Les CROC et leurs délégués

La phase de création des CROC s’étale sur plus d’une année 1301. Si 17 d’entre eux sont constitués dès avril 1941, neuf autres dès le mois de mai et enfin une grosse vingtaine au cours de l’été, 21 attendront le dernier trimestre de l’année pour voir leurs propositions acceptées par la COCP et une douzaine ne sont créés qu’entre janvier et juin 1942. C’est sous l’égide de la COCP que se déroulent ces créations. En son sein, un comité d’organisation syndicale est créé, animé par les délégués généraux Rémy Goussault et Alain de Vignemont et composé de René Blondelle, de l’Aisne, d’Henri Gindre, du Cher, de Léon Giraud, de l’Allier, d’Ernest Lagarde, de la Dordogne, de Le Roy, du Vaucluse, d’Adolphe Pointier, de la Somme, de Roger Chaudruc de Crazannes, de Charente-Inférieure, de Raoul Viaud, de la Gironde et de Lucien Biset, de Savoie 1302. Le comité de propagande générale a pour délégué Henry Dorgères et rassemble René Blondelle, Raoul Viaud et Lucien Biset, ainsi que Roger Barrault, l’ouvrier agricole d’Eure-et-Loir, Gouge, de la Côte-d’Or, Émile Leca, du Calvados et Marc Ferré, de la Vienne.

Dans les quelques 38 départements classés en catégorie A dès mars 1941, un délégué responsable est presque toujours nommé – quelques cas échappent à ce constat et révèlent des dissensions inattendues. La distinction entre délégué responsable et délégué régional n’est pas évoquée par Isabel Boussard, qui, comme nous l’avons vu, ne se préoccupe pas de détailler les phases préparatoires à l’organisation corporative dans les départements 1303. Les auteurs des études départementales ou locales n’éprouvant pas le besoin de faire cette distinction, nous devons nous contenter de formuler des hypothèses, déduites de nos observations. Les délégués responsables semblent avoir été nommés dans les départements classés en catégorie A, et plus largement dans les cas où l’accélération du processus d’organisation corporative a semblé souhaitable aux membres de la COCP, tandis que sont désignés dans les autres départements des délégué dits régionaux.

Le plan d’action de Rémy Goussault est à la fois évasif et évocateur sur ce point. Il y est écrit : « Le rôle des délégués régionaux apparaît, d’après ce qui vient d’être dit, comme trouvant son maximum d’efficacité, dans un rôle d’animateur et de tuteur des organisations. On aura beaucoup de peine à recruter un grand nombre de délégués régionaux qui soient à la fois sérieux, dynamiques, actifs, compréhensifs de la structure syndicale et ayant de l’autorité. Le plan d’action que nous traçons a l’avantage d’éviter peut-être la nomination systématique de délégués dans les départements de la catégorie A. Ce seront là des cas d’espèce qui montreront s’il y a lieu d’accroître l’autorité d’un homme dans sa région, en lui conférant le titre de délégué régional. […] En tout cas, il semble, si l’on veut atteindre l’objectif visé par la Loi, qu’il faille éviter tout esprit de système, car il n’y a pas en France de Provinces dans lesquelles les problèmes se posent de la même manière, et la nomination systématique de délégué régional partout comporterait dans bien des cas, de nombreux inconvénients. Il semble aussi qu’il faille éviter la conception du délégué régional qui reviendrait à conférer à un notable une fonction honorifique : le délégué régional doit être un homme sur la brèche, un exécutant et un homme décidé à consacrer le maximum de son temps et de ses efforts à l’œuvre que lui demandera la Commission nationale d’organisation corporative. Il n’est donc pas possible d’établir a priori une liste de délégués régionaux, mais il faut, au contraire, au fur et à mesure, que les hommes, chargés par la commission nationale corporative d’étudier et de réaliser les constructions syndicales, proposent peu à peu les hommes qu’ils auront découvert et qui leur sembleront les plus capables de remplir leur mission. Les délégués régionaux pourront utilement être choisis parmi les hommes que leur situation professionnelle n’avait pas jusqu’alors nanti de l’autorité nécessaire, mais qui étant investis d’une autorité pourront donner leur mesure » 1304.

L’exposé montre bien le caractère pragmatique des nominations, tandis qu’il est émaillé de directives floues mais inédites témoignant de la volonté de faire émerger des élites nouvelles et de rompre avec les anciennes. Il irait dans le sens de l’intéressante hypothèse de Gordon Wright – dont l’historiographie postérieure s’est largement fait l’écho, sans apporter beaucoup d’arguments précis validant cette proposition – selon laquelle, la Corporation paysanne serait le moment et/ou le moteur de l’« accélération de l’ascension d’une élite paysanne qui compense la lenteur initiale de la couche agricole à dégager ses propres dirigeants » 1305. Par l’approche prosopographique et par l’angle de vue adopté, celui de l’implication des chambres d’agriculture, il sera éventuellement possible d’étayer l’hypothèse de l’auteur de La révolution rurale en France.

On observe tout d’abord une importante implication locale des membres de la COCP. Onze de ses 35 membres, soit un sur trois, devient délégué responsable dans son département d’appartenance. Un autre devient délégué régional et deux délégués adjoints. Enfin, neuf deviennent membres du CROC de leur département. D’emblée se complexifie la conception d’émergence d’élites nouvelles. Parmi les onze délégués responsables nommés par cette voie, se repèrent dix membres de chambre d’agriculture, dont deux qui en sont les présidents. Certes, ni Henri Gindre, membre de la chambre d’agriculture du Cher depuis 1927 et président de celle-ci depuis 1933, président omnipotent du Syndicat des agriculteurs du Cher, affilié à l’UNSA, ainsi que de la Fédération des coopératives de vente des céréales et de la Caisse de dépôts et prêts du Cher 1306, ni Henri Decault, 61 ans, membre et président de la chambre d’agriculture du Loir-et-Cher depuis 1927, vice-président de l’APPCA depuis 1936, président de l’Association française des Exportations agricoles et vice-président du Comité supérieur de l’arboriculture fruitière (du ministère de l’Agriculture) 1307, ne sont des nouveaux venus. Mais l’accession aux responsabilités départementales par le biais de l’appartenance à la COCP, si elle ne contribue pas à inventer de nouveaux dirigeants, accélère sans doute l’ascension de certains. Ainsi, René Blondelle, 33 ans, Marc Ferré, 40 ans 1308, Henry Vidal, 44 ans, et Martial Brousse, 47 ans, peuvent être considérés comme de jeunes dirigeants pour qui la nomination comme membres de la COCP est une opportune promotion qui leur permet de s’imposer comme principaux dirigeants départementaux, position qu’ils n’étaient pas en position d’occuper en 1939-1940. Lucien Biset est âgé de 27 ans lorsqu’il est nommé membre de la COCP : c’est cependant parce que, dès 1936, il « découvre les forces et la vertu du syndicalisme », en tant que président du Syndicat laitier d’Aix-les-Bains 1309, qu’il est « remarqué et désigné au titre des Jeunes Agriculteurs  1310 par le Ministère, dans les organisations corporatistes mises en place par le régime de Vichy » 1311. Il ne fait pas de doute que c’est sa position au sein de la COCP qui lui vaut de devenir, en octobre 1941, délégué-adjoint du CROC de Savoie.

Il ne nous est pas possible de faire ici l’analyse des trajectoires de l’ensemble des membres des CROC et des délégués responsables, régionaux et adjoints 1312 : encore une fois, nous nous cantonnerons à une appréciation du rôle des acteurs des chambres d’agriculture dans les structures corporatives, agrémentée d’une vision plus parcellaire du rôle de ceux qu’ils côtoient 1313. Parmi les 1168 membres et délégués des CROC, il a été possible d’identifier 356 membres de chambre d’agriculture en fonctions en 1939 au lendemain des quatrièmes élections partielles des chambres d’agriculture. Près d’un membre de CROC sur trois est donc issu des chambres d’agriculture honnies dans le discours des partisans du nouveau régime. Ce ne sont cependant que 18 % des 1956 membres de chambre d’agriculture de 1939 qui ont été nommés pour composer le CROC de leur département en 1941-1942 : une minorité d’entre eux, donc, s’est trouvée sur les rangs et/ou a été acceptée sur la liste des propositions soumises à la COCP et au ministre. Les fiches des CROC mentionnent des refus de la part de ces derniers dans le cas où les membres proposés sont des parlementaires ou des ecclésiastiques, en aucun cas explicitement dans le cas de membres ou de présidents de chambre d’agriculture. Il s’agit donc d’une minorité, une forte minorité, certes, mais il convient de compléter cette vision. Sur les 90 présidents de chambre d’agriculture de 1940, 40, soit 44 %, deviennent membres du CROC de leur département en 1941-1942 : sept en deviennent délégués responsables, cinq délégués régionaux, deux délégués adjoints et 26 simples membres du comité. Par rapport à l’ensemble des membres des chambres, ce sont donc bien les présidents de chambre d’agriculture qui ont d’abord été choisis. Ces quarante individus, au sein des CROC, ne représentent toutefois que quelques 3 % de l’ensemble des hommes attelés à l’organisation corporative. Car les membres des chambres ont aussi été nombreux et gagnent souvent des places d’animateurs au sein des CROC. 29 membres et présidents de chambre d’agriculture deviennent délégués responsables et représentent ainsi les près de 66 % des 44 qui ont occupé cette fonction dans les départements. Seize deviennent délégués régionaux, soit 41 % de l’ensemble de ceux-ci.

Qu’est-ce à dire ? Que si la COCP entend « écarter la conception du délégué régional qui reviendrait à conférer à un notable une fonction honorifique », les membres et les présidents des chambres d’agriculture de 1940 ne sont pas des notables ? La diversité des cas rencontrés parmi les 90 présidents de chambre d’agriculture de 1939, loin d’un modèle unique de « notable d’ancien type » 1314, mène-t-elle ici au dessin d’une ligne de partage au sein de l’ex-APPCA ? La comparaison, à partir de quelques critères, du groupe des présidents de 1940 qui deviennent membres du CROC de leur département entre 1941 et 1942, avec le groupe de ceux qui n’y appartiennent pas 1315, permet-elle de déterminer les motivations des présidents et les raisons de l’assentiment donné à ces propositions par des membres de la COCP qui, malgré leurs propres appartenances, se disent majoritairement hostiles aux chambres d’agriculture et à l’APPCA ?

Si les présidents qui sont nommés parmi les membres des CROC sont en moyenne nettement plus jeunes que ceux qui ne le sont pas – ils ont en moyenne 61 ans contre 71 –, l’amplitude des âges est équivalente et l’ancienneté dans l’institution est également très proche d’un groupe à l’autre. Ceux des présidents qui sont nommés dans le CROC sont plutôt moins souvent élus sur les listes des délégués des syndicats et associations aux élections aux chambres d’agriculture – soit les 20 % de membres qui ne sont pas élus au suffrage universel des agriculteurs –, moins souvent membres du bureau d’un syndicat et/ou d’une organisation agricole départementale en 1939, quoique la différence soit très légère. Ils ne sont guère moins fréquemment « grands propriétaires » que leurs homologues absents du CROC et le fait qu’ils soient plus souvent viticulteurs qu’éleveurs ne semble pas significatif. De façon inattendue, les présidents présents dans les CROC de 1941-1942 sont ceux qui ont plutôt été plus assidus aux sessions de l’APPCA pendant leur mandat. Ils ont autant de poids dans le Comité permanent général (CPG) et le bureau de l’APPCA, mais ils sont moins souvent les auteurs des rapports présentés en session. Surtout, l’exclusion des CROC de tous les présidents de chambre d’agriculture qui sont parlementaires en 1940 est patente et est parfaitement cohérente avec l’antiparlementarisme des corporatistes, lui-même très en phase avec Vichy. Parmi l’ensemble des membres de chambre d’agriculture de 1940 qui sont nommés membres des CROC en 1941-1942 se comptent cinq anciens parlementaires, mais aucun des 43 parlementaires en fonctions en 1940. Il est difficile de donner une interprétation univoque de ces observations sommaires. Il apparaît que les plus jeunes des présidents, plutôt présents dans l’APPCA quoique n’en jouant pas toujours le jeu – notamment celui un peu académique des rapports –, et s’étant tenus à l’écart des mandats électifs politiques, sont prompts à entrer dans les premières structures départementales de la Corporation paysanne.

On remarque enfin que les présidents de chambre d’agriculture de la zone libre se retrouvent presque aussi souvent dans les CROC, quoique globalement à un échelon de pouvoir moindre 1316, quand bien même ces structures ont été en général constitués plus tardivement 1317. En effet, on observe que les présidents de chambre d’agriculture rejoignent les CROC en constitution tout au long des quinze mois pendant lesquels se déroule cette première phase, en avril 1941 comme en mai-juin 1942 1318. Pierre Laborie date des mois d’avril et mai 1941 les « premiers signes de perturbation » dans les rapports entre les Français et Vichy. Pendant l’été 1941, il détecte le commencement « d’une lente liquéfaction du soutien de l’opinion publique sans lequel ni la politique extérieure du gouvernement, ni la Révolution nationale n’ont la moindre chance de réussite » : « le malentendu entre Vichy et les Français commence à s’épaissir ». La montée de la germanophobie au cours de l’automne 1941 semble patente mais Pierre Laborie observe que « la consolidation renforcée de l’hostilité à l’occupant ne signifie, en 1941, ni un rapprochement avec la Résistance, ni une approbation des attentats individuels » 1319. Le fait que le rythme auquel les présidents de chambre d’agriculture rejoignent les équipes des CROC ne faiblisse pas avec la montée de la méfiance vis-à-vis de Pétain et de son gouvernement est-il significatif ? S’explique-t-il par l’engouement pour les idées corporatistes développées dans les années 1930 ? Les CROC sont à coup sûr perçus comme des structures provisoires : quelle est la part de l’attentisme et de la participation active à l’organisation corporative en tant que l’un des principales réalisations de la révolution nationale ? Les témoignages sont rares et souvent lapidaires. Ainsi, Claudius Delorme qui devient délégué responsable dans le Rhône, raconte quarante ans après : « mobilisé en septembre 1939, démobilisé en décembre 1940, j’ai, dès mon retour de l’armée du Levant, repris mes fonctions syndicales en même temps que mon exploitation abandonnée. Mes amis rentraient progressivement. Un de mes premières préoccupations a été de reprendre contact avec l’équipe des "Jeunes Turcs" qui s’activaient dans les départements voisins. C’est ainsi que dans cette ligne j’ai été chargé de mettre en place la Corporation paysanne dans le département » 1320. Force est donc de se contenter de confronter les hypothèses.

Laconiques, les fiches des CROC donnent encore moins d’informations sur les intentions des hommes qui y sont nommés que sur les raisons pour lesquelles les membres de la COCP suscitent et/ou valident les propositions. Jacques Le Roy Ladurie, malgré les réticences évoquées dans ses mémoires et dont il affirme avoir été conscient dès l’automne 1940, devient délégué responsable du CROC du Calvados le 27 mai 1941 1321, tandis que le président de l’Union des syndicats agricoles du Calvados, Émile Leca, membre de la COCP, devient simple membre du Comité. Les éventuelles discussions qui ont menées à ce choix restent obscures : s’agit-il de « jouer le jeu » 1322 avant tout ?

Joseph Faure est également désigné comme délégué responsable du CROC de la Corrèze en juillet 1941 1323. Ses réticences vis-à-vis du contenu de la loi du 2 décembre 1940 semblent pourtant avoir été très nettes dès la publication du texte de celle-ci et ne découlaient pas uniquement de l’article de cette loi qui supprimait l’APPCA et prévoyait le remplacement des chambres départementales d’agriculture par des chambres régionales. Est-ce pour lui aussi avant tout le moyen de se maintenir à la tête des organisations agricoles du département ? C’est ce que ses thuriféraires diront de lui : « il reste à la tête des organisations agricoles qui lui doivent la vie. Ses amis sont en droit de penser qu’il garde la confiance de ceux qui peinent aux champs, puisqu’aussi bien il continuera à s’occuper d’eux » 1324. Raisonnement tautologique qui ne dit rien de ses intentions profondes. Il faut signaler que l’organisation corporative de la Corrèze, comme celle de la Creuse, se déroule sous la houlette de Marc de Bruchard, délégué responsable en Haute-Vienne mais également délégué responsable provincial chargé de l’organisation dans les deux départements voisins 1325. On est en droit d’y lire la volonté de la COCP de rechercher des hommes nouveaux tout en se ménageant l’appui des anciens dirigeants.

Se pose également un problème de méthode pour le chercheur qui souhaite appréhender une institution au niveau national : seules des recherches assidues dans les fonds départementaux peuvent permettre de départager, parmi les présidents des chambres d’agriculture, ceux qui sont écartés des structures corporatives par des rivaux, de ceux qui se sont abstenus, se sont volontairement tenus à l’écart, n’ont pas été candidats à la nomination. Les deux cas existent vraisemblablement parmi les présidents de chambre. Même, si l’on en croit certains témoignages postérieurs, l’absence de certains présidents de chambre d’agriculture des instances corporatives ne signifie pas forcément une implication nulle dans le processus et dans les réseaux. Ainsi, il est dit de Jacques Guilhem, président de la chambre d’agriculture de l’Aude depuis 1931, président du Comice agricole de l’arrondissement de Castelnaudary 1326, sénateur radical socialiste élu en 1937 1327, absent de la liste des membres du CROC de l’Aude en juin 1941 1328 : en 1941, « lors de la constitution de l’Organisation corporative paysanne, les délégués régionaux n’ont pas dédaigné de faire appel à son concours pour la propagande dans toute la région de Castelnaudary, où domine la polyculture » et il semble représenter pour Vichy le « prototype des éléments appartenant aux anciennes formations politiques, dont le Gouvernement aura toujours bénéfice à s’assurer le concours »  1329.

Qu’en est-il dans le département du Rhône ? Julien Riboud, qui présidait la chambre d’agriculture du Rhône depuis 1929, en même temps qu’il était secrétaire-adjoint de l’USESA 1330, est décédé en mai 1940. Son successeur est Jean-Marie Parrel, agriculteur-exploitant 1331 à Messimy, dans le canton de Vaugneray, où il est président de la Mutuelle-incendie, maire depuis 1920, proche de la Fédération républicaine 1332 et conseiller général depuis 1931. Président du Syndicat agricole de Vaugneray en 1932, il aurait dès ce moment été « un partisan discret mais déterminé de l’aspiration au renouvellement qui travaillait l’Union du Sud-Est de l’intérieur » 1333. Administrateur de la Caisse régionale de secours mutuels de l’Union du Sud-Est, en 1934, il devient vice-président de la Caisse régionale d’allocations familiales et administrateur de l’USESA en 1935, puis enfin vice-président de la même Union du Sud-Est en 1936. Toujours selon Albert Pin, il y est à la fois proche des dirigeants, dont Julien Riboud, en tant que militant de la Fédération républicaine, mais il aurait été également sensible aux revendications des jeunes Turcs de l’USESA, ce qui ferait de lui« l’un des plus fermes soutiens de cette génération montante issue comme lui de milieux paysans modestes » 1334. Suppléant-délégué de la chambre d’agriculture à l’AP(P)CA de 1933 à 1940, il s’est rendu à ses sessions une dizaine de fois, la plupart du temps avec Julien Riboud, alors président : il y a présenté cinq rapports entre 1934 et 1938, portant sur l’apprentissage agricole et les conventions collectives de vente. L’APPCA, « en août 1936, le délégu[e] au Conseil Central de l’Office du blé dont il rest[e] membre jusqu’à la guerre » 1335 : l’évolution des prises de position de Jean Parrel dans ce conseil est celle d’« une forme de reconnaissance implicite de l’utilité et de l’efficacité de l’ONIB caractéristique de l’essoufflement qui gagna l’opposition agrarienne à l’ONIB à la veille de la guerre » 1336.

Il est l’un des orateurs du congrès de Caen de 1937 où sont affirmées les orientations corporatistes des dirigeants de l’UNSA : il entre au comité exécutif de la centrale syndicale en avril 1938 1337. Au moment de la mobilisation de Félix Garcin en tant qu’officier de réserve, Jean-Marie Parrel est sollicité pour le remplacer à la présidence et en devient le « "président intérimaire" durant une partie de la "drôle de guerre" » 1338. Qu’en est-il de son rôle dans l’organisation corporative en 1941, quand Félix Garcin a repris les rênes de l’USESA et siège à la COCP ? Il est absent du CROC constitué fin novembre 1941 : le délégué régional et le délégué-adjoint de celui-ci sont Claudius Delorme et Jean Laborbe 1339, deux des chefs de file des Jeunes Turcs de l’USESA des années 1930 1340.

Jean-Marie Parrel est toutefois nommé par le CROC pour constituer une commission chargée des questions financières : il a alors 59 ans. Albert Pin relate qu’il « adhère immédiatement à la Révolution nationale, notamment par attachement à la personne de Pétain [mais également parce que] ce dernier accorde une grande place à la renaissance catholique ainsi qu’aux valeurs agrariennes qui étaient au fondement de son combat politique et syndical » 1341. Le préfet de 1946 voit en lui un « membre de la Légion [qui aurait] sign[é] un ordre de confiance de politique vichyssoise » 1342. Les points de vue des chercheurs qui ont traité du cas de Jean-Marie Parrel sont assez différents suivant les approches adoptées et les fonds d’archives explorés : il nous semble que les conclusions de Martin Baptiste dans son mémoire de master, dont Jean-Marie Parrel est l’un des personnages récurrents, sont plus pertinentes que celle d’Albert Pin. Quant le premier tend à voir dans le parcours de Jean-Marie Parrel celui d’un corporatiste de second rang doublé d’un pétainiste convaincu mais discret, dont le retour en politique à la Libération sera un échec 1343, le second conçoit « qu’il ait vu dans la Corporation une occasion d’accélérer le processus de remplacement des anciennes élites, même, et a fortiori, si cela devait se faire aux dépens de sa propre carrière de dirigeant (que lui-même n’avait jamais vécue comme un " cursus honorum " » 1344. Il est trop tôt pour trancher, toutefois, le « cas » Jean-Marie Parrel pose la question des élites et de leur renouvellement, de la transition entre les générations de dirigeants agricoles, des appartenances de l’entre-deux-guerres, des concessions des agrariens sur la question de l’intervention de l’État dans l’organisation des marchés, de la visibilité de l’engagement dans la Corporation paysanne au fil des années 1940-1944, de la collaboration et de ses formes, des circonstances et des aléas du « retour des évincés ». Pont entre l’APPCA qu’il fréquentait et « Vichy au village » 1345, Jean-Marie Parrel reviendra émailler ces pages.

Les membres des chambres d’agriculture s’engagent certes moins massivement que les présidents : rappelons que 17 % des membres des chambres d’agriculture de 1940 rejoignent les CROC, contre 44 % des présidents. Il existe 316 individus pour lesquels la masse d’informations rassemblées pour les présidents n’a pu être mobilisée. Parmi eux, 43 % ont été élus membres de la chambre d’agriculture en 1927, contre 45 % de ceux qui ne participent pas au CROC en 1941-1942, ce qui réduit à néant l’hypothèse d’un ralliement des jeunes dirigeants corporatistes qui seraient entrés dans les chambres d’agriculture en 1939. Ceux des membres des chambres d’agriculture qui entrent dans les CROC semblent plus souvent avoir été élus à la chambre sur les listes des délégués des associations et syndicats agricoles – 17 % contre 8 % – mais les lacunes des sources sur cette donnée incitent à la prudence. 25 % des vice-présidents des chambres d’agriculture et 30 % des secrétaires et secrétaires-adjoints rejoignent les CROC, soit légèrement plus que l’ensemble des membres, sans que cela soit cependant très significatif.

Néanmoins, l’entrée des membres des chambres d’agriculture dans les CROC paraît avoir une signification forte quant à l’identité de l’institution. Comment leurs membres ont-ils décidé de s’engager dans l’organisation corporative ? Les chambres d’agriculture existent encore en 1941, 1942 et 1943 même si elles sont condamnées à être remplacées par des organismes dont les prérogatives et les circonscriptions seront toutes différentes. Quelle est la part de la volonté de pérennisation de l’institution dans le cadre corporatif ? Quelle peut-être celle de l’ambition des dirigeants, de leur volonté de demeurer à la tête des organisations professionnelles ? La perception des attitudes des membres des chambres d’agriculture, département par département, permet-elle de dépasser l’exposé des multitudes de cas de figures dérivés de situations particulières ? Autrement dit, y a-t-il la possibilité de dévoiler l’existence d’un comportement partagé, d’un département à l’autre ? Sans aller jusqu’à la notion de « discipline institutionnelle », calquée sur la discipline syndicale, y a-t-il un comportement collectif récurrent ? Peut-on y lire le résultat de l’existence d’un « collectif de pensée » 1346 ? Les multiples appartenances des individus rendent-elles le décryptage impossible ? Les individus engagent-ils l’institution en s’engageant en leur nom ? Et c’est à nouveau le conflit entre représentation et compétence qui surgit. Des bribes de réponses qui pourront éventuellement être apportées à ces interrogations dépend la réponse à la question centrale : quel peut avoir été le rôle de l’APPCA dans la coordination des aspirations et des actions locales, dans la normalisation et l’uniformisation des comportements des membres d’organisations atomisées ?

Deux chambres d’agriculture de 1939 ne voient aucun de leurs membres rejoindre le CROC en 1941-1942 1347. Dans les Ardennes, aucun des 26 membres de la chambre ne rejoint le CROC formé tardivement, en mars 1942 : pourtant, les deux tiers de ses membres ont été renouvelés depuis 1927, ce qui écarte l’hypothèse du rejet global des anciens membres. La non affiliation à l’UNSA de l’Union des syndicats de Chiers-et-Meuse et de la Terre-d’Ardennes à laquelle appartiennent des membres de la chambre, le fait que le président de chambre, Fernand Caquot soit le président du Comité départemental des céréales 1348, et la situation des Ardennes en 1941-1942, en pleine zone interdite, peuvent expliquer cette totale éviction des membres de la chambre d’agriculture. Dans le Lot, il semble que l’absence de tout représentant de la chambre dans le CROC constitué dès mai 1941 découle de positionnements politiques largement majoritaires. Ce sont les commentaires manuscrits postérieurs, datant de novembre 1948, apposés en regard de la liste des membres élus en 1939, qui permettent d’apprécier la couleur politique de la chambre d’alors, quoique par le prisme du regard d’un observateur de la Libération 1349. Sur les quinze membres, on compterait ainsi un socialiste et trois communistes, cinq « rad. soc. ». Les autres sont qualifiés de républicains par celui qui écrit, sur papier à en-tête de la coopérative d’achats et d’approvisionnement en commun de Gourdon : ainsi rencontre-t-on un « républicain m[odéré] intelligent, actif, entendu », un « républicain modéré, homme de valeur », un « rep. modéré, intelligent et droit ». Le président de la chambre, Raymond Calmels, 70 ans en 1941, fondateur et ancien président du Syndicat d’électrification de Saint-Denis-Catus 1350, est présenté comme un « républicain modéré, humaniste, vieille famille terrienne » 1351. Est-ce à dire que les membres de la chambre d’agriculture ont collectivement refusé de s’engager dans les organisations corporatives ? Sont-ce plutôt les membres de la COCP et le ministre de l’Agriculture qui ont veillé à écarter les hommes issus de cette chambre d’agriculture si majoritairement à gauche ? Si l’on en croit les annotations de 1948, Émile Couderc, président de la Fédération départementale des planteurs de tabac du Lot et de l’Aveyron 1352, 65 ans en 1941, élu à la chambre en 1927, secrétaire de celle-ci de 1930 à 1939, quoique radical-socialiste serait vu comme « vichyssois » à la Libération. Le refus d’entrer dans les instances corporatives au niveau départemental n’empêcherait donc pas l’adhésion individuelle de certains à la révolution nationale, jusque dans les engagements locaux, qui nous restent inconnus.

Cinq chambres ne voient qu’un de leurs membres rejoindre le groupe du CROC : c’est le cas dans l’Indre, en Seine, Seine-et-Oise, en Seine-et-Marne, en Vendée. Dans le Rhône, on ne compte que Jean-Marie Fillion, membre de la chambre d’agriculture du Rhône élu en 1939, ancien député cartelliste, élu pour la première fois sur la liste du bloc des gauches menée par Édouard Herriot, battu en 1928 et élu à nouveau en 1932 sur une liste radicale-socialiste – il a renoncé à se présenter en 1936 1353. Dans 57 % des départements, ce sont deux à cinq des membres de la chambre d’agriculture qui rallient l’équipe du CROC. Dans 24 cas sur 51, le président de la chambre s’est joint à eux et neuf d’entre les présidents comptent parmi les délégués des CROC. On peut constater que ce phénomène s’observe autant en zone occupée qu’en zone libre 1354. Dans 23 % des départements, ce sont six membres de la chambre d’agriculture qui entrent au CROC en 1941-1942. Dix départements voient sept membres de la chambre rejoindre le CROC. Dans les deux tiers des cas, le président est également membre du CROC : est-ce à dire que le président peut avoir entraîné la chambre d’agriculture avec lui ? Les témoignages manquent mais la tendance est bien celle-là : le nombre de membres de la chambre d’agriculture qui deviennent membres du CROC est en moyenne plus important quand le président fait de même – 4,6 membres en moyenne contre 3,6.

Même dans les Deux-Sèvres, dans la Vienne et dans le Pas-de-Calais, où plus de dix membres de la chambre sont présents parmi les membres du CROC, il ne s’agit pas d’un ralliement de la majorité de la chambre d’agriculture 1355. Il n’y a que dans le Gard que ce nombre élevé représente plus de la moitié de la chambre d’agriculture. Dans le Loir-et-Cher également, ce sont huit des seize membres, soit 50 % exactement, qui rejoignent le CROC dès avril 1941. On notera que si dans le Loir-et-Cher, ce ralliement massif peut découler de la présence au sein de la COCP d’Henri Decault, président de la chambre d’agriculture, dans le Gard, il peut être lié au fait que Roger Rouvière, président de la chambre d’agriculture depuis 1934, a été, à ce titre, nommé membre du Conseil national de Vichy en janvier 1941 1356. Mais la présence dans le CROC de la majorité des membres de la chambre d’agriculture est très rare : dans 44 % des cas, ce sont 12 à 25 % des membres seulement qui rejoignent le CROC, et 25 à 50 % dans 38 % des départements. 11 % des chambres d’agriculture envoient moins d’un membre sur huit. L’un des motifs de l’apparente adhésion à la Corporation d’une part importante, même si non majoritaire, des chambres d’agriculture peut-elle être recherchée dans les dispositions concernant les chambres régionales d’agriculture prévues dans la loi du 2 décembre 1940 ? Son article 17 dispose en effet que « les membres des chambres régionales d’agriculture sont présentés par les unions corporatives des régions ou des départements intéressés ». Même s’ils sont « nommés par le ministre secrétaire d’État à l’agriculture, lequel peut, en outre, dans la proportion de la moitié au plus, désigner directement des membres qualifiés par leur compétence » 1357, la présence de nombreux membres de la chambre d’agriculture dans le CROC, puis, partant, dans l’URCA, peut avoir été perçu comme le moyen de garder la main sur les nominations aux chambres régionales d’agriculture.

Le point de vue inverse consiste à se demander quel est le poids des membres de la chambre d’agriculture au sein du CROC 1358. On observe ainsi que si 65 CROC sont constitués d’une minorité de membres de la chambre d’agriculture, dans seize départements, les membres de la chambre d’agriculture sont majoritaires. C’est le cas dans l’Allier, dans les Hautes-Alpes, l’Aude, la Côte-d’Or, l’Ille-et-Vilaine, la Mayenne, la Meuse, la Nièvre, l’Orne, le Pas-de-Calais, le Puy-de-Dôme, la Haute-Saône, la Sarthe, les Deux-Sèvres, la Vienne et les Vosges. Dans dix cas sur seize, le président de la chambre d’agriculture est également concerné. Huit de ces départements ont fourni un de leurs dirigeants agricoles à la COCP nommée en janvier 1941. L’hostilité de la commission vis-à-vis des chambres d’agriculture serait-elle ainsi de pure forme ? Elle semble plutôt relever de l’antiparlementarisme et de la méfiance vis-à-vis de la politique, obsessions mâtinées du souci d’éliminer toute concurrence aux syndicats et à leurs unions dans le champ organisationnel. Du reste, considérer que les membres de la chambre d’agriculture constituent une entité au sein du CROC signifierait que leur appartenance à la chambre l’emporterait sur leurs autres appartenances. L’impossibilité de recenser les appartenances syndicales dans l’ensemble des départements n’autorise pas à conclure clairement sur ce fait. De plus, au sein des unions de syndicats des tendances s’affrontent : au niveau national entre la SAF de la rue d’Athènes et l’UNSA de la rue des Pyramides, au niveau régional entre l’Union du Sud-Est des syndicats agricoles et les jeunes Turcs issus de ses rangs et de la JAC, par exemple. Il semble bien encore que l’admission d’un grand nombre de membres de la chambre d’agriculture, au point qu’ils soient majoritaires dans le CROC, n’a pu recueillir l’assentiment des protagonistes extérieurs qu’en dépit de cette appartenance et justement parce que d’autres engagements en tempéraient la portée.

Dans trois départements, il a été décidé que l’organisation corporative ne coïnciderait pas avec les limites départementales : ces situations singulières ont-elles ou non favorisé le ralliement des membres des chambres d’agriculture, institutions départementales ? Dans le Calvados, deux CROC sont constitués, celui du Calvados et celui du Pays d’Auge, qui regroupe également quelques communes de l’Orne, celles du canton de Vimoutiers, une partie des cantons de Trun, Exmes, Gacé, Le Merlerault et la Ferté-Fresnel 1359. Ainsi, « selon les vœux de ses dirigeants de syndicats, le Pays d’Auge, en se dotant d’une organisation corporative propre et différenciée de celle du reste du Calvados, voit donc respecté un particularisme régional issu de son organisation syndicale d’avant-guerre ; les dirigeants corporatifs augerons sont conscients de la faveur qui leur est faite » 1360. Deux unions syndicales toutes deux affiliées à l’UNSA 1361 coexistaient en 1939 : l’Union des syndicats agricoles du Calvados (USAC) et le Syndicat général des agriculteurs du Pays d’Auge. Leur proximité idéologique est très nette : tous deux ont « adopté la doctrine corporatiste », et leurs dirigeants, Jacques Le Roy Ladurie et André du Boullay appartiendraient l’un comme l’autre « à la mouvance monarchiste ». L’existence d’une organisation propre au Pays d’Auge repose sur la volonté de « défendre ses productions régionales : la viande bovine, l’eau-de-vie de pommes – "le Calvados" –, et les fromages augerons, camembert, livarot » 1362, prolongée rapidement par l’action du Syndicat de la marque d’origine « Pays d’Auge » dont Luce Prault a été l’un des fondateurs en 1926 1363. Huit membres de la chambre d’agriculture du Calvados entrent dans l’un des deux CROC constitués : cinq d’entre eux, menés par Jacques Le Roy Ladurie, rejoignent celui du Calvados, trois autres celui du Pays d’Auge, aux côtés d’un membre de la chambre d’agriculture de l’Orne.

Dans l’Isère, deux CROC sont fondés. Notons que deux unions coexistaient en Isère en 1939 : la Fédération des syndicats agricoles de l’Isère, sise à Grenoble, non affiliée à l’UNSA 1364, et l’Union viennoise des syndicats agricoles, « filiale de l’Union du Sud-Est » 1365. C’est autour de ces deux pôles, le grenoblois et le viennois que sont constitués les CROC du Grésivaudan et du Bas-Dauphiné. Le premier n’admet que deux membres de la chambre d’agriculture, tandis que le second en compte cinq, sur un total de 21, dont Charles Genin, le président. Dans la Haute-Loire enfin, l’organisation corporative se fonde également sur des régions infra-départementales, le Velay et le Brivadois. Cette partition ne correspond pas à l’organisation syndicale de 1939 puisqu’une seule union syndicale y existe alors, la Fédération des associations agricoles de la Haute-Loire, affiliée à l’Union du Sud-Est. Le président de celle-ci, Raymond de Ribains, est membre de la chambre d’agriculture depuis 1927 et suppléant-délégué entre 1928 et 1935. Son vice-président, Frédéric Grenier-Dalbine, est membre de la chambre d’agriculture depuis 1927, suppléant-délégué depuis 1928, a été secrétaire et vice-président de celle-ci avant d’en prendre la présidence en 1939, lorsqu’André Néron-Bancel, commandant, est mobilisé 1366. Raymond de Ribains rejoint le CROC du Velay en novembre 1941, avec Lucien Chatain, président du Syndicat agricole de Riotord et membre de la chambre d’agriculture de 1939. Frédéric Grenier-Dalbine devient délégué régional du CROC du Brivadois et y entraîne Alexandre Prunayre et Jean-Toussaint Jasselin, membres de la chambre d’agriculture. Les luttes d’influence entre dirigeants qui sous-tendent cette organisation sont évidentes. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Le cas du Finistère et des Côtes-du-Nord est inverse : un seul CROC y est créé. Calquée sur la circonscription de l’Union des syndicats agricoles du Finistère et des Côtes-du-Nord, présidée par Hervé de Guébriant, président de la COCP, cette forme d’organisation corporative a été finement observée par Suzanne Berger : selon elle, « les institutions les plus aptes à exploiter la situation nouvelle furent celles que leurs structures autorisaient à se passer de l’État – voire à le remplacer ; celles qui pâtirent le plus furent, au contraire, celles qui avaient été le plus liées avec le gouvernement central. Les organisations corporatives rurales, dont les objectifs politiques coïncidaient avec ceux des nouvelles élites politiques de Vichy mais, surtout, dont la force institutionnelle n’était en rien liée à leur engagement dans la politique de la nation, comptèrent parmi les grands vainqueurs du retour au conservatisme » 1367. Seuls les deux vice-présidents de la chambre d’agriculture des Côtes-du-Nord – qui compte 24 membres – rejoignent le CROC : Yves Le Joliff et Yves Le Cozannet. Le premier est le président du Syndicat agricole du Moustoir, le second de celui de Minihy-Tréguier, tous deux « affilié[s] à l’Union de Landerneau » 1368. Qu’Yves Le Cozannet ait été député de 1930 à 1932 – il siège alors comme républicain indépendant 1369 – n’a pas empêché cette nomination. Quatre des 23 membres de la chambre d’agriculture du Finistère entrent au CROC en avril 1941 : Léopold Bréart de Boisanger, vice-président de la chambre d’agriculture, est membre du bureau de l’Union des syndicats agricoles du Finistère et des Côtes-du-Nord, tout comme Édouard Rodellec du Portzic qui en a été le secrétaire général 1370, tandis que François Tinevez est secrétaire de l’Office central de Landerneau. Il n’est point besoin de souligner l’implication importante au niveau national de l’organisation corporative d’Hervé de Guébriant, président de la chambre d’agriculture et de l’Union des syndicats agricoles du Finistère et des Côtes-du-Nord, dont l’absence au sein du CROC n’est qu’apparente puisqu’il a « placé » comme délégué responsable François-Marie Jacq, secrétaire général adjoint de l’Union et secrétaire administratif de la chambre d’agriculture 1371. Le quatrième membre de la chambre d’agriculture du Finistère à rejoindre les rangs du CROC est l’un « des principaux animateurs de la Défense paysanne » dans le Finistère, le dorgériste Joseph Divanac’h 1372.

Ce sont les membres des CROC qui ont lancé l’organisation corporative proprement dite, soit la mise sur pied des syndicats agricoles corporatifs locaux, communaux ou intercommunaux, sur lesquels se fonde en théorie la Corporation Paysanne, malgré le mouvement insufflé aux niveaux national, régional et départemental, qui vient d’être en partie décrit. Dans un mouvement de va-et-vient entre la préfecture du département et les villages, du choix des propagandistes locaux aux assemblées constitutives des Unions régionales corporatives agricoles (URCA), quels sont les indices d’une participation des membres et des présidents de chambre d’agriculture et en quoi peuvent-ils nous éclairer sur l’institution ?

Notes
1301.

Voir Annexes. Dossier n° 5. Carte 3.

1302.

Arch. nat., F10 4973, archives de la Corporation paysanne, conclusions du Comité de répartition géographique des Unions régionales corporatives (19 février 1941).

1303.

Isabel BOUSSARD, Vichy et la Corporation Paysanne… ouvrage cité, pp. 106-107.

1304.

Arch. nat., F10 4973, archives de la Corporation paysanne, réunion du Comité de répartition géographique des Unions régionales corporatives, 18 février 1941 (étude de M. Goussault, 17 février 1941). Voir Annexes. Dossier n° 5. Document 3.

1305.

Gordon WRIGHT, La révolution rurale en France… ouvrage cité, p. 135.

1306.

Annuaire national agricole 1939, p. 439.

1307.

Nath IMBERT, Dictionnaire national des contemporains, Paris, Lajeunesse, 1938, 531 p., p. 170.)

1309.

Journal officiel de l’État français, 22 janvier 1941, décret portant nomination des membres de la commission de l’organisation corporative paysanne, 21 janvier 1941.

1310.

Il ne nous a pas été possible de déterminer si l’auteur de cet article faisait ou non référence à une appartenance de Lucien Biset à la JAC ou à un mouvement de jeunesse avant 1940.

1311.

« Un Homme dans son Temps. Lucien Biset », hommage rendu par la chambre d’agriculture de la Savoie, avec la participation de nombreuses personnalités savoyardes, [1992], [28 f°].

1312.

Voir Annexes. Dossier n° 5. Tableau 3.

1313.

Notons que des travaux en cours au sein du LER-SEREC (EA 3728-Usc INRA 2024) viendront apporter sur ces aspects des éclairages différents. Pierre Chamard l’envisage notamment par le prisme de l’étude de l’Union du Sud-Est : Pierre Chamard, L’Union du Sud-Est des syndicats agricoles (1888-1945), thèse en cours sous la direction de Jean-Luc Mayaud, tandis que Martin Baptiste l’aborde par l’angle de la micro-polis villageoise : Martin BAPTISTE, Les dirigeants locaux de la Corporation paysanne. Prosopographie des dirigeants corporatifs des cantons du Bois-d’Oingt et de Vaugneray (1940-1946), Mémoire de Master 2 Sciences des sociétés et de leur environnement, mention études rurales, parcours recherche/histoire, sous la direction de Jean-Luc Mayaud, soutenu le 17 juin 2008, 281 f°.

1314.

Claude-Isabelle BRELOT, « Le syndicalisme agricole et la noblesse en France de 1884 à 1914 », article cité.

1315.

Voir Annexes. Dossier n° 5. Tableau 4.

1316.

Voir Annexes. Dossier n° 5. Carte 4.

1317.

Voir Annexes. Dossier n° 5. Carte 3.

1318.

Voir Annexes. Dossier n° 5. Tableau 5.

1319.

Pierre LABORIE, L’opinion française sous Vichy, Paris, Seuil, 1990, 405 p., p. 253-257.

1320.

Claudius DELORME, « Témoignage sur cinquante années de syndicalisme agricole », dans Gilbert GARRIER [dir.], Le syndicalisme agricole en France. Actes de la journée d’étude de Lyon, 22 mars 1980.- Bulletin du Centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise, 1981, n°1-2, pp. 64-93, p. 79.

1321.

Arch. nat., F10 4972, archives de la Corporation paysanne, organisation des Comités régionaux d’organisation corporative, 1941-1942. Fiche du CROC du Calvados.

1322.

Jacques LE ROY LADURIE, Mémoires, 1902-1945… ouvrage cité, pp. 234-235.

1323.

Arch. nat., F10 4972, archives de la Corporation paysanne, organisation des Comités régionaux d’organisation corporative, 1941-1942. Fiche du CROC de la Corrèze.

1324.

La Défense paysanne de la Corrèze, mai 1944.

1325.

Arch. nat., F10 4972, archives de la Corporation paysanne, organisation des Comités régionaux d’organisation corporative, 1941-1942. Fiche du CROC de la Haute-Vienne.

1326.

Annuaire national agricole 1939, p. 634.

1327.

Jean JOLLY, Dictionnaire des parlementaires français … ouvrage cité, pp. 1912-1913.

1328.

Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, listes des Comités régionaux d’organisation corporative (CROC), [1940-1941], Fiche du CROC de l’Aude.

1329.

Arch. nat., F7 15484, Police générale. Dossiers des renseignements généraux : personnalités décédées du monde politique, syndical, artistique et scientifique : dossiers individuels classés par n° de dossiers (1941-1974), dossier 2243 (Jacques Guilhem) Notice, sans date [1941-1944 ; autorités de Vichy].

1330.

Annuaire national agricole 1939, p. 474.

1331.

Arch. dép. Rhône, 7 M 33, Sessions de la chambre : comptes rendus et procès-verbaux, circulaires ministérielles, correspondance, fascicules imprimés, 1853 ; 1856 ; 1927-1931.

1332.

Voir notamment : Mathias BERNARD, La dérive des modérés. La Fédération républicaine du Rhône…, ouvrage cité.

1333.

Albert PIN, Un notable paysan d’entre-deux-guerres : Jean-Marie Parrel (1882-1950), mémoire de maîtrise sous la direction de Gilbert Garrier, Université Lumière Lyon 2, Lyon, 1989, 198 et 108 f°, f° 61.

1334.

Ibidem, f° 64.

1335.

Albert PIN, « Jean-Marie Parrel, un syndicaliste paysan du Lyonnais à l’Office national interprofessionnel du blé (1936-1939) », dans Cahiers d’histoire, tome 36, n° 2, 1991, pp. 125-141.

1336.

Ibidem, p. 137.

1337.

Albert PIN, Un notable paysan d’entre-deux-guerres… ouvrage cité, f° 91.

1338.

Ibidem, f° 63 et f° 142.

1339.

Arch. nat., F10 4972, archives de la Corporation paysanne, organisation des Comités régionaux d’organisation corporative, 1941-1942. Fiche du CROC du Rhône.

1340.

Claudius DELORME, « Témoignage… », article cité, pp. 72-73.

1341.

Albert PIN, Un notable paysan d’entre-deux-guerres… ouvrage cité, f° 152.

1342.

Arch. nat., F1a 4034 : Réponse des préfets à la circulaire n° 287 du Ministère de l’Intérieur sur la composition des fédérations départementales du syndicat des exploitants agricoles, février-mars 1946. Lettre du Préfet du Rhône, 21 mars 1946.

1343.

Martin BAPTISTE, Les dirigeants locaux de la Corporation paysanne… ouvrage cité.

1344.

Albert PIN, Un notable paysan d’entre-deux-guerres… ouvrage cité, f° 182.

1345.

Jean-Marie GUILLON, « Vichy au village », dans Contemporary french civilization, volume 23, n° 2-1999, pp. 247-264.

1346.

Ludwik FLECK, Genèse et développement d’un fait scientifique, Paris, Les Belles Lettres, 2005, 280 p. (traduit de l’allemand par Nathalie Jas, préface de Ilana Löwy, postface de Bruno Latour)

1347.

Voir Annexes. Dossier n° 5. Tableau 6.

1348.

Annuaire national agricole 1939, p. 155.

1349.

Arch. APCA, CA Lot à Lozère, 1949-1965, Liste des membres à la suite de l’élection de février 1939, lettre du 22 novembre 1948.

1350.

Arch. nat., Dossiers de Légion d’honneur, L 0410065, Calmels Michel Jules Raymond.

1351.

Arch. APCA, CA Lot à Lozère, 1949-1965, Liste des membres à la suite de l’élection de février 1939, lettre du 22 novembre 1948.

1352.

Annuaire national agricole 1939, p. 351.

1353.

Jean JOLLY, Dictionnaire des parlementaires français … ouvrage cité, pp. 1692-1693.

1354.

Voir Annexes. Dossier n° 5. Carte 5.

1355.

Voir Annexes. Dossier n° 5. Carte 6.

1356.

Journal officiel de l’État français, 24 janvier 1941, Décret portant nomination des membres du Conseil national de Vichy, 23 janvier 1941.

1357.

Journal officiel de la République française, 7 décembre 1940, Loi du 2 décembre 1940 relative à l’organisation corporative de l’agriculture, pp. 6 005-6 008.

1358.

Voir Annexes. Dossier n° 5. Carte 7.

1359.

Gérard BOURDIN, Les paysans dans l’Orne de 1940 à 1944… ouvrage cité, p. 38.

1360.

Antoine CARDI, « La Corporation paysanne (1940-1944)… », article cité, p. 137.

1361.

Arch. nat., F10 4972, archives de la Corporation paysanne, liste des unions régionales affiliées à l’Union nationale des syndicats agricoles en zone occupée, [1941].

1362.

Antoine CARDI, « La Corporation paysanne (1940-1944)… », article cité, p. 133.

1363.

Informations communiquées par Jean-Louis Prault (fils de Luce Prault) en mars 2008 ; Annuaire national agricole 1930, p. 168.

1364.

Arch. nat., F10 4972, archives de la Corporation paysanne, liste des unions régionales affiliées à l’Union nationale des syndicats agricoles en zone occupée, liste des associations agricoles non rattachées à l’UNSA en zone occupée et en zone libre, [1941].

1365.

Annuaire national agricole 1939, p. 579.

1366.

Chambre d’agriculture de la Haute-Loire, 100 ans d’agriculture en Haute-Loire, de 1900 à 2000, [Le Puy-en-Velay], Chambre d’agriculture, 2000, 319 p., p. 164.

1367.

Suzanne BERGER, Les paysans contre la politique… ouvrage cité, pp. 171-172.

1368.

Annuaire national agricole 1939, p. 258.

1369.

Jean PASCAL, Les députés bretons de 1789 à 1983, Paris, Presses universitaires de France, 1983, p. 475.

1370.

Suzanne BERGER, Les paysans contre la politique… ouvrage cité, p. 110.

1371.

Arch. APCA, Répertoire des chambres d’agriculture établi par Luce Prault, secrétaire de l’APPCA, 1938-1940.

1372.

David BENSOUSSAN, Combats pour une Bretagne catholique et rurale… ouvrage cité, pp. 448-449.