Encart biographique : le cas des Varois

Victorin Henry est « propriétaire-exploitant à Rougiers » 1624 – où il serait encore en 1942 propriétaire d’une quinzaine d’hectares 1625 – commune dont il est conseiller municipal depuis 1919 et maire depuis 1921. « Dirigeant d’un cercle rouge […], il militait au sein du Parti socialiste SFIO et fut délégué au congrès fédéral de Toulon, les 9 et 10 février 1924 ». Conseiller d’arrondissement depuis 1923, il est un membre fondateur de la Caisse locale de crédit agricole et de la mutualité en 1921, administrateur de la coopérative vinicole "La Fraternelle" à Rougiers, et participa à la fondation de la distillerie coopérative de Saint-Maximin en 1931. Il suit les élus socialistes varois au Parti socialiste de France lors de la scission de la SFIO en 1933, sans rompre avec la SFIO et en conservant de bons rapports avec les communistes varois. Il participe au « rassemblement du Comité des petits vignerons, à Brignolles, d’initiative communiste (CGPT), le 17 novembre 1935 », qui marque son retour dans le giron de la SFIO. « Sous le Front populaire, Henry vit son rôle dans les organisations corporatives départementales augmenter » 1626 : membre fondateur de la Caisse régionale de la mutualité sociale agricole en 1931, il entre à la chambre d’agriculture en 1936, sur les listes des élus au suffrage des agriculteurs 1627 et en devient le vice-président. Dès sa création, en 1936 également, il préside le Comité départemental des céréales. En 1937, il siège au conseil d’administration de la Fédération des coopératives vinicoles du Var. « Comme responsable de la section agraire, selon le rapport au congrès de la Fédération socialiste SFIO en 1937, il intervint comme orateur "paysan" dans de nombreux rassemblements en 1938. Son autorité le fit désigner par le préfet, le 14 février 1938, comme membre de la commission de constatation des salaires normaux » 1628. Il est élu président de la chambre du Var en mai 1939 1629 : il a alors 49 ans.

Pendant la guerre, Victorin Henry est maintenu dans ses fonctions de maire. « Selon un rapport au comité fédéral de la SFIO, le 4 décembre 1944, il appartint un temps à la Légion dont il démissionna en 1941 » 1630. En avril 1942, il est désigné pour faire partie du CROC du Var et confirmé dans ces fonctions par la nomination officielle du 11 mai 1942, en dépit du document le présentant comme « vice-président de la chambre d’agriculture » 1631 – alors qu’il en est le président. Le 27 octobre 1942, il est élu syndic adjoint de l’URCA du Var 1632, fonctions dans lesquelles il semble avoir été confirmé. Le 14 juillet 1943, « comme chaque année, avec les élus municipaux, il déposa une gerbe au monument aux Morts de Rougiers [et] fut interpellé, le lendemain, avec son premier adjoint, par les Italiens et gardé à vue à Tourves, une nuit » 1633. Il n’est pas syndic de Rougiers au 15 août 1943 mais est en revanche réélu syndic adjoint de l’URCA du Var le 29 décembre 1943 1634. Un mois plus tard, il est nommé membre de la chambre régionale d’agriculture de Marseille 1635. « Selon le comité fédéral du 4 décembre 1944, il resta en contact avec la section clandestine du Parti socialiste. Résistant comme responsable du groupe local de l’ASORA, il forma une équipe de réception de parachutages (SAP). En mars 1944, il reçut chez lui Arnal (voir ce nom) et Sarie. Responsable du groupe local FFI-Libération il hébergea un des adjoints du colonel Gouzy, responsable de l’ORA-FFI du Nord-Ouest du Var, et participa aux combats de la libération avec son épouse, son fils et sa belle-fille » 1636 : aussi est-il maintenu « dans les rangs du Parti "avec regrets" par 10 voix contre 2 », tandis que le Comité départemental de Libération le confirma dans son poste de maire.

En 1945, il est vice-président du Comité départemental d’action agricole (CDAA) du Var 1637 et le 21 septembre de la même année, il est élu comme conseiller général, en tant que candidat SFIO 1638. En mars 1946, il est vice-président de la FDSEA du Var : selon le préfet d’alors, il n’a « conservé ses fonctions à la Corporation qu’en accord avec la Résistance et sur son ordre [et] a joué un rôle actif dans les mouvements de Résistance du Var » 1639. Son action est constamment rapprochée de celle d’André Bouis, viticulteur au domaine du Serre à La Motte, près de Draguignan, président de la chambre d’agriculture en 1937-1938, « républicain socialiste » 1640, délégué régional du CROC en mai 1942, puis syndic régional de l’URCA du Var de fin 1942 à la Libération, et enfin président du CDAA du département. Le préfet précise qu’il « n’a conservé ses fonctions de syndic qu’en accord avec la résistance et sur son ordre, [qu’il] a mené sous le régime de Vichy une action courageuse pour la défense des agriculteurs [et] s’est constamment efforcé d’entraver l’activité de l’URC toutes les fois que la tâche qui lui était confiée pouvait aboutir à mettre la production des campagnes à la disposition de l’ennemi » 1641. Est-ce la volonté du préfet de maintenir les évènements dans les cadres d’une apparente nouvelle normalité, de donner une explication rassurante et de bon aloi à une continuité qui peut déconcerter ? Les quelques aspects entrevus soulignent l’intérêt qu’il y aurait à restituer la chronologie fine des engagements au fil des années 1930 et 1940.

Selon Jean-Marie Guillon, « le domaine de l’organisation professionnelle est celui du partage des rôles, plus que celui de l’unité ». Il relève la double incapacité du milieu des dirigeants agricoles à « s’auto-épurer » : « l’organisation professionnelle agricole reste le domaine des socialistes, un domaine où même Vichy n’a pas réussi à battre en brèche leur influence. La majorité des 21 membres de la direction de l’Union corporative agricole du Var de 1943 – soit 11 d’entre eux – se retrouve dans le Conseil d’administration de la Confédération générale agricole (CGA) de juillet 1945. Le président départemental de la CGA n’est autre que le syndic agricole départemental de 1943 ». Tandis qu’André Bouis est qualifié d’« indéracinable chef de file du monde agricole », Victorin Henry est le « non moins inamovible animateur du mouvement viticole » : « dans ce domaine, la Résistance, c’est la continuité, la permanence de petits notables ruraux qui assurent au Parti socialiste quelques décennies de domination politique » 1642. Ainsi, le cas des Varois, pose une question d’histoire sociale, celle de la place des notables entre le local et l’État.

Notes
1624.

Arch. nat., F1a 4034 : Réponse des préfets à la circulaire n° 287 du Ministère de l’Intérieur sur la composition des fédérations départementales du syndicat des exploitants agricoles, février-mars 1946. Lettre du Préfet du Var, [mars 1946].

1625.

Arch. nat., F10 5041, archives de la Corporation paysanne, Unions régionales corporatives agricoles (suite), département du Var, [1941-1944], liste des membres du comité d’organisation corporative, 20 juin 1942.

1626.

Jean MAITRON et Claude PENNETIER [dir.], Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français… ouvrage cité, pp. 300-302.

1627.

Annuaire national agricole 1939.

1628.

Jean MAITRON et Claude PENNETIER [dir.], Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français… ouvrage cité, pp. 300-302.

1629.

Arch. APCA, CA Tarn et Var, 1949-1965, Liste des membres à la suite de l’élection de février 1939, commentaires de 1949.

1630.

Jean MAITRON et Claude PENNETIER [dir.], Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français… ouvrage cité, pp. 300-302.

1631.

Arch. nat., F10 5041, archives de la Corporation paysanne, Unions régionales corporatives agricoles (suite), département du Var, [1941-1944], liste des membres du comité d’organisation corporative, 20 juin 1942.

1632.

Ibidem, procès-verbal de l’assemblée constitutive du 27 octobre 1942.

1633.

Jean MAITRON et Claude PENNETIER [dir.], Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français… ouvrage cité, pp. 300-302.

1634.

Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, nouvelles listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1944.

1635.

Journal officiel de l’État français, dimanche 13 février 1944, Arrêté du 29 janvier 1944 relatif à la constitution des chambres régionales d’agriculture, pp. 477-480.

1636.

Jean MAITRON et Claude PENNETIER [dir.], Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français… ouvrage cité, pp. 300-302.

1637.

Annuaire national agricole 1945, p. 271.

1638.

Ibidem.

1639.

Arch. nat., F1a 4034 : Réponse des préfets à la circulaire n° 287 du Ministère de l’Intérieur sur la composition des fédérations départementales du syndicat des exploitants agricoles, février-mars 1946. Lettre du Préfet du Var, [mars 1946].

1640.

Jean MAITRON et Claude PENNETIER [dir.], Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français… ouvrage cité, pp. 78-79.

1641.

Arch. nat., F1a 4034 : Réponse des préfets à la circulaire n° 287 du Ministère de l’Intérieur sur la composition des fédérations départementales du syndicat des exploitants agricoles, février-mars 1946. Lettre du Préfet du Var, [sans date].

1642.

Jean-Marie GUILLON, La Libération du Var… ouvrage cité, pp. 99-100.