Encart biographique : Figures de présidents de l’entre-deux-guerre (suite)

Le 10 juillet 1940, au congrès de Vichy, Henri Léculier vota pour déléguer les pouvoirs constitutionnels au maréchal Pétain : il vécut les années suivantes « confiné à Chamrougier qui se trouvait en zone libre, s’occupant de son exploitation, de la mairie, et écoutant inlassablement la radio anglaise » 1729. Opposé à la politique de collaboration, qu’il jugeait comme une « trahison » 1730, il aurait été blessé d’être déclaré inéligible en 1944, décision qu’il considérait comme injuste, au vu de « l’attitude résistante qu’il avait observée pendant toute la durée de l’occupation, attitude que seuls son état de santé et son âge l’avaient empêché d’extérioriser davantage, par un départ hors de France ou au maquis par exemple » 1731. Nommé par le préfet le 10 octobre 1944 membre du comité départemental agricole (CDAA) destiné à liquider la Corporation paysanne, il refuse cette nomination et se contente d’assister à la première séance en novembre 1944. Réélu lors des élections municipales en avril 1945 – saisi d’office, le jury d’honneur le relève de l’inéligibilité le 25 mai –, il est également reconduit dans ses fonctions de président de la Caisse régionale de crédit agricole, mandat interrompu sous l’Occupation, tandis que le comité départemental du parti radical-socialiste tout juste reconstitué le réinvestit à l’unanimité à la présidence 1732. En 1946, il accepte de devenir président du Comité départemental des céréales 1733 et de l’Office agricole départemental créé par décret de janvier 1946 1734. Ce retour aux responsabilités est cependant de courte durée : souffrant d’une défaillance cardiaque grave, il donne sa démission de maire dès décembre 1946 et loue ses étangs, conservant toutefois son exploitation laitière 1735.

Louis Fernex de Mongex, président de la chambre d’agriculture de la Savoie depuis 1929, préside également, en 1939, le Comice de l’arrondissement de Chambéry et la Société centrale d’agriculture de la Savoie 1736. En février 1942, au moment de la création du Syndicat corporatif de Villard-d’Héry par Marius Donzel, actif chef de district savoyard, Louis Fernex devient, à 72 ans, syndic d’une chambre syndicale de dix membres 1737, dont il est le doyen – les autres membres ont de 22 à 53 ans. L’année suivante, il semble être demeuré dans ses fonctions 1738 et en janvier 1944, il est nommé membre de la chambre régionale d’agriculture « sur proposition des conseils des unions régionales corporatives du ressort de chaque préfecture régionale » 1739. Il décède le 16 octobre 1944, à l’âge de 74 ans 1740. Si Georges Rémond, président de la chambre d’agriculture de Seine-et-Marne, est absent des structures de la Corporation paysanne, et renonce en 1944, du fait d’une santé déclinante, à la présidence de l’Académie d’agriculture 1741, son successeur aux fonctions de vice-président de l’APPCA, Henri Decault, est présent dans la Commission d’organisation de la Corporation paysanne (COCP), au sein du Conseil national de Vichy et en tant que délégué responsable du CROC du Loir-et-Cher. Syndic local de Blois, il est cependant resté absent de l’URCA de ce département, dans des circonstances qui trahissent à la fois la volonté des dirigeants départementaux de 1942 d’écarter un homme 1742 et l’adhésion d’Henri Decault au projet corporatiste, et par-delà, à l’« idéal » vichyste 1743. Nommé membre de la chambre régionale d’agriculture d’Orléans en janvier 1944 1744, il est encore, en 1947, président de la Fédération nationale des producteurs de l’horticulture et des pépinières 1745 et décède quelques mois plus tard.

En 1940, Xavier Bernard devient président du comité départemental de la production agricole en temps de guerre et du groupement de répartition des produits indispensables à l’agriculture 1746. En mai 1941, il est nommé membre du CROC de la Vienne 1747 et élu l’année suivante membre de l’URCA de ce département 1748. Victor Boret commente cette période dans la continuité de celle des années 1930 : « dans ces fonctions, il s’est dépensé et se dépense sans compter, venant régulièrement à Poitiers plusieurs fois chaque semaine [en note : malgré les difficultés actuelles de transport], pour assister aux réunions et suivre les travaux des groupements agricoles et des nombreuses commissions départementales dont il est membre » 1749. C’est en 1943 que Xavier Bernard aurait fait « donation de la belle ferme de Venours (100 ha) et d’un capital de quatre millions (1942) au Ministère de l’Agriculture pour y faire une école et poursuivre ses champs d’expériences et de vulgarisation » 1750. « L’année suivante, il crée avec quelques amis, une association qui deviendra vite la Fondation Xavier Bernard dont il fera sa légataire universelle » 1751. Victor Boret semble considérer qu’alors Xavier Bernard est arrivé au faîte de sa carrière : « ainsi, par son action corporative et professionnelle (en particulier à la chambre d’agriculture), par les encouragements et l’appui accordés aux services agricoles, par l’exemple donné dans ses domaines, et surtout grâce aux visites annuelles des champs d’expériences, Xavier Bernard exerce depuis bientôt vingt ans, dans le département de la Vienne et même par-delà, dans toute la province du Poitou, une influence considérable sur les progrès de l’Agriculture » 1752. En décembre 1943, il est réélu membre de l’URCA de la Vienne, dirigée par les syndic régional et syndic adjoint, Marc Ferré et Raymond de Laulanié, membre et suppléant-délégué de la chambre d’agriculture 1753. En janvier 1944, Xavier Bernard est nommé membre de la chambre régionale corporative d’agriculture de Poitiers, en catégorie 1, soit parmi les membres choisis par les URCA 1754.

Si ce n’est que de manière détournée et éloignée de l’idéal vichyste que Xavier Bernard incarne le « retour à la terre » tant prôné, Victor Boret entend souligner le rôle joué par son héros dans son village natal de Saint-Sauvant, caractérisé par « ses actes de bienfaisance » 1755. Construction de mares-abreuvoirs, installation de pompes, « dons faits, sans distinction d’opinion, aux écoles publiques et privées, aux diverses associations de mutualité philanthropique, telle que l’Orphelinat des chemins de fer, l’Amicale des cheminots, l’Amicale des Agrivers (anciens élèves des écoles d’agriculture d’hiver) » 1756, construction d’une salle de spectacle dans laquelle sont données, en hiver, des séances de cinéma, et enfin organisation d’une « fête des moissons », avec défilé de chars et banquet, « associant sous les feuillages, les guirlandes et les tentures, les humbles artisans du travail journalier (hommes, bêtes et choses) à la réjouissance générale » 1757. Évergète et bienfaiteur, soucieux de « donner à la jeunesse de Saint-Sauvant de saines distractions, et égayer ainsi la vie un peu monotone de la campagne, facteur, on le sait, de l’exode rural », Xavier Bernard est un héros de Vichy : est-ce malgré lui ? On ne le sait : cela tient au projet plus ou moins conscient de l’ancien ministre Victor Boret, chantre du repeuplement des campagnes depuis les années 1920 1758, et on ne possède guère d’écrits ou de paroles transcrites de Xavier Bernard pour répondre à cette question. Dès 1945, on le retrouve mentionné comme président du Comité départemental des céréales de la Vienne, fonction qu’il occupait depuis 1936 1759. Il est absent de la FDSEA en 1945 et encore en 1946 1760, comme de nombreux autres anciens membres de la chambre d’agriculture de la Vienne passés par le Conseil régional corporatif de l’URCA 1761.

Qu’ils se soient ou non illustrés à la tête de l’APPCA comme dans d’autres organisations agricoles de premier plan dans les années 1930, ces présidents choisis au gré des sources ont en commun certains traits de leur trajectoire des « années troubles ». Leur confiance dans le maréchal Pétain et leur sympathie pour le gouvernement de Vichy ont pu être sporadique, mais elles se sont manifestées, et leur comptabilité avec l’idéal paysanniste de Vichy est assez marquante. Leur adhésion au projet corporatiste est beaucoup moins homogène, mais il est possible d’entrevoir, entre 1940 et 1944 comme ensuite, un même retrait de la part de ces septuagénaires : repli ou mise à l’écart, l’itinéraire de ces hommes sous l’Occupation et à la Libération raconte en quelques mots la situation des chambres d’agriculture et de l’APPCA après 1945, soit une institution endormie dont les présidents ne se sont illustrés comme tel ni au sein de la Corporation paysanne, ni au sein de la CGA. De fait, l’institution n’existe plus, puisqu’aucun acteur des années 1946-1947 ne s’en revendique, quand la rue d’Athènes et le boulevard Saint-Germain réactualisent leurs frontières au sein de la CGA et de la FNSEA montante.

Cette première partie relate une période touffue. Après la lente et laborieuse création de chambres d’agriculture qui ne convainquent ni les responsables politiques ni les dirigeants agricoles, alors qu’une grosse décennie de fonctionnement avait permis d’asseoir leur légitimité, elles sont finalement supprimées par le gouvernement de Vichy, non sans que leurs membres n’aient eu le temps de se compromettre dans les organisations corporatives mises en place par celui-ci. L’assemblée permanente, fondée à l’initiative de Joseph Faure, a encore une existence fragile à la veille de la guerre. Pourtant, la fréquentation de ses sessions est très importante, ses travaux s’intensifient et elles sont progressivement reconnues. Fonctionnant d’abord en tant que réceptacle des chambres d’agriculture, comme un outil à leur service, d’où une certaine dispersion, l’AP(P)CA change progressivement de visage à la fin des années 1930 : les convergences agrariennes, qui se lisent au fil des trajectoires comme dans la topographie du « milieu agricole parisien » et des préfectures de département, trahissent bientôt moins une cohabitation républicaine qu’une commune opposition au Front populaire. La radicalisation corporatiste de certains de ses membres n’empêche pas le ralliement à l’intervention de l’État, à travers l’ONIB. L’APPCA, supprimée en 1940, prive les présidents d’un lieu de concertation : si leur adhésion au projet corporatiste de Vichy n’est pas uniforme, elle concerne cependant au moins 75 des 90 présidents de chambre d’agriculture. Les traces d’une discipline collective sont trop rares et éphémères et la question reste ouverte : y a-t-il réelle atomisation, auquel cas cela rejaillirait sur le véritable sens de la fonction de président de chambre, comme une forme de notabilité identifiée et identifiable ? Après la Libération, il y a compromission dans la Corporation paysanne pour plus de huit présidents sur dix : est-ce à dire que par ricochet cela rend inimaginable toute velléité de reprise d’activité de la part des membres des chambres d’agriculture ?

Notes
1729.

Ibidem, p. 111.

1730.

Ibidem.

1731.

Ibidem, Plus tard, en 1945, Henri Léculier sera relevé de l’inéligibilité comme « ayant effectivement participé à la lutte contre l’ennemi ou l’usurpateur, [ayant notamment] accueilli à son domicile personnel de nombreux évadés ou réfractaires, [et] pour ce motif, [ayant] été l’objet de plusieurs visites et enquêtes de la Gestapo, [ayant] d’autre part, […] personnellement aidé et ravitaillé le maquis ».

1732.

Ibidem, p. 112.

1733.

Annuaire national agricole 1945.

1734.

Bernard BICHON, Paul-André et Frédéric BISCARRAT et Pierre LÉCULIER, « Les Léculier de Champrougier », article cité, p. 112.

1735.

Ibidem.

1736.

Annuaire national agricole 1939, p. 564.

1737.

Arch. nat, F10 5034, archives de la Corporation paysanne, Unions régionales corporatives agricoles (suite), département de la Savoie, [1941-1944], fiche d’homologation du syndicat de Villard-d’Héry, 15 février 1942.

1738.

Ibidem, Liste des syndics corporatifs, [c. août 1943]

1739.

Journal officiel de l’État français, samedi 28 août 1943, Arrêtés du 24 août 1943 relatifs aux chambres régionales d’agriculture, p. 2 266.

1740.

http://gw4.geneanet.org/index.php3?b=pierfit&lang=fr;p=louis;n=fernex+de+mongex

1741.

Paul DUMONT, « Georges Rémond, membre émérite (1872-1957) »… article cité.

1742.

Henri Decault est proposé comme « syndic régional d’honneur ». Arch. nat., F10 5010, archives de la Corporation paysanne, Unions régionales corporatives agricoles (suite), département du Loir-et-Cher, [1941-1944], procès-verbal de l’assemblée constitutive de l’URCA, 9 avril 1942.

1743.

« Après un échange de vues concernant la vie corporative des syndicats communaux, Monsieur Decault, délégué responsable, fait acclamer l’adresse suivante au Maréchal Pétain, chef de l’État français : "Les Syndics et les Chefs de districts représentant 285 syndicats corporatifs communaux et 297 communes rurales réunis le 8avril 1942, au Château de Blois en assemblée générale constitutive de l’Union régionale corporative de Loir-et-Cher prient Monsieur Pierre Caziot, ministre de l’Agriculture et Monsieur le Maréchal Pétain, chef de l’État d’accepter l’expression respectueuse de leur vive gratitude pour la charte corporative dont ils ont doté l’Agriculture française" ». Arch. nat., F10 5010, archives de la Corporation paysanne, Unions régionales corporatives agricoles (suite), département du Loir-et-Cher, [1941-1944], procès-verbal de l’assemblée constitutive de l’URCA, 9 avril 1942.

1744.

Journal officiel de l’État français, dimanche 13 février 1944, Arrêté du 29 janvier 1944 relatif à la constitution des chambres régionales d’agriculture, pp. 477-480.

1745.

Annuaire CGA 1947.

1746.

Victor BORET, Un homme, une œuvre…, ouvrage cité, p. 188.

1747.

Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, listes des Comités régionaux d’organisation corporative (CROC), [1940-1941].

1748.

Ibidem, anciennes listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1942.

1749.

Victor BORET, Un homme, une œuvre…, ouvrage cité, pp. 188-189.

1750.

Marc FERRÉ, « L’agriculture poitevine en deuil », dans La Vienne agricole, 15 janvier 1966.

1751.

http://www.poitou-charentes.inra.fr/glossaire/x/xavier_bernard_1873_1966

1752.

Victor BORET, Un homme, une œuvre…, ouvrage cité, p. 192.

1753.

Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, nouvelles listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1944.

1754.

Journal officiel de l’État français, dimanche 13 février 1944, Arrêté du 29 janvier 1944 relatif à la constitution des chambres régionales d’agriculture, pp. 477-480.

1755.

Victor BORET, Un homme, une œuvre…, ouvrage cité, p. 184.

1756.

Ibidem, p. 185.

1757.

Ibidem, p. 186.

1758.

Victor BORET, Pour et par la terre, Paris, Payot et Cie, 1921, 318 p. ; Victor BORET, Pour ou contre la terre (Industrie ou Agriculture ?), Paris, Librairie Hachette, 1929, 263-XXII p.

1759.

Annuaire national agricole 1945, p. 278.

1760.

Arch. nat., F1a 4034 : Réponse des préfets à la circulaire n° 287 du Ministère de l’Intérieur sur la composition des fédérations départementales du syndicat des exploitants agricoles, février-mars 1946. Lettre du Préfet de la Vienne, 26 mars 1946.

1761.

Voir infra. Chapitre 4. B. Marc Ferré, secrétaire 2299 496.