Réunion du 24 novembre 1948

La réunion du 24 novembre 1948 s’ouvre à 9 heures, au 5 rue Las Cases, à Paris, dans la salle qui avait accueilli la première réunion des présidents de chambre d’agriculture, le 24 octobre 1927, et les sessions des années 1928 et 1929. Abel Maumont ouvre la séance par un discours. Après avoir remercié les personnes présentes, il rend hommage aux disparus, notamment à Joseph Faure, décédé en avril 1944. Après une minute de silence, il résume ainsi les intentions de la chambre d’agriculture de la Dordogne, au nom de laquelle il parle : « Laissez-moi simplement vous dire que c’est de sa propre initiative, ayant en vue uniquement les intérêts de l’Agriculture, que la chambre d’agriculture de la Dordogne vous a demandé si vous étiez d’accord pour que les chambres d’agriculture reprennent leur activité légale. Les 86 réponses qui nous sont parvenues sont toutes affirmatives. Je vous en remercie. Il nous a semblé désirable, dans ces conditions, de vous prier de participer à la présente réunion pour que nous puissions examiner ensemble les moyens à mettre en œuvre pour la reprise d’activité de notre Assemblée permanente des présidents des chambres d’agriculture qui, précisément formée par toutes nos compagnies, est l’organe compétent pour intervenir auprès des pouvoirs publics. La chambre d’agriculture de la Dordogne a pris, d’autre part, l’initiative de demander à notre actif et dévoué ancien directeur, M. Prault, dont je n’ai pas à rappeler l’action féconde et heureuse, de nous apporter en cette circonstance le concours de son expérience et de son dévouement » 1942.

Après qu’Abel Maumont a été nommé président de séance par l’assemblée, Luce Prault est appelé au bureau. Son discours est plus long que celui du vice-président de la chambres d’agriculture de la Dordogne. Il donne sa vision de l’histoire des chambres d’agriculture, au gré des créations avortées du 19e siècle et depuis 1940, concluant que « les chambres d’agriculture, durant les quatorze années de leur fonctionnement, de 1927 à 1940, en liaison avec les organisations agricoles, spécialement syndicales, ont rendu de très grands services à l’agriculture [et que] la reprise de leur activité, associée à celle des organisations agricoles existantes, ne peut être que profitable à l’agriculture et au pays ». Ces préalables exposés, le premier à prendre la parole est Adrien Toussaint, vice-président et délégué de la chambre d’agriculture de la Haute-Saône, membre de celle-ci depuis 1927. Ce docteur en droit et avocat, administrateur de l’Union du Centre-Est des syndicats agricoles, dont il est devenu président au cours des années 1930 1943, a été très actif à l’AP(P)CA. Entre 1930 et 1937, il y présente 19 rapports portant sur le régime des mines domaniales de potasse d’Alsace. Il fait figure de spécialiste du droit des chambres d’agriculture, particulièrement sur le plan de leurs ressources. Membre du CROC de Haute-Saône puis de l’URCA du département dès mars 1942 et jusqu’en 1944, il est nommé membre de la chambre régionale d’agriculture de Dijon en janvier 1944. Après la Libération, il est vice-président de la Fédération nationale de la mutualité agricole et à ce titre membre de la commission nationale de la CGA 1944.

Le 24 novembre 1948, c’est lui qui d’emblée statue sur le fait « qu’au point de vue juridique, les chambres d’agriculture sont dans une situation précise et sûre, ceci découle non seulement de l’examen des textes qui les régissent, mais peut être déduit à contrario [sic]d’un projet de loi gouvernemental qui dispose des ressources des chambres d’agriculture et d’une proposition parlementaire qui tend à les supprimer : dans l’un et l’autre cas, c’est donc que l’on considère qu’elles existent toujours ». Cet aspect éclairci, il aborde l’autre aspect de la légitimité des chambres d’agriculture et de leur assemblée permanente : après celle de l’existence légale, se pose en effet la question de leur utilité sociale et de l’opportunité de leur réapparition aux côtés d’organisations agricoles transfigurées et d’un syndicalisme agricole en plein essor : Adrien Toussaint « termine par une profession de foi dans laquelle il déclare qu’à côté du syndicalisme libre, de la mutualité et de la coopération, dont il a été l’un des premiers artisans, il y a place pour les chambres d’agriculture qui libèreront justement le syndicalisme de certaines préoccupations qui ne sont pas les siennes » 1945.

Car c’est bien du côté des responsables syndicaux que des problèmes se posent. L’intervention d’Hervé de Guébriant l’illustre très clairement : « M. de Guébriant (Finistère) n’a pas répondu au questionnaire de la chambre d’agriculture de la Dordogne. C’est que, avant de le faire, il tenait à ce qu’aucune équivoque ne puisse subsister : la reprise d’activité des chambres d’agriculture ne doit pas être une cause de division de l’agriculture. Persuadé que la primauté revient au syndicalisme, M. de Guébriant demande quelles seraient les bases du "concordat" entre le syndicalisme et les chambres d’agriculture ? ». Président de la COCP en 1941, le puissant dirigeant de l’Office central de Landerneau a été syndic régional de l’URCA du Finistère et des Côtes-du-Nord, puis délégué général de la chambre syndicale, faisant fonction de président du Conseil national corporatif en mars 1943. Depuis la Libération et les mesures d’épuration qui l’ont frappé, Hervé de Guébriant est en situation de repli relatif. La décision prise en juin 1945 par le ministre de l’Agriculture, lui interdisant, pour cinq ans, de participer à la gestion, au conseil ou au contrôle de tout organisme agricole, a été annulée par le Conseil d’État en février 1948 1946 : dès lors, il est absent des instances nationales du syndicalisme et semble cantonner son action à la Coopérative agricole du Finistère et des Côtes-du-Nord 1947. On comprend ici combien la préoccupation des dirigeants syndicaux de défendre les positions du syndicalisme, voire de prévenir tout empiètement de la part de chambres d’agriculture qui frémissent à peine après une longue inactivité, ne découle pas d’une implication directe au sein des instances dirigeantes de la FNSEA.

Raymond Lefeuvre aligne sa position sur celle d’Hervé de Guébriant mais il lui semble « qu’il n’y a pas impossibilité au développement parallèle des chambres d’agriculture et des syndicats ». Il souligne une autre réticence, susceptible d’être partagée : « Il ne faudrait pas, d’autre part, que la résurrection des chambres d’agriculture soit considérée comme un réflexe de vieillards qui ne veulent pas désarmer ; toutefois il est vrai que, tenant leur mandat du suffrage universel, les membres des chambres d’agriculture ont reçu un dépôt sacré qu’ils doivent transmettre même s’il y avait pour eux un peu de ridicule à le faire ». En conclusion, il « propose la constitution d’un organe susceptible d’assurer la liaison effective et une collaboration efficace entre les chambres d’agriculture et les organisations professionnelles »  1948 . Raymond Lefeuvre, âgé de 57 ans, ingénieur agronome comme Hervé de Guébriant et Pierre Caziot, président de la chambre d’agriculture de Loire-Inférieure depuis 1933, a été membre de la COCP que présidait Hervé de Guébriant. Le second s’est opposé à la nomination du premier comme délégué général du CROC de Loire-Inférieure en 1941 1949. En novembre 1948, au Musée social, s’ils s’opposent, ce n’est que sur les modalités d’une reprise d’activité des chambres d’agriculture permettant de maintenir la primauté du syndicalisme agricole sur les autres types d’organisations.

Joseph Harent, président de la chambre d’agriculture de la Somme, confirme l’impression d’une coexistence permise par une connivence politique : il « croit qu’il n’y a pas du tout opposition entre le syndicalisme et les chambres d’agriculture. Il cite l’exemple de son département et la collaboration fructueuse qui a toujours été établie jadis entre la Chambre qu’il préside et les organisations présidées par M. Pointier ». Abel Maumont corrobore et « rappelle que, v-président de la chambre d’agriculture de la Dordogne, il fait partie des syndicats de la CGA » 1950. On touche là la complexité d’une situation en pleine évolution. Au niveau national, la CGA est phagocytée par une FNSEA conquérante et les dirigeants de gauche au sein de ces deux organisations perdent du terrain en même temps qu’ils perdent leurs appuis au ministère. Dans les départements, de multiples situations se rencontrent, qui expliquent les avis très contrastés des présidents de chambre d’agriculture, suivant que l’accord politique est possible avec les dirigeants de l’union départementale de la CGA et de la FDSEA de leur département. Ils sont nombreux à proclamer leur attachement au syndicalisme. C’est également le cas de Joseph Denoyés 1951 : pour lui les chambres d’agriculture doivent « promouvoir le progrès agricole et demander, en conséquence, à être chargées de cette mission ». Pour Jacques Benoist, ancien président de la chambre d’agriculture d’Eure-et-Loir, présent comme délégué de celle-ci, sénateur « gauche démocratique » de 1933 à 1939, qui a été syndic adjoint de l’URCA de son département puis vice-président du CDAA en 1945 et est en 1947 vice-président de l’AGPB et de l’Union nationale des coopératives agricoles de céréales, « appuyées sur les organisations de base, les chambres d’agriculture et l’Assemblée permanente des présidents pourront considérer les questions d’un point de vue plus élevé » 1952. Gustave Glangeaud, secrétaire et délégué de la chambre d’agriculture de la Haute-Vienne – remplaçant son président, Camille Grellier, malade – ancien conseiller général et président de comice, ancien président de syndicat local et de coopérative de battage 1953, « indique qu’à son avis les chambres d’agriculture ne travaillent pas sur le même plan que les Fédérations de syndicats d’exploitants agricoles. Les chambres d’agriculture n’ont pas, d’après lui, à défendre le prix du blé, au contraire, elles doivent donner leurs avis et leurs conseils sur l’équipement de l’agriculture et sur l’électrification, par exemple, ainsi il n’y aura pas de risques de double emploi entre les syndicats et les chambres d’agriculture ». D’autre part, « plusieurs présidents ou délégués soulignent qu’un conflit entre syndicats et chambres d’agriculture est illusoire puisque, lorsqu’il y aura de nouvelles élections, de nombreux et jeunes représentants du syndicalisme entreront dans les chambres d’agriculture » 1954.

De nombreux présidents de chambre d’agriculture s’interrogent sur la situation financière des chambres d’agriculture : Luce Prault leur confirme que les centimes additionnels sont toujours perçus et que les réserves des chambres d’agriculture, bloquées entre les mains des Trésoriers-payeurs généraux, pourraient être restituées après qu’une circulaire ministérielle l’ordonne aux préfets. Le sous-entendu est clair : il faut réunir les chambres d’agriculture pour hâter le retour à la « normalité » et provoquer la réaction des pouvoirs publics. La séance de 9 heures est levée et il se tient aussitôt une session extraordinaire, qui s’ouvre à 11 heures. Son but est d’abord d’élire un président. Est élu à l’unanimité Abel Maumont. Le cas mérite qu’on s’y arrête. Pour résumer, on peut dire que la reprise d’activité des chambres d’agriculture passe par le canal de l’APPCA : c’est à elle que l’on confie l’intervention auprès des pouvoirs publics, susceptible de rendre possible la remise en marche des chambres départementales. C’est le sens de la réunion du 24 novembre 1948. En choisissant Abel Maumont comme président, alors qu’il n’est que vice-président et délégué-suppléant de la chambre d’agriculture de la Dordogne, on fait un écart à la règle qui veut que l’APPCA soit présidée par un président de chambre d’agriculture élu par ses pairs, écart motivé par la nécessité de mettre en avant l’initiative dordognaise de réveil des chambres d’agriculture, amorcée par l’envoi de la circulaire du 26 juin 1948. Seul représentant valide et volontaire de cette entreprise, Abel Maumont, 71 ans, inaugure un nouveau genre de présidence, dont nous aurons l’occasion de détailler le caractère honorifique et en retrait.

Les membres du comité permanent général sont également désignés. Huit des titulaires du CPG de 1940 sont réélus, quoique quatre d’entre eux soient absents. Auguste d’Aldéguier fait partie de ceux-là, lui qui pourtant précisait à Luce Prault, le 14 novembre, qu’il ne pourrait assister à la session du 24 novembre 1948 : « D’ores et déjà je puis vous dire que tout ce que vous déciderez est approuvé d’avance, car personnellement il ne m’est pas possible d’aller à Paris assister à cette réunion, ma surdité me mettant dans l’impossibilité de prendre part à une discussion, je serais donc d’aucune utilité » 1955. Hervé de Guébriant et Jules-Édouard Lucas, vice-président et secrétaire de l’APPCA de 1928 à 1940, sont réélus. Des dix autres membres titulaire du CPG de 1940, deux qui sont absents ne figurent plus dans la liste des élus et huit autres sont décédés dans l’intervalle. Quelques susceptibilités sont ménagées en nommant, même parmi les absents, des suppléants. Parmi les nouveaux titulaires du CPG, on compte Adrien Toussaint, le spécialiste des mines domaniales de potasse d’Alsace, qui n’est pourtant que vice-président de la chambre d’agriculture de la Haute-Saône. On trouve aussi Georges Guillemot, à qui Luce Prault confiait dès août 1948 les desseins de la FNPA. On rencontre encore Jacques Le Roy Ladurie, ami de Luce Prault, président de la chambre d’agriculture du Calvados, dont le rôle très effacé dans la résurrection des chambres d’agriculture est un effet de source autant qu’un aspect de la réalité, l’homme se tenant coi pendant cette première session. C’est encore Raymond Lefeuvre qui est choisi, celui-là même qui proposait quelques minutes plus tôt, « la constitution d’un organe susceptible d’assurer la liaison effective et une collaboration efficace entre les chambres d’agriculture et les organisations professionnelles »  1956. Achille Naudin, délégué de la chambre d’agriculture de la Nièvre, en l’absence du président décédé, serait-il récompensé de son empressement à montrer sa capacité à réunir les membres de la chambre 1957 ?

Notes
1942.

« À Paris, le 24 novembre 1948. Assemblée des présidents des chambres d’agriculture », dans Chambres d’agriculture, janvier-mars 1950, pp. 4-6.

1943.

« Adrien Toussaint », dans Bulletin départemental de la Mutualité agricole, n° 176, janvier 1968, p. 7 ; « M. Adrien Toussaint n’est plus », dans La Côte-d’Or agricole, le 9 décembre 1967 ; Annuaire national agricole 1936 ; Annuaire national agricole 1938.

1944.

Annuaire CGA 1947.

1945.

« À Paris, le 24 novembre 1948. Assemblée des présidents des chambres d’agriculture », dans Chambres d’agriculture, janvier-mars 1950, pp. 4-6.

1946.

« Une sanction prise contre M. Budes de Guébriant annulée par le Conseil d’État », dans Le Monde, 13 février 1948.

1947.

Guide national agriculture 1951-1952, p. 136.

1948.

« À Paris, le 24 novembre 1948. Assemblée des présidents des chambres d’agriculture », dans Chambres d’agriculture, janvier-mars 1950, pp. 4-6.

1949.

Isabel BOUSSARD, La Corporation paysanne… ouvrage cité, p. 149.

1950.

« À Paris, le 24 novembre 1948. Assemblée des présidents des chambres d’agriculture », dans Chambres d’agriculture, janvier-mars 1950, pp. 4-6.

1951.

Voir infra. Chapitre 4. B. Joseph Desnoyés, vice-président, p. 493.

1952.

« À Paris, le 24 novembre 1948. Assemblée des présidents des chambres d’agriculture », dans Chambres d’agriculture, janvier-mars 1950, pp. 4-6.

1953.

Annuaire national agricole 1930, p. 256.

1954.

« À Paris, le 24 novembre 1948. Assemblée des présidents des chambres d’agriculture », dans Chambres d’agriculture, janvier-mars 1950, pp. 4-6.

1955.

Arch. APCA, CA Haute-Garonne à Gers, 1949-1965, lettre d’Auguste d’Aldéguier, président de la chambre d’agriculture de Haute-Garonne, à Luce Prault, le 14 novembre 1948.

1956.

« À Paris, le 24 novembre 1948. Assemblée des présidents des chambres d’agriculture », dans Chambres d’agriculture, janvier-mars 1950, pp. 4-6.

1957.

Achille Naudin écrit-il ainsi à Abel Maumont, en novembre 1948 : « Monsieur le Président et cher Collègue, J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre télégramme et de votre lettre contenant vos instructions et le bon de voyage de la SNCF. J’en ai fait part samedi à la réunion de la Société d’Agriculture, dont tous les membres de l’Ancienne Chambre font partie et c’est avec enthousiasme que l’Assemblée a acclamé l’idée de la remise en marche de la chambre. Je serai des vôtres à Paris le 24 novembre et suis d’avance à votre disposition. J’ai déjà, à défaut de nos chambres, réorganisé, dès 1944, la Fédération des Associations agricoles du Centre, qui groupe les Sociétés agricoles de dix départements où nous élevons la race bovine charolaise. Et cette Fédération assure l’unité d’action et de point de vue, pour nos concours départementaux de bovins charolais... », Arch. APCA, CA Moselle à Nièvre, 1949-1965, lettre de Achille Naudin à Abel Maumont, le 15 novembre 1948.