Né à Saint-Sauvant, dans la Vienne, en 1873, Xavier Bernard est le fils d’un petit propriétaire-exploitant également « journalier » 1085. Après avoir fréquenté l’asile de la commune, il devient élève de l’École des Frères de Saint-Gabriel, congrégation enseignante fondée en Vendée dans les années 1930. Mais dès ses sept ans, il se serait vu confier la garde des oies, puis le rôle de « petit berger des brebis et des chèvres » 1086. À neuf ans, il serait berger chez un voisin de ses parents, puis devient ouvrier agricole. À 18 ans, il est premier domestique et « ses gages atteignent 225 puis 300 francs par an » – maximum d’alors pour un ouvrier agricole – : « classé parmi les meilleurs ouvriers agricoles de la commune, il a gagné la sympathie et l’estime, non seulement de ses maîtres, mais de tout le village où on le connaît bien » 1087. En 1895, à 22 ans, il a quitté Saint-Sauvant pour Rochefort-sur-Mer où il est d’abord manœuvre puis employé au rayon de détail d’une maison de grains et graines. Après s’être marié avec une jeune fille de sa commune natale, il gagne Paris, en 1897, où il trouve « un emploi d’auxiliaire à 125 francs par mois pour la saison dans une maison spécialisée dans le commerce des graines de semence », jusqu’à ce que « la morte-saison le prive de son travail » au bout de quelques mois. Employé successivement dans plusieurs commerces de semences entre 1897 et 1899, il se voit ensuite confier le poste de directeur commercial d’une maison en difficulté financière, à l’âge de 26 ans. Il s’attelle alors à sa réorganisation et commence à partir de 1904 à prospecter en Europe pour trouver de nouveaux fournisseurs. En 1906, à la mort de son patron, il se voit céder par la veuve l’affaire « avec sa commandite ».
Ses voyages se font plus nombreux : il devient un habitué des concours et expositions, en tant que juré et en tant que compétiteur. Au début de l’année 1914, il entreprend un long périple à travers les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, et en revient fasciné par les immenses exploitations qu’il y a vues et par le niveau de technicité des entreprises agricoles de pointe. Victor Boret écrit : « Quand il débarqua sur le sol de France, l’idée, à force d’être brassée et rebrassée dans sa tête, était devenue une résolution : il acquerrait, lui aussi, sur un sol encore inexploité, des terres suffisamment vastes pour cultiver rationnellement les graines de semences. Les cultures voisines ne risqueraient plus, par l’apport du pollen de plantes de même race, mais de variétés différentes, de contaminer ses fécondations. Ainsi le sélectionneur allait faire surgir le colon » 1088. Un second voyage américain, pour organiser le stand des produits agricoles français à l’Exposition de San Francisco. À l’automne 1915, il part au Maroc, participer à « l’Exposition du Combat » à Casablanca, où il fait la rencontre du général Lyautey, qui visite les collections réunies par Xavier Bernard. Au cours d’un entretien, « Lyautey lui demande son avis sur les possibilités d’intensifier la production agricole au Maroc, sur les travaux à entreprendre et les méthodes de mise en valeur » 1089. C’est grâce à l’intervention du résident général, qui devient ministre de la Guerre en décembre 1916, que Xavier Bernard est mobilisé au Maroc, au lieu de devoir rejoindre la caserne de Poitiers, où il aurait été auxiliaire. L’exposition de San Diego et un second voyage canadien occupent enfin la fin de l’année 1916 et le début de l’année 1917.
Dès 1916, il achète de vastes domaines au Maroc, notamment un domaine d’un millier d’hectares à Fedhala, au nord de Casablanca, qu’il entreprend de défricher et de mettre en valeur, en employant une main-d’œuvre locale nombreuse. En parallèle, en 1917, il fait l’acquisition du domaine des Verrines près de Saint-Sauvant, qui avoisine les 110 hectares, en 1918, il achète le domaine de Venours, soit 200 hectares, avec les fermes du Chêne et de la Pétinière. En 1919, il acquiert la ferme de la Groie dans la forêt de la Guerche au Nord-Est de Chatellerault – 250 hectares. Il entreprend d’en faire des « exploitations modèles » 1090. Durant les années 1920, Xavier Bernard mène de front ses prospères activités de semencier et la direction de ses exploitations marocaines et poitevines 1091, l’ensemble étant intimement lié aux plans commerciaux et financiers, mais aussi sur celui des innovations culturales et agricoles. Sélectionneur de semences et colon, il devient également éleveur audacieux, qui expérimentent de nouvelles races d’animaux, notamment dans ses exploitations marocaines, puis dans celles du Poitou : il atteint vite la reconnaissance au travers des récompenses remportées au concours général agricole notamment. Tandis que ses exploitations s’agrandissent, au Maroc comme en France, et se modernisent, accumulant machines modernes et bâtiments flambants neufs.
En 1928, répondant à une initiative de l’inspecteur général de l’agriculture relayée par le directeur des services agricoles de la Vienne, le domaine de Venours devient champ d’essais et de sélection des variétés de blé. Les semences sont rendues disponibles par l’intermédiaire des coopératives de blé et de leur fédération et « cédées au prix des blés de meunerie ». À partir de 1929, des visites des champs d’essais sont organisées, « aux approches de la maturité, soit le dernier dimanche de juin, soit le premier dimanche de juillet » 1092. Les premiers mandats professionnels de Xavier Bernard datent de cette époque : en 1925, il devient membre du conseil d’administration de la Caisse régionale de crédit agricole de la Vienne, et dès 1926, il aurait pris la tête du mouvement mutualiste avec le directeur des services agricoles, aux côtés duquel il procède à la mise en place d’une Caisse locale d’assurance mutuelle dans la plupart des communes du département et il devient membre du conseil d’administration et vice-président de la Caisse régionale des assurances mutuelles de l’Ouest à Niort, puis membre du Comité fédéral.
Aux élections partielles de février 1930, Xavier Bernard est élu membre de la chambre d’agriculture de la Vienne 1093, sur la seule liste de candidats proposée aux électeurs de la deuxième circonscription de Poitiers 1094. En 1932, il devient président de la coopérative de stockage de Couhé, à laquelle il fait adopter un nouveau type de magasin de stockage : « le nombre d’adhérents passe d’une centaine à 1500 » en moins de dix ans. Victor Boret se hasarde à écrire : « la fonction à laquelle Xavier Bernard est le plus attaché, c’est, je crois bien, la présidence de la Coopérative de Stockage de Couhé » 1095. On l’identifie l’année suivante parmi les membres de l’Association française des sélectionneurs de plantes 1096. En 1933, il est élu président de la chambre d’agriculture, en même temps qu’il accède à la présidence de la Société d’agriculture de l’arrondissement de Poitiers 1097.
En 1935, il crée, avec le docteur Vincent, une orangeraie modèle de 200 hectares à Aïn Kerma, près de Meknès. Dans le même temps, il est classé en tête d’un concours itinérant « pour la bonne tenue des terres et cultures » de la Vienne 1098. En 1936, il est désigné pour présider le Comité des céréales du département de la Vienne. À la veille de la guerre, il est également vice-président du Syndicat des agriculteurs de la Vienne 1099. Il se rend une quinzaine de fois – sur seize – aux sessions de l’APPCA entre 1933 et mai 1939, mais s’y montre discret : il ne présente aucun rapport et n’intervient que rarement dans les discussions – c’est même plus souvent son suppléant-délégué, le très assidu Raymond de Laulanié, qui prend la parole. Son biographe rapporte « une anecdote à ce sujet : à l’Assemblée permanente des présidents des chambres d’agriculture où Xavier Bernard représentait la Vienne, il y avait comme dans toute assemblée des orateurs intarissables. Fin psychologue, notre ami, se doutant que ces manifestations visaient moins à convaincre les auditeurs qu’à se rendre populaire auprès des électeurs régionaux, proposa de ne plus faire figurer au procès-verbal le nom de ceux qui intervenaient dans les discussions. À moitié suivie (car on se borna à remplacer le nom de l’orateur par celui du département), sa proposition ne parvint pas à enrayer ces "diarrhées oratoires", comme il les appelle pittoresquement » 1100.
Ainsi, les années 1930 sont-elles celles où le sélectionneur redevenu agriculteur – et distingué dans l’ordre du Mérite agricole et dans celui de la Légion d’honneur, au grade de commandeur – s’affirme en tant que dirigeant professionnel, non sans rencontrer quelques obstacles. Le récit que fait Victor Boret de cette mutation – il écrit : « devenu président de la chambre d’agriculture de la Vienne, après le décès d’Émile Martin, dont tous les Poitevins se rappellent le dévouement incessant et la bienfaisante activité, il est aujourd’hui encore Président de cette Compagnie où le maintiennent la confiance et la sympathie unanimes de ses collègues et, tout particulièrement de ceux mêmes qui n’avaient pas voté pour lui, au début, parce qu’ils ne connaissaient pas – certains l’ont avoué depuis – cet homme ne fait aucun frais de coquetterie pour plaire et ne se livre jamais au premier contact » 1101 – est sujet à caution : ne découle-t-il pas surtout du souci de rattacher l’homme à la figure du physiocrate généreux et de l’éloigner de celle du notable honnis par le gouvernement de Pétain ? Car – mais faut-il le rappeler ? – le récit de Victor Boret s’ancre dans le temps du régime de Vichy : nous aurons l’occasion d’y revenir.
Les paragraphes ci-dessous sont une version condensée d’une biographie plus longue et plus critique, agrémentée d’illustrations commentées, que le lecteur pourra trouver en Annexes. Dossier n° 4. Dossier biographique. Xavier Bernard, sélectionneur et colon : tentative de déconstruction d’une hagiographie.
Arch. dép. Vienne, 9 E 293/14, registre d’état-civil, Saint-Sauvant, naissances 1873-1882. (les documents des archives départementales de la Vienne ont été consultés en ligne) ; Arch. dép. Vienne, 8 M 3/307, listes nominatives de recensement de Saint-Sauvant, 1876.
Victor BORET, Un homme, une œuvre… la vie de Xavier Bernard, Rouen, Éditions Maugard, 1943, 269 p., p. 25.
Ibidem, p. 46.
Ibidem, p. 102.
Ibidem, p. 122.
Gilbert MARTIN, « Discours », dans Comptes rendus de l’Académie d’agriculture de France. Séance du 12 avril 1967, 1967, pp. 415-419.
On peine d’ailleurs, à la lecture des pages de Victor Boret, à reconstituer la chronologie fine des deux exploitations agricoles.
Victor BORET, Un homme, une œuvre… ouvrage cité, p. 180.
Annu Silvestre 1931.
Travaux des chambres d’agriculture, 16 avril 1936, p. 647.
Victor BORET, Un homme, une œuvre…, ouvrage cité, p. 190.
Le Sélectionneur français…, ouvrage cité, volume 2, mars 1933, p. 5-10 : liste des membres de l’Association française des sélectionneurs de plantes.
Annuaire national agricole 1930 et Annuaire national agricole 1936.
Victor BORET, Un homme, une œuvre…, ouvrage cité, p. 184.
Annuaire national agricole 1939.
Victor BORET, Un homme, une œuvre…, ouvrage cité, pp. 197-198.
Ibidem, p. 188.