Chaque renouvellement partiel des membres de chambre d’agriculture, en 1930, 1933, 1936 et 1939, n’occasionne l’entrée dans l’institution que de 6 à 24 % de nouveaux membres 794. En 1930, il ne s’agit que d’un renouvellement des membres élus au suffrage des agriculteurs dans la moitié des circonscriptions : 94 % des membres sortants sont reconduits, trois ans après leur première élection. En 1933, les élus des autres circonscriptions électorales et ceux désignés en 1927 par les délégués des groupements et associations agricoles sont soumis à réélection : ce sont près de 20 % de nouveaux membres qui sont élus. La participation, qui dépassait à peine 50 %, n’est désormais plus que de 46 % des inscrits. Il faut dire que l’enjeu est minime : en 1927, il n’y avait plusieurs listes en présence dans 51 circonscriptions, et en 1933, ce ne sont que 28 circonscriptions qui voient une compétition électorale comparable. À peine 13 % des membres élus le sont donc dans un contexte de compétition électorale. Les rédacteurs du compte rendu publié dans Travaux des chambres d’agriculture remarque que « comme il était facile de le prévoir, dans les 28 circonscriptions où il y a eu deux listes en présence, le pourcentage des votants par rapport aux inscrits a été plus fort dans les 179 autres circonscriptions où il n’y a eu qu’une liste unique » 795. Pour les élections des délégués des groupements agricoles, il n’y a deux listes en présence que dans huit départements, différents de ceux où il y avait concurrence électorale en 1927.
En 1936, les électeurs ne se déplacent que dans une circonscription sur deux, mais occasionnent tout de même un renouvellement de 14 %. 740 membres appartenant à 185 circonscriptions renouvelées en 1930 voyaient leur mandat arriver à expiration en février 1936. Sur ces 740 membres, un s’était déjà représenté en 1933 comme candidat des groupements agricoles et avait été réélu, 74, soit 10 %, étaient décédés, 135, soit près de 20 %, ne sollicitaient pas le renouvellement de leur mandat et 530 se représentaient. Sur ces 530 sortants, 39 (soit 7,4 %, ont été battus : « cette proportion, bien qu’extrêmement faible est cependant plus élevée que lors des scrutins précédents ; […] en février 1933, pour la deuxième série sortante, il n’y a eu que 17 battus pour 602 sortants sollicitant le renouvellement de leur mandat (soit 2,8 %) » 796. En 1939, comme en 1933, le scrutin a lieu dans une circonscription sur deux ainsi qu’au niveau départemental pour les délégués des associations et syndicats agricoles : 24 % de nouveaux membres font irruption dans les chambres. La participation est supérieure à celle des années précédentes et atteint 52 %. Surtout, la compétition électorale est considérablement plus prégnante : dans 79 circonscriptions sur 209, soit 38 %, deux listes au moins sont proposées aux électeurs individuels 797, tandis qu’en 1936, on n’en comptait que 45 sur 188, soit 24 %. Ainsi, tout au long des années 1930, les enjeux s’attisent autour des chambres d’agriculture, rendant cette consultation électorale moins formelle. Au lendemain des élections de 1939, sur 1956 élus, 924, soit 47 %, appartiennent à la chambre d’agriculture depuis 1927 : au terme de douze ans d’histoire, sans autres soubresauts que quelques déceptions locales, sans raz-de-marée ni putsch, plus de la moitié des membres des chambres ont été remplacés par de nouveaux. Les deux faces du mot « renouvellement », soit à la fois le « remplacement de choses, de gens par d’autres semblables » et le « changement complet des formes qui crée un état nouveau », s’illustrent bien dans cette institution où les changements sont peu visibles, mais bien réels 798.
Au terme de cette évolution, on constate que les membres des chambres d’agriculture sont, à la date de 1939, en fonctions depuis sept ans en moyenne. Les présidents le sont depuis le même nombre d’année, en moyenne, mais ils affichent une ancienneté en tant que membres bien plus élevée 799. 179 individus ont été présidents d’une chambre d’agriculture entre 1927 et 1940 : 90 ont été élus dès la création des chambres d’agriculture, lors de la première session, en mai 1927. 89 autres l’ont été ensuite. Parmi ces derniers, douze seulement sont entrés à la chambre d’agriculture en 1930 ou après. À travers l’exemple des présidents, il semble que les chambres d’agriculture aient été comme patronnées ou parrainées, les premières années, par des notables âgés, recherchés comme caution morale, pour leur aura et leur bonne insertion dans les réseaux notabiliaires au niveau départemental, lesquels ont, de leur plein gré ou non, laissé la chambre d’agriculture à un successeur plus jeune. Onze des douze présidents qui en 1927 avaient plus de 70 ans quittent la chambre d’agriculture avant 1939. Mais ce phénomène n’explique pas l’ensemble des évolutions visibles.
Après les douze premières années de leur existence, comment procéder à l’analyse des cursus internes à l’institution et de sa composition ? Le temps est nécessairement court et l’ancienneté limitée. Après l’examen des cursus internes pour l’ensemble des 3086 membres et des 179 présidents 800, il convient de proposer de décomposer le corpus en deux ensembles distincts afin notamment d’examiner les modalités d’accession à la présidence de la chambre d’agriculture.
Puisque 58 % des 89 individus qui ont accédé à la présidence d’une chambre d’agriculture entre 1928 et 1939 ont été suppléants-délégués dans les années qui précèdent, et cela même si 376, soit 88 %, des 427 délégués repérés ne deviennent pas présidents avant que la guerre n’éclate, il semble que l’on peut déceler des formes de passations de pouvoirs réglées, préparées, orchestrées. Au sein de ce processus l’expérience des sessions de l’AP(P)CA serait une pièce du cursus vers la position de président. La position au sein du bureau de la chambre paraît même moins peser sur le choix du président, puisque seuls dix d’entre eux sont choisis comme présidents sans avoir été suppléants et que quatorze autres étaient à la fois vice-président, secrétaire ou secrétaire-adjoint et suppléant-délégué à l’AP(P)CA avant de devenir président. À l’AP(P)CA, nous verrons combien ont été limitées les changements à l’intérieur du bureau. En revanche, le conseil d’administration, qui en 1935 devient le Comité permanent général (CPG), a vu plus de mobilités. 44 présidents en ont fait partie. Parmi eux, seuls 25 sont des présidents élus en 1927, ce qui marque la relative ouverture des instances dirigeantes de l’institution aux nouveaux élus, mais qui souligne aussi l’intrication organisationnelle du champ et la profondeur de l’histoire collective de ces dirigeants, en dehors de l’AP(P)CA.
Voir Annexes. Dossier n° 12. Tableau 1 et graphiques 1 et 2.
Travaux des chambres d’agriculture, 10 mars 1933, p. 81.
Travaux des chambres d’agriculture, 10 avril 1936, p. 341 et suivantes.
Chambres d’agriculture, 20 avril 1939, p. 606.
Voir Annexes. Dossier n° 12. Graphique 3.
Voir Annexes. Dossier n° 12. Graphique 5.
Voir Annexes. Dossier n° 12. Schéma 1.