Des mandats locaux…

Les mandats les plus courants parmi les présidents de chambre d’agriculture sont à l’évidence ceux qui sont exercés dans les syndicats agricoles. 63 présidents y occupent des fonctions, dont 47 celle de président 447 : cette proportion importante relève toutefois d’un biais important de la source considérée, dont les pages sur les syndicats agricoles sont d’autant plus laconique que la circonscription de ceux-ci est petite. On ne discerne donc guère que les présidents des syndicats communaux et cantonaux, tandis qu’on peut connaître l’intégralité des membres des bureaux des syndicats départementaux, et l’ensemble de la composition des conseils d’administration des grosses unions régionales et centrales. On touche ici aux limites de la démarche : non seulement ce ne sont que les dirigeants les plus importants qui sont mis au jour, mais les adhésions ne peuvent en aucune façon être estimées. Ce sont des positions qui sont recensées, motivées par la multitude d’intentions individuelles et collectives qui ont commencé d’être dévoilées, dont les velléités d’entrisme et les ambitions personnelles suffisent à pointer l’inanité d’une réflexion qui confondrait positions et opinions. De plus, la disjonction entre les lignes de partage aux niveaux national, régional, départemental et local 448 ne peut être ignorée, tant elle est criante et structurelle.

Si les mandats dans les syndicats doivent être étudiés pour eux-mêmes, il s’agit de mener de front l’examen de l’ensemble des mandats détenus et de la logique des positions des dirigeants. Il s’avère éclairant de répartir les présidents de chambre d’agriculture selon leur « envergure », au sens de l’espace compris entre les échelons minimal et maximal des mandats professionnels exercés à l’époque considérée 449. De cas de figure extrêmement nombreux se dégagent trois fortes tendances. Un fort ancrage local, au niveau de la commune ou du canton, caractérise près de la moitié des présidents. L’importance de l’échelon départemental est évidente : 58 présidents sur 83, soit 70 %, y exercent des responsabilités, toutes organisations confondues. Enfin, si un tiers d’entre eux détient un mandat professionnel national, il faut également considérer ceux qui, à la tête des unions régionales, font bonne figure dans les grands congrès agricoles.

22 présidents exercent des mandats au niveau de la commune, dont 19 en cumulant ces fonctions avec d’autres au niveau du canton, de l’arrondissement, du département ou au-delà. Ces fonctions sont cependant elles-mêmes très diverses : les 16 présidents de syndicats communaux repérés sont en général à la tête de petits syndicats, totalisant parfois à peine une douzaine de membres, comme c’est le cas de celui que préside Edmond Nétillard, le Syndicat d’élevage de Roche-les-Blamont, dans le Doubs ; mais d’autres, plus nombreux, en rassemblent une grosse centaine, et ont été créé dans les années qui précèdent ou qui suivent la Première Guerre mondiale. Certains cas sont cependant plus saillants : ainsi Grégoire Royer préside le très actif Syndicat agricole et viticole de Dienville, qui « s’occupe activement de la vente collective des produits agricoles et a été le promoteur du mouvement de création des caisses mutuelles d’assurances mutuelles agricoles contre l’incendie dans l’Aube » 450. On atteint là la limite du raisonnement en termes d’échelons : il est inapte à rendre compte du mouvement simultané et complémentaire des « créations dispersées dans les campagnes » et des effets du « rayonnement de foyers nationaux » 451 qui a participé de la construction de l’appareil organisationnel agricole entre les années 1880 et 1920. L’ascension de Joseph Faure en tant que dirigeant agricole passe par la création d’un syndicat communal dont les limites explosent rapidement pour mailler le territoire jusqu’au-delà du canton et générer les fédérations départementales et régionales. À l’inverse, pour Félix Garcin, la présidence des syndicats agricoles et d’élevage de Saint-Régis-du-Coin, dans la Loire, est moins lourde de sens, puisque son accession à la vice-présidence de l’Union du Sud-Est des syndicats agricoles est passée, notamment, par d’autres voies.

La notion d’envergure ne peut se confondre avec celle d’ascension, même si les deux sont liées. L’annuaire Silvestre n’est qu’une photographie : au mieux, elle porte les traces d’une trajectoire, mais rien n’autorise à y lire une ascension, d’un échelon à l’autre. Les mandats locaux, même s’ils ont été exercés les premiers, ont pu être abandonnés, la présidence du syndicat ou de la coopérative locale a pu être laissée à un autre, ou conquise de haute lutte par un opposant. La désignation, au village, d’un dirigeant reconnu au niveau du département ou à Paris, semble correspondre à celui des notables dont la position est « acquise […] par le rôle joué à l’extérieur », parmi les dirigeants agricoles qu’André Gueslin dépeint dans leurs villages 452. Surtout, le monde des organisations professionnelles agricoles n’est pas une pyramide à la structure faite d’emboîtements strictement hiérarchisés. Ces mandats sont-ils le reliquat de premiers engagements professionnels contractés dans le milieu de vie immédiat ? Les lieux de naissance ne sont connus que pour un gros tiers de l’effectif, mais l’impression donnée est celle d’une présence à la tête des organisations locales qui n’est pas strictement corrélée à l’ancrage familial.

Seuls six présidents ont été identifiés à la tête de mutuelles contre la mortalité du bétail, mais ici les biais des sources sont trop importants pour conclure à la rareté de ce type de mandats. De même, les trois seuls dirigeants de coopératives locales repérés témoignent davantage de la perception que les rédacteurs de l’annuaire se font de ces sociétés coopératives distinctes des unions de syndicats : une seule est d’ailleurs une coopérative d’approvisionnement, celle de Saint-Salvy, dirigée par Pierre Boudon, dans le Lot-et-Garonne, une autre étant une coopérative vinicole créée par les « rouges » et présidée par le socialiste Octave Vigne 453 et la troisième est une coopérative de distillation sise à Perpignan, spécialisée dans la mise en commun des marcs. La vingtaine de présidents qui dirigent des organisations agricoles au niveau cantonal le sont surtout dans des comices et des syndicats. Ces derniers rassemblent alors souvent plusieurs centaines de membres et parfois des syndicats communaux ayant étendu leur rayon d’action. Une trentaine sont présents à l’échelon de l’arrondissement, quatorze dans de grands comices, huit dans des sociétés agricoles et quatorze dans des syndicats. La proportion des présidents dont les responsabilités professionnelles semblent ne pas s’exercer au-delà du cadre local est assez faible : moins d’un tiers n’est pas présent dans des syndicats au-delà du chef-lieu d’arrondissement et seuls une quinzaine, sur 83, soit 18 %, n’y auraient aucun mandat professionnel, toutes organisations confondues.

Notes
447.

Voir Annexes. Dossier n° 1. 1. Profils de dirigeants professionnels. Tableau 3.

448.

Jean-Luc MAYAUD, « Pour une communalisation de l’histoire rurale », article cité ; Ronald HUBSCHER et Rose-Marie LAGRAVE, « Unité et pluralisme dans le syndicalisme agricole français. Un faux débat », article cité.

449.

Voir Annexes. Dossier n° 1. 1. Profils de dirigeants professionnels. Tableaux 4 à 8.

450.

Annuaire Silvestre 1923, p. 260.

451.

Pierre BARRAL, Les agrariens français de Méline à Pisani, ouvrage cité, p. 105.

452.

André GUESLIN, « Les dirigeants agricoles dans leurs villages en France depuis la fin du 19e siècle », dans Intermédiaires économiques, sociaux et culturels au village. Actes du colloque ruraliste de Lyon, 22 mars 1986.— Bulletin du Centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise, 1986, n° 1-2, pp. 73-86, pp. 73-74.

453.

Jean MAITRON et Claude PENNETIER [dir.], Dictionnaire biographique… ouvrage cité, pp. 220-223.