Enquêtes et médiateurs

Au cours des sessions de l’AP(P)CA, entre 1927 et 1940, 62 % des rapports sont présentés par des présidents de chambre d’agriculture, tandis que 32 % le sont par des membres de chambre d’agriculture, et que 6 % sont portés par des personnes n’appartenant pas à l’institution 975. On dénombre 80 rapporteurs pour 292 rapports : chaque rapporteur présente en moyenne 3 à 4 textes. Claire Lemercier, dans son étude de la chambre de commerce de Paris, note combien le choix des rapporteurs est important : « en effet, confier la préparation d’une discussion ou la rédaction d’un rapport à une seule personne, c’est lui accorder une grande confiance, mais c’est aussi considérer qu’en raison de sa spécialité professionnelle, ou d’une motivation particulière pour un travail difficile, elle est la seule à pouvoir mener une tâche à bien. Prendre une telle décision, c’est donc donner plus de place à l’expertise qu’à la délibération visant au consensus » 976. Mais elle conclut que « c’est plutôt une centralisation de l’ensemble des travaux de la chambre dans quelques mains, de "généralistes" et non d’"experts", qui domine : l’absence presque totale de spécialisation, qu’on pourrait prendre comme une preuve de collégialité, masque la variété des degrés d’implication individuels » 977. Le seul fait que 131 des 179 présidents de chambre d’agriculture en fonctions entre 1927 et 1940 n’aient jamais été rapporteur devant l’assemblée des présidents durant cette période semble aller dans ce sens. Ainsi, 73 % des présidents n’ont jamais rempli cette fonction au cours de la période. Seize présidents n’ont présenté qu’un unique rapport, treize en ont présentés deux et sept en totalisent de trois à quatre 978. À l’opposé, une douzaine d’individus, ceux qui ont exposé cinq fois ou plus, rassemblent sur leurs seuls noms 120 rapports, soit 41 % de l’ensemble. Cependant il semble que l’AP(P)CA ait combiné des formes d’appel à l’expertise avérées et une tendance indéniable à la centralisation de la consultation.

Puisque 107 rapports sont présentés par des membres d’une chambre d’agriculture, cela semble prouver que le rôle de porte-parole n’est pas confisqué entièrement par les présidents. Certes 28 rapports sont soumis par le secrétaire d’une chambre d’agriculture, le plus souvent Édouard Bernard, auteur des rapports sur les engrais azotés, mais également Maurice Roche-Agussol, secrétaire et suppléant-délégué de la chambre d’agriculture de l’Hérault, professeur de droit à la faculté de Montpellier, auteur de conférences sur le rôle économique des associations agricoles 979. Ce dernier présente des rapports sur « la politique des engrais » « les garanties de la répression des fraudes », « l’Agriculture et le Régime des Successions », « les Tribunaux d’Agriculture » et « le règlement des litiges agricoles », à propos desquels il est à la fois possible de déceler une tendance au maintien du rôle de médiation entre chambres d’agriculture et AP(P)CA dans le cadre du bureau de la chambre d’agriculture – si 28 des rapports présentés par d’autres personnes que les présidents de chambre d’agriculture le sont par le secrétaire, 32 le sont par le vice-président – mais cela correspond fidèlement à la proportion de suppléants-délégués choisis parmi les membres du bureau de la chambre – environ 53 % des suppléants-délégués de la période sont des membres du bureau. Ce qui est plus flagrant, c’est que parmi les 444 suppléants-délégués qui se sont rendus au moins une fois à l’AP(P)CA au cours des années 1927-1940, seuls 27, soit 6 %, ont présenté un ou plusieurs rapports.

Des indices d’une sollicitation sur la base des compétences sont lisibles. C’est le cas lorsque les rapports ne sont pas signés par un individu mais par une commission, au niveau de l’AP(P)CA. Cependant Christiane Mora observe avec raison que le bureau national de l’AP(P)CA intervient beaucoup dans les travaux des commissions spécialisées. Hors institution, il est également fait appel à des personnalités extérieures, dirigeants de grandes organisations spécialisées, comme le secrétaire administratif de la Confédération nationale des producteurs d’animaux de basse-cour ou le secrétaire de l’Association générale des producteurs de viande, mais toujours à l’aval d’un travail en collaboration avec la commission ad-hoc au sein de l’AP(P)CA. Dans le cas de la question de la codification des usages locaux à caractère agricole, le rapport est dit « préparé par les services administratifs de l’Assemblée des présidents des chambres d’agriculture de France à partir d’une enquête » 980. Cette dernière fait partie de la première salve d’enquêtes, lancées au printemps 1931 : ce démarrage et le contenu très juridique de l’enquête explique sans doute le recours aux services administratifs, en marge d’une structuration de l’institution en commissions spécialisées. En mars 1934, c’est Julien Riboud, président de la chambre d’agriculture du Rhône et secrétaire de l’USESA, qui est le rapporteur de la question de la codification des usages locaux, au nom de la commission idoine. Cependant, parmi les sollicitations spontanées et isolées de rapporteurs occasionnels – rapporteurs d’un à deux rapports au cours de la période considérée –, il n’est guère possible de lire un clair appel aux compétences, donc à l’expertise. Le cas d’Henri Léculier montre par quel biais un président lambda, absent des instances décisionnelles de l’AP(P)CA, peut se retrouver en position de défendre un rapport devant ses pairs et au-dehors.

Notes
975.

Voir Annexes. Dossier n° 4. Tableau 1.

976.

Claire LEMERCIER, Un si discret pouvoir… ouvrage cité, p. 57.

977.

Ibidem, p. 58.

978.

Voir Annexes. Dossier n° 4. Tableau 3.

979.

Maurice ROCHE-AGUSSOL, Le rôle économique des associations agricoles. Une expérience de syndicalisme agricole, la C.G.V. Conférences faites par M. Roche-Agussol à l’Université de Montpellier, les 26 janvier et 2 février 1924, Montpellier, imprimerie de Roumégous et Déhan, [s. d.], 57 p.

980.

« Le groupement, la coordination et la codification des usages locaux à caractère agricole », dans APCA, Compte rendu des séances des 4 et 5 novembre 1931, pp. 178-184.