Le 27 février 1927, ont lieu les élections des membres des chambres d’agriculture à élire au suffrage des agriculteurs, tandis que se tiennent le 13 mars suivant les élections de ceux élus par les délégués des groupements et associations agricoles. Le simple constat d’une participation des électeurs individuels avoisinant 50 %, valeur moyenne et médiane pour les 90 départements considérés, conduit Luce Prault, alors secrétaire-adjoint de la Confédération nationale des associations agricoles (CNAA) 390, à « affirmer que les chambres d’agriculture ont reçu du corps électoral l’autorité qui leur était nécessaire pour parler au nom de l’agriculture française et occuper dans notre pays la place qui leur est due » 391 – tout en concédant cependant lui-même que les listes électorales étaient incomplètes. De profondes disparités existent : alors que dans le département du Pas-de-Calais la part des votants excède 74 %, moins d’un tiers des électeurs inscrits dans les Basses-Alpes ont glissé leur bulletin dans l’urne. Deux zones de forte participation des électeurs individuels sont identifiables, l’une couvrant le Nord et le Nord-est, l’autre les départements qui vont du sud du Massif central au Languedoc. Dans les trois quarts des circonscriptions, une seule liste est proposée aux électeurs individuels, et seules huit listes de candidats à élire au suffrage des associations et syndicats agricoles ont des rivales 392 : l’absence de compétition électorale caractérise 51 départements sur 90, où l’ensemble des membres élus est entré de la chambre d’agriculture naissante sans qu’un véritable choix ait été proposé aux électeurs. Autrement dit, sur 1920 membres élus, seuls environ 250, soit 13 %, l’ont été dans un contexte de concurrence électorale.
Joseph Faure raconte ces élections sans entrer dans les détails : « Les élections aux chambres d’agriculture eurent lieu au scrutin d’arrondissement, comme le voulait la loi, à raison de quatre membres par arrondissement désignés par le suffrage universel agricole et choisis parmi les propriétaires exploitants ou non, fermiers, métayers régisseurs et ouvriers agricoles. Les femmes chefs d’exploitation et celles qui les avaient dirigées en l’absence de leur mari, père ou fils eurent le droit de vote. 50 % des électeurs inscrits, soit 3 millions et demi environ participèrent à cette élection, dans un calme impressionnant, faisant contraste avec la généralité des autres élections. De plus, les associations agricoles de chaque département désignaient au scrutin de liste départemental un membre par arrondissement et les chambres d’agriculture furent ainsi définitivement constituées » 393.
Avant même la promulgation de la loi sur les chambres d’agriculture et l’organisation des premières élections, la potentielle mainmise des organisations professionnelles est très lisible dans certaines déclarations publiques. Ainsi, en mars 1920, Pierre de Monicault, alors vice-président de l’Union du Sud-Est des syndicats agricoles (USESA), déclare, à la faveur de la présidence de la deuxième journée de l’assemblée générale de l’USESA : « quant aux chambres d’agriculture, il n’est pas interdit de croire que leur création a été faite non sans arrière-pensée de nuire aux Syndicats, il importe donc qu’elles soient bien composées de vrais agriculteurs ». L’USESA ne diffuse pas un autre message auprès des présidents de syndicats en les avisant de ce que « les chambres d’agriculture pourront faire beaucoup de bien, mais aussi beaucoup de mal. Il importe de bien les composer » 394. Ces impératifs hardis sont ceux d’une des rares unions de syndicats réellement puissante et influente en France : l’USESA échoue d’ailleurs en partie puisque dès 1927, des listes rivales sont constituées dans trois départements couverts par l’USESA, la Drôme, la Loire et la Haute-Savoie 395.
On ne peut guère que relever de ténus et rares indices du déroulement et du contenu des négociations – d’aucuns parlent d’« entente-répartition entre les différentes organisations » 396 – qui ont présidé à l’élaboration des listes de candidats. Le discours des vainqueurs est un piètre recours pour l’analyse de cet unanimisme de façade, de « cette belle discipline librement consentie » : dans les pages de l’Agriculture du Centre, même si l’on admet que « dans certains départements, il y a eu des négociations difficiles et même quelques rivalités [mais qu’]un grand effort de conciliation a été tenté », on prétend n’y voir que des « concurrents qu’une égale ardeur de servir la cause paysanne mettait en concurrence momentanément » 397. Les fréquentes mentions rencontrées dans la presse ne renseignent qu’au prisme d’un langage diplomatique et sous la plume de rédacteurs en chef souvent impliqués dans les organisations agricoles. Tout au plus permettent-elles de deviner des différences entre les listes élaborées sous l’égide d’une organisation départementale voire régionale, et celles qui son concoctées plus localement, comme dans l’Allier, où la Fédération des syndicats agricoles de l’arrondissement de Montluçon aurait pris « l’initiative de désigner quatre candidats », le 25 janvier, lors d’une assemblée générale extraordinaire des présidents des groupements agricoles 398. L’échec des négociations était attendu dans les Landes, où elles interviennent dans un climat d’antagonismes anciens entre métayers et propriétaires 399 : seules des études localisées et fines, ayant un accès aux archives des organisations qui sont parties prenantes, permettrait de déterminer les tenants et les aboutissants de chaque union et de chaque rivalité, structurelles ou de circonstance, motivées par des impératifs internes ou par des conceptions divergentes du rôle des nouvelles chambres d’agriculture.
Luce PRAULT, « Résultats statistiques des premières élections aux chambres départementales d’agriculture », article cité.
Confédération nationale des Associations agricoles, Guide des Associations Agricoles pour les Élections aux Chambres d’Agriculture, Paris, CNAA, janvier 1927, 24 p.
Ibidem.
Chambres d’agriculture, 10 mars 1933, p. 81.
Joseph Faure, 1875-1944… ouvrage cité, pp. 29-30.
Bulletin de l’USESA, mars 1920, p. 79 et 88 (Informations communiquées par Pierre Chamard).
Chambres d’agriculture, 10 mars 1933, p. 81.
Alphonse GUIMBRETIÈRE, Histoire et cheminements des organisations agricoles de Maine-et-Loire, Angers, chez l’auteur, 1987, 183 p., p. 136.
L’Agriculture du Centre, 20 mars 1927.
L’Avenir du Plateau Central, lundi 31 janvier 1927, p. 2.
Le Progrès Agricole du Sud-Ouest, 1er février 1927. (une)