V. La France et ses ressortissants

A. La puissance impériale

La France est présente dans le roman toihirien ; non pas seulement sur le plan linguistique (le roman est écrit en français) mais aussi sur le plan politique et social. Faut-il s’en étonner ? Elle s’est installée à Mayotte dès 1841 pour s’approprier, progressivement, les autres îles480 et ainsi devenir maîtresse du territoire jusqu’en 1975, date à laquelle les Comores ont accédé à la souveraineté internationale. Après l’indépendance, suivie presque immédiatement d’une courte rupture diplomatique avec le nouvel Etat (le régime révolutionnaire de 1975-1978), elle noue, à la demande du nouveau pouvoir comorien (post-révolutionnaire), une relation privilégiée avec ce dernier. Cent trente quatre ans de domination suivies de trente autres de relations bilatérales relativement privilégiées ont laissés une empreinte forcément indélébile sur ce petit pays.

Le français est devenu, rappelons-le, la langue officielle du pays (avec l’arabe) après la courte période révolutionnaire. L’élite, elle, continuait à être majoritairement formée en France ou dans des pays francophones. Aujourd’hui, lassées par leurs liens paternalistes (sans intérêt tangible pour le long terme) avec la France, les Comores essaient de nouer ou consolider des relations diplomatiques avec d’autres pays – mais qui intéressent-elles vu qu’elles n’ont pas de pétrole ? – pour diversifier ses rapports avec le reste du monde et surtout multiplier ainsi les pays potentiellement donateurs (chine, Iran, les pays du Golfe…) mais à chaque fois qu’elles sont un problème insoluble politique ou économique, elles se tournent presque systématiquement vers la France (on rejette et admet le paternalisme en fonction des circonstances !). Tout cela, on le devine sans aucun mal, éloigne de plus en plus le jour où ces deux pays pourraient nouer des relations pacifiées ou de considération réciproque : pour la France, les Comores représentent un petit pays sans intérêt économique dirigé par des incompétents et des malhonnêtes ; et pour les Comores, la France incarne la puissance néo-coloniale.

C’est ainsi que les Comores, depuis l’indépendance, entretiennent des relations pour le moins ambivalentes avec la France qui peuvent s’expliquent par le passé douloureux de la colonisation, l’agressivité de la diplomatie française mue, bien entendu, par ses intérêts propres et par l’occupation illégale de l’île de Mayotte. Ajoutons à cela le fait que les politiques comoriens ont la fâcheuse tendance à expliquer leurs propres échecs par les ingérences françaises – ce qui crée dangereusement une haine anti-française palpable à chaque élection importante dans le pays. Comme si une ancienne puissance dominante pouvait jamais renoncer à son ancien pouvoir. Le rôle d’un politique post-colonial avisé n’est pas de crier sur tous les toits du pays l’hostilité de l’ancienne puissance coloniale mais de la prévoir pour la déjouer dans la mesure du possible (difficile pour un pays qui doit toit quémander même son budget de fonctionnement) et d’imaginer une politique qui ne laissera pas son pays toujours lésé par la voracité, au demeurant réelle, de celle-ci.

Détour par l’histoire et la politique nécessaire pour comprendre cette relation d’ambiguïté qu’entretient la France et les Comores, dont le roman n’est que le reflet481.

Notes
480.

Nous ne ferons pas ici l’histoire de la colonisation française aux Comores. Nous renvoyons seulement à l’ouvrage déjà signalé de Pierre Vérin, Les Comores, op. cit., p. 101-124 ou encore au travail magistral de Jean Martin, Comores : quatre îles entre pirates et planteurs, Paris, L’Harmattan, 1983.

481.

Sur cette question lire, avec beaucoup d’intérêt, la thèse d’El-Anrif Said Hassane, La Politique de coopération de la France aux Comores. 1978-1997, Paris, Paris I, 2000.