IV. L’ Etat aux Comores : « La Politique du ventre »

A. La classe politique pré-révolutionnaire : une préfiguration de l’Etat à venir

1. Une classe politique divisée

Juste avant le coup d’Etat qui va conduire Guigoz au pouvoir, les partis politiques de l’opposition doivent se rencontrer pour fixer la date et les modalités de la conspiration. Réunion qui offre au lecteur un spectacle bien risible. Mais l’on est obligé de réprimer très rapidement ce rire dès qu’on comprend que ce sont ces représentants rien de moins que grotesques des partis politiques qui vont avoir en main le destin des Comores après l’indépendance nationale.

Notons avant de parler de la division de cette classe politique qu’elle est très insuffisamment formée : tous les représentants des partis sont des redoutables politiciens mais aucun n’est bien formé dans quelque domaine que ce soit sauf Moutui, professeur de Lettres, plus soucieux du beau discours que d’action efficace407. Cinq partis politiques constituent l’opposition – on ne compte évidemment pas ceux qui sont au pouvoir – pour un pays qui compte un peu moins de 200000 habitants (Mayotte exclue puisqu’elle est restée dans le giron français). Rien que cela ! Sans projet politique sauf celui de vouloir accéder au pouvoir : le D.P.R.C. est représenté par un jeune loup qui pense seulement à faire carrière408 ; le MU.MA. par un vieux noble diminué par l’âge et la maladie409 animé seulement par le pouvoir410 ; le R.A.N.D.A.M. par Guigoz un homme dont l’autoritarisme n’a d’égal que le machiavélisme411 ; Et puis les B.E.C. et La CO.PA.SO. deux partis communistes qui se vouent une sourde haine réciproque. Une classe politique incapable de s’entendre sur quoi que ce soit même sur la langue à employer : certains parlent, à propos de renversement du pouvoir en place, de coup d’Etat et d’autres de putsch – et cela devient, avant d’accéder au pouvoir, un véritable sujet de discorde412. Tout cela ne présage rien de bon pour les Comores.

A leur division, on peut ajouter une irresponsabilité qui caractérise les deux partis communistes (B.E.C. et CO.PA.SO.). Non seulement, ils sont incapables de cacher leur division mais en plus ils perdent leur temps à s’affronter vainement ne mesurant pas la lourde charge – celle de sortir un pays colonisé pendant plus de cent ans de la misère – qu’ils vont endosser dans un temps imminent : la politique, pour eux, semble être d’abord un jeu verbal413.

Dernière chose : cette classe politique se particularise par une naïveté presque puérile – est ce dû à leur manque de formation intellectuelle sérieuse autre que politique ? Comment imaginer que Guigoz, qui se fait passer facilement pour un campagnard – il mange une mangue en pleine réunion, s’essuie juste après avec du papier sorti de son sac414 et part aux toilettes avant de finir son discours répartissant les portefeuilles après le coup d’Etat415 – faisant ainsi semblant d’ignorer les codes du monde éthéré de la politique, ait pu les tromper avec une vulgarité déconcertante en faisant croire à chaque parti qu’il lui a donné des postes valorisants alors que ce n’était en réalité que des coquilles vides ? N’a-t-il pas gardé pour son parti le vrai pouvoir : celui de la force (ministères de l’intérieur et de la défense) et de l’argent (économie, finance et budget416) ? Est-il étonnant que cette classe politique, trompée par une personne qu’elle connaît de longue date, ait du mal à s’en sortir dans la jungle internationale ?

Notes
407.

Ibid., p. 36.

408.

Ibid., p. 32.

409.

Ibid., p. 34 et 47.

410.

Ibid., p. 32.

411.

Ibid., p. 40-47.

412.

Ibid., p. 33-34 et 46.

413.

Ibid., p. 34-35 et 35-36.

414.

Ibid., p. 35.

415.

Ibid., p. 45.

416.

Ibid., p. 40-47.