Le pouvoir exorbitant des mercenaires

On se rappelle que Le Kafir n’est pas un roman historique mais on y trouve tout de même ce qu’on peut appeler des traces d’histoire dont la plus importante reste la présence des mercenaires aux Comores de 1978 à 1989. En fait, l’Etat, que l’historien français Pierre Vérin a appelé celui de « La Restauration433 », c’est-à-dire qui a succédé à l’Etat révolutionnaire, s’est installé et a duré plus d’une décennie grâce à des mercenaires qui n’ont pas hésité à employer tous les moyens à leur disposition pour stabiliser ce pouvoir qui deviendra très bientôt non plus celui de leur patron mais le leur434.

On ne demandera pas à un mercenaire d’être vertueux sauf à être un idiot. Mais très rapidement ils en sont venus à humilier ceux qu’ils sont sensés servir. Nous ne parlons pas de la population contre laquelle ils s’agissaient en permanence mais des détenteurs du pouvoir qu’ils étaient sensés servir. Un mercenaire pouvait par exemple se permettre de s’offrir toutes les femmes qu’il désirait dans le pays même celle d’un ministre qui ne pouvait que se taire sachant qu’il doit sa place à la violence de ces hommes. Lisons cette scène qui  s’est déroulée dans une soirée mondaine :

‘Applaudissements ; ceux-ci attirèrent l’attention d’un Blanc en costume deux pièces. Il s’approcha de la foule. Sourit, tourna la tête à droite, agrippa fortement la première femme qu’il vit. Celle-ci résista. Il la tira violemment. Elle se laissa faire. Il écarta la foule. Se planta au milieu avec elle.
Stupeur. C’était la femme de Wakala Wa Madini, ministre du renoncement, un homme fort du régime, qui tenait son ministère d’une main de fer. Il discutait justement avec le commandant de la Brigade. Quelqu’un alla souffler quelque chose à l’oreille du ministre. Celui-ci se précipita, fendit la foule et s’immobilisa. Le Blanc qui caressait sa femme s’avéra être un Partenaire Généreux – PG435 –, donc un intouchable436.’

Ces mercenaires ne reculaient devant rien : humiliation de la population et particulièrement de la mince tranche de celle-ci qui osait s’opposer à eux qui devait sans tarder subir la torture. Mais quand les enjeux étaient trop importants, la torture se révélait insuffisante : les assassinats étaient devenus monnaie courante. Ainsi, le ministre du renoncement, qui avait été humilié en public par un mercenaire, paiera de sa vie d’avoir accepté le départ de ces mercenaires qui, en fin de compte, en sont venus à ne protéger que leurs intérêts437. L’homme étant ce qu’il est, c’est-à-dire gouverné par son seul intérêt, ces mercenaires ne pouvaient laisser personne leur ôter leur pain surtout quand il n’est pas sec mais accompagné d’autres mets succulents :

‘[…] ces hommes à leur arrivée dans ces îles […] n’étaient riches que de leur violence, de leur indigence intellectuelle et morale, de leur mépris pour les habitants du pays et de leur avidité. Et voilà qu’en quelques années, beaucoup de princes envieraient leur fortune, leur gloire, leurs esclaves et leurs harems438.’

Notes
433.

Voir Pierre Vérin, Les Comores, op. cit.

434.

Mohamed Toihiri, Le Kafir, op. cit., p. 217.

435.

Ces mercenaires, qui avaient en charge la garde présidentielle, constituaient une armée dans l’armée complètement libre et indépendante de ses actions pourvu que la sécurité du président soit assurée ; cette garde s’appelait justement Garde Présidentielle (GP)

436.

Mohamed Toihiri, Le Kafir, op. cit., p. 17-18.

437.

Ibid., p. 218-221.

438.

Ibid., p. 218.