid., p. 22.

290.

Ibid., p. 22.

291.

Ibid., p. 23.

292.

Ibid., p. 23. A la page 26, la femme anjouanaise est comparée aux femmes du paradis : les « Houris ».

293.

Ibid., p. 23.

294.

Ibid., p. 162-163.

295.

Ibid., p. 41.

296.

Ibid., p. 23.

297.

Ibid., p. 24.

298.

Ibid., p. 24.