Conclusion

Nous avons tenté d’étudier, dans une optique sociologique, le roman toihirien. Il en ressort qu’il peut être considéré non seulement comme témoignage d’une fiction mais aussi comme fiction d’un témoignage. Témoignage d’une fiction parce qu’il s’agit bien d’un roman qui prend en charge l’histoire nationale (La République) ; et fiction d’un témoignage parce que cette histoire nous a été livrée non pas comme un document historique mais comme une œuvre littéraire – en l’occurrence un roman.

Mais ce roman présente autre chose que son rapport à l’histoire. Car il ne serait pas excessif de le qualifier comme le roman de l’identité comorienne. Il déplie, en effet, les « manières » de vivre des Comoriens : leur façon de s’habiller, de cuisiner, de construire leurs logements, de croire, de se distraire, de se marier, de traiter la femme, de débattre…

Roman de l’identité nationale ? Certainement. Roman de la critique sociale aussi. Car, derrière l’écriture de l’histoire et de l’identité nationales, on lit dans le roman toihirien, une critique acerbe de la société comorienne : un individu faible, une communauté irresponsable et sans vision de l’avenir, un Etat répressif. Et même au-delà de la société comorienne, on discerne une critique très sévère de la France présentée comme raciste et dont les ressortissants ne sont que des dégénérés. Ajoutons, pour terminer, la stigmatisation de la politique communiste.

Le roman toihirien semble être écrit pour deux lecteurs principaux : un lecteur comorien et un lecteur français. L’accueil de La République, à sa publication, a été très frais voire même fort controversé. Deux travaux universitaires émanant de deux commentateurs comoriens sont venus apporter un peu de chaleur (2006 et 2009) et ainsi tempérer la froideur du départ. En revanche, Le Kafir, quelque peu ignoré à sa publication, a connu par la suite un accueil élogieux.

Nous avons trouvé le roman toihirien ambitieux (l’envie d’écrire l’identité d’un pays), courageux (stigmatisation de la société) et intelligent (analyses souvent clairvoyantes et parfois fort brillantes). C’est un roman d’ouverture. En effet, tout en restant un véritable roman comorien (s’enracine essentiellement dans un cadre spatio-temporel comorien), il a voulu se brancher sur la littérature africaine francophone dont il découle immédiatement (de par ses thèmes, sa langue et son esthétique) et a même tenté (un peu vainement) de se trouver un lecteur français.

Précisons cependant quelques unes de ses insuffisances. Le roman toihirien est clairement misogyne, un brin raciste et le héros du Kafir (un Comorien) est si occidentalisé qu’il ignore ou méprise la culture comorienne. Ajoutons que ce roman vilipende, démesurément, aussi bien l’intellectuel comorien que les Etats comorien et français.

En entreprenant cette recherche, nous avons tenté de doter la jeune littérature comorienne d’un début de discours critique afin de la faire exister et ainsi l’intégrer à l’ensemble des littératures francophones dans lequel elle mérite pleinement de figurer. Nous avons voulu également offrir aux enseignants comoriens de Lettres (du secondaire et du supérieur) un outil pédagogique d’accompagnement (fort modeste mais utile) dans leurs cours.

La tâche est bien entendu immense. Ce travail se veut le début d’autres travaux à suivre. Osons espérer que nous serons rejoints, dans cette entreprise, par d’autres chercheurs pour mettre en valeur cette jeune littérature fragile parce que émergente ; et développer ainsi un nouveau domaine de connaissances.