Introduction

L’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) est une institution peu connue, voire méconnue du grand public comme des acteurs professionnels ou politiques, et même des chercheurs en sciences sociales spécialistes des questions rurales et agricoles. Les raisons en sont multiples. Les hésitations qui ont présidé à la création de cette assemblée et les fréquentes mutations qui ont rythmé son existence y sont pour beaucoup, tant elles rendent difficile la reconstitution d’un déroulement chronologique fluide. Au gré des amendements apportés au code rural et des changements de sigles, son histoire, inséparable de la chronique des chambres d’agriculture, est souvent résumée en quelques dates. En guise de première approche, il convient de la rappeler à grands traits.

Par la loi du 3 janvier 1924, il est créé dans chaque département, une chambre d’agriculture départementale, composée de membres élus au suffrage universel de tous les agriculteurs du département, à raison de quatre par arrondissement, et de délégués, désignés comme les premiers au scrutin de liste par les associations et syndicats agricoles, à raison d’un par arrondissement. Selon ce texte, « les chambres d’agriculture sont, auprès des pouvoirs publics, les organes consultatifs et professionnels des intérêts agricoles de leur circonscription [et elles] peuvent, dans leur circonscription, créer ou subventionner tous établissements, institutions ou services d’utilité agricole, toutes entreprises collectives d’intérêt agricole » 4. Aucune instance nationale n’a été créée par la loi de 1924. C’est sur l’initiative de Joseph Faure, sénateur et président de la chambre d’agriculture de la Corrèze, que les présidents de chambre, tout juste élus dans leurs départements, se réunissent pour la première fois le 24 octobre 1927, à Paris, au Musée social, 5 rue Las Cases, pour tenir une assemblée.

Après huit années d’un fonctionnement largement informel, l’existence de l’Assemblée des présidents de chambre d’agriculture est reconnue par le décret du 30 octobre 1935. Elle prend alors le nom d’Assemblée permanente des présidents de chambre d’agriculture (APPCA), établissement public, « qui est, auprès des pouvoirs publics, l’organe consultatif et représentatif des intérêts généraux et spéciaux de l’agriculture métropolitaine » 5. Durant ces années de crise économique et de difficultés sociales dans le monde rural, l’APPCA s’attache surtout à présenter aux pouvoirs publics des vœux concernant la politique agricole à mener. Interrompant un développement balbutiant, la loi du 2 décembre 1940, voulue par les hommes de Vichy, supprime l’APPCA et annonce la liquidation des chambres d’agriculture, dès lors que seront créées des chambres régionales, distinctes de celles déjà existantes et aux attributions cantonnées au « progrès de l’agriculture par les applications des sciences aux productions agricoles, animales et végétales » 6. Mais alors que l’ordonnance du 26 juillet 1944 annule les textes relatifs à l’organisation corporative de l’agriculture 7, la résurrection des chambres d’agriculture est lente et difficile : dès l’automne 1944, la reprise d’activité de groupements agricoles publics ou privés est soumise à une autorisation préfectorale, la vie dans les départements est profondément désorganisée, les membres des chambres d’agriculture élus avant la guerre ne sont plus tous là pour reprendre leur action et manquent de moyens et de soutiens pour le faire.

Ce n’est que le 24 novembre 1948 que l’APPCA tient à nouveau session. À l’instigation de la chambre d’agriculture de la Dordogne, après consultation des chambres départementales par lettre circulaire, les présidents se réunissent en effet à Paris, marquant ainsi leur volonté concertée de montrer aux pouvoirs publics « que les chambres d’agriculture doivent reprendre leur activité comme par le passé » : 56 des départements de la métropole y sont représentés, dont 25 par leur président, élu avant la guerre. Le 17 mai 1949, par un avis du Conseil d’État, l’autorisation est donnée aux chambres d’agriculture de reprendre leurs activités. Le 8 février 1951, l’« Accord national agricole » est signé conjointement par les représentants de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), de la Confédération générale de l’agriculture (CGA) et de l’APPCA : il préconise une orientation de l’activité des chambres d’agriculture « vers l’étude et la réalisation de projets d’intérêt général, tels notamment : l’éducation professionnelle, le progrès technique, l’équipement individuel et collectif de l’agriculture », et codifie leurs relations avec les autres organisations, en décidant notamment que les chambres d’agriculture ne peuvent « se prononcer[...] sur les demandes de renseignements et avis dont elles s[ont] saisies par les Pouvoirs Publics qu’après avoir consulté les groupements agricoles intéressés » 8. Enfin, des élections générales sont prévues pour l’année 1952. L’APPCA siège à nouveau au 11bis rue Scribe, où sont logés ses services.

Le décret du 24 décembre 1954 tend « à assurer la participation des chambres d’agriculture à l’expansion économique » : il fixe le statut des services d’utilité agricole, mais surtout il en permet le développement en autorisant les chambres d’agriculture et l’APPCA « à percevoir des cotisations extraordinaires » et en créant un fonds national de péréquation 9. La diffusion de ce que l’on appelle alors le « progrès agricole »devient une préoccupation majeure de la profession : la chambre d’agriculture de la Somme, qui a créé dès 1951 un service de vulgarisation, est largement imitée au cours des années suivantes et ces services apparaissent dans de nombreux départements. En juin 1957, les chambres d’agriculture créent, en coordination avec seize autres organisations agricoles, l’Association de formation et de perfectionnement agricoles (AFPA) qui à son tour crée un centre de formation à Trie-Château, dans l’Oise. Le décret du 11 avril 1959 qualifie et donne un statut à la vulgarisation agricole – soit « la diffusion des connaissances techniques, économiques et sociales nécessaires aux agriculteurs, notamment pour élever leur niveau de vie, améliorer la productivité des exploitations ». Elle est assurée, comme auparavant, par les services du ministère de l’Agriculture et sous son autorité, mais aussi, fait nouveau, « par des groupements d’agriculteurs librement constitués, qui appliquent sous leur responsabilité, les programmes arrêtés pour la diffusion des connaissances agricoles », tout cela par l’intermédiaire de « conseillers agricoles ». Toujours selon ce texte, la coordination de ces actions revient à des comités départementaux de vulgarisation du progrès agricole (CDVPA) – où deux délégués de la chambre d’agriculture sont présents, dont un en tant que vice-président –, et au Conseil national de la vulgarisation du progrès agricole (CNVPA) qui compte trois délégués de l’APPCA 10.

La loi d’orientation du 5 août 1960 confirme la place de l’APPCA parmi les « quatre grands » 11 que sont la FNSEA, le Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA) et la Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricole (CNMCCA). D’après ce texte, « pour toutes les consultations de la profession agricole prévues dans la loi d’orientation agricole, le Gouvernement devra consulter notamment les chambres d’agriculture et l’Assemblée permanente des présidents des chambres d’agriculture » 12 – cette consultation est notamment prévue dans le cadre des études concernant l’appréciation de la superficie que devrait avoir une exploitation à deux unités travailleurs-hommes, dite à 2 UTH. Durant les années qui suivent, l’APPCA se montre particulièrement soucieuse de l’application de cette loi et publie des commentaires circonstanciés concernant chacun des décrets pris dans ce sens. Le décret du 4 octobre 1966, relatif au financement et à la mise en œuvre des programmes de développement agricole, constitue la seconde étape d’une passation de pouvoir amorcée en 1959. Le décret entérine les changements survenus depuis 1959 : de la « vulgarisation » au « développement », il ne s’agit pas seulement d’un élargissement sémantique. Désormais, chaque chambre départementale est tenue de créer « un service d’utilité agricole qui aura pour mission de regrouper et de coordonner toutes les actions entreprises pour la mise en œuvre du programme départemental de développement agricole établi par le conseil départemental ainsi que de veiller et de contribuer au financement de ce programme ». Une Association nationale pour le développement agricole (ANDA) est fondée, dont font partie les grandes organisations agricoles et l’APPCA. Cette association est chargée de gérer le fonds national de développement agricole, dont les dépenses sont constituées en grande partie et prioritairement de subventions « aux services de développement agricole créés par les chambres d’agriculture » 13.

Dans les années suivantes, les chambres d’agriculture et l’APPCA – devenue en 1966 l’APCA, l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, et sise 9, avenue Georges V – confirment leur vocation de service aux agriculteurs : la loi du 28 décembre 1966 sur l’élevage prévoit la création d’établissements départementaux de l’élevage (EDE), dont la plupart prennent la forme de services d’utilité agricole d’élevage (SUAE) au sein de la chambre d’agriculture ; bientôt les chambres d’agriculture sont autorisées à créer des SUA de type « structure d’accueil » et les chambres régionales sont reconnues comme établissements publics ; l’APCA elle-même développe ses services propres, comme le centre de formation de Trie-Château, les services de communication, ceux relatifs au développement et à l’élevage, aux actions foncières, et au fonctionnement administratif et financier.

Cette courte présentation dévoile un déploiement rythmé de l’extérieur, par les lois et décrets, et de l’intérieur, par des pratiques et des orientations profondément renouvelées au cours de la période. La loi impose ou entérine, les pratiques en découlent ou anticipent sur elle, dans une interaction qui mérite analyse. Ce premier axe problématique s’est imposé d’emblée, tandis que d’autres ont été construits au fil des lectures et de la fréquentation des archives de l’institution : directions structurantes et choix méthodologiques en dépendent. Notamment, la possibilité qui nous a été offerte de parcourir à notre guise les différentes salles d’archives, réduits et placards, de l’APCA, notre rôle dans l’inventaire des fonds et notre place de stagiaire en 2002-2003 ont également influencé fortement la perception de l’institution dans son fonctionnement quotidien. Les pratiques les plus banales, et en apparence insignifiantes, ont discrètement infléchi une réflexion par ailleurs largement fondée sur l’analyse de documents écrits.

Notes
4.

Journal officiel de la République française, vendredi 4 janvier 1924, Loi du 3 janvier 1924 relative aux chambres d’agriculture, pp. 130-133.

5.

Journal officiel de la République française, jeudi 31 octobre 1935, décret du 30 octobre 1935 instituant une Assemblée permanente des présidents des chambres d’agriculture, pp. 11 641-11 642.

6.

Journal officiel de la République française, samedi 7 décembre 1940, Loi du 2 décembre 1940 relative à l’organisation corporative de l’agriculture, pp. 6 005-6 008.

7.

Journal officiel de la République française, samedi 5 août 1944, Ordonnance du 26 juillet déclarant nuls les textes relatifs à l’organisation corporative de l’agriculture, p. 674.

8.

« Accord national agricole du 8 février 1951 », dans Chambres d’agriculture, janvier-mars 1951, pp. 9-10.

9.

Journal officiel de la République française, samedi 25 décembre 1954, Décret n° 64-1263 du 24 décembre 1954 tendant à assurer la participation des chambres d’agriculture à l’expansion économique, pp. 12 157-12 158.

10.

Journal officiel de la République française, 14 avril 1959, Décret n° 59-531 du 11 avril 1959 portant statut de la vulgarisation agricole, pp. 4 145-4 146.

11.

Expression utilisée à partir des années 1960 pour désigner l’APPCA, la FNSEA, le CNJA et la CNMCCA.

12.

Journal officiel de la République française, dimanche 7 août 1960, Loi n° 60-808 du 5 août 1960 d’orientation agricole, pp. 7 360-7 365.

13.

Journal officiel de la République française, 6 octobre 1966, Décret n° 66-744 du 4 octobre 1966 relatif au financement et à la mise en œuvre des programmes de développement agricole, pp. 4 874-4 876.