L’activation d’un réseau

Le 8 septembre 1948, Luce Prault évoque l’« adhésion formelle d’une quarantaine de chambres d’agriculture » 1861, soit une minorité d’entre elles. Quelques pistes vont dans le sens d’un durcissement de la stratégie de Luce Prault pour forcer la reprise d’activité des chambres d’agriculture. À l’occasion d’une interview qu’il donne à l’hebdomadaire gaulliste Carrefour. La semaine en France et dans le monde, « au sujet de l’impôt sur le capital », il écrit à Louis Salleron, qui fait désormais partie de l’équipe rédactionnelle de la revue Fédération 1862. On peut être surpris de constater que Luce Prault s’adresse à Salleron en l’appelant « Mon Cher Ami », alors qu’ils semblaient séparés par de profonds désaccords en décembre 1940 : les anciens frères ennemis communieraient-ils dans l’anticommunisme ? Luce Prault profite de cette missive pour informer Louis Salleron « que les Chambres d’Agriculture et l’Assemblée permanente des Présidents des Chambres d’Agriculture manifestent la volonté de reprendre leur activité » et ajoute : « Une Assemblée des Présidents se tiendra à Paris le 24 novembre. Si cette question vous intéresse je serais bien heureux de vous rencontrer pour vous en parler » 1863. D’autres indices vont dans le sens d’une unification – peut-on parler de ré-unification ? – des élites au sein des chambres d’agriculture en pleine réapparition, qui serait pensée et assumée, motivée par des positionnements sociaux et politiques communs, qui prennent la forme d’un commun anticommunisme, de la peur des rouges à la crispation sur une domination sociale héritée et que l’on pense menacée par la rupture d’une part du consensus agrarien. Dans le numéro de novembre de la Renaissance agricole, un article que Luce Prault a vraisemblablement écrit au cours du mois d’octobre est un des indices principaux. Au nom de la FNPA, il rappelle : « Nous tenons à bien préciser que nous accordons une égale estime, une égale reconnaissance aux agriculteurs :

ceux qui, avant la guerre, avant la création de la Corporation Nationale Paysanne, au sein des Associations Agricoles, des syndicats, des coopératives, des mutuelles agricoles, des associations spécialisées, au sein des CHAMBRES D’AGRICULTURE ET DE L’ASSEMBLÉE PERMANENTE DES PRÉSIDENTS DES CHAMBRES D’AGRICULTURE se sont dévoués, sans compter, à la défense et à la représentation des intérêts professionnels agricoles.

ceux qui, dans le cadre de l’Organisation Corporative de l’Agriculture de 1940 à 1944, dans des circonstances que la présence de l’occupant rendait particulièrement difficiles, ont milité, courageusement pour la défense agricole

ceux qui, dans la CGA, depuis la Libération, ont lutté et luttent contre les emprises partisanes pour constituer une organisation professionnelle qui défende l’Agriculture »

Les principaux animateurs des instances de la Corporation paysanne sont notamment ceux visés par les mesures d’épuration contenues dans l’ordonnance du 12 octobre 1944, soit les membres de la COCP, du Comité permanent provisoire puis du Conseil national corporatif, ainsi que les syndics régionaux et syndics régionaux adjoints des URCA et leur personnel directeur. Parmi ceux-là, ceux qui ont été destitués de leurs fonctions dans les organisations d’avant le 2 décembre 1940, et n’ont pas été relevés de cette déchéance, sont logiquement écartés depuis la fin de l’année 1944, et pour une durée de cinq années 1864, c’est-à-dire que leur exclusion des organisations auxquelles ils appartenaient avant 1941 doit prendre fin dans l’année qui suit. On remarque surtout que tandis que les membres des organismes corporatifs sont collectivement réhabilités aux yeux de Luce Prault, ceux qui appartiennent à la CGA sont implicitement clivés en deux parties, et il n’est pas difficile de comprendre que ne sont reconnus que ceux qui défendraient l’apolitisme et l’unité paysanne, contre les menées des inféodés aux partis de gauche, accusés à demi-mot de diviser les agriculteurs en excluant les propriétaires non-exploitants de leurs organisations.

Toujours au nom de la FNPA, la prose de Luce Prault se fait ardente : « Nous réprouvons catégoriquement les éliminations, les exclusives, les épurations, les interdictions (indignité professionnelle !) dont la création, d’abord de la Corporation Paysanne, puis de la CGA, ont été l’occasion. Nous partageons pleinement le sentiment des victimes de ces mesures arbitraires alors que, ayant accompli tout leur devoir vis-à-vis de l’Agriculture, ils se refusent à une mesure d’amnistie. On n’amnistie que des coupables. Il reste que des injustices monstrueuses doivent être réparées. Elles le seront. Il reste aussi, et les documents ci-dessus en apportent la preuve, que l’Agriculture a besoin d’organisations et d’une représentation. Il faut, en premier lieu, DÉLIVRER l’Agriculture de l’emprise politicienne . Chacun a certes le droit, dans le domaine des conceptions politiques et sociales, d’avoir son opinion. Mais les organisations agricoles doivent cesser d’être, pour les agents de partis politiques, des instruments de partis politiques, quels qu’ils soient » 1865. On a vu que 22 présidents de chambre d’agriculture de 1943 faisaient partie de ceux que l’ordonnance du 12 octobre 1944 ciblaient comme faisant partie des dirigeants à épurer : l’appel de Luce Prault peut raisonnablement être lu comme un appel aux présidents épurés de leurs organisations, qui soit n’ont pas été tenus au courant de la teneur de la circulaire dordognaise, soit n’ont pas jugé bon de reparaître encore à la tête d’une organisation agricole. Parmi ces 22-là, effectivement, seul Georges Guillemot a adressé une réponse qui nous soit connue, et encore avec quelle circonspection. Ce faisant, Luce Prault se pose en conciliateur avec d’autant plus de facilité qu’il est resté en dehors de la Corporation paysanne : la question de la collaboration, par le biais de l’appartenance à un ministère du gouvernement de Vichy, n’est pas évoquée, quand elle se pose pourtant à propos de Jacques Le Roy Ladurie et de lui-même 1866.

La chambre d’agriculture de la Dordogne se réunit le 29 septembre, en présence d’Édouard Lacroix, président de la chambre d’agriculture de la Gironde et de Luce Prault. L’action de ce dernier semble cependant se situer sur un autre plan. On trouve la trace, dans les archives concernant la chambre d’agriculture du Pas-de-Calais, de l’une des réunions de propriétaires agricoles auxquelles il assiste et dont il est le principal orateur. Celle-ci se tient le 9 octobre 1948 à Arras, dans la grande salle de la Maison de l’agriculture. Il s’agit pour Luce Prault d’« invite[r] tous les membres présents à former un Syndicat de la Propriété agricole du Pas-de-Calais susceptible d’associer ses efforts à ceux poursuivis sur le plan national par la Fédération » : des statuts sont immédiatement adoptés et Pierre « Leclercq, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves, est, à l’unanimité, élu Président d’honneur, par acclamation » 1867. Ce dernier, membre de la chambre d’agriculture du Pas-de-Calais depuis 1933, a été membre de la COCP puis président du Comité de coordination des groupes spécialisés des productions végétales au sein du Conseil national corporatif en mars 1943. Outre la présidence de la CGB 1868, il est, en 1947, membre du conseil fédéral de la FNSEA au titre des associations spécialisées 1869. On comprend alors ce que les rapprochements de la FNPA avec les corporatistes peuvent drainer comme solides soutiens au sein des organisations les plus puissantes du moment. Le simple fait que cette note relative à la réunion du 9 octobre 1948 à Arras ait été classée dans le carton d’archives contenant la correspondance échangée avec la chambre d’agriculture du Pas-de-Calais pointe l’intrication des fonctions détenues par Luce Prault, formelles ou plus inorganisées : c’est bien le secrétaire général de la FNPA qui œuvre à la reprise d’activité des chambres d’agriculture, laquelle fait partie d’une stratégie pensée et cohérente de la FNPA. Le second volet du plan d’action de Luce Prault est déjà connu : il y insiste encore auprès d’Étienne Mineur, cosignataire de la circulaire dordognaise et secrétaire de la chambre d’agriculture de la Dordogne, l’assurant de ce que « la question de la reprise d’activité des Chambres d’Agriculture a accompli un grand chemin notamment grâce à tous les articles de journaux qu[‘il 1870 a] fait passer depuis quelques semaines » 1871. Enfin, il faut pointer son activisme dans la rédaction des projets de circulaires et des nombreuses lettres qu’il envoie partout en France, ainsi que des télégrammes qu’il semble avoir adressés au cours du mois d’octobre à certains présidents restés silencieux. Ainsi Xavier Bernard, président de la chambre d’agriculture de la Vienne, réagit à l’un de ces télégrammes : « J’ai bien reçu votre télégramme m’annonçant la reprise d’activité légale des chambres d’Agriculture. Toutes mes félicitations. Vous avez bonnes dents... » 1872

Comme le précise Abel Maumont dans une lettre datée de la mi-octobre, « pour toutes suites à donner tels qu’il a été convenu d’un commun accord à Périgueux et notamment pour une convocation des Présidents, à Paris, rue Scribe », les membres de la chambre d’agriculture de la Dordogne à l’origine de la circulaire du 26 juin entendent « laisser les directives » à Luce Prault, l’estimant « mieux placé que quiconque, sur place et possédant toute documentation utile, pour poursuivre [leur] action, en bonne voie » 1873. En Dordogne, la secrétaire administrative de la chambre d’agriculture, Melle C. Daniel, réceptionne désormais les réponses au questionnaire. Le 30 octobre, elle fait part de ses impressions à Abel Maumont en ces termes : « J’ai eu quelques échos, le vent est des plus favorables pour le rétablissement des Chambres, mais je crois qu’il faut se presser de battre le fer tant qu’il est chaud. Ici tout le monde n’est pas content de cela, c’est bon signe » 1874. Le 12 novembre, une circulaire, rédigée par Luce Prault et signée par Eugène Monjoin, Abel Maumont et Étienne Mineur, est adressée aux présidents de chambre d’agriculture. Ils sont ainsi informés que 64 chambres « ont exprimé l’avis que les Chambres d’Agriculture doivent reprendre leur activité comme par le passé ». Ils sont ensuite invités, en conformité à la décision prise lors de la réunion du 29 septembre, « 1. à convoquer [leur] Chambre d’Agriculture en session ordinaire légale avant la fin du mois de novembre. 2. à participer à la tenue à Paris de la session légale de l’Assemblée permanente des Présidents des Chambres d’Agriculture qui se tiendra mercredi 24 novembre 1948 à 9 heures précises Salle du M usée S ocial , 5 rue Las-Cases (Métro Solferino) » 1875.

À la date du 31 octobre ce sont donc 62 à 64 chambres d’agriculture, selon les sources, qui auraient répondu à la circulaire. Les chambres d’agriculture qui comptent parmi ces deux gros tiers de chambres ayant réagi à l’appel de la chambre de la Dordogne sont réparties sur l’ensemble du territoire, tout au plus peut-on pointer une moindre réactivité dans les zones contrôlées avant 1940 par les grosses unions régionales de syndicats, Nord-Pas-de-Calais, Bretagne, Sud-Est, sans que cela soit très net 1876. Quelques réactions arrivent encore début novembre qui ne sont guère encourageantes. Le président de la chambre d’agriculture de l’Ariège donne un « pouvoir en blanc » à Luce Prault pour représenter la chambre le 24 novembre, lui-même et ses collègues se récusant, pour indisponibilité ou « en raison de leur âge avancé » 1877. L’épouse de Roger Rouvière, président de la chambre d’agriculture du Gard, écrit pour informer Luce Prault de la « mort subite de [s]on mari » et s’engage à essayer « de voir quelques amis de [s]on mari, afin que le département du Gard reprenne rang parmi [les présidents de chambre d’agriculture] comme par le passé, mais bouleversement dans notre midi depuis 1944 ! » 1878. Et c’est Mme Batbie qui apprend encore à Luce Prault le décès de son époux, président de la chambre d’agriculture des Hautes-Pyrénées 1879.

Dès lors, le 5 novembre 1948, Luce Prault prend l’initiative d’écrire « personnellement à quelques uns des Présidents des Chambres d’Agriculture qui [n’]ont pas répondu [au membres de la chambre d’agriculture de la Dordogne] et qui sont certainement d’accord » 1880. Une dizaine de lettres identiques sont ainsi envoyées le jour même, signées de Luce Prault, au nom de l’APPCA, ce qui laisse penser que ce dernier escompte que certains présidents sortiront de leur réserve devant son insistance, quand ils étaient méfiants face aux signatures dordognaises. Les présidents joints sont ceux de l’Ardèche, de l’Ariège, du Cher, du Gers, de la Marne, du Morbihan, de l’Orne, du Bas-Rhin, de la Seine-et-Oise et de la Haute-Vienne. Ils sont informés de l’envoi des circulaires des 26 juin et 18 septembre « concernant la reprise d’activité des chambres d’agriculture » ainsi que des réponses positives de 64 chambres. Luce Prault poursuit ainsi : « Je suis bien persuadé que vous êtes aussi d’avis que les Chambres d’Agriculture doivent reprendre leurs travaux et je tiendrais beaucoup personnellement à ce que, dans la liste qui sera publiée, votre Compagnie n’apparaissent pas s’étant abstenue, ceci est d’autant plus important que l’Assemblée Permanente va se réunir à Paris le 24 novembre et que j’aimerais beaucoup à ce que vous y soyiez [sic] vous-même. Excusez-moi, Mon Cher Président, de cette lettre personnelle. Je ne sais pas si j’aurai à nouveau personnellement l’occasion dans l’avenir de m’occuper des Chambres d’Agriculture, mais j’avais le devoir, en souvenir de notre Président M. Joseph Faure et aussi de la bienveillance que vous m’avez toujours témoignée, de donner provisoirement mon concours à la Chambre d’Agriculture de la Dordogne pour la réussite de son initiative » 1881.

Ces rappels ont généré une abondante correspondance. Ces réponses, adressées à Luce Prault ont été conservées à l’APPCA et nous sont donc accessibles. Il en ressort d’abord un paradoxe : si beaucoup présidents donnent leur accord de principe, ils sont également nombreux à signaler leur impossibilité à se rendre à la session du 24 novembre 1948, et ce sont parfois les mêmes. Jacques Guilhem, médecin et ex-sénateur radical-socialiste, de ceux qui ont voté pour le 10 juillet 1940, était président de la chambre d’agriculture de l’Aude de 1931 à 1943. Absent des instances corporatives entre 1941 et 1944, il semble avoir été sollicité pour donner quelques conseils au CROC de l’Aude en 1941 1882. Qualifié sous l’Occupation de « conservateur ayant pris l’étiquette radicale pour assurer son élection », vu comme« un ami et un satellite de Sarraut » 1883, considéré à la fois comme favorable au Maréchal sous l’Occupation 1884 et comme ayant fait preuve à l’égard de la Résistance d’une « sympathie non agissante » par un informateur de la Libération qui estime néanmoins que « durant toute la durée de l’occupation il a eu une attitude très prudente qui lui a permis de conserver presque intacte sa popularité, notamment dans les milieux agricoles » 1885, il devient en 1945 président du Comité départemental des céréales 1886 et est vice-président de l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB) en 1947 1887.

Le 7 novembre 1948, il répond à Luce Prault en ces termes : « Vous n’en doutez pas, j’estime, tout comme vous, très désirable le fonctionnement nouveau des Chambres d’agriculture. Rien ne les a remplacées et [illisible : Dieu empêche ?] la politique de mettre le nez dans leurs élections, elles rendraient de bien plus grands services que les OAD. Dans leur sein fraterniseraient gros et petits exploitants, fermiers, métayers et propriétaires. Elles conseilleraient heureusement les pouvoirs publics et je reste convaincu que, avec elles, le statut du fermage et du métayage n’aurait pas été voté, surtout à l’unanimité !!! Mais je ne me rappelle pas avoir été saisi du voeu de la Chambre de la Dordogne : peut-être l’ai-je considéré comme platonique dans les circonstances actuelles ? ». Il conclut sur ces mots : « Le triptique [sic] sera ainsi recomplété [sic] avec les Chambres de Commerce et de Métiers. Nous serons même, de part [sic] notre mode d’élection les plus démocratiques des trois (puisque ce mot est le slogan actuel) et sinon nous, du moins nos successeurs, pourront faire du bon travail » 1888. C’est bien ce notable agrarien qui trouve en Luce Prault un interlocuteur complice, et révèle son hostilité méprisante à l’égard des dirigeants de gauche de la CGA. Au reste, Jacques Guilhem, dès 1946, est « âgé et malade [et] a pratiquement cessé toute activité politique » 1889 : à 74 ans, il ne semble guère envisager de conserver la présidence de la chambre d’agriculture de l’Ariège. Même ton las chez Henri Côte, président de la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme depuis 1927 et ex-syndic régional éphémère et déçu 1890 : « Hélas, je vais sur mes 76 ans et je n’ose écrire à Tézenas qui a franchi largement les 80 […] ; vous devez comprendre mon cher ami les difficultés s’additionnent pour un vieux comme moi, à la fin de sa vie et obligé à rester debout par des affaires trop nombreuses ». Il poursuit ainsi : « Il faut passer le flambeau aux jeunes et tout leur apprendre » 1891. Ce dernier point résume bien l’attitude de nombreux présidents de chambre d’agriculture, qui ne sont guère désireux de conserver un siège de président depuis longtemps abandonné, mais qui entendent exercer leur influence sur la passation de pouvoirs, dans une tacite et sourde aversion pour les tendances de gauche du syndicalisme agricole mis en place depuis 1944.

Henri Patizel, « grand céréalier de la Marne » 1892, président de l’Union agricole et viticole de la Marne depuis 1922 1893, président de la chambre d’agriculture de la Marne depuis 1927, a été élu sénateur en octobre 1932 et siège dans le groupe de la « Gauche démocratique » 1894. Au Sénat, « dès 1933, il intervient dans la discussion d’une interpellation de Maurice Viollette sur le prix des céréales, puis dans celle d’un projet de loi sur la viticulture et le commerce du vin [et] en 1934, il dépose une proposition de loi sur le marché du blé ». Il relaie ses interventions de parlementaire à l’APPCA, où il présente sept rapports sur l’organisation du marché des céréales entre mars 1933 et octobre 1938. Il devient le premier président de l’ONIB en 1936, à la présidence duquel il est réélu chaque année 1895. En juillet 1940, en tant que sénateur, il vote pour l’octroi des pleins pouvoirs au maréchal Pétain 1896 mais est néanmoins écarté de l’ONIB. Lucien Chaserant, rédigeant sa nécrologie, vingt ans plus tard, écrit : « en 1940, le nouveau régime l’écarta et il s’en sépara bien volontiers lui-même. Le regretté Albert Barré et moi-même, avions refusé de lui succéder » 1897. Absent des instances corporatives en 1941 et 1942, il est membre de l’URCA de la Marne en mai 1943 1898 et est nommé membre de la chambre régionale d’agriculture de Châlons-sur-Marne en janvier 1944 1899.

Ses collègues se souviennent : « Nous le revîmes à la Libération, plein d’ardeur et de foi malgré l’âge qui était venu » 1900. Il a 77 ans en novembre 1948, quand Luce Prault s’adresse à lui pour le convier à la session du 24 novembre, et est trésorier de l’Union nationale des coopératives agricoles de céréales et membre du bureau de la Fédération nationale des sinistrés agricoles 1901. Malgré son absence de réaction dans les semaines et mois qui précèdent, il se dit « partisan de la reprise d’activité des chambres d’agriculture » : « avec mon ami Faure un de nos arguments majeurs a toujours été qu’on devait à l’agriculture ce qu’on avait accordé depuis si longtemps au Commerce et à l’Industrie ». Il se montre toutefois réservé sur les possibilités de réussite de cette entreprise : « Je crains que les Jeunes ag. ne comprennent pas. La CGA existe et fonctionne. Elle est, dans certains milieux agricoles, considérée comme plus dynamique, en tout cas, plus à la mode, que nos vieilles Chambres d’Agriculture, plus académiques, dit-on. Il est vrai qu’ils ignorent les travaux de l’Assemblée des Présidents dont vous fûtes le Directeur compétent et avisé » 1902. Sa lettre révèle la circonspection de certains représentants des organisations du « boulevard Saint-Germain », telles qu’elles étaient désignées dans l’entre-deux-guerres, à l’égard de la CGA. Elle est émaillée des indices de la confiance accordée à Luce Prault, à qui l’on délègue sans ambiguïté le soin d’organiser la reprise d’activité des chambres d’agriculture, quand la motivation d’Henri Patizel semble peu ardente, et sa volonté de se rendre à la session du 24 novembre 1948 motivée surtout par « l’espoir d’y rencontrer de bons amis » 1903.

D’autres présidents sont plus circonspects : c’est le cas de Fernand Caquot, président de la chambre d’agriculture des Ardennes. Resté à l’écart des organismes corporatifs, mais nommé membre de la chambre régionale d’agriculture de Laon en janvier 1944, il est en 1947 membre du conseil d’administration de l’AGPB, pour la région de l’Est 1904. Tout en félicitant Luce Prault, il l’assure de sa présence le 24 novembre. Ses motivations sont claires : « j’ai été un des premiers à répondre à l’heureuse initiative prise par la Chambre de la Dordogne. Il est grand temps, comme je l’ai publié, de sortir de la gabegie actuelle ». Une certaine retenue se lit cependant lorsqu’il écrit, sur un ton discrètement interrogatif : « d’après votre télégramme, je comprends que les Pouvoirs Publics sont d’accord pour la réunion des Présidents » 1905. Lisant cela, Luce Prault griffonne un point d’interrogation dans la marge. Sa réponse est sans équivoque : « À la vérité, nous n’avons demandé aucune permission au Gouvernement. Les chambres d’Agriculture reprennent leur activité simplement dans le cadre de la loi. Si le Gouvernement y fait opposition, ce qui me surprendrai, il en prendra lui-même la responsabilité, mais je ne crois pas à cette regrettable éventualité » 1906. En faisant mine d’énoncer une évidence, c’est bien une stratégie que dévoile Luce Prault : il s’agit d’une volonté de mettre le gouvernement, et principalement le ministère de l’Agriculture devant le fait accompli d’une reprise d’activité attestée dans les faits. Certains présidents de chambre d’agriculture, notamment ceux qui ont exercé des mandats dans le domaine parapublic, à la jonction de l’administration et de l’organisation agricole de droit privé, comme c’est le cas de Fernand Caquot, président du Comité départemental des céréales en 1939 1907 et encore en 1945 1908, ne semblent pas très enclins à entrer dans une démarche qui n’ait pas l’aval des pouvoirs publics.

L’hostilité des organisations agricoles départementales à une possible reprise d’activité des chambres d’agriculture peut être un motif puissant de faire le déplacement à Paris le 24 novembre. Gaston Bernès, président de la chambre d’agriculture du Gers depuis 1938, président de la Société d’encouragement à l’agriculture du département ainsi que de la Fédération des syndicats d’élevage de la race bovine gasconne aréolée, à Auch, en 1939 1909, a été membre du CROC en novembre 1941, puis, proposé en 21e position pour composer le Conseil régional corporatif 1910, lors de l’assemblée constitutive de l’URCA en septembre 1942, il n’est pas retenu par la COCP et le ministre pour composer cette assemblée. En janvier 1944, il est nommé membre de la chambre régionale d’agriculture de Toulouse. En novembre 1948, en envoyant à Luce Prault « l’adhésion de la Chambre d’agriculture du Gers », il ajoute : « Tenez pour certain que je me rendrai à la réunion du 24 ct je vous mettrai au courant de la situation toute particulière de notre Département » 1911.

Par ces mots, qu’évoque Gaston Bernès ? Il le révèlera à ses homologues lors de la session du 24 novembre, lorsqu’il « expose que dans son département, le préfet a substitué, en 1944, aux membres élus de la chambre d’agriculture, des membres désignés par lui » 1912 Mais on peut également sans s’égarer avancer qu’il ne sied guère au président de la chambre d’agriculture que la FDSEA du Gers soit, depuis 1946, présidée par un communiste, que ses trois vice-présidents soient considérés comme « SFIO » par le préfet d’alors, ainsi que le sont tous les membres du bureau et la quasi-totalité de ceux du conseil d’administration 1913. La connivence feutrée entre Gaston Bernès et Luce Prault repose-t-elle sur un anticommunisme partagé ? C’est en tout cas ce que laisse supposer une partie du courrier échangé au cours de l’année 1949. Dans ces échanges épistolaires à caractère presque privé, l’apolitisme n’est plus de mise, notamment lorsque Gaston Bernès évoque la situation ainsi : « Nous avons contre nous tous les parlementaires puisque notre parti a été battu à toutes les élections. Les socialistes détiennent encore la majorité au conseil général avec Descomps comme président et la préfecture est à leurs ordres ». Plus largement, lorsqu’il évoque « la situation toute particulière de [son] département », Gaston Bernès ne pointe-t-il pas le fait que le reflux communiste et socialiste enregistré au niveau national – et qui a encouragé les velléités des partisans d’une reprise d’activité des chambres d’agriculture, on l’a vu –, ne peut être observé dans le Gers, où le renversement de la tendance doit donc être encouragé par « des instructions venues de Paris, oblige[a]nt tous ces gens-là à se mettre à notre disposition » 1914 ?

C’est souvent la combinaison de facteurs professionnels et politiques défavorables à la remise en fonctionnement des chambres d’agriculture et de situations personnelles critiques qui explique le refus des personnes contactées par Luce Prault de se rendre à la session du 24 novembre 1948 et d’envisager une session de la chambre départementale. On observe, dans nombre de départements méridionaux, des combinaisons de cette sorte. Marcel Pomier-Leyrargues préside la chambre d’agriculture de l’Hérault depuis 1939, date à laquelle il était également président de la distillerie coopérative de Baillargues et de la Fédération méridionale des distilleries coopératives 1915. Il a été membre de l’URCA de l’Hérault dès juillet 1942 1916. En novembre 1948, il admet avoir « complètement dételé ; mais [déclare suivre] avec une vive sympathie les efforts de ceux qui sont dans le collier car leur rôle est de plus en plus difficile, à cause de [la] situation économique, sociale et politique ». Aussi a-t-il transmis la convocation de Luce Prault à Maurice Chassant, président de l’OAD et de l’Union départementale de la CGA. Ce dernier est diplômé de l’École nationale d’agriculture de Rennes, promotion 1893 : devenu professeur de physique et de géologie à l’ENA Montpellier 1917, il est élu membre de la chambre d’agriculture de l’Hérault en 1939, au suffrage des agriculteurs. En novembre 1939, il accompagne Marcel Pomier-Leyrargues à la session de l’APPCA, où il se rend seul en mai 1940. Absent des organismes de la Corporation paysanne entre 1940 et 1944, il est cité comme président de la FDSEA de l’Hérault en 1945 1918, fonction qu’il occupe encore l’année suivante 1919. En 1947, il est membre des conseils d’administrations de la Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes et de la Fédération nationale des producteurs de fruits 1920.

Le premier, Marcel Pomier-Leyrargues, a 63 ans, tandis que le second a une dizaine d’année de plus au minimum. Si le président de la chambre s’en remet à son suppléant-délégué, ce n’est guère pour sa jeunesse. Plus, derrière les raisons de santé, on devine chez Marcel Pomier-Leyrargues un refus d’affronter les influents dirigeants départementaux de la CGA, avec lesquels des liens ont été tissés, et dont la légitimité depuis l’après-guerre est perçue comme incontestable. Quoique considérant que le fait d’avoir consulté Maurice Chassant « avait entravé [l’]adhésion » de la chambre d’agriculture, Marcel Pomier-Leyrargues tient à s’en remettre à cet « homme d’âge et d’expérience [qui] a un acquis très important : professeur à l’École d’Agriculture de Montpellier à la retraite. Il s’est beaucoup occupé des raisins de table, de leurs productions, et de leur écoulement. C’est le syndicat créé par lui qui les a revalorisé [sic] en moralisant les marchés » 1921. Par ailleurs, il anticipe sur la possible hostilité au projet qu’il suspecte « à la centrale des OAD 11 bis rue Scribe » : « Je me demande si dans ce milieu on a des sentiments sympathiques aux Ch. d’Agri. M. Chassant est assez arrêté et assez circonspect pour qu’il n’y ait pas de désagrément de ce côté, mais avez-vous, vous-même, un accès facile dans ces services nouveaux ? » 1922. On voit bien combien les raisons de santé évoquées pèsent de peu de poids face aux questions que soulève l’éventualité d’un réveil des chambres d’agriculture dans une configuration professionnelle et politique bouleversée. Maurice Chassant confirme les craintes du président en affirmant : « malgré l’affirmation du président de la Dordogne disant que les chambres peuvent coexister à côté de la CGA, je crois l’inverse : il y a déjà trop d’organisations et dans certains départements, c’est la grande bagarre ; de même à Paris, Fédération nationale et CGA n’ont pas suffisamment défini leurs rôles. Je crois que le moment est venu de procéder à une refonte générale de la structure de la Paysannerie » 1923.

La situation dans les Bouches-du-Rhône est infiniment complexe. Roger Ginoux, vice-président de la chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône depuis 1939, « assume [l]e poste » 1924 de président, depuis la mort de Victor Joly, président de la chambre de 1939 à 1943. Se présentant comme « secrétaire à la Propagande CGA Bouches-du-Rhône », Roger Ginoux invoque « la grave maladie de [s]a femme, tiphoïde avec complication cardiaque » et les délais trop courts, tout en laissant planer les sous-entendus sur son adhésion au projet de réunion des présidents de chambre d’agriculture et de reprise d’activité de ces dernières 1925. On verra que la réponse de Roger Ginoux peut également être le produit des tensions internes à la chambre d’agriculture d’une part, existant dans le champ des OPA buccorhodaniens et méridionales d’autre part.

Dans l’Isère, c’est Pierre Saint-Olive, suppléant-délégué de la chambre d’agriculture, ex-président de l’Union laitière du Nord-Dauphinois, qui répond à Luce Prault. Se disant « très partisan de la remise en route des Chambres d’Agriculture », il ne se considère « plus à même de [s]’en occuper dans l’Isère : [s]on état de santé exige[ant] des ménagements ». Réaction attendue de la part d’un dirigeant vraisemblablement âgé, demeuré absent des instances corporatives paysannes, sauf au niveau local, puisqu’il est syndic de Faverges en avril 1942 1926, et dont la seule activité repérée se joue au sein de la Société pomologique de France 1927, mais d’autres raisons semblent entrer en ligne de compte : « d’autre part, notre ancien Président, M. Ramel n’en est [pas] partisan ; il estime que la CGA suffit. Ce n’est pas mon point de vue. La CGA a un horizon trop borné : elle travaille pour le présent et non, pour l’avenir. Ce qui me semble proprement le rôle des Chambres d’Agriculture ». Ici le désaccord du président est un obstacle que l’on tente mollement de contourner en proposant d’envoyer à Paris, pour la réunion du 24 novembre, un autre membre de la chambre chargée de la représenter 1928.

Quelques présidents de chambre d’agriculture évoquent ouvertement auprès de Luce Prault les difficultés qu’ils éprouvent dans leur département, notamment leur destitution survenue après la Libération, quelle que soit la forme de celle-ci. André Rostand, président de la chambre d’agriculture de la Manche depuis 1933, ancien conseiller national de Vichy, ancien syndic local, régional et provincial, encore en fonctions en 1944, a été mis en résidence surveillée pendant trois mois après la Libération « pour sa sympathie à l’égard du Gouvernement de Vichy » 1929. En février 1946, toutefois, il est élu membre du conseil d’administration de la FDSEA de la Manche, tout en étant considéré comme « moins influent qu’avant et pendant l’occupation dans les milieux agricoles de son entourage » 1930. Il s’adresse à Luce Prault en ces termes : « Toutefois, je voudrais attirer votre attention sur mon cas personnel, peut-être unique. Sans avoir été le moins du monde prévenu, je me suis vu pratiquement retirer le peu de pouvoirs qui me restaient, un administrateur a été nommé à ma place, pour gérer les intérêts de notre compagnie. Celle-ci avait encore un encaisse, lors de la Libération, et en outre des immeubles pour lesquels nous aurions droit (dit-on) à quelque 12 millions de dommages de guerre. Enfin, du laboratoire très moderne que nous avions fait construire et doté d’appareils fort rares, même pendant l’occupation, restent quelques vestiges. Il y a donc peut-être des dépenses courantes à solder, notre secrétaire-administratif ayant survécu aux bombardements de Saint-Lô : mais à part cela, je ne sais rien. L’administrateur - un de mes bons amis d’ailleurs - n’en finit pas de répondre à des questions que je lui ai posées : je voudrais savoir qui m’a limogé, quand et comment. Sans doute le motif invoqué pour prendre cette mesure est-il le même qui motiva mon expulsion de la mutualité sociale agricole (arrêté annulé par le Conseil d’État), c’est-à-dire mes anciennes fonctions de Conseiller national, cela me paraît parfaitement illégal ». Il s’affirme toutefois « en droit de revendiquer [s]on titre présidentiel à l’assemblée du 24 », tout en jugeant « inutile d’évoquer cette histoire personnelle, au Musée Social » 1931.

Une telle confusion règne dans de nombreux départements, reposant notamment sur l’ambiguïté de la situation des chambres d’agriculture, dont on ne sait trop si elles existent encore et si les fonctions de leurs membres sont prorogées. Quand Luce Prault considère que « dans un certain nombre de départements le Ministre Tanguy-Prigent, irrégulièrement d’ailleurs, a substitué aux présidents des administrateurs provisoires », il fait fi des dispositions de l’ordonnance du 12 octobre 1944, qui décidait des critères d’épuration des dirigeants corporatifs, parmi lesquels figuraient des présidents de chambre d’agriculture, mais cette même ordonnance était elle-même assez floue sur le devenir des organisations agricoles, au-delà des situations individuelles. Il donne sans difficulté son assentiment, et même son soutien à André Rostand : « en tout cas, je vous donne l’assurance que vous êtes en droit de revendiquer votre qualité présidentielle et, par conséquent, de participer à l’Assemblée du 24 » 1932.

Autant de connivence se lit dans la correspondance échangée avec Pierre de Monicault. Celui-ci fait la réponse suivante : « Votre télégramme m’annonce une bonne nouvelle dont je me réjouis et je vous félicite bien cordialement du zèle avec lequel vous défendez vos idées malgré les risques qu’on pouvait redouter au début. Malheureusement je crains de ne pouvoir vous aider efficacement. Physiquement, je suis presque impotent, financièrement je ne suis pas plus brillant, et ma chambre d’agriculture a été plus durement touchée par les circonstances que les autres. Ajoutez à cela que je suis inéligible et que ne me suis pas donné la peine de faire effacer cette pénalité. Vous voyez quel maigre appoint peut vous apporter mon adhésion. Je ne pourrait pas aller à Paris le 24 novembre, et à tout hasard, je vous envoie un pouvoir en blanc, car je ne puis me faire représenter par quelqu’un de ma chambre, mon vice-président a été tué comme maire de sa commune, mon trésorier est exilé en Suisse sous le coup d’une condamnation à mort, et je n’ai pas de nouvelles des autres membres du bureau. Les communistes nous avaient bien soignés. Je vous adresse, mon cher Prault, l’assurance de mes plus amicaux souvenirs » 1933. Luce Prault fait montre de sa sollicitude, éludant les allusions à des opinions politiques qu’il partage pourtant, se montrant surtout préoccupé de rendre possible la réunion du 24 novembre 1948, et notamment la présence à celle-ci de suffisamment de représentants qualifiés pour atteindre le quorum : « hélas, les évènements qui se sont produits ces dernières années ont eu souvent des conséquences irréparables. Quoi qu’il en soit, il nous faut penser à l’avenir » 1934.

L’implication de Luce Prault est lisible notamment au volume de correspondance échangée. Alors qu’on ne retrouve dans les cartons d’archives qu’une quinzaine de lettres qu’il aurait rédigées entre juillet et octobre 1948 1935, à propos de la remise en fonctionnement des chambres d’agriculture, ce sont pas moins de 79 lettres signées de sa main qui ont été envoyées entre le 1er et le 23 novembre 1948. Précisons également qu’ont été retrouvées plus de 80 lettres dont le destinataire est explicitement Luce Prault, pour la même période des trois premières semaines de novembre 1948. Pris dans l’intense correspondance générée par la circulaire du 26 juin 1948, Luce Prault semble avoir consacré une grande part de son activité de novembre 1948 à l’organisation de la réunion du 24. On ne dénombre que treize départements, sur 90, pour lesquels aucune réponse n’a été trouvée, à la veille de la réunion organisée au Musée Social 1936. Une représentation cartographiée fait apparaître que les réponses les plus promptes sont venues des départements du sud, du Centre et de l’Est 1937. Même si toutes les réponses ne sont pas le témoignage d’un même empressement, on a vu qu’elles étaient rarement synonymes d’un catégorique refus. Aussi pouvait-on s’attendre à une représentation des chambres d’agriculture à la réunion du 24 novembre, plus ou moins liée au rythme des réponses à la circulaire du 26 juin. Il n’en est rien : la carte figurant la présence des présidents de chambre d’agriculture, ou de leurs délégués, à la réunion organisée au Musée Social le 24 novembre, laisse apparaître le phénomène inverse 1938. On observe que les présidents présents, peu nombreux – ils ne sont que 25 –, se comptent plutôt parmi ceux qui ont été les moins rapides à réagir à la proposition de reprise d’activité des chambres d’agriculture. Les présidents présents sont issus, à l’exception de cinq d’entre eux, des départements bretons, normands, picards, lorrains et du Nord et Pas-de-Calais. La question de la distance à Paris a pu jouer un rôle important, mais elle ne semble pas le seul facteur explicatif valable. 34 des présidents en fonctions en 1940 sont décédés. 31 autres sont dits excusés, parmi lesquels nombre de ceux qui, apportant leur adhésion de principe, ont fait part à Luce Prault et à Abel Maumont de leur incapacité à se rendre à Paris le 24 novembre 1948. La moyenne d’âge des présidents présents atteint 68 ans quand celle des présidents excusés est de 73 ans : au-delà de l’âge, des configurations locales multiples viennent éclairer le tableau.

Si quatre d’entre eux sont liés à l’AGPB – Georges Rémond, de Seine-et-Marne, en tant qu’ancien président de celle-ci, Fernand Caquot, des Ardennes, Jacques Guilhem, de l’Ariège, et Raymond Lefeuvre, de Loire-Inférieure, en tant que membres du conseil d’administration pour y représenter leur région 1939 – ils paraissent souvent sceptiques. Ainsi Georges Rémond écrit-il à Luce Prault : « Je ne manquerai pas d’assister à la réunion des Présidents des Chambres d’Agriculture, qui se tiendra à Paris le 24 novembre 1948. Mais je tiens à vous faire remarquer tout de suite que, contrairement à ce que vous pensez, je ne crois pas que la session de l’Assemblée permanente des Présidents des Chambres d’Agriculture soit légale. Mon opinion est fondée sur la teneur de plusieurs circulaires, dont celle du 2 mars 1944, dans laquelle il est spécifié "les chambres d’agriculture, départementales et régionales, sont supprimées à partir du 13 février 1944 et que seuls les présidents et agents comptables continueront à administrer les biens appartenant aux Chambres d’Agriculture » 1940. De façon évidente, les présidents des chambres d’agriculture présents sont des hommes d’hier : peu présents dans les états-majors départementaux et nationaux de la CGA et de la FNSEA 1941, ils sont cependant liés au syndicalisme. Sont-ils avant tout soucieux de faire perdurer un modèle, d’assister à une passation de pouvoir et d’y jouer un rôle ? C’est l’impression donnée.

Notes
1861.

Arch. APCA, CA Ille-et-Vilaine à Indre, 1949-1965, double d’une lettre de Luce Prault à Roger de La Bourdonnaye, le 8 septembre 1948.

1862.

Antonin COHEN, « De la révolution nationale à l’Europe fédérale. Les métamorphoses de la troisième voie aux origines du mouvement fédéraliste français : La Fédération (1943-1948) », dans Le Mouvement social, n°217-octobre-décembre 2006, pp. 53-72, p. 56.

1863.

Arch. APCA, CA Seine-et-Oise à Deux-Sèvres, 1949-1965, double d’une lettre de Luce Prault à Louis Salleron, le 17 septembre 1948.

1864.

Journal officiel de la République française, vendredi 13 octobre 1944, Ordonnance du 12 octobre 1944 déclarant nuls et de nul effet les actes et textes tendant à l’organisation corporative de l’agriculture, remplaçant l’ordonnance du 26 juillet 1944 relative au même objet, et prévoyant une organisation professionnelle provisoire de l’agriculture, pp. 924-926.

1865.

Luce PRAULT, « Des organisations… et une représentation agricoles » dans Renaissance agricole, 3e année, n° 11, novembre 1948, p. 1.

1866.

Il nous semble important de préciser que les archives concernant la chambre d’agriculture du Calvados sont particulièrement pauvres et laconiques. Ont-elles été expurgées ? Les courriers échangés ressortent-ils de la correspondance personnelle, au titre de l’amitié qui lient Luce Prault et Jacques Le Roy Ladurie ? Les discussions décisives ont-elles été tenues de vive voix, au cours de rencontres ou au téléphone ? La connivence entre les deux hommes se passe-t-elle d’échanges épistolaires sur le sujet des chambres d’agriculture ? C’est la limite de notre approche et il convient de pointer ces vides inhérents à la nature des sources.

1867.

Arch. APCA, CA Pas-de-Calais, 1949-1965, note dactylographiée intitulée « La propriété agricole s’organise dans le Pas-de-Calais », 9 octobre 1948.

1868.

Annuaire betteravier 1945-1946, p. 11.

1869.

Annuaire CGA 1947

1870.

Entendre Luce Prault.

1871.

Arch. APCA, CA Creuse à Dordogne, 1949-1965, double d’une lettre de Luce Prault, à Étienne Mineur, secrétaire de la chambre d’agriculture de la Dordogne, le 13 octobre 1948.

1872.

Arch. APCA, CA Vendée à Vienne, 1949-1965, lettre de Xavier Bernard, président de la chambre d’agriculture de la Vienne, à Luce Prault, le 12 octobre 1948.

1873.

Arch. APCA, CA Creuse à Dordogne, 1949-1965, lettre de Abel Maumont, vice-président de la chambre d’agriculture de la Dordogne, à Luce Prault, le 15 octobre 1948.

1874.

Ibidem, lettre de C. Daniel, secrétaire de la chambre d’agriculture de la Dordogne, à Abel Maumont, le 30 octobre 1948.

1875.

Ibidem, projet de convocation d’Eugène Monjoin, président de la chambre d’agriculture de la Dordogne aux présidents de chambre d’agriculture, début novembre 1948.

1876.

Voir Annexes. Dossier n° 14. Tableau 2 et Carte 1.

1877.

Arch. APCA, CA Ariège à Aube, 1949-1965, lettre d’André Joffres, président de la chambre d’agriculture de l’Ariège, à Luce Prault, novembre 1948.

1878.

Arch. APCA, CA Gard, 1949-1965, lettre de Mme Rouvière à Luce Prault, novembre 1948.

1879.

Arch. APCA, CA Basses-Pyrénées à Pyrénées-Orientales, 1949-1965, lettre de Madame Batbie au président de l’APPCA [sic], novembre 1948.

1880.

Arch. APCA, CA Creuse à Dordogne, 1949-1965, double d’une lettre de L. Prault à Abel Maumont, le 5 novembre 1948.

1881.

Arch. APCA, CA Ardèche à Ardennes, 1949-1965, double d’une lettre de Luce Prault, pour l’APPCA, à Jean de Montgolfier, le 5 novembre 1948.

1882.

Voir supra. Chapitre 3. A. Les CROC et leurs délégués, p. 291.

1883.

Arch. nat., F7 15484, Police générale. Dossiers des renseignements généraux : Personnalités décédées du monde politique, syndical, artistique et scientifique : dossiers individuels classés par n° de dossiers (1941-1974), dossier 2243 (Jacques Guilhem). Notice, sans date [1941-1944 ; autorités de Vichy]

1884.

Ibidem.

1885.

Ibidem, Notice, sans date [1945]

1886.

Annuaire national agricole 1945, p. 119.

1887.

Annuaire CGA 1947.

1888.

Arch. APCA, CA Aude, 1949-1965, lettre de Jacques Guilhem, président de la chambre d’agriculture de l’Aude, à Luce Prault, le 7 novembre 1948.

1889.

Arch. nat., F7 15484, Police générale. Dossiers des renseignements généraux : Personnalités décédées du monde politique, syndical, artistique et scientifique : dossiers individuels classés par n° de dossiers (1941-1974), dossier 2243 (Jacques Guilhem). Notice, sans date [1946].

1890.

Voir supra. Chapitre 3. B. Les chambres d’agriculture dans les organismes corporatifs à leur constitution, p. 317.

1891.

Arch. APCA, CA Orne et Puy-de-Dôme, 1949-1965, lettre de Henri Côte, président de la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme, à Luce Prault, le 16 novembre 1948.

1892.

Albert PIN, « Jean-Marie Parrel… », article cité, p. 130.

1893.

http://www.fdsea51.fr/presentation/repere_histo/reperes_histo1bis.htm

1894.

Jean JOLLY, Dictionnaire des parlementaires français… ouvrage cité, pp. 2616-2617.

1895.

Albert PIN, « Jean-Marie Parrel… », article cité, p. 130.

1896.

Jean JOLLY, Dictionnaire des parlementaires français… ouvrage cité, pp. 2616-2617.

1897.

Lucien CHASERANT, « Un grand défenseur et coopérateur paysan disparaît. Henri Patizel, premier président de l’Office du Blé », dans L’Agriculture sarthoise, le 19 mars 1960.

1898.

Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, nouvelles listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1944.

1899.

Journal officiel de l’État français, dimanche 13 février 1944, Arrêté du 29 janvier 1944 relatif à la constitution des chambres régionales d’agriculture, pp. 477-480.

1900.

Lucien CHASERANT, « Un grand défenseur et coopérateur paysan disparaît… », article cité.

1901.

Annuaire CGA 1947.

1902.

Arch. APCA, CA Manche à Marne, 1949-1965, lettre de Henri Patizel, président de la chambre d’agriculture de la Marne, à Luce Prault, le 9 novembre 1948.

1903.

Ibidem.

1904.

Annuaire CGA 1947.

1905.

Arch. APCA, CA Ardèche à Ardennes, 1949-1965, lettre de Fernand Caquot, président de la chambre d’agriculture des Ardennes, à Luce Prault, le 10 novembre 1948.

1906.

Ibidem, double d’une lettre de Luce Prault à Fernand Caquot, le 16 novembre 1948.

1907.

Annuaire national agricole 1939, p. 155.

1908.

Annuaire national agricole 1945, p. 113.

1909.

Annuaire national agricole 1939, p. 356.

1910.

Arch. nat., F10 5001, archives de la Corporation paysanne, Unions régionales corporatives agricoles (suite), département du Gers, [1941-1944], procès-verbal de l’assemblée générale constitutive de l’URCA du Gers, le 14 septembre 1942.

1911.

Arch. APCA, CA Haute-Garonne à Gers, 1949-1965, lettre de Gaston Bernès, président de la chambre d’agriculture du Gers, à Luce Prault, le 10 novembre 1948.

1912.

« Les chambres d’agriculture ont officiellement repris leur activité », dans Chambres d’agriculture, janvier-mars 1950, p. 3.

1913.

Arch. nat., F1a 4034 : Réponse des préfets à la circulaire n° 287 du Ministère de l’Intérieur sur la composition des fédérations départementales du syndicat des exploitants agricoles, février-mars 1946. Fiche individuelle transmise par le préfet du Gers, [mars 1946].

1914.

Arch. APCA, CA Haute-Garonne à Gers, 1949-1965, lettre de Gaston Bernès, président de la chambre d’agriculture du Gers, à Luce Prault, le 25 avril 1949.

1915.

Annuaire national agricole 1939, p. 634.

1916.

Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, anciennes listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1942.

1917.

Annuaire des ingénieurs agricoles1928.

1918.

Annuaire national agricole 1945, p. 172.

1919.

Arch. nat., F1a 4034 : Réponse des préfets à la circulaire n° 287 du Ministère de l’Intérieur sur la composition des fédérations départementales du syndicat des exploitants agricoles, février-mars 1946.

1920.

Annuaire CGA 1947.

1921.

Arch. APCA, CA Gironde à Hérault, 1949-1965, lettre de Marcel Pomier-Leyrargues, président de la chambre d’agriculture de l’Hérault, à Abel Maumont, le 13 novembre 1948.

1922.

Arch. APCA, CA Gironde à Hérault, 1949-1965, lettre de Marcel Pomier-Leyrargues, président de la chambre d’agriculture de l’Hérault, à Luce Prault, le 16 novembre 1948.

1923.

Arch. APCA, CA Gironde à Hérault, 1949-1965, lettre de Maurice Chassant à Luce Prault, le 21 novembre 1948.

1924.

Arch. APCA, CA Bouches-du-Rhône à Calvados, 1949-1965, lettre de Roger Ginoux, vice-président de la chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône, à Luce Prault, le 15 novembre 1948.

1925.

« Il faut un motif aussi important qui me frappe pour ne pas être des vôtres ». Ibidem.

1926.

Arch. nat., F10 5007, archives de la Corporation paysanne, Unions régionales corporatives agricoles (suite), département de l’Isère, [1941-1944], fiche d’homologation du syndicat de Faverges.

1927.

Guide national agriculture 1951-1952, p. 253.

1928.

Arch. APCA, CA Indre-et-Loire à Jura, 1949-1965, lettre de Pierre Saint-Olive, secrétaire de la chambre d’agriculture de l’Isère, à Luce Prault, le 14 novembre 1948.

1929.

Arch. nat., F1a 4034 : Réponse des préfets à la circulaire n° 287 du Ministère de l’Intérieur sur la composition des fédérations départementales du syndicat des exploitants agricoles, février-mars 1946, Lettre du préfet de la Manche, le 6 mars 1946.

1930.

Ibidem.

1931.

Arch. APCA, CA Manche à Marne, 1949-1965, lettre de André Rostand, président de la chambre d’agriculture de la Manche, à Luce Prault, le 12 novembre 1948.

1932.

Ibidem, double d’une lettre de Luce Prault] à André Rostand, le 16 novembre 1948.

1933.

Arch. APCA, CA Ain, 1949-1965, lettre de Pierre de Monicault, président de la chambre d’agriculture de l’Ain, à Luce Prault, le 13 novembre 1948.

1934.

Ibidem, double d’une lettre de Luce Prault à Pierre de Monicault, le 16 novembre 1948.

1935.

Sans compter les télégrammes dont nous n’avons pas de trace et ne pouvons donc estimer le volume.

1936.

Voir Annexes. Dossier n° 6. Tableau 2.

1937.

Voir Annexes. Dossier n° 6. Carte 1.

1938.

Voir Annexes. Dossier n° 6. Carte 2.

1939.

Annuaire CGA 1947.

1940.

Arch. APCA, CA Seine à Seine-et-Marne, 1949-1965, lettre de Georges Rémond, président de la chambre d’agriculture de Seine-et-Marne, à Luce Prault, le 17 novembre 1948.

1941.

D’après le dépouillement des annuaires (Annuaire national agricole 1945 et Annuaire CGA 1947) ainsi que des rapports préfectoraux (Arch. nat., F1a 4034 : Réponse des préfets à la circulaire n° 287 du Ministère de l’Intérieur sur la composition des fédérations départementales du syndicat des exploitants agricoles, février-mars 1946.