A. Une place dans un système ? 1930-1939

L’idée de système sous-tend de nombreuses réflexions sur les organisations professionnelles agricoles. Les notions de représentativité, de notabilité et celles relatives aux corps intermédiaires font, plus ou moins tacitement, référence au « système ». Il convient de préciser ce qui nous fait choisir ce terme. Si Pierre Rosanvallon lit dans les chambres de commerce de l’an 9 un « système inédit d’articulation du système administratif et de l’organisation professionnelle », anticipation des chambres d’agriculture de 1851 765, le travail de Claire Lemercier aborde la chambre de commerce de Paris par les carrières de ses membres : ses « analyses de séquences » lui permettent de penser l’organisation et « son insertion dans un véritable système d’institutions » 766. Antérieure, la lecture sociologique de Pierre Alphandéry et Pierre Bitoun s’attarde sur « l’appareil d’encadrement » 767 et c’est alors un système qui ne dit pas son nom que l’on voit émerger : derrière l’uniformisation organisationnelle des années 1950 et 1960, la complémentarité d’organisations mises au service de la nouvelle politique agricole est présente en filigrane. En déconstruisant la légitimité fabriquée des dirigeants agricoles, Sylvain Maresca évolue dans « l’espace des OPA » en considérant chaque individu notamment par « le portefeuille de postes considéré dans son étendue et sa composition » 768. L’analyse n’aurait-elle cependant pas beaucoup à gagner en posant d’emblée le système comme un concept à questionner ?

Michel Crozier et Erhard Friedberg définissent le système comme un « ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c’est-à-dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux » 769. Cette définition implique une prise en compte constante du « flou des frontières organisationnelles » 770 et de la « relation de dépendance entre une organisation et l’environnement », jusqu’à « appliquer à l’étude de la relation de l’organisation avec l’environnement les modes de raisonnement et les méthodes d’analyse utilisées pour l’analyse des organisations elles-mêmes » 771. Pierre Grémion étend l’acception du mot système à tout « ensemble caractérisé par un minimum d’interdépendance entre les différents éléments qui le composent, un minimum de régulations présidant aux rapports ou aux relations entre ces éléments, [et enfin] un plus ou moins grand degré de conscience de ces régulations par tout ou partie des éléments constituant cet ensemble » 772 : une grande part de son approche du système politico-administratif local s’articule d’ailleurs autour des régulations croisées qui s’opèrent au sein de ce système, notamment dans le rapport entre représentation et représentativité du « milieu agricole » 773. Pour Jean-Pierre Prod’homme, « dans le système professionnel départemental, chacune des organisations représente un sous-système d’action, qui peut être étudié isolément selon ses finalités, sa logique, ses pratiques, mais aussi comme un acteur complexe du jeu professionnel résultant des rapports de pouvoir entre les organisations » 774. Son analyse du système marnais laisse cependant planer, à juste titre, un certain flou sur les étapes chronologiques de cette constitution en système. Leur historicisation est complexe, puisqu’elle varie selon une infinité de schémas d’un lieu à l’autre. Toujours dans l’idée d’enrichir une vision dynamique et interdépendante des chambres d’agriculture et de l’AP(P)CA, le système agricole dans lequel s’inscrivent ces institutions nouvelles au cours des années 1930 peut être lu par le prisme du temps, soit celui de la structuration institutionnelle et des cursus, et par le prisme des lieux, soit celui de la topographie.

Notes
765.

Pierre ROSANVALLON, « Corporations et corps intermédiaires », dans Le Débat, n° 57, novembre-décembre 1989, pp. 190-194.

766.

Claire Lemercier, « Les carrières des membres des institutions consulaires parisiennes au 19 e siècle », dans Histoire et mesure, vol. XX- no1/2, Varia, 2005, p. 59-95. Voir également : Claire LEMERCIER, Un si discret pouvoir…, ouvrage cité.

767.

Pierre alphandéry et Pierre BITOUN, « Pouvoir et patrimoine au travers des appareils d’encadrement… », article cité..

768.

Sylvain MARESCA, Les dirigeants paysans… ouvrage cité, p. 104.

769.

Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG, L’acteur et le système : les contraintes de l’action collective, Paris, Seuil, 1992, 500 p., p. 246.

770.

Erhard FRIEDBERG, Le Pouvoir et la Règle. Dynamiques de l’action organisée, Paris, Seuil, 1993, 404 p.

771.

Michel CROZIER et Jean-Claude THOENIG, « La régulation de systèmes organisés complexes. Le cas du système de décision politico-administratif local en France », dans Revue française de sociologie, volume XVI, n° 1, janvier-mars 1975, pp. 3-32.

772.

Pierre GRÉMION, Le pouvoir périphérique… ouvrage cité, p. 160.

773.

Ibidem, pp. 224-227.

774.

Jean-Pierre PROD’HOMME, Agriculteurs organisés… ouvrage cité, p. 17.