Prisme romantique et post-soixante-huitard : le rejet de Kassabou

Mazamba est un homme sans aucun doute valeureux dans la mesure où il refuse de se coucher aux pieds de la société. C’est un rebelle intelligent qui ne craint ni la solitude ni les jugements des siens. Il cherche avec beaucoup de peine à défendre sa vision de l’homme et de la société refusant ainsi de prendre en argent comptant les préceptes de la société car

‘On a besoin du groupe et le groupe a besoin de nous. Sans forfanterie ou vanité, nous devrions donner notre part pour contribuer à la meilleure survie de notre communauté d’origine. Mais il faut évaluer le prix de ces dépendances et pourvoyances réciproques. On n’est pas tenu de payer n’importe quel prix ; ni surtout de renoncer à son honneur d’homme, ni de penseur lorsqu’on a la chance d’en être un. En bref, ne pas nier son appartenance, ne pas refuser sa solidarité, mais ne pas céder aux mythes des siens ; à l’occasion, si nécessaire, on doit en dénoncer les dérives et les excès. Se rappeler que mythe et mystification sont de proches parents572.’

Mais Mazamba présente une autre facette. Il est considéré par certains comme un « doux rêveur573 » : en clair un homme, d’une certaine façon, déconnecté de certaines réalités comoriennes. Formé en France dans les années 1970, sa vision amoureuse présente le double héritage du romantisme et de la libération du corps issue de 1968.

En souhaitant que Kassabou soit comme lui sensible au bien-être, à la beauté, à la bonté et toutes autres bonnes considérations philosophiques574, Mazamba désire un couple qui partage tout, qui fusionne presque. Certes, on pourrait espérer, dans un couple, « Partager ensemble la beauté émanant d’un son, d’une ligne, d’une matière, [ce qui serait] un moment de grâce, qui unit en élevant dans le raffinement575. » Et en fait tout incite à croire que Mazamba cherche « […] la sensation de communier dans une harmonie se situant au-delà du réel576 […] ». Mais n’est-ce pas trop demander au couple et s’inscrire dans un monde probablement bien révolu – romantique ou néo-romantique ? N’est-ce pas par conséquent s’attendre avec une quasi certitude à des lendemains très décevants ?

Mazamba reproche par ailleurs à Kassabou d’être coincée au lit : « […] de faire preuve d’une pudibonderie paralysante577. » Il ne désire rien d’autre qu’une femme libérée sexuellement, ce qu’elle trouve chez Aubéri qui n’a rien d’une none : pensons encore au bain de minuit un bain de minuit578 pendant lequel elle se dénude, impudiquement, devant Mazamba579 ou à la scène érotique qui a eu lieu dans une église en Afrique du Sud580. Mais justement Aubéri, elle, est une Française née et élevée en France ; et qui a profité des libertés issues de la révolution de 1968.

Notes
572.

Albert Memmi, Testament insolent, Paris, Odile Jacob, 2009, p. 92-93.

573.

Mohamed Toihiri, Le Kafir, op. cit., p. 223.

574.

Ibid., p. 178-178.

575.

Jean-Claude Kaufmann, L’Etrange histoire de l’amour heureux, Paris, Armand Colin, 2009, p. 162.

576.

Ibid., p. 163.

577.

Mohamed Toihiri, Le Kafir, op. cit., p. 178 et 187.

578.

Ibid., p. 41-42.

579.

Ibid., p. 41-42.

580.

Ibid., p. 137-142.