D. Des Etats outrageusement vilipendés

1. La France est irréductible à sa politique étrangère

La France n’est pas seulement une puissance coloniale et néo-coloniale. C’est aussi un pays de liberté. Quand Haïdar et Faouziat, l’un milicien et l’autre journaliste, tous deux supporters fatigués du régime révolutionnaire qu’ils ont pourtant fidèlement servi, ne croyant plus à ce dernier, ils ne se rendent pas en Tanzanie voisine ni en Chine ni en Union soviétique mais bien à Paris via Mayotte669. Alors que les Comoriens étaient las d’un régime qu’il trouvait totalitaire et mécréant, le pays qui a soutenu jusqu’au bout les dissidents fut la France ; les Comoriens, qui tentaient de fuir en bateau le pays, une fois attrapés par les milices révolutionnaires qui les considéraient comme traîtres étaient tués sur le coup ; et ceux qui échappaient à ce sort tragique étaient sauvés…par des Mahorais sous administration française670. L’ancienne puissance coloniale est en quelque sorte devenue le pays défendant la liberté des Comoriens. Quelle ironie de l’histoire ? L’occupant d’hier est devenu le libérateur. Mais non sans se moquer des Comoriens. En parlant des dissidents qui sont arrivés en France sur les ondes de France Inter, voici ce qu’aurait déclaré Arlette Chabot : « […] vingt Comoriens avaient débarqué à l’aéroport de Roissy avec comme passeports vingt bouts de carton671. » Empressons-nous tout de même de préciser que le but de la France, en soutenant les dissidents au régime révolutionnaire, ne fut aucunement la défense des libertés des Comoriens – ce fut plutôt un moyen – mais de déstabiliser un régime pour après le renverser en vue de retrouver ainsi son pré carré. Raison donc géopolitique en période de guerre froide.

Mais la France est ensuite le pays qui accueille continuellement l’immigration comorienne laquelle tient sous perfusion l’économie comorienne, finance divers projets et le grand mariage – ce à quoi le Grand Comorien tient le plus au monde. Pensons à Mavuna Mungwana, résidant à Marseille, Mzé M’Dama, à Dunkerque et la tante de Marie-Ame à la Réunion tous venus financer le mariage de Issa et Marie-Ame672.

La France, c’est – troisième point positif – un pays tolérant qui laisse les musulmans vivre et pratiquer paisiblement sur son territoire leur religion. Lisons cet échange entre Mavuna et son maître coranique :

‘- […] Les Wanaswara [les catholiques] ne vous empêchent donc pas de pratiquer la religion de notre prophète ?
- Non, maître.
- Alors ce sont de bonnes gens673.’

La France enfin reste un Etat de droit qui n’érige pas en système de gouvernement la corruption comme le fera plus tard l’Etat comorien post-colonial (et dans une large mesure plusieurs Etats africains). Quand Issa, pendant la période coloniale, en classe de troisième, a agressé son professeur de mathématiques, en couvrant d’ortie son fauteuil, il a été définitivement exclu de l’école sans aucune possibilité de recours : sanction peut-être démesurée mais claire et ferme à valeur pédagogique. Le narrateur, sous couvert d’ironie, se rappelle de cette époque (la regrette-t-il ? ou seulement l’autorité qui régnait au moins à l’école ?) :

‘[Issa Mungwana] eut la ludique idée de couvrir d’ortie le fauteuil de son professeur de mathématiques. Au contact de cette herbe, cette laiteuse Flamande, surgie des brumes de Hazebrouck, se gratouilla sans retenue devant toute la classe. Quand elle eut un moment de répit, elle fit clairement comprendre au proviseur, monsieur Serge Madzini, un Corse pète-sec qui dirigeait le lycée comme on dirige un régiment, qu’elle allait demandait son rapatriement si l’auteur de cet ignoble attentat n’était pas radié à vie des listes scolaires de tout l’archipel. On opta pour la deuxième solution.
Comme en cette maudite époque, le makarakara n’était pas encore connu au pays, aucun recours n’était possible. Issa a dû se lancer dans la vie active674.’

Pour celui qui a en tête la condamnation virulente de la corruption, ceci sonne comme un certain regret de cette France protectrice de l’école contre les assauts des malhonnêtes et de la violence scolaire. Si cela n’est pas un besoin ou au moins une reconnaissance de France, en tout cas cela y ressemble très fort !

Notes
669.

Mohamed Toihiri, La République, op. cit., p. 194.

670.

Ibid., p. 203.

671.

Ibid., p. 204.

672.

Mohamed Toihiri, Le Kafir, op. cit., p. 144.

673.

Ibid., p. 146.

674.

Ibid., p. 72-73.