Dès 1948, Luce Prault a sollicité l’avis et le soutien de ses connaissance et amis, dans le cadre du projet de remise en activité des chambres d’agriculture. En 1949 et 1950, il s’agit encore de prendre la température des milieux politiques et syndicaux. En janvier 1949, Luce Prault écrit à André Liautey, l’ancien sous-secrétaire d’État à l’Agriculture des cabinets Blum et Chautemps, de juin 1936 à avril 1938. Depuis la Libération, celui qui est maire et conseiller général de Port-sur-Saône, en Haute-Saône, a repris la présidence nationale de l’Union démocratique des Français indépendants et le secrétariat général du Syndicat national des bouilleurs de crus, ainsi que la présidence de la Confédération générale des contribuables de France et d’outre-mer. Des affinités politiques rapprochent les deux hommes qui semblent déjà avoir échangé des courriers – André Liautey aurait informé Luce Prault de la publication de certains articles hostiles aux chambres d’agriculture, notamment celui de Marius Rodot, président de l’Union départementale de la CGA du Jura – qui semblent faire de l’ex-radical socialiste 2069 penchant du côté des Indépendants, l’un des informateurs locaux du directeur des services de l’APPCA. Tous deux semblent d’ailleurs motivés par une même focalisation sur la menace soviétique : « Dans "L’Indépendant Français" du 15 janvier, j’ai lu votre article : "La trahison des Kerenskistes". Laissez-moi vous féliciter pour cet article courageux. On dit volontiers la souffrance ressentie par les Français qui, vivant à l’étranger, aspirent au retour vers la mère patrie. Je ne crois pas que cette souffrance puisse égaler celle qu’éprouve un Français qui, en France, assiste à la progressive destruction de la patrie. Mais il faut lutter et vous donnez un très bel exemple » 2070.
L’implication des Indépendants est d’ailleurs patente, notamment quand Luce Prault informe Georges Roux, ancien secrétaire adjoint de la chambre d’agriculture de Côte-d’Or, « qu’au moins un membre influent du Conseil Général de la Côte-d’Or attend d’être saisi d’une demande de subvention de la Chambre d’Agriculture de la Côte-d’Or » 2071, tout semble indiquer qu’il s’agit de Roger Duchet, conseiller de la République sous l’étiquette Républicain indépendant depuis 1946, et fondateur du Centre national des Indépendants, en 1948. Mais l’activation des réseaux politiques dépasse les limites de ce petit parti de 60 parlementaires. Abel Maumont rapporte à Luce Prault une intercession de Robert Lacoste, député socialiste de la Dordogne, auprès du ministre de l’Agriculture, Pierre Pflimlin : « Je reçois ce même jour de M. Robert Lacoste avec "sentiments dévoués" communication d’une lettre du Ministre de l’Agriculture dont le texte : "Monsieur le Ministre et cher Collègue, Vous avez bien voulu par lettre du 4 décembre 1948 appeler mon attention sur l’Assemblée Permanente des Présidents des Chambres d’Agriculture de la Dordogne [sic] qui désirent reprendre leur activité. J’ai l’honneur de vous faire connaître que, dès réception de votre lettre j’ai saisi mes services de cette affaire que je suivrai attentivement. Je ne manquerai pas de vous tenir informé de la décision qu’il m’aura été possible de prendre en la circonstance." […] Nouvelle eau bénite mais qui, je l’espère, ne sera pas jetée sur un cercueil mais bien sur une convalescente en bonne voie de prospérité » 2072.
Une lettre de Claude Thoral, député MRP du Cher, dévoile combien les élus MRP ont joué de leur impact dans les votes de l’Assemblée au-delà de la rupture du tripartisme, au sein de la Troisième force : « pour voir pratiquement les choses, vous n’être pas sans savoir que le groupe parlementaire auquel je suis inscrit pourra peser d’un gros poids sur l’avenir de ce problème. 1. Il suffit que nous laissions (et nous le ferons) les communistes et les socialistes seuls à voter le projet Guyon. 2. Il suffit que nous nous abstenions sur la loi qui ressuscitera les Chambres d’Agriculture pour qu’elle ne passe pas. Mais nous ne sommes pas des sauvages ; nous dirons à la CGA et aux Chambres d’Agriculture : mettez-vous d’accord sur vos attributions respectives et réalisez le maximum d’unité d’action ; élaborez un texte d’un commun accord et nous nous engageons à lui donner force de loi. Voilà comment les choses doivent se passer si la bonne volonté est réciproque entre les organismes. De notre côté, il y aura toujours le maximum de bonne volonté. Pour me voir à Sancoins, ce n’est pas facile, à part, généralement le lundi après-midi. Mais pour vous éviter tout dérangement, je m’efforcerai toujours de répondre à vos lettres d’une façon aussi claire et complète que possible » 2073. L’activation des réseaux peut également passer par certains des présidents les plus proches de Luce Prault, tels Henry Girard, directeur de la Librairie de la maison rustique, éditeur notamment des travaux d’Alfred Nomblot et de Jules-Édouard Lucas, dans l’entre-deux-guerres, président de la chambre d’agriculture de l’Oise, qui s’adresse ainsi au directeur de l’APPCA : « Vous ne manquez certainement pas de relations pour arriver au but, du côté de mon ancien camarade Paul Reynaud, de M. Petsch[e] et Laniel je puis, s’il en était besoin, vous apporter un modeste concours » 2074.
Des échanges épistolaires intenses se nouent entre Luce Prault et certains de ses interlocuteurs au cours des années 1948 à 1951. La plus abondante correspondance est sans doute celle d’André Pallier, qui entre mars 1949 et avril 1952 envoie pas moins de 38 lettres au directeur de l’APPCA. André Pallier, né en 1870, a été président de la chambre d’agriculture du Gard de 1928 à 1933 : cet ingénieur de l’École nationale d’agriculture de Montpellier, a été président de la Société centrale d’agriculture du Gard, avant 1927 et son entrée à la chambre d’agriculture. Président de la Fédération des sociétés d’agriculture du Midi et du Sud-Est et du Syndicat de défense des vins des Costières dans les années 1930, il est correspondant national de l’Académie d’agriculture pour la section des cultures spéciales en 1939 2075. Absent des instances corporatives sous l’Occupation, il n’en fonde pas moins une partie de sa complicité avec Luce Prault sur une condamnation d’une frange de la Résistance. En mars 1949, au début de leurs échanges de lettres, il évoque en effet « les évènements de 1944 ayant trait aux pillages, meurtres par de soi-disants maquis qui ensanglantèrent notre région qui causent une grosse émotion ». C’est encore la peur du « péril rouge »qui rapproche les deux hommes : André Pallier évoque le Méridional et le qualifie d’« organe de paix sociale anticommuniste ». Surtout, il est question entre eux de « notre Fédération », qui désigne sans doute aucun la Fédération nationale de la propriété agricole (FNPA), et de « nos idées du respect de la propriété privée ». Enfin, le président honoraire de la chambre d’agriculture du Gard termine sa missive sur ces mots : « continuez la lutte pour la révision du statut du fermage et du métayage qui est une invention communiste » 2076.
Les échanges se poursuivent de manière soutenue – environ une fois par mois – pendant trois ans. André Pallier devient l’oreille de Luce Prault dans le Gard et dans le Sud en général, son relais auprès des organisations locales susceptibles d’être favorables, ou point trop défavorables, et auprès des organes de presse où le directeur de l’APPCA chercher à placer des articles et encarts annonçant la remise sur pied des chambres d’agriculture. Le contenu mixte de ses lettres – professionnel, politique et privé – est significatif d’une complicité de longue date. Des sous-entendus émaillent le texte qui disent leur connivence. Ces accointances anciennes n’existent pas seulement avec les présidents de chambre d’agriculture.
Camille Robert, le secrétaire administratif de la chambre d’agriculture de la Haute-Loire depuis les années 1930 écrit une longue lettre à Luce Prault qui souligne l’engagement militant de certains administratifs des chambres, en écho à celui du directeur de l’APPCA : « Monsieur le Directeur et Cher Monsieur, Par l’Unité Paysanne (Directeur : M. Paul Antier, Député de la Haute-Loire, ardent avocat de la restauration de nos organismes) et le Journal de la France Agricole, j’ai été informé de l’effort résolu, sous votre active et compétente direction, en vue de la remise en activité de l’Assemblée Permanente et des Chambres d’Agriculture. Avec le souhait de disposer incessamment tout d’abord d’une adresse précise, pour la correspondance ultérieure, je prends la liberté, sur l’obligeante et pressante instance de notre ancien et sympathique secrétaire, M. Régis Souvignhec (Vous êtes sûrement au courant de la disparition tragique de notre regretté Président M. Néron-Bancel 2077 ), de solliciter auprès de vous, outre toutes informations d’ordre général (notamment, le plus d’exemplaires possible de votre récent historique sur les tribulations des Chambres, en texte in-extenso si possible). Les renseignements suivants, objet plus particulier des préoccupations de M. Souvignhec : 1. Représentation de notre Chambre d’Agriculture à la récente Assemblée (Délégué). 2. Procédure régulière et recommandations diverses en vue du retour au fonctionnement normal de notre Chambre. 3. Condition de récupération intégrale de notre splendide et important matériel (Détenteurs Successifs : Comité d’Action Agricole, puis CGA, et OAD). À la lumière de ma modeste expérience personnelle, j’ai souvent réfléchi, pendant ces cruelles années, à tout votre déchirement de coeur devant un sort inique, après le début si prometteur de vos magnifiques réalisations. Ma résolution en est d’autant plus ferme de tout faire dans l’extrême limite de mes moyens, pour parvenir à une réparation adéquate : me souvenant avec faveur de nos si cordiales et confiantes relations antérieures, je viens vous assurer de mon dévoûment le plus absolu et le mettre à votre entière disposition. Impatient de pouvoir utilement reservir farouchement notre cause commune, avec ma gratitude renouvelée, trop heureux de pouvoir à nouveau continuer de mériter votre précieuse amitié » 2078.
Dans l’Allier, en 1949 et 1950, après que le communiste Louis Dumont, président de l’UDCGA et de la chambre d’agriculture, a signalé qu’il entendait réunir les membres de cette dernière, Luce Prault semble avoir besoin de plusieurs interlocuteurs. Si la correspondance avec Marcel Édier, vice-président de la chambre d’agriculture de l’Allier sous l’Occupation et syndic adjoint de l’URCA de ce département 2079, est laconique et vise uniquement à contourner Louis Dumont, c’est auprès du baron Pierre Durye, président de la Société d’agriculture de l’Allier, que Luce Prault trouve son meilleur chroniqueur des péripéties bourbonnaises ; il écrit : « Je voulais depuis plusieurs jours vous mettre au courant de la question de la Chambre d’Agriculture de l’Allier. Ayant reçu des ordres écrits et précis du Ministère de l’Intérieur, M. le Préfet de l’Allier avait convoqué (pour lui faire approuver le budget 1950) la chambre d’agriculture sans les membres qui en avaient été exclus par le décret Daladier de décembre 1939. Ayant été informé (par qui ?) de cette réunion, les membres exclus s’y sont présentés avec leurs collègues. Le Préfet devant cette présence, n’est pas venu et la réunion n’a pas eu lieu. A la suite de ces incidents, M. Dumont a fait le siège de la Fédération des Exploitants, des Preneurs de B.R. [baux ruraux], du Crédit agricole, etc. et toutes les associations auxquelles il s’est adressé lui ont voté des résolutions affirmant qu’elles étaient entièrement d’accord avec lui et le soutiendraient jusqu’au bout. M. Dumont avait eu le tact de ne rien demander à la Société d’Agriculture de l’Allier dont il connaissait par avance la réponse négative ». L’entente dans l’anticommunisme est patente entre le baron Durye et Luce Prault sur la condamnation de la « soudure [qui] s’était faite entre toutes les personnalités marxistes ou apparentées comme en 1944 » 2080 et sur la complicité des élus MRP.
Les années 1949 et 1950 voient ainsi la réactivation des réseaux constitués par Luce Prault dans l’entre-deux-guerres 2081, souvent entretenus sous l’Occupation. À la lecture de la très volumineuse correspondance des années 1948-1952, il apparaît un élément-clé de la périodisation propre aux membres de ces réseaux plus ou moins informels et hétéroclite : dans les échanges, souvent à demi-mot, mais souvent aussi sous le signe de l’épanchement, propre aux conversations privées, l’année 1944 semble constituer une rupture plus décisive que celle de 1940, très peu voire jamais évoquée. Sans faire des alliés de Luce Prault des collaborateurs zélés 2082, il semble bien que l’ascendant des socialistes et des communistes à la Libération, auréolés de leur massive appartenance à la Résistance, ait constitué une rupture plus décisive pour ces hommes, rupture qui les conduit à communier dans l’anticommunisme le plus fervent. Les archives de l’APCA recèlent la trace d’une prise de contact entre Luce Prault et Alain de Chantérac dès novembre 1949 2083. En décembre de la même année, c’est l’ancien compagnon de route de Dorgères, alter ego méridional de Jacques Le Roy Ladurie 2084 – rappelons que les trois hommes se sont côtoyés sous l’Occupation, autour du ministre de l’Agriculture de l’été 1942, puis dans une timide Résistance – qui écrit à Luce Prault :
« Je suis entièrement d’accord avec le remarquable programme syndical que vous avez exposé et que vous voulez bien me communiquer. Voulez-vous me permettre de vous rappeler un point qui faisait déjà l’objet de nos méditations communes de la rue de Varennes en l’an de grâce 1942 et que j’aimerais vous voir repenser. Il s’agit de la liaison entre le syndicalisme et la coopération et la mutualité. Il est d’une part indispensable que le syndicalisme ne soit pas alourdi par une gestion quelconque de ces organismes pesants. Un tel fardeau risquerait ce qui fut vrai dans le passé et l’est encore dans le présent, d’alourdir tellement la machine syndicale qu’il lui enlèverait, en fait, toute liberté d’allures. Mais, s’il est désirable que le syndicalisme ne soit pas sclérosé par la gestion d’institutions économiques très lourdes, se bornant aux rôles essentiels et simples en somme que vous avez à si juste titre rappelés et revendiqués, il ne m’en paraît pas moins indispensable que des organismes comme la coopération et la mutualité, qui peuvent être si aisément les amorces du kolckhose [sic] futur, ne restent pas détachés de tout garde-fou doctrinal et exposés, par suite, à toutes les tendances "déviationistes", suivant la logomachie en vigueur, dont nous n’avons que trop d’exemples depuis la Libération. Je pense qu’il doit y avoir un lien institutionnel entre syndicalisme et coopération et que le syndicalisme gardien de la doctrine et animateur de la profession doit pouvoir exercer au moins une certaine tutelle sur ses prolongements économiques. Je suis certain que si vous pensez que ma suggestion a quelque intérêt, votre esprit subtil découvrira aisément la contexture à donner à ces liens institutionnels dont je me permets de souligner la nécessité. J’espère avoir le texte de la polémique qui vient d’opposer un agriculteur castrais M. de Blaye de Gaix, au sujet des chambres d’agriculture, à Haut et Puissant Seigneur de R. [Henry de Rouville] qui a trouvé la plaisanterie très mauvaise et l’a dit. Les crimes de lèse-majesté sont toujours cas pendables ! Si je peux avoir ces textes, je vous les communiquerai. Voulez-vous offrir mes hommages à Madame Prault et croire, cher Monsieur et Ami, à mes meilleurs et dévoués sentiments » 2085. Face au résistant Henry de Rouville 2086 comme face au communiste Louis Dumont 2087, les rangs se resserrent autour du réseau intime de Luce Prault.
Les années 1949 à 1951 sont aussi celles de la progressive émergence des conditions d’un rapprochement local à minima avec la CGA testé dans les départements par les agents du réseau de Luce Prault. André Pallier, Marcel Édier ou Camille Robert, comme beaucoup d’autres, sont chargés d’un informel sondage sur l’opportunité d’organiser des élections et sur ce qu’il en résulterait dans la composition de la chambre. Ainsi se lit le témoignage de la lente perte de vitesse de la CGA et de ses unions départementales, face aux menées de la FNSEA, aux mains des conservateurs 2088, en même temps que s’amorce le déclin de la Troisième force, dont le glas sonne en septembre 1951, au moment du vote de la loi scolaire Marie-Barangé et de l’opposition des socialistes au financement de l’enseignement privé. D’abord inimaginable – et la FNPA s’est créé en opposition à la CGA et à la FNSEA en 1945 –, puis progressivement envisageable, au fur et à mesure que les socialistes de l’aile gauche de la CGA et de la FNSEA y perdaient de l’influence, la possibilité d’un retour des chambres d’agriculture dans le champ des organisations professionnelles agricoles devient un élément à prendre en considération au cours de l’année 1950.
Les signes de ce que « l’utilité de leur résurrection n’était pas, après la guerre, évidente pour tout le monde » 2089, restent toutefois nombreux : Luce Prault pointe surtout le silence de la presse agricole à ce propos, l’opposition manifeste de la CGA et de la FNSEA, mais aussi le refus de l’Assemblée nationale de voter les crédits nécessaires à l’organisation d’élections, le 23 décembre 1950 2090. Trois propositions de lois déposées devant l’Assemblée nationale à l’automne 1949 sont également amplement significatives d’un climat majoritairement hostile 2091 : leur teneur importe, mais du fait qu’elles n’ont que rarement été débattues, il semble qu’il faille ici retenir surtout que ces propositions – tendant à empêcher la reprise d’activité de l’APPCA ou à limiter considérablement ses prérogatives et celles des chambres d’agriculture – émanent à la fois du parti socialiste, de la CGA et des syndicalistes de la FNSEA. De la part des responsables syndicaux, toutefois, la nouvelle de l’avis du Conseil d’État du 17 mai 1949 2092 suscite un revirement. À la fin du mois de juin, parlant au nom de la FNSEA, son président, Eugène Forget, déclare : « notre devoir n’est plus, selon moi, de réclamer sans espoir le maintien en sommeil des Chambres d’Agriculture, mais de pénétrer en leur sein et d’essayer de les conquérir » 2093. De même, en juillet, la CGA est amenée à considérer « que si les pouvoirs publics estiment utile l’existence d’un organisme habilité à recueillir des fonds publics en vue d’orienter le progrès agricole » 2094, il importe de repenser la question de leur réapparition – la CGA accorde toutefois sa préférence aux offices agricoles départementaux créés en 1946.
C’est encore largement par Luce Prault que la conciliation passe : devenu, en septembre 1950, délégué général aux questions sociales et techniques de la FNSEA, avant d’en être le directeur en avril 1951, le directeur de l’APPCA sert de tête de pont. C’est lui aussi qui orchestre rapprochements et rencontres entre les acteurs des deux institutions. Dès décembre 1948, il écrivait ainsi à Hervé Budes de Guébriant : « Les Chambres d’Agriculture, institution professionnelles représentatives des intérêts agricoles, sont une création législative qui s’impose à tous ceux que la loi classe comme appartenant à la profession agricole. Il y a donc une différence de nature fondamentale entre le syndicalisme et les Chambres d’agriculture. Le premier est une manifestation de la liberté, les secondes une création législative. C’est entre ces deux institutions, de nature différente, qu’il convient d’établir un concordat » 2095. En février 1949, il fait chaperonner Abel Maumont par les membres du Comité permanent général, lorsqu’il rencontre Eugène Forget, président de la FNSEA 2096. Les négociations qui préludent au modus vivendi des années 1950 restent peu connues, tant elles n’ont pas laissé de traces écrites. En juillet 1950, cette remarque laconique figure au bas d’une lettre adressée à Joseph Parrot, secrétaire de la chambre d’agriculture de la Gironde : « Je suis toujours en négociations avec la CGA et la FNSEA. Ces Messieurs sont vraiment très décevants » 2097.
Six mois plus tard, en décembre 1950, à Paris, le directeur de l’APPCA écrit à son président, en Dordogne : « je pense aboutir cette semaine à un protocole d’accord avec la CGA et la FNSEA » 2098. Dix-huit mois à deux ans de négociations ont été nécessaires pour parvenir à une entente. Un accord est signé le 8 février 1951, il codifie les rapports entre les chambres d’agriculture – et donc l’APPCA – et le syndicalisme, établit notamment que les chambres d’agriculture « ne se prononceront sur les demandes de renseignements et avis dont elles seront saisies par les Pouvoirs Publics qu’après avoir consulté les groupements agricoles intéressés ; [et qu’elles] orienteront leurs activités vers l’étude et la réalisation de projets d’intérêt général tel notamment : l’éducation professionnelle, le progrès technique, l’équipement individuel et collectif de l’agriculture » 2099. Des élections générales sont prévues, qui auront lieu en février 1952. Les conditions du réveil des chambres d’agriculture sont marquées par deux phénomènes : d’une part, l’état des troupes et leurs moyens d’action ont permis l’émergence du directeur de l’APPCA, ainsi que de quelques administratifs locaux, qui débordent de leurs fonctions et remplissent le rôle des équipes élues, défaillantes ; d’autre part, les négociations internes au champ des organisations professionnelles agricoles précèdent toute intervention de l’État, laquelle n’intervient que pour entériner un état de fait. Cela ne devrait pas être oublié lorsqu’il s’agit de considérer, tout au long des années 1950, les formes de crispation de l’APPCA sur une logique consulaire aux forts relents de corporatisme, ainsi que le développement technocratique de l’assemblée permanente comme des chambres d’agriculture.
Frédéric FOGACCI, « Des réseaux locaux à l’épreuve de la 5e République : l’exemple d’André Maroselli et de la fédération radicale de Haute-Saône », dans Histoire, économie et société, 2006, n° 25-1, pp. 109-129.
Arch. APCA, CA Rhône à Haute-Saône, 1949-1965, double d’une lettre de Luce Prault, directeur des services de l’APPCA, à André Liautey, L’Union démocratique de la Haute-Saône, le 18 janvier 1949.
Arch. APCA, CA Côte-d’Or à Côtes-du-Nord, 1949-1965, double d’une lettre de Luce Prault, directeur de l’APPCA, à Georges Roux, secrétaire adjoint de la chambre d’agriculture de la Côte-d’Or, le 23 avril 1949.
Arch. APCA, CA Creuse à Dordogne, 1949-1965, lettre de Abel Maumont à Luce Prault, le 16 décembre 1948.
Arch. APCA, Charente-Maritime à Cher, 1949-1965, copie d’une lettre de Claude Thoral, député du Cher à Luce Prault, « Monsieur le Président », le 7 janvier 1949.
Arch. APCA, CA Nord à Oise, 1949-1965, lettre de Henry Girard, président de la chambre d’agriculture de l’Oise, à Luce Prault, le 7 août 1948.
Annuaire national agricole 1930 et Annuaire national agricole 1939
Arch. APCA, CA Gard, 1949-1965, lettre de André Pallier, Président honoraire de la chambre d’agriculture du Gard, à Luce Prault, le 20 mars 1949. Voir la reproduction de ce document en Annexes. Dossier n° 6. Document 6.
À propos duquel il s’est écrit : « Accusé de collaboration, il fut exécuté, sans jugement, par les maquisards ». Gaston JOUBERT, Dictionnaire biographique de la Haute-Loire, Yssingeaux, Éditions "Per lous chamis", 1982, 398 p., p. 283.
Arch. APCA, CA Haute-Loire à Loiret, 1949-1965, lettre de Camille Robert, secrétaire administratif de la chambre d’agriculture de Haute-Loire, à Luce Prault, directeur de l’APPCA, le 14 décembre 1948.
Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, anciennes listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1942, nouvelles listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1944.
Arch. APCA, CA Allier à Basses-Alpes, 1949-1965, lettre de Pierre Durye, président de la Société d’agriculture de l’Allier, à Luce Prault, le 15 mai 1950.
Arch. APCA, Répertoire des chambres d’agriculture établi par Luce Prault, secrétaire de l’APPCA, 1938-1940. Voir Annexes. Dossier Sources et méthodes.
Paul Antier, le fondateur du Parti paysan, est le premier parlementaire à rejoindre le général de Gaulle à Londres en 1940. http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=161
Arch. APCA, CA Tarn et Var, 1949-1965, double d’une lettre de Luce Prault, directeur de l’APPCA, à Alain de Chantérac, le 24 novembre 1949.
Xavier WALTER, Paysan militant. Jacques Le Roy Ladurie…, ouvrage cité.
Arch. APCA, CA Tarn et Var, 1949-1965, lettre de Alain de Chantérac à Luce Prault, le 15 décembre 1949. Voir la reproduction de ce document en Annexes. Dossier n° 6. Document 7.
Voir supra Chapitre 3. B. Le cas Le Roy Ladurie : un cas-écran ou de réelles dissidences ?, p. 333
Voir supra Chapitre 3. C. Aux lendemains de la Libération : continuités et discontinuités, p. 369
Il ne nous semble pas qu’existe un meilleur récit de cet épisode que celui de Gordon WRIGHT, La révolution rurale en France... ouvrage cité, pp. 146-163.
Pierre MULLER, Le technocrate et le paysan... ouvrage cité, p. 38.
Luce PRAULT, Mort et résurrection des Chambres d’Agriculture, 1940-1952, Luçay-le-Libre, chez l’auteur, 1978, 17 f°.
Ibidem ; Gilbert DELAUNAY, Les Chambres d’Agriculture. Des origines à la refondation…, ouvrage cité, p. 12.
Documentation APCA, Chambres d’agriculture, janvier-mars 1950, p. 15.
Arch. APCA, FNSEA 1952-1956, Note, [sans date]. [note reprenant la chronologie des rapports de la FNSEA et de la CGA avec l’APPCA entre 1948 et 1951].
Ibidem.
Arch. APCA, CA Finistère, 1949-1965, double d’une lettre de Luce Prault, directeur de l’APPCA, à Hervé de Guébriant, le 6 décembre 1948.
« Je viens d’être avisé par M. Quenette, Directeur de la Fédération Nationale des syndicats d’Exploitants Agricoles que, comme suite à la visite que vous aviez rendue rue Scribe le 8 décembre, M. Forget, Président, et M. Blondelle, Secrétaire Général, désiraient vous rendre votre visite mercredi 2 février 1949 à 16 heures. M. Quenette m’ayant demandé où cette visite pourrait vous être rendue, j’ai répondu qu’il n’y avait entre l’Assemblée et la Fédération aucune question de prestige et que cette visite pourrait vous être rendue 11bis rue Scribe, ce qui a été convenu. Dans ces conditions, je viens vous demander de bien vouloir m’autoriser à convoquer le Comité Permanent Général pour mercredi 2 février à 9 heures du matin. Je pourrais alors vous rendre compte de l’état actuel des démarches que j’ai effectuées. Le Comité pourrait prendre toutes décisions utiles et désigner une délégation pour se rendre le même jour à 16 heures 11 bis rue Scribe. Je serais heureux de connaître vos impressions comme suite à la conversation que vous avez dû avoir avec M. Martin, président de la CGA, qui, lui, ne nous a donné jusqu’à maintenant aucune réponse à la visite que vous lui aviez faite ». Arch. APCA, CA Creuse à Dordogne, 1949-1965, double d’une lettre de Luce Prault, directeur de l’APPCA, à Abel Maumont, président l’APPCA, le 13 janvier 1949.
Arch. APCA, CA Gironde à Hérault, 1949-1965, double d’une lettre de Luce Prault, directeur de l’APPCA, à Joseph Parrot, secrétaire administratif de la chambre d’agriculture de la Gironde, le 24 juillet 1950.
Arch. APCA, CA Creuse à Dordogne, 1949-1965, double d’une lettre de Luce Prault, directeur de l’APPCA, à Abel Maumont, président de l’APPCA, le 5 décembre 1950.
Documentation APCA, « Accord national agricole du 8 février 1951 », dans Chambres d’agriculture, janvier-mars 1951, pp. 9-10. [signé par Pierre Martin, président de la CGA, René Blondelle, président de la FNSEA, et J.-E. Lucas, secrétaire de l’APPCA].