1949-1950 : remettre les chambres d’agriculture en ordre de marche

Début décembre 1948, Luce Prault adresse des courriers aux présidents de chambre d’agriculture, leur demandant de lui indiquer la composition précise de la chambre, notamment afin de lui permettre de leur adresser le compte-rendu de la réunion de l’Assemblée Permanente. Dès le 18 décembre, Henry de Rouville, dernier président de la chambre d’agriculture du Tarn, depuis 1936, âgé de 63 ans, fait part à Luce Prault de son refus catégorique de réunir la chambre d’agriculture. Il s’en explique en des termes extrêmement allusifs :

« Monsieur,

J’ai bien reçu vos diverses communications du 10 décembre. Je vous retourne inclus, dûment remplis, les imprimés concernant la composition de la Chambre d’Agriculture du Tarn.

Je dois vous déclarer qu’il n’entre nullement dans mes intentions de m’occuper de cette question pour le moment. Je ne préjuge pas de la décision que j’aurai à prendre si le Gouvernement décide de nouvelles élections ; mais je ne puis considérer comme opportune la réunion d’une Assemblée qui ne représente, en aucune manière, l’agriculture actuelle.

C’est ce que j’ai expliqué à mon ami d’Aldéguier  1996 lorsqu’il m’a demandé de le représenter à votre réunion à Paris, en évoquant cette parole célèbre de Saint-Paul : "Laissons les morts ensevelir leurs morts". Je n’aurais d’ailleurs personnellement aucun plaisir à me rencontrer dans une réunion avec un certain nombre de Collègues qui, pendant les évènements récents présents encore à toutes les mémoires, n’ont pas parlé le même langage que moi.

Pour toutes ces raisons et quelques autres encore, je vous demande de ne pas compter sur moi. Vous trouverez vraisemblablement dans la liste que je vous adresse les noms de mes collègues qui voudront bien se charger de ce travail.

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mes sentiments les plus distingués » 1997

On a eu l’occasion de présenter Henry de Rouville et de montrer le caractère exceptionnel de son engagement dans la Résistance 1998, précoce et extrêmement peu représentatif de l’action des autres présidents de chambre d’agriculture. Outre qu’elle redessine, en creux, la connivence tacite des refondateurs, sa réponse montre combien grand est le hiatus entre ceux qui considèrent, ou font mine de considérer, la période de l’Occupation et la Corporation paysanne comme une parenthèse, et ceux qui y voient un infléchissement net et rédhibitoire des trajectoires professionnelles et politiques des dirigeants des chambres d’agriculture. Comment déterminer ce qui motive les premiers ? Est-ce l’adhésion sans faille au projet corporatiste ? Celui-ci se serait-il maintenu au gré des difficultés rencontrées jusqu’en 1944 et de l’échec final ? Isabel Boussard montre bien qu’à l’heure du débarquement des troupes alliées sur les plages normandes et de la libération progressive du territoire, on rencontre encore de nombreux dirigeants nationaux et départementaux de la Corporation paysanne qui considèrent leur tâche comme devant être poursuivie et amplifiée. Mais là encore, l’opportunité qu’il y a à nier la dimension politique du projet de Corporation paysanne et ses accointances avec Vichy est-elle sans doute maximale entre 1944 et 1949. La nécessité vécue de ressusciter les chambres d’agriculture, qui passe par l’affirmation de la légitimité indiscutable des élus de 1939, accentue cette tendance à réduire la Corporation paysanne à une parenthèse apolitique. Mesurer l’urgence ressentie et assénée d’une reprise d’activité effective des chambres d’agriculture, n’empêche cependant pas d’en éclairer les non-dits, les ambitions contradictoires et les aspirations connexes, exceptionnellement lisibles au gré d’une correspondance qui, restant partiellement informelle, adopte le ton des confidences et des discussions plus ou moins clandestines.

Notes
1996.

Président de la chambre d’agriculture de Haute-Garonne depuis 1937.

1997.

Arch. APCA, CA Tarn et Var, 1949-1965, lettre d’Henry de Rouville, président de la CGA du Tarn et président de la Caisse Régionale de Crédit Agricole, à Luce Prault, le 18 décembre 1948.

1998.

Voir supra. Chapitre 2. B. Le cas Le Roy Ladurie : un cas-écran ou de réelles dissidences ?, p. 333.