Précisons d’emblée que si la moyenne d’âge des présidents de chambre d’agriculture est relativement élevée et atteint 59,5 ans 409, les écarts sont importants entre la génération la plus âgée et la plus jeune : l’amplitude des âges est large, allant de 42 à 82 ans. Treize présidents sont nés entre 1845 et 1858 et avaient donc plus de 25 ans quand la loi sur les syndicats de 1884 a été promulguée. 33 au moins sont nés entre 1858 et 1874 et avaient plus de 25 ans au moment de l’essor des Mutualités 1900. 17 sont nés entre 1875 et 1887. Quelles que soient les générations, on assiste ainsi de la part des 90 présidents à un investissement généralisé des institutions créées par la génération précédente ou préexistantes. Si les trajectoires effectives ou supposées sont largement liées au contexte de l’arrivée aux responsabilités, la répartition par âge n’éclaire en rien la distribution des présidents par type de mandats détenus en 1923, sauf peut-être pour les comices et les offices 410.
La très complète source que constitue l’annuaire Silvestre 411 de 1923 permet dans un premier temps de repérer la plupart des présidents, soit 83 d’entre eux, au sein des organisations syndicales, des offices agricoles, mais également des comices et des sociétés d’agriculture, et dans une moindre mesure, du fait de la rareté des informations, dans les sociétés coopératives, dans les organismes de crédit et mutualistes, et dans les comités de rédaction de la presse agricole. La répartition très inégale résulte largement des biais de la source : alors que les chapitres concernant les offices agricoles, les comices, les sociétés d’agriculture et les syndicats sont très abondamment renseignés pour la presque totalité des départements, ceux sur les coopératives, et a fortiori les organismes de crédit et les mutuelles, ainsi que sur la presse agricole, sont très peu exhaustifs et ne donnent que peu de noms de dirigeants. Ainsi, on peut considérer comme plausible l’estimation de la proportion des mandats exercés dans les sociétés d’agriculture, les comices, les syndicats et les offices agricoles. En revanche, les chiffres concernant les autres types de mandats 412 sont à considérer comme un minimum : on retiendra par exemple qu’au moins 16 présidents étaient responsables de sociétés mutuelles en 1923.
36 des 90 présidents de chambre d’agriculture appartiennent ainsi au bureau d’une société d’agriculture : seize en sont présidents, treize vice-présidents et six secrétaires généraux 413. Les dates de création des sociétés considérées sont extrêmement étalées dans le temps. Si la Société départementale d’agriculture et d’industrie d’Ille-et-Vilaine, dont Roger de La Bourdonnaye est le secrétaire général, existe depuis 1756 414, il s’agit au sein de notre corpus du seul exemple d’organisation créée sous l’Ancien régime. La plupart datent des années 1820, 1840-1850 puis 1880 et enfin 1900, selon quatre vagues successives. Jean Epivent est ainsi le vice-président de la Société départementale d’agriculture des Côtes-du-Nord, fondée en 1907, alors qu’il avait déjà trente ans. Devant l’absence d’informations sur les fondateurs de ces sociétés, il est tout de même possible de déterminer que dans quinze cas, la société d’agriculture à laquelle appartiennent les présidents de chambre a été créée avant leur naissance ou avant leur majorité, tandis que dix présidents exercent, en 1923, des responsabilités dans une société d’agriculture créée après qu’ils ont atteint la trentaine, et dans la création de laquelle ils sont susceptibles d’avoir été actifs. La place occupée par ces sociétés a évolué au fil du temps et au gré des contextes locaux, mais il subsiste un socle commun dans le rôle qu’on entend leur faire jouer. Les plus généralistes ont pour « objet tout ce qui a rapport à l’économie rurale et au progrès agricole » 415 : l’organisation de concours, la réalisation et la publication d’enquêtes et d’études, la création de cours d’agriculture ont occupé la plupart des sociétés d’agriculture tout au long du 19e siècle. A l’instar de la Société d’agriculture du département du Cher, véritable archétype et « pivot de toute l’agriculture dans le Cher pendant le [19e] siècle, non seulement par l’importance sociale de chacun de ses membres, mais aussi par l’intérêt scientifique de ses travaux » 416, les sociétés d’agriculture ont souvent été le premier maillon de l’organisation agricole départementale, étant même souvent à l’origine de la création de syndicats. Le fonctionnement académique de ces petits cénacles voués à l’étude fait qu’ils sont parfois considérés comme des chambres d’agriculture avant la lettre. Ainsi, le conseil départemental d’agriculture de l’Isère « est, en quelque sorte, la chambre d’agriculture du département, [et] s’efforce de concentrer l’action de toutes les sociétés agricoles de l’Isère, de porter leurs actes à la publicité et d’entretenir des communications directes entre elles et les agriculteurs » 417. L’élection de trois des membres de son bureau et l’accession à la présidence de la chambre d’agriculture de son vice-président, Charles Genin, laisse penser à une préemption des sièges au sein d’une chambre perçue comme empiétant sur les prérogatives des organisations préexistantes.
22 présidents exercent un mandat au sein du bureau d’un comice agricole. Dans la plupart des cas, ils en sont les présidents 418. Sept de ces comices sont cantonaux, le double a pour circonscription l’arrondissement. Il faut noter qu’à ce propos les pages de l’Annuaire Silvestre sont extrêmement riches en informations, souvent ouvertement laudatives. Ainsi le comice agricole de l’arrondissement de Saint-Jean-d’Angély aurait « rendu de grands services aux agriculteurs depuis sa fondation, vulgarisé les nouvelles méthodes de culture, encouragé l’élevage, propagé les instruments agricoles perfectionnés et donné un développement considérable à l’agriculture et à l’enseignement agricole. [Le comice aurait également] encouragé la création des beurreries coopératives et des caisses de crédit mutuel agricole de l’arrondissement et d’assurances mutuelles incendies » 419. Sociétés d’agriculture et comices agricoles ont pour intention commune et revendiquée la « vulgarisation […] des meilleurs procédés d’application de la science agronomique et zootechnique » 420, « la propagation des bons procédés de culture » 421, ce qui leur confère une position largement surplombante, qui a parfois été lue en terme d’« acculturation » 422, voire de « désenclavement » 423. Or, selon Jean-Luc Mayaud, si les comices ont une éminente « fonction de relais dans la pédagogie culturale » 424, ils sont contrôlés et subventionnés par l’État, et les épreuves de leurs concours se diversifient sous l’effet de leur « démocratisation » en cours et de leur « autonomisation » vis-à-vis des élites urbaines 425, même si certains restent « durablement dominés par les élites traditionnelles capables d’adaptation » 426. Ainsi, l’expérience acquise dans les sociétés et les comices par les notables conservateurs auxquels se sont adjoints « agriculteurs dynamiques » et « fantassins de la République » 427, est principalement mais non exclusivement celle de l’organisation de concours et de visites d’exploitations, en collaboration souvent étroite avec les conseils généraux, et sous l’œil du préfet. Parce que nombre de syndicats et de coopératives sont issus de leur filiation, sociétés et comices restent très présents dans le paysage départemental, malgré leur ancrage local, et malgré « l’élargissement de la base sociale de l’excellence » 428. « Mérites techniques et manifestations de l’excellence professionnelle » restent des « titres de légitimité » pour les présidents de chambre d’agriculture tout juste élus, malgré le « travail continuel de redéfinition » 429 dont il font l’objet. Toutefois, seuls onze présidents cumulent des fonctions dans des sociétés et dans des comices, ce qui porte à 47 le nombre de présidents de chambre d’agriculture engagés dans l’une ou l’autre de ces organisations.
L’année de naissance est connue pour 62 présidents sur 90 pour l’année 1927.
Voir Annexes. Dossier n° 1. 1. Profils de dirigeants professionnels. Tableau 1bis.
Voir Annexes. Dossier Sources et méthodes.
Voir Annexes. Dossier n° 1. 1. Profils de dirigeants professionnels. Tableau 1.
Voir Annexes. Dossier n° 1. 1. Profils de dirigeants professionnels. Tableau d.
Annuaire Silvestre 1923, p. 512.
Ainsi est présenté l’objet de la Société d’agriculture du département du Cher. Ibidem, p. 345.
Ibidem.
Ibidem, p. 541.
Voir Annexes. Dossier n° 1. 1. Profils de dirigeants professionnels. Tableau d.
Annuaire Silvestre 1923, p. 336.
Intention qui serait celle de la Société départementale d’agriculture des Côtes-du-Nord. Ibidem, p. 380.
À propos du Comice agricole des deux cantons de Saint-Brieuc. Ibidem, p. 382.
Yann LAGADEC, « Comice cantonal et acculturation agricole : l’exemple de l’Ille-et-Vilaine au 19e siècle », dans Ruralia, n°9-2001, pp. 37-61.
Corinne MARACHE, « Encourager plus que l’agriculture. Le rôle du comice central agricole de la Double dans le développement rural local », dans Ruralia, 2005-16/17, [En ligne], mis en ligne le 1 juillet 2009. URL : http://ruralia.revues.org/document1071.html.
Jean-Luc MAYAUD, « Les comices agricoles et la pédagogie de l’exemple dans la France du 19e siècle », dans Michel BOULET [dir.], Les enjeux de la formation des acteurs de l’agriculture, 1760-1945. Actes du colloque ENESAD, 19-21 janvier 1999, Dijon, Educagri éditions, 2000, pp. 253-257.
Jean-Luc MAYAUD, « De l’emprise urbaine sur les associations agricoles à leur autonomisation relative… », article cité.
Jean-Luc MAYAUD, « Les comices agricoles et la pédagogie de l’exemple… », article cité.
Ibidem, p. 254.
Ibidem, p. 255.
Sylvain MARESCA, Les dirigeants paysans, ouvrage cité, p. 55.