1840-1914 : propositions de loi

Le 8 avril 1840, Louis Defitte et Bellator de Beaumont déposent à la chambre des députés une proposition de loi visant à la création de chambres d’agriculture. Sous la Monarchie de juillet, la démarche est sans effet, malgré les interventions favorables d’Alphonse de Lamartine et du maréchal Bugeaud. L’intervention de ce dernier à la chambre des députés, le samedi 18 avril 1840 est particulière éloquente : « On a dit que l’agriculture était suffisamment représentée dans la chambre des pairs, dans celle des députés et dans les conseils généraux. Heureusement, je le reconnais, plusieurs fois les chambres ont montré leur sympathie pour l’agriculture ; mais je ne crois pas que cela soit suffisant. On a dit aussi que les comices agricoles et que les sociétés d’agriculture étaient une représentation suffisante. Messieurs, les comices agricoles s’occupent de l’application dans les localités, mais en raison de leur multiplicité même, ils n’ont aucune relation directe avec le Gouvernement. Les conseils qu’on demande sont destinés à traiter des intérêts généraux de l’agriculture, des lois de douane par exemple, qui sont la chose du monde la plus importante pour l’agriculture. Car il ne s’agit pas de faire des professions de foi en sa faveur, il faut encore la protéger réellement, et surtout prendre garde de l’entraver par des tarifs protecteurs seulement des produits étrangers. Ce sont ces lois dont s’occuperont les conseils consultatifs d’agriculture ». Alphonse de Lamartine entend également défendre l’agriculture en déclarant que « ce qu’il lui faut, ce n’est pas une représentation locale, accidentelle ou politique, non pas même une représentation scientifique, c’est une représentation générale et centralisée à Paris autour du ministre » 284.

En 1841, Marc-Antoine Puvis – ancien député du grand collège de l’Ain, de 1830 à 1831, qui alors « parût se ranger parmi les partisans de la nouvelle monarchie » 285 –, désormais président du conseil général de l’Ain, membre correspondant de l’Académie des sciences et président de la Société d’émulation et d’agriculture de l’Ain, rédige un petit opuscule en faveur de la création de chambres d’agriculture où il écrit : « Dans cette disette donc qui se montre dans tous les rangs de la hiérarchie politique d’hommes et d’institutions qui puissent apprécier et appuyer convenablement les intérêts agricoles, il serait nécessaire que le gouvernement recourût à un moyen de faire surgir et arriver, pour s’aider de leurs lumières, les hommes qui ont fait de ce sujet leurs principales études, et fondât des institutions qui pussent leur donner du poids et de la consistance ; c’est cette nécessité qui a frappé l’année dernière un assez grand nombre de membres à la Chambre et qui les a décidé à chercher un moyen de remplir la grande lacune qui se fait sentir dans notre administration publique. Le but était assez difficile à atteindre, il fallait trouver un moyen d’organiser les conseils d’agriculture et de les placer convenablement dans notre hiérarchie administrative » 286.

Deux ministres de l’Agriculture et du Commerce de la Seconde République, Charles-Gilbert Tourret et Victor-Ambroise Lanjuinais, défendent un projet analogue 287. L’Assemblée vote les 20 et 25 mars 1851 une loi qui réorganise les comices et les charge d’élire les membres des chambres départementales d’agriculture. Ce sont des assemblées consultatives locales destinées à éclairer le gouvernement sur les questions de législation, d’économie et de statistique. Cependant le 25 mars 1852, un décret-loi leur substitue des chambres d’arrondissement, dont la composition est soumise à l’autorisation du pouvoir, par l’intermédiaire du préfet, « sur le modèle napoléonien des chambres de commerce » : selon Pierre Barral, « le Second Empire [n’a] établi que des organes consultatifs, des chambres d’arrondissement bientôt disparues, et un conseil supérieur, aux membres nommés par le ministre, qui ne comptait guère » 288.

Entre 1870 et 1914, plus d’une trentaine de rapports et propositions de loi visant à la création de chambres d’agriculture ont été déposés 289. Le fait qu’aucune d’elles n’aboutisse au vote d’une loi est en soi révélateur des désaccords profonds que le projet d’institutions consulaires agricoles suscite. Parmi les auteurs et les rapporteurs de ces textes, se trouvent quelques figures célèbres dans le domaine agricole. Outre Jules Méline, on rencontre Charles de Bouillé et Louis-Gabriel de Saint-Victor, membres fondateurs de la Société des agriculteurs de France, auteurs d’un projet de loi déposé en mai 1872. Plusieurs parlementaires présentent à nouveau un version amendée de leur proposition de loi, quelques années après avoir échoué à faire voter leur texte : le baron Étienne de Ladoucette, député des Ardennes, présente un rapport visant à la création de chambres d’agriculture en 1883, lors de son second mandat, puis à nouveau en 1890. Le républicain-radical Gustave Lhopiteau, quant à lui, est l’auteur d’une proposition de loi en 1902, puis de deux autres en 1910 et 1912. Les ministres de l’Agriculture Jules Méline, Albert Viger et Jean Dupuy soumettent également à l’Assemblée un texte, sans succès. Les débats achoppent sur la question de la composition du corps électoral : s’opposent ceux, proches des dirigeants des unions syndicales agricoles, qui veulent inclure les propriétaires non-exploitants et exclure les fonctionnaires et les salariés, aux républicains plus enclins à écarter les premiers et à s’adjoindre les seconds.

Notes
284.

Le Moniteur universel, 1er supplément au n° 110, dimanche 19 avril 1840, pp. 739-741.

285.

Adolphe ROBERT, Gaston COUGNY et Edgar BOURLOTON, Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889, Paris, Bourloton, 1889-1891, tome 5, p. 58

286.

Marc-Antoine PUVIS, Chambres consultatives d’agriculture, Bourg, Imprimerie de Bottier, 1841, 14 p., p. 11

287.

François HOUILLIER, Les chambres d’agriculture, Paris, La Documentation française, 1971, 71 p.

288.

Pierre BARRAL, Les agrariens français de Méline à Pisani, ouvrage cité, p. 138.

289.

Luce PRAULT, « La représentation professionnelle agricole. Les Chambres d’Agriculture et l’Assemblée permanente des Présidents des Chambres d’Agriculture », dans Droit social, avril 1940, pp. 107-112, p. 108.