2…de romancier

Instance narratoriale et organisation du récit

Sur cette question, on a presque envie de dire vulgairement : « circuler, il y a rien (ou peu) à voir ». Les récits de La République et du Kafir sont pris en charge, de façon très classique, c’est-à-dire comme dans le roman réaliste : ce sont des récits à focalisation zéro ou non focalisés320 assurés par un narrateur hétérodiégétique321 ou, pour faire moins barbare, les histoires nous sont racontées par un témoin de celles-ci et qui les connaît même dans les moindres détails. Situation assez classique dans le roman historique (pour le cas précis de La République) car ici « […] le récit suppose un narrateur, plus ou moins présent, plus ou moins proche de la figure auctoriale. Parfois, ce narrateur se confond avec un personnage, qui raconte. Parfois le texte prendra l’apparence d’une autobiographie fictive322 », lequel narrateur « […] peut prendre à témoin le lecteur, faire des commentaires sur l’action, les faits et gestes des personnages, leurs pensées et intentions. […] Il peut souligner les effets, exhiber l’agencement du temps et de l’espace […] L’intervention auctoriale peut être importante, prenant souvent une allure didactique323. »

C’est l’organisation temporelle de La République qui doit retenir notre attention car elle n’est aucunement classique : elle présente une véritable anachronie pour employer encore un terme de Genette324. En effet, si le narrateur nous raconte certainement l’histoire d’un homme qui prend le pouvoir et instaure un régime révolutionnaire, il nous la raconte mais de façon délinéarisée ou, pour être plus précis, le début du roman est a-linéaire : le roman, après le prologue, commence par le coup d’Etat qui va renverser Guigoz (chap. 1) ; vient ensuite le portrait de celui-ci (chap. 2) ; le chapitre trois raconte la réunion de préparation du coup d’Etat qui va porter Guigoz au pouvoir ; le chapitre quatre le coup d’Etat proprement dit. La seule chose qui ne déconcerte pas sur le plan de l’organisation temporelle du récit, c’est que sa fin (chap. 18) marque aussi celle du pouvoir de Guigoz.

Il serait très hasardeux de voir dans cet agencement du récit le moindre rapprochement avec le nouveau roman. Il nous semble que ce semblant de désordre diégétique reflète le désordre réel (en tout cas le chamboulement) qu’avait occasionné le pouvoir révolutionnaire dans la société comorienne et dont le roman se voulait le reflet.

Notes
320.

Pour cette terminologie, voir bien sûr Gérard Genette, Discours du récit [1972, 1983], Paris, Seuil, « Points/Essais », 2007, p. 194.

321.

Ibid., p. 255.

322.

Gérard Gengembre, Le Roman historique, Paris, Klincksieck, « 50 questions », 2006, p. 96.

323.

Ibid., p. 97.

324.

Gérard Genette, Discours du récit, op. cit., p. 23.