B. Mai 1927 : 90 présidents des premières chambres d’agriculture : les « hommes de la situation »  400  ?

Dès le mois de mai 1927, 90 présidents ont été élus dans les chambres départementales, à l’occasion de la première session. Il s’agit de les présenter plus précisément, des caciques des grandes organisations syndicales aux petits dirigeants locaux dont le renom reste circonscrit dans le département voire en deçà, et de situer leurs engagements professionnels dans l’espace, du village à la capitale, ainsi que dans le spectre des types organisationnels, de leur histoire et de leurs fonctions, et de façon moins assurée, d’après le fameux clivage « rue d’Athènes-boulevard Saint-Germain ». Les dirigeants seront également appréhendés par leurs professions, l’orientation de leur exploitation, les liens entre celle-ci et les engagements précités, les indices les plus visibles de leurs propriétés sociales, leur lieu de résidence, leur répartition générationnelle, leur formation, et enfin leurs mandats politiques, notamment parlementaires. Dans la mesure du possible, ces informations seront abordées de front, tandis que les exemples locaux tenteront de montrer l’intérêt qu’il y aurait à envisager chaque président d’après les méthodes de l’histoire sociale fine et d’une réelle prosopographie, et sans que nous nous interdisions d’inviter dans la démonstration quelques figures particulières, au gré des singularités et des récurrences.

Cette masse d’indices, hétéroclite et non exhaustive, devrait pouvoir alimenter les interrogations conjointes qui mènent l’analyse. Dans une « conception bourdieusienne »de la légitimité et de la délégation, la trajectoire, l’appartenance à telle ou telle organisation, les capitaux économique, social et culturel, sont cruciaux pour comprendre comment tels individus sont devenus « les hommes de la situation » 401. Sylvain Maresca a très précisément montré le caractère diachronique des « indicateurs de légitimité des dirigeants » 402. La seconde interrogation, complémentaire, fait appel aux notions de « réseaux sociaux » 403, d’« interconnaissance » 404 et à celui de « collectif de pensée » 405. Au printemps 1927, l’APCA n’existe pas : aucune disposition de la loi de janvier 1924 ne prévoit son existence, et aucune trace d’une volonté de réunir les chambres d’agriculture n’a pu être décelée avant septembre 1927. Les présidents de chambre d’agriculture ne sauraient donc alors être considérés comme un groupe, au sens où l’entend Luc Boltanski, soit comme « le produit objectivé d’une pratique » 406, sauf à considérer que des expériences 407 communes ou rivales, que l’on peut parfois rapprocher de la notion d’« habitus » 408 et l’appartenance à des organisations aux mêmes fondements idéologiques, voire même aux mêmes organisations, en fait un groupe en puissance.

Notes
400.

Sylvain MARESCA, Les dirigeants paysans, ouvrage cité, p. 16.

401.

Ibidem..

402.

Ibidem, p. 55.

403.

Pierre MERCKLÉ, La sociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte, 2004, 121 p.

404.

Jean-Luc MAYAUD, « Pour une communalisation de l’histoire rurale », article cité.

405.

Ludwik FLECK, Genèse et développement d’un fait scientifique, Paris, Les Belles Lettres, 2005, 280 p. (traduit de l’allemand par Nathalie Jas, préface de Ilana Löwy, postface de Bruno Latour)

406.

Luc BOLTANSKI, Les cadres, la formation d’un groupe social, Paris, Les Éditions de Minuit, 1982, 523 p., p. 53.

407.

« Expérience, pris dans le sens d’évènement vécu susceptible d’apporter un enseignement » : Ludwik FLECK, Genèse et développement d’un fait scientifique… ouvrage cité, p. 170.

408.

Pierre BOURDIEU, « Habitus, code et codification », dans Actes de la recherche en sciences sociales, année 1986, volume 64, n° 64, pp. 40-44.