Le 23 septembre 1943, les élections qui président au renouvellement du Conseil de l’URCA d’Ille-et-Vilaine voient Jean Bohuon élu au poste de syndic régional, par 161 votes contre 136 à Roger de La Bourdonnaye 1517, qui occupait cette fonction depuis avril 1942 1518. L’« affaire » 1519 fait grand bruit, notamment parce que cette situation est rare. Sur les onze présidents de chambre d’agriculture de 1942 qui sont syndics régionaux à la constitution des URCA, Roger de La Bourdonnaye est le seul à être démis de ses fonctions au moment du renouvellement de la fin de l’année 1943. Les autres cas de syndics régionaux non renouvelés sont rares : seuls six situations de ce type ont pu être repérées. Tous les cas ne sont pas comparables : Charles Donnat, syndic régional de l’Ariège, aurait été remplacé sur pression de la Légion 1520, Charles Eulriet, dans les Vosges, ne se représente pas, et ailleurs, Isabel Boussard observe qu’« il ne s’agit jamais d’"hommes nouveaux" », mais plutôt d’anciens membres des CROC ou de membres ou syndic adjoint de la première URCA 1521. Ainsi, « le cas d’Ille-et-Vilaine est le plus célèbre » 1522, mais pour l’auteur de Vichy et la Corporation paysanne, cela tiendrait à la lutte « assez âpre » qui a entouré cette élection. L’épisode retient l’attention de Pierre Barral qui conclut sa réflexion sur les cultivateurs-cultivants par la narration de l’élection de Jean Bohuon : « l’ensemble du vote est symbolique : le temps des propriétaires fonciers s’achevait, la promotion paysanne dont avait rêvé l’abbé Mancel l’emportait même dans l’Ouest et une nouvelle génération s’annonçait » 1523. Robert O. Paxton accorde la même importance décisive à l’épisode : bel exemple du processus de « révolte des "mains calleuses" contre les "mains blanches" qui les dirigeaient jusque-là », qualifié de « révolution tranquille » 1524. Une petite présentation des deux principaux protagonistes s’impose pour mieux comprendre les enjeux de cette élection.
Roger de La Bourdonnaye, né en 1886, a 42 ans quand il est élu, en 1927, membre de la chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine, par les délégués des associations et syndicats agricoles 1525. Il est alors secrétaire général de la Société départementale d’agriculture et d’industrie d’Ille-et-Vilaine et président de la Coopérative agricole d’Ille-et-Vilaine 1526. En 1930, il préside également l’Union régionale des syndicats agricoles d’Ille-et-Vilaine et est administrateur de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Haute-Bretagne et de la Caisse locale de crédit mutuel agricole de Rennes, ainsi que de la Confédération générale des producteurs de fruits à cidre 1527. Il n’a jamais été membre du conseil d’administration, du CPG ou du bureau de l’AP(P)CA, mais est extrêmement assidu à ses sessions, lors desquelles il présente cinq rapports entre 1931 et 1936 1528. Constamment réélu à la tête de la chambre d’agriculture chaque année, il en demeure le président à la veille de la guerre, quant en revanche la présidence de l’Union régionale des syndicats agricoles d’Ille-et-Vilaine échoit désormais à Louis Tezé, son collègue à la chambre d’agriculture depuis 1933. Cet aristocrate d’ancienne extraction 1529, comte ayant épousé la comtesse de Vibraye, fréquentant Jockey-club et société hippique, grand propriétaire 1530, réside alternativement dans l’une de ses multiples propriétés, au château de Blossac, à Goven, à l’hôtel de Blossac, à Rennes, ou encore au 38 cours Albert-1er, dans le 8e arrondissement de Paris 1531. « Grande figure locale du royalisme » 1532, il a fait notamment partie des souscripteurs du journal hebdomadaire La Province, « sympathique à la cause monarchiste, [qui] affiche un catholicisme intransigeant sans complexe, susceptible de lui valoir les faveurs d’une partie du clergé breton, et révélatrice de l’idéologie contre-révolutionnaire qui sous-tend son orientation politique » 1533.
Né en 1891 à Feins (Ille-et-Vilaine), Jean Bohuon serait un « fils de petit fermier, qui ne possédait lui-même que 18 hectares à Montreuil-sur-Ille » 1534. Pascal Ory écrira que Jean Bohuon a été jaciste 1535, ce qui, eût égard à la chronologie, paraît douteux. Décoré de la Croix de guerre 1914-1918 1536, il devient dans les années 1920 l’un des propagandistes de la Ligue des paysans de l’Ouest, fondée en 1927, à Saint-Brieuc, dans le sillage de la Fédération des syndicats des paysans de l’Ouest (FSPO). Pierre Barral rapporte qu’il se présentait ainsi à Châteaubriant en 1929 : « Ce n’est pas M. de Bohuon mais Bohuon tout court, les gars, un terreux comme vous et qui en porte la marque, comme vous pouvez en juger en me regardant les mains » 1537. La FSPO se dissout en 1935 : Jean Bohuon devient alors l’un des « principaux lieutenants de Dorgères » 1538. Lors des élections législatives de 1936, il échoue au second tour dans la circonscription de Vitré, obtenant 6 092 voix contre 7 179 à Hervé de Lyrot, banquier et candidat d’union républicaine et nationale 1539. En 1937, lors du premier congrès national de Défense paysanne qui se tient à Paris à la fin du mois de septembre, il est désigné comme président général du Comité central de Défense paysanne dont Henry Dorgères reste le délégué à la propagande et chef des services 1540. Il est élu en février 1939 membre de la chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine, au suffrage des agriculteurs, dans la circonscription de Rennes 1541. Lors de la première session ordinaire de 1939, il est choisi comme délégué à l’APPCA, au second tour de scrutin, contre Louis Tezé, successeur de Roger de La Bourdonnaye à la présidence de l’URSA : David Bensoussan suppose qu’« à cette occasion une partie des représentants de l’URSA [ont] préféré voter pour J. Bohuon plutôt que pour son président » 1542.
De fait on peut noter d’emblée que les tensions entre les deux hommes et les mouvements qu’ils incarnent sont déjà très présentes dans les années 1930 et qu’elles ne se manifestent pas de façon univoque. « Le Comte de La Bourdonnaye, animateur du comité royaliste d’Ille-et-vilaine et président de la chambre d’agriculture, […] aurait financé en 1930 le Progrès [agricole de l’Ouest, tribune du mouvement dorgériste] par l’intermédiaire du Crédit paysan mutuel » 1543. L’auteur de Combats pour une Bretagne catholique et rurale considère qu’une part des « notables de l’URSA [sont] sensibles […] aux pressions dorgéristes […] : le fait que la chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine, présidée par le comte de La Bourdonnaye, au sein de laquelle les dirigeants de l’URSA sont nombreux, ait voté, en 1937, un vœu demandant la prise en charge par l’État des allocations familiales pour l’agriculture en témoigne ouvertement » 1544. L’opposition entre agrariens et dorgéristes est traversée de tentatives de rapprochements, qui ne se limitent pas aux accointances de Jacques Le Roy Ladurie 1545 ou d’Hervé de Guébriant 1546. Que les conflits larvés se soient transportés dans le cénacle de la chambre d’agriculture n’est pas exceptionnel : la victoire de Jean Bohuon sur Louis Tezé pour la désignation du suppléant à l’APPCA, en 1939, témoigne d’une lutte confinée dans les règles institutionnelles. Si en mai et novembre 1939, ainsi qu’en février 1940, Jean Bohuon assiste aux sessions de l’APPCA en compagnie de Roger de La Bourdonnaye, il représente seul la chambre d’Ille-et-Vilaine à la session du 29 mai 1940 : il y vote donc au nom de la chambre les motions sur le ravitaillement et l’organisation et le fonctionnement du service du ravitaillement général au ministère de l’Agriculture, ainsi que celle relative à l’application des dispositions législatives et réglementaires concernant la répartition des bénéfices des mines domaniales de potasse d’Alsace 1547.
Alors que les relations entre Roger de La Bourdonnaye, président de la chambre d’agriculture, et Jean Bohuon, son suppléant-délégué, étaient en apparence stabilisées au sein de la chambre d’agriculture à la veille de la guerre, qu’est-ce que le conflit révèle des enjeux locaux, à plus ou moins long terme ? Pierre Barral et Robert O. Paxton insistent tous deux sur le caractère « naturel » de la désignation de Roger de La Bourdonnaye comme principal dirigeant corporatif : ainsi « quand le régime de Vichy créa la Corporation paysanne, La Bourdonnaye fut tout naturellement désigné comme délégué provisoire » 1548, ou, dans d’autres termes, « dans les premiers temps de Vichy, c’était le comte Roger de La Bourdonnaye […] qui était devenu tout naturellement le délégué de la Corporation, chargé de l’installer au niveau du département » 1549. Pourtant tous les dirigeants proches de la rue d’Athènes ou de l’UNSA, à la position sociale dominante, cumulant la présidence d’une union de syndicats et de la chambre d’agriculture ne sont pas devenus syndics régionaux : le cas de Jean de Montgolfier, dans l’Ardèche, en atteste, comme ceux de Bernard-Henri de Menthon, en Haute-Saône, ou encore les cas des membres de la COCP, Félix Garcin et Henri Decault, tous absents des premières URCA de leurs départements respectifs.
Lors de l’assemblée constitutive de l’URCA d’Ille-et-Vilaine, le 11 avril 1942, Roger de La Bourdonnaye, en tant que délégué responsable du CROC, offre la présidence de la séance à Hervé de Guébriant, qui fait un discours dont ne sont guère absentes les tensions précédemment évoquées : « les querelles d’hier et les discordes qui nous ont fait tant de mal doivent être oubliées. Choisissez les hommes pour ce qu’ils sont, non pas pour leur situation sociale. […] Nous en donnons l’exemple en Bretagne, car nous avons l’ambition de la placer au premier rang de la révolution nationale… » 1550. On note également que, loin d’être « naturelle », l’élection de Roger de La Bourdonnaye révèle quelques oppositions qui ne sont guère commentées : s’il obtient largement assez de voix pour être confortablement élu, avec 233 suffrages pour 307 syndics présents susceptibles de voter, Louis Tezé, son successeur à l’URSA, en totalise 48, et Jean Bohuon, 23. Malgré les appels au rassemblement du comte de Guébriant, l’unanimité n’est pas de mise. Plus, lors de l’élection des syndics adjoints, on observe une bien moindre dispersion des voix, puisque Jean Bohuon, Louis Tezé et Jules Colleu – tous trois membres du CROC –, obtiennent 292, 291 et 287 voix 1551.
Dix-huit mois plus tard, ce n’est donc pas un renversement complet de la situation qui advient, mais plutôt la traduction dans les urnes d’un processus ancien, rendu possible par les dissensions survenues entre Dorgères et les membres de la COCP, puis du Conseil national corporatif, mais également par celles survenues localement entre les agriculteurs et leurs syndics, locaux ou régionaux, notamment autour des questions liées au ravitaillement. Henry Dorgères l’observe quand il commente l’élection de Jean Bohuon survenue le 23 septembre 1943 : « Il y a 18 mois, pour manifester le désir des organisations de Défense paysanne de réaliser l’Union Paysanne, Jean Bohuon s’était effacé devant le délégué responsable, Monsieur le Compte de La Bourdonnaye qu’avait désigné le Comité d’Organisation de la Corporation. Devant les erreurs commises par ce dernier, Jean Bohuon s’est présenté le 23 septembre et a été élu syndic régional, par 161 voix contre 136 au syndic régional sortant » 1552. L’évènement donne lieu à une correspondance croisée : tandis que Dorgères défend la cause de Jean Bohuon auprès de Camille Laurens 1553, syndic national adjoint de la Corporation paysanne, c’est auprès d’Adolphe Pointier que les partisans du comte de La Bourdonnaye plaident leur cause. Est-ce à dire que cette partition est le reflet d’autre chose que d’une instrumentalisation de l’opposition entre les « deux familles corporatives » 1554 ?
Ainsi Henry Dorgères écrit-il à Camille Laurens : « Je tiens à préciser que le syndic régional [Roger de La Bourdonnaye] avait tout fait pour assurer sa réélection, notamment en créant des secrétaires de district, qui lui étaient très dévoués et dont le rôle essentiel était de faire sa propagande. Jean Bohuon ne disposait d’aucun moyen. Vous savez que c’est un petit cultivateur qui exploite lui-même sa ferme, il s’est contenté pour se présenter, d’une simple circulaire et de quelques visites qu’il a pu faire à certains syndics grâce à un gazo prêté par un Ami. Le résultat qu’il a obtenu montre qu’il est possible de modifier la composition du Conseil national corporatif en remplaçant un certain nombre de syndics régionaux par nos Amis. Nous nous sommes trop effacés depuis la guerre. Il est temps de faire sentir que la Défense paysanne n’est pas morte et que la Corporation, grâce à notre impulsion, remplira son véritable but : défendre les intérêts de la Paysannerie sans pour cela se dérober aux devoirs que lui impose la situation actuelle, notamment en matière de ravitaillement. [Jean Bohuon] va devenir au sein de ce conseil [le Conseil national corporatif] un élément de cristallisation extrêmement important. Aussi, je vous demande de lui adjoindre le plus grand nombre possible de syndics régionaux, et de voir si, dans votre département, il est désirable de remplacer le syndic en place » 1555.
La défense du syndic régional sortant est plus malaisée et passe exclusivement par des attaques à l’encontre de Jean Bohuon. C’est Yves Houitte de La Chesnais, membre du groupe d’Ille-et-Vilaine de l’Union des caisses rurales et ouvrières, caisses « libres » de crédit agricole 1556, et président de la Caisse mutuelle d’allocations familiales agricoles du département d’Ille-et-Vilaine 1557, suppléant de Roger de La Bourdonnaye en tant que délégué responsable du CROC en juillet 1941 1558, qui a été chargé, ou se charge, des attaques dirigées contre Jean Bohuon. Il adresse à Rémy Goussault, le 2 octobre 1943, une lettre de deux pages visant à montrer à quel point Jean Bohuon n’est pas indiqué pour occuper le poste de syndic régional de l’URCA d’Ille-et-Vilaine. On y lit notamment : « 1°. Il a derrière lui un long passé d’agitateur et était le principal meneur du mouvement dit "des cultivateurs cultivants " qui a fortement secoué la BRETAGNE il y a une quinzaine d’années. Ce mouvement était essentiellement de lutte et d’égoïsme de classe. […] 3°. Il est toujours le plus fervent adepte de M. Dorgères. Ce mouvement a peut-être quelque utilité dans certaines régions, il est en Bretagne le meilleur fourrier du socialisme agraire et par l’exploitation démagogique des causes de mécontentement successives du monde paysan il fait peu à peu des cultivateurs "des réfractaires ". […] 5°. L’élection de M. Bohuon est due à une manœuvre de dernière heure conforme aux pires meurs électorales d’autrefois. Appel à la démagogie résumé par cette phrase du manifeste de M. Bohuon "Je vous donne l’occasion de choisir entre un Châtelain et un petit paysan".[…] Âme complexe et tourmentée il cultive à côté de la haine de classe d’autres sentimentalismes : sentimentalisme religieux, il a un fils novice des Jésuites et une fille religieuse ; sentimentalisme politique : il se déclare fervent adepte du Comte de PARIS. Il a un réel talent d’orateur populaire mais est surtout un négatif » 1559. On voit combien l’opposition découle à la fois de positionnement divergents sur la question de l’unité supposée ou proclamée du monde paysan, que les dorgéristes assument vouloir rompre au grand dam des notables agrariens, mais également d’une distance sociale irréductible : ainsi « au-delà d’une idéologie commune, il ne pouvait guère y avoir de sympathie réciproque entre les cadres plébéiens dorgéristes et les cadres notabiliaires, même si certains sont des "rénovateurs" de l’Union centrale des syndicats agricoles rebaptisée, en 1934, Union nationale des syndicats agricoles » 1560. « L’aspiration à l’unité n’est pas l’unité » 1561 : au cœur d’une Corporation paysanne autoritairement unitaire, l’évidence passe mal pour les notables déchus.
L’une des armes des adversaires de Jean Bohuon, dont on peut supposer qu’ils sont les partisans du comte de La Bourdonnaye, révèle en creux le portrait du syndic régional responsable et droit, respectueux des lois et adepte des compromis passés entre l’État et les organisations professionnelles. Il est d’abord reproché à Jean Bohuon d’avoir été « l’un des dirigeants responsables des organismes de la Fédération des Agriculteurs d’Ille-et-Vilaine qui a fait faillite avec un passif d’une dizaine de millions » 1562, comme pour fustiger en une phrase lapidaire le mauvais gestionnaire que serait le syndic régional nouvellement élu. Une note confidentielle évoque la possibilité « de l’initier et de le conseiller », mais Henri Brissette, syndic régional du Loir-et-Cher, pressenti pour jouer ce rôle, « n’aurait pas donné suite à cette demande, estimant que ce déplacement de 8 jours serait totalement inopérant en raison de l’ampleur de la tâche éducative à réaliser » 1563.
Surtout, c’est Yves Houitte de La Chesnais qui, en tant que président de la Caisse mutuelle d’allocation familiales agricoles du département d’Ille-et-Vilaine, orchestre une campagne de dénigrement, débutée dès le lendemain de l’élection du 23 septembre, auprès du directeur départemental des services agricoles 1564, et du président de la Caisse centrale d’allocations familiales agricoles, à Paris 1565 : cette campagne tourne autour du refus réitéré de Jean Bohuon de s’acquitter de ses cotisations à la Caisse d’allocations familiales agricoles, ce qui fait de lui « dans le département, le principal réfractaire à l’application du Code de la Famille ». Yves Houitte de La Chesnais conclut sa lettre au président de la Caisse centrale en ces termes : « étant donné cette situation, je fais des réserves sur la possibilité de collaborer dans l’avenir avec Monsieur Bohuon pour le cas où celui-ci serait nommé syndic régional par le Ministre de l’Agriculture ainsi que sur la poursuite de l’application de la loi dans le département d’Ille-et-Vilaine » 1566. C’est Pierre Lescop, président de la Fédération corporative de la mutualité agricole au sein du Conseil national corporatif, qui alerte Adolphe Pointier sur les fâcheuses conséquences qu’auraient pour la Corporation paysanne « l’exemple d’un syndic régional se refusant à remplir ses obligations nées du décret-loi du 29 juillet 1939 et faisant campagne contre les allocations familiales agricoles » 1567. La solution de Pierre Lescop est cependant celle d’une rapide régularisation de la situation de Jean Bohuon, par un recouvrement des cotisations dues, « afin de maintenir dans le département d’Ille-et-Vilaine la bonne collaboration indispensable entre la mutualité agricole et l’Union régionale corporative » 1568. Adolphe Pointier reçoit, le 20 octobre 1943, une lettre du secrétaire général de la Fédération corporative de la Mutualité agricole, l’informant que Jean Bohuon s’est acquitté du montant des cotisations arriérées auprès de la Caisse mutuelle agricole d’allocations familiales d’Ille-et-Vilaine 1569.
Dès lors, étant donné qu’aucune contestation de la régularité des opérations électorales ne s’est élevée, rien ne semble s’opposer à la nomination officielle de Jean Bohuon comme syndic national. Les hésitations et les cafouillages qui président à cette nomination officielle et surtout à l’annonce faite au syndic régional sortant, Roger de La Bourdonnaye, témoignent d’un malaise persistant. De son côté, le comte de La Bourdonnaye s’étonne longuement, dans deux lettres adressées au syndic national Adolphe Pointier, du retard mis à lui annoncer qu’il devait remettre ses pouvoirs à son successeur : Henry Dorgères et Jean Bohuon en auraient été avertis avant lui, ce qui suscite une réaction polie mais vexée chez le président de la chambre d’agriculture 1570. Mais la prise de pouvoir de Jean Bohuon et la destitution de Roger de La Bourdonnaye continuent de scandaliser une part des dirigeants d’Ille-et-Vilaine. Yves Houitte de La Chesnais regrette l’« éloignement des élites » : en ces termes il évoque la non réélection de certains membres de l’URCA lors du renouvellement, notamment celle de « Monsieur Jausions propriétaires exploitant, syndic du groupe du pays de St-Malo et qui a la confiance de tous les producteurs de la zône cotière pour la défense de leurs productions spéciales de primeurs » 1571. Au terme de plusieurs petites ruptures successives, c’est néanmoins au renouvellement des critères de légitimité des potentiels dirigeants agricoles que l’on assiste. Yves Houitte de La Chesnais fait partie de ceux qui étaient membres de l’URCA à sa constitution mais qui ne sont pas réélus en septembre 1943 : bien que le Conseil de l’URCA passe de 19 à 33 membres, sept des membres de la première URCA ne sont pas réélus, et donc l’URCA de septembre 1943 est constituée de près de deux tiers de nouveaux venus. Plus, seuls sept membres de l’URCA élue en septembre 1943, soit 20 %, appartenaient au CROC d’Ille-et-Vilaine formé en mai 1941.
Ainsi, la Corporation paysanne a-t-elle fourni plusieurs occasions de renouvellement des élites agricoles. Robert O. Paxton a sans doute raison de considérer que « l’une des raisons de la défaite du comte de La Bourdonnaye était à chercher dans l’impopularité croissante des dirigeants de la Corporation paysanne, que les exigences de l’occupant transformaient en un service bureaucratique de réquisition des denrées » 1572. Ces raisons ne sont cependant jamais évoquées dans les sources, sauf par un Dorgères prudent qui justifie la candidature de Jean Bohuon par les « erreurs commises » 1573 : cependant on sent que l’occasion est avant tout belle pour les dorgéristes, au prix des graves difficultés causées par l’Occupation. Du côté des partisans du comte de La Bourdonnaye, des défenseurs des élites d’ancien type, la condamnation des menées des militants des anciens comités de défense paysanne ne comporte aucun reproche vis-à-vis des positions de leur principal dirigeant, Henry Dorgères, de ses possibles dérives fascistes et surtout de son virulent antisémitisme, flagrant 1574 et crucial à l’heure des rafles et des déportations massives des juifs. Et à la fin de l’année 1943, de même qu’au début de l’année suivante, les organisations mises sur pied par le gouvernement de Vichy continuent de susciter de l’intérêt.
Robert Owen PAXTON, Le temps des chemises vertes… ouvrage cité, p. 280.
Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, anciennes listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1942.
Terme employé dans les dossiers d’Adolphe Pointier : Arch. nat., F10 5104, archives de la Corporation paysanne. Dossiers personnels du syndic national Adolphe Pointier. Affaires avec les URCA et autres.
Isabel BOUSSARD, Vichy et la Corporation Paysanne… ouvrage cité, p. 298.
Ibidem, p. 304.
Ibidem, p. 302.
Pierre BARRAL, « Les syndicats bretons de cultivateurs-cultivants », dans Pierre BARRAL [dir.], Aspects régionaux de l’agrarisme français avant 1930. – Le Mouvement social, n° 67, avril-juin 1969, pp. 147-161, p. 160.
Robert Owen PAXTON, Le temps des chemises vertes… ouvrage cité, p. 280.
Annuaire national agricole 1930.
Annuaire Silvestre 1923, p. 512.
Annuaire national agricole 1930, p. 221.
Ces rapports sont intitulés : « Sur les attributions consultatives des Chambres d’Agriculture et la représentation des Chambres d’Agriculture dans les organismes consultatifs départementaux et régionaux » (novembre 1931), « Enquête sur le doryphore de la Pomme de Terre » (novembre 1931), « Attributions autres que consultatives des Chambres d’Agriculture » (mars 1934), « Enquête sur les ressources des Chambres d’agriculture » (octobre 1934), « Marché des pommes à cidre et de l’alcool de pommes » (novembre 1936).
« Maintenue noble en 1668 » selon Étienne de SÉREVILLE et Fernand de SAINT-SIMON, Dictionnaire de la noblesse française… ouvrage cité.
Annuaire Silvestre 1923, pp. 1135-1470.
Bottin mondain, Paris, Annuaire Didot-Bottin, 1925.
David BENSOUSSAN, Combats pour une Bretagne catholique et rurale… ouvrage cité, p. 198.
Ibidem, pp. 165-166.
Robert Owen PAXTON, Le temps des chemises vertes… ouvrage cité, p. 280.
Pascal ORY, « Le dorgérisme, institution et discours d’une colère paysanne », article cité, p. 175.
Who’s who in France, Paris, Éditions Jacques Lafitte, 1957, 2304 p.
Pierre BARRAL, « Les syndicats bretons de cultivateurs-cultivants », article cité, pp. 152-153.
Ibidem, p. 160.
Jean JOLLY, Dictionnaire des parlementaires français … ouvrage cité, p. 2322.
David BENSOUSSAN, Combats pour une Bretagne catholique et rurale… ouvrage cité, p. 435.
Arch. APCA, CA Ille-et-Vilaine à Indre, 1949-1965, Liste des membres à la suite de l’élection de février 1939, commentaires de 1949.
David BENSOUSSAN, Combats pour une Bretagne catholique et rurale… ouvrage cité, p. 468 et p. 604.
Pascal ORY, « Le dorgérisme… », article cité, p. 174 ; information reprise ou confirmée par Ronald Hubscher dans : Ronald HUBSCHER et Rose-Marie LAGRAVE, « Unité et pluralisme… », article cité, p. 118.
David BENSOUSSAN, Combats pour une Bretagne catholique et rurale… ouvrage cité, p. 468.
Voir notamment : Xavier WALTER, Paysan militant… ouvrage cité.
David BENSOUSSAN, Combats pour une Bretagne catholique et rurale… ouvrage cité, notamment p. 464.
APPCA, Compte rendu des séances des 27 et 28 février 1940.
Pierre BARRAL, « Les syndicats bretons de cultivateurs-cultivants », article cité, p. 160.
Robert Owen PAXTON, Le temps des chemises vertes… ouvrage cité, p. 280.
Arch. nat., F10 5004, archives de la Corporation paysanne, Unions régionales corporatives agricoles (suite), département de l’Ille-et-Vilaine, [1941-1944], procès-verbal de l’assemblée constitutive de l’URCA, 11 avril 1942.
Ibidem.
Ibidem, Lettre d’Henry Dorgères à Camille Laurens syndic national adjoint du Conseil national corporatif, le 28 septembre 1943.
Lequel était « très proche de M. Le Roy Ladurie avec lequel il tente de poursuivre l’action entamée avant guerre », selon Isabel BOUSSARD, La Corporation paysanne… ouvrage cité, p. 186.
Ibidem, Selon Isabel Boussard, la première famille serait celle formée autour de Louis Salleron et des défenseurs de la loi du 2 décembre 1940, tandis que la seconde serait celle des déçus de cette loi, opposés à Salleron et Goussault depuis la fin des années 1930 et les tensions générées par les rapprochements avec Dorgères, et rassemblerait Jacques Le Roy Ladurie et Alain de Chantérac. On compterait Luce Prault dans ce second groupe. Adolphe Pointier appartiendrait à la « première famille », malgré des sympathies dorgéristes, et Camille Laurens à la seconde.
Arch. nat., F10 5004, archives de la Corporation paysanne, Unions régionales corporatives agricoles (suite), département de l’Ille-et-Vilaine, [1941-1944], Lettre d’Henry Dorgères à Camille Laurens syndic national adjoint du Conseil national corporatif, le 28 septembre 1943.
Annuaire national agricole 1939, p. 252.
Arch. nat., F10 5104, archives de la Corporation paysanne. Dossiers personnels du syndic national Adolphe Pointier. Affaires avec les URCA et autres. Copie d’une lettre d’Yves Houitte de La Chesnais au directeur départemental des services agricoles d’Ille-et-Vilaine, le 24 septembre 1943.
Arch. nat., F10 4972, archives de la Corporation paysanne, organisation des Comités régionaux d’organisation corporative, 1941-1942. Fiche du CROC d’Ille-et-Vilaine.
Arch. nat., F10 5104, archives de la Corporation paysanne. Dossiers personnels du syndic national Adolphe Pointier. Affaires avec les URCA et autres. Lettre d’Yves Houitte de La Chesnais à Rémy Goussault,le 2 octobre 1943.
Ronald HUBSCHER et Rose-Marie LAGRAVE, « Unité et pluralisme… », article cité, p. 119.
Ibidem, p. 110.
Arch. nat., F10 5104, archives de la Corporation paysanne. Dossiers personnels du syndic national Adolphe Pointier. Affaires avec les URCA et autres. Lettre d’Yves Houitte de La Chesnais à Rémy Goussault,le 2 octobre 1943.
Ibidem, Note confidentielle signée « Jérôme », M. Pointier sous couvert de M. Goussault, « Visite à l’URCA du Loir-et-Cher du 21 octobre 1943.
Ibidem, Copie d’une lettre d’Yves Houitte de La Chesnais au directeur départemental des services agricoles d’Ille-et-Vilaine, le 24 septembre 1943.
Ibidem, Copie d’une lettre d’Yves Houitte de La Chesnais au président de la Caisse centrale d’allocations familiales agricoles, le 24 septembre 1943.
Ibidem.
Ibidem, Lettre de Pierre Lescop, président de la Fédération corporative de la mutualité agricole au sein du Conseil national corporatif, à Adolphe Pointier, syndic national de la Corporation nationale paysanne, le 6 octobre 1943.
Ibidem.
Ibidem, Lettre de M. de Vignemont, secrétaire général de la Fédération corporative de la mutualité agricole, à Adolphe Pointier, syndic national du conseil national corporatif, le 20 octobre 1943.
Ibidem, Lettres du comte de La Bourdonnaye, syndic régional [sic] d’Ille-et-Vilaine au syndic national de la Corporation paysanne, les 16 et 28 octobre 1943
Ibidem, Lettre d’Yves Houitte de La Chesnais à Rémy Goussault,le 2 octobre 1943.
Robert Owen PAXTON, Le temps des chemises vertes… ouvrage cité, p. 280.
Arch. nat., F10 5104, archives de la Corporation paysanne. Dossiers personnels du syndic national Adolphe Pointier. Affaires avec les URCA et autres. Lettre d’Henry Dorgères à Camille Laurens syndic national adjoint du Conseil national corporatif, le 28 septembre 1943.
Notamment dans Henry DORGERES, La révolution paysanne, Paris, Jean-Renard, 1943, 128 p.