B. Les élections de 1952 : un second « retour des évincés »

Une institution profondément renouvelée ?

Dans tous les départements français, des élections sont organisées en février 1952, et pour la première fois depuis 1939 : sur 1962 membres élus, 504, soit 26 % environ, sont des membres sortants, reconduits dans leurs fonctions plus de treize ans après la précédente consultation des électeurs et par-delà la période de l’occupation, la suppression des chambres d’agriculture, la mise en place de la Corporation paysanne, sa liquidation, l’organisation des nouvelles structures professionnelles de la Libération, et enfin la refondation des chambres d’agriculture et de l’APPCA. Des 1452 membres des chambres d’agriculture de 1939 encore en vie à la veille des élections de février-mars 1952, 34 % ont donc été prorogés dans leurs fonctions de l’entre-deux-guerres par les électeurs. Si dans l’Aisne, les sept membres de 1939 prorogés dans leurs fonctions sont plus jeunes de dix ans, en moyenne, que ceux dont le mandat n’a pas été renouvelé, l’exemple de la Manche apporte le contrepoint puisque dans ce département les membres de la chambre de 1939 qui ont été réélus sont tout aussi âgés que ceux qui ne l’ont pas été.

Les trois quarts des membres sont de nouveaux venus : renouvellement important, sans précédent dans l’histoire des chambres d’agriculture dont la moitié des membres de 1939 étaient élus depuis les premières élections de 1927, mais mâtiné du souci plus ou moins affirmé suivant les départements de maintenir des « anciens » sur les listes. Les chambres des Alpes-Maritimes et du Lot sont les deux seules à être renouvelées intégralement, tandis que plus de 40 % des membres de 1939 sont réélus en Eure-et-Loir, Indre, Maine-et-Loire, Pas-de-Calais, Hautes-Pyrénées, Seine, Seine-Inférieure, Tarn-et-Garonne et Haute-Vienne 2100. Entre février et mai 1952, une session au moins est organisée dans chaque département, et on procède à l’élection des membres du bureau. Soixante départements sur 90 voient arriver à leur tête un nouveau président : en apparence au moins, le groupe des présidents formant l’APPCA incarne un compromis entre stabilité et bouleversement.

Le renouvellement s’accompagne d’un net rajeunissement de l’APPCA, la moyenne d’âge passe de 71 ans en 1951 à 57 ans en 1952. Les plus âgés des présidents ne sont cependant pas tous écartés : on compte certains de ces « " monstres sacrés " de l’agriculture, c’est-à-dire des responsables professionnels souvent âgés, de grande expérience au plan régional voire national [qui] se tiennent en marge des grandes décisions, mais pas tout à fait au dehors »  2101, tel Jean-Baptiste Martin, 90 ans, président de la chambre d’agriculture de l’Indre depuis 1931, président-fondateur de la Mutuelle agricole tourangelle 2102, qui incarne à la perfection ce type du dirigeant agricole souvent présenté de façon posthume comme étant à l’origine de toute l’arborescence des organisations professionnelles agricoles de sa région, un fondateur ex-nihilo, prosélyte et gestionnaire à la fois 2103. Ainsi, pour Jean-Pierre Prod’homme, opposer jeunes et vieux dirigeants n’a guère de sens puisque « dans une certaine mesure, les leaders en place sont une émanation de ces anciens et leur liberté d’action est partiellement bridée par la discrète présence de ceux-ci » 2104. Les moyennes sont de fait peu significatives, tandis qu’une partition en terme de génération apparaît plus éclairante. Onze présidents, soit 12 %, ont plus de 70 ans en 1952 et sont donc parvenus à l’âge des responsabilités avant la Première Guerre mondiale : ils ont connu le mouvement de développement exponentiel des syndicats et des coopératives, ils ont vécu les contrecoups des crises phylloxériques, le développement des caisses locales, puis régionales, de crédit agricole, la loi Viger de 1900 sur les assurances mutuelles, autant de « faits dateurs de génération » 2105 à considérer. Une quarantaine de présidents, soit 44 %, a entre 55 et 70 ans : les plus jeunes sont arrivés à l’âge adulte entre 1913 et 1918, et ont donc vécu la guerre en tant qu’appelés potentiels. Ils ont commencé leur carrière dans les années 1920 et 1930, à l’heure où sont créées les chambres d’agriculture, dans une atmosphère largement dominée par la crise économique et par la question du marché du blé d’une part, des assurances sociales, d’autre part. Enfin, une troisième génération peut être identifiée dans le groupe de 36 présidents qui ont moins de 55 ans, qui n’ont vécu la Première Guerre mondiale que comme enfants ou adolescents, qui ne peuvent être parvenus aux responsabilités que vers la fin des années 1930.

Concentrons-nous d’abord sur les mandats détenus au cours de la période mouvementée qui court de 1939 à 1952 2106. En partant à rebours, on constate que 39 % des présidents de 1952 appartenaient à la FDSEA de leur département en 1951, dont 21 (soit 23 %) en étaient les présidents. Treize des présidents qui siègent à Paris le 22 avril 1952 étaient membres du conseil fédéral de la FNSEA en 1947. 33 présidents sur 66, soit un sur deux, ont été identifiés parmi les membres des FDSEA en 1946, alors que seuls 14 l’étaient dès les premières élections de 1945. Plus massive a été la participation des présidents aux structures de la corporation paysanne : en 1944, 48 d’entre eux (soit 53 %) appartenaient à l’Union régionale corporative agricole (URCA) de leur département, dont seize en tant que syndic régional et douze en tant que syndic régional adjoint – soit donc 31 % aux postes dirigeants. 46 des présidents de 1952 étaient syndics corporatifs dans leur commune de résidence en août 1943. Quarante étaient membres de l’URCA dès sa constitution, soit suivant les départements, entre la fin de l’année 1941 et le début de l’année 1943 : dix en étaient syndics régionaux et onze syndics adjoints – soit 23 % aux postes dirigeants. Quatre d’entre eux ont été nommés pour siéger à la fois au sein de la commission de l’organisation corporative paysanne et du Conseil national de Vichy, en janvier 1941. Enfin, si seuls huit présidents de 1952 sur 90 occupaient déjà cette fonction en 1939, douze autres étaient membres du bureau dès cette date, et 32 appartenaient alors à la chambre en tant que simples membres : ainsi, 58 % des présidents constituant l’APPCA en 1952 ne sont pas nouveaux venus dans l’institution, du moins au niveau départemental. D’une façon générale, l’« ancienneté » des présidents est très largement supérieure à celle de l’ensemble des membres des chambres d’agriculture 2107 et cette délégation aux anciens de l’institution amoindrit considérablement l’effet du renouvellement des chambres dans le cénacle de l’APPCA. De même, si 17 % des membres de chambre d’agriculture de 1952 étaient membres de l’URCA à sa constitution, ils représentent plus de 44 % au sein de l’ensemble des 90 présidents formant l’APPCA. Les anciens membres des URCA sont plus présents dans les chambres d’agriculture d’une grande moitié Nord–Nord-Est de la France, avec un creux évident dans le Sud-Ouest du territoire métropolitain 2108

Parmi les élus de 1952, figurent 56 dirigeants de la Corporation paysanne considérés comme devant être destitués par l’ordonnance du 12 octobre 1944 2109 : 21 d’entre eux sont élus présidents d’une chambre d’agriculture en mai 1952, dont 14, les deux tiers, viennent d’être désignés à ces fonctions par leurs pairs. Tous sont entrés dans les chambres d’agriculture en 1939 ou auparavant. Ainsi, si 330 nouveaux membres sur 1463, soit 23 %, ont appartenu à l’URCA de leur département, aucun des nouveaux élus n’a été en position de premier plan. Si l’on veut proposer l’interprétation d’une APPCA lieu et occasion d’un second « retour des évincés », selon l’expression de Pierre Barral 2110, reprise par Isabel Boussard notamment 2111, il convient de la décomposer en plusieurs éléments. Comme cela a été vu, plusieurs dirigeants corporatifs influents au niveau départemental, régional ou national, au point d’être considérés comme devant être écartés à la Libération, sont réélus au sein des chambres d’agriculture en 1952, puisqu’ils y appartenaient dès avant 1939 : cet aspect de leur retour en grâce, pourtant visible, n’a pas toujours été remarqué, tout secondaire qu’il paraît comparé au retour qu’ils avaient déjà effectué au sein des organisations syndicales notamment, dès 1946 bien souvent. En poursuivant notre analyse à contre-courant, faisons observer que 316 anciens membres sur 1452 encore en vie sont repérés dans les pages du Guide national de l’agriculture dans son édition de 1951-1952, dont les informations datent d’avant les élections : 20 % auraient alors repris des fonctions dans les organisations agricoles. Seulement 9 %, soit 131 d’entre eux étaient déjà recensés entre 1945 et 1947, dans l’Annuaire national agricole daté de 1945-1946 ou dans l’Annuaire de la CGA de 1947.

Au total, 395 des anciens membres encore en vie à la veille des élections ont été identifiés comme responsables d’organisations professionnelles agricoles en 1945, 1946, 1947, 1951, soit 27 % d’entre eux : 242 seront élus en février-mars 1952 et représentent la moitié des membres sortants réélus. Pour eux, la réélection à la chambre d’agriculture est le parachèvement d’un retour opéré ailleurs. Mais quels sont ceux pour lesquels la chambre d’agriculture est l’unique lieu et la seule occasion réussie d’un retour, après le passage par la Corporation paysanne et le bannissement relatif qu’il entraîne ? Combien ne sont pas revenus avant 1952 ou ne reviennent que par le maintien à la chambre d’agriculture ? Les traces contenues dans les sources exploitées permettent de comptabiliser 553 individus parmi les membres des chambres d’agriculture élus en 1952 ayant appartenu aux instances corporatives. Parmi eux, 205 n’ont pas été identifiés dans les organisations agricoles des années 1945 à 1951 : 136 appartenaient à la chambre en 1939 et assurent leur retour par leur réélection, tandis que les 67 autres font ainsi leur entrée à la chambre d’agriculture. Parmi les premiers, Marcel Édier, de l’Allier, viticulteur à Saint-Pourçain et ancien syndic adjoint de l’Allier, partenaire de Luce Prault dans le contournement des communistes de la chambre d’agriculture, est élu président de la chambre d’agriculture dès mai 1952. Parmi les seconds, Yves Poulpiquet du Halgouet, ingénieur agronome entré à l’INA en 1930, membre du CROC du Morbihan en 1941 2112 et de l’URCA en mai 1942 2113, fait son entrée à la chambre d’agriculture en 1952, à l’âge de 42 ans : cependant il faut noter que depuis 1945 il était conseiller général du canton de Josselin 2114 et qu’en 1947 il avait été élu conseiller municipal de sa commune de Guégon 2115. Cas limite, le parcours d’Yves Poulpiquet du Halgouet n’en illustre pas moins la diversité des trajectoires de la Libération et leur lisibilité très partielle, entre retours souterrains et biais de sources qui n’informent guère que sur le sommet de l’iceberg des organisations agricoles.

38 présidents de chambre d’agriculture (soit 42 %) ont été élus pour la première fois en 1952 et deviennent présidents dans la foulée. Ce constat pose la question de leur légitimité, laquelle n’a pu être acquise au sein d’un cursus honorum interne à l’institution, au gré de l’accession aux fonctions de secrétaire, de vice-président, de délégué suppléant, étapes supposées d’une ascension idéale-typique qui reste théorique. Si cette légitimité a été acquise hors des chambres, quelles sont les fonctions qui peuvent être considérées comme les sésames de l’institution ? Deux sur trois ont eu des responsabilités dans la Corporation paysanne : au sein de l’URCA dès sa constitution pour huit d’entre eux, après son renouvellement de 1943-1944 pour sept autres, en tant que syndic corporatif local uniquement pour neuf autres. Tous sauf un ont eu d’importantes fonctions dans les organisations professionnelles agricoles depuis 1945 : si seuls huit d’entre eux sont recensés dès la constitution des comités départementaux d’action agricole, des FDSEA de 1945 ou des unions départementales de la CGA en 1946, une douzaine (32 %) apparaissent parmi les membres des bureaux ou conseils d’administration des FDSEA dès février 1946, et cinq sont à la têtes de structures nationales spécialisées affiliées à la CGA en 1947. Douze autres ne nous sont connus qu’à partir de 1951, au sein de la FDSEA pour cinq d’entre eux, mais aussi, à parts égales, dans les organisations du crédit, de la mutualité, de la coopération et des organismes spécialisés.

72 présidents sont recensés dans le Guide national de l’agriculture publié en 1951-1952 2116 : outre les 35 présidents qui sont membres de la FDSEA, 25 détiennent un mandat de premier plan au sein d’une des plus importantes coopératives du département, voire de très grosses coopératives interdépartementales, 18 sont à la tête de l’Union départementale de la CGA – dont les deux tiers « tiennent » aussi la FDSEA 2117 –, onze président la Caisse régionale de crédit agricole et dix celle de la mutualité, tandis que seuls cinq d’entre eux président une section départementale de l’Office du blé (ONIC). On note surtout l’importance numérique et relative des « présidents de fédés » et des coopérateurs – que les statuts de la CGA, en séparant strictement les secteurs syndical et économique, font davantage ressortir que pendant l’entre-deux-guerres, où syndicats-boutiques et coopératives se distinguaient moins aisément. Si les responsabilités professionnelles locales, communales ou cantonales sont rendues peu lisibles par cette source, l’envergure nationale de certains présidents est avérée : ainsi vingt d’entre eux sont responsables dans une quinzaine d’instances nationales sises à Paris. Six appartiennent au bureau de la CGA, treize au bureau ou au conseil d’administration de la FNSEA, quatre au bureau ou au comité permanent de la Fédération nationale du crédit agricole, deux au bureau de la Fédération nationale de la coopération agricole, deux à celui de la Fédération nationale de la mutualité et de la coopération agricoles, deux à celui de la Fédération des associations viticoles de France. Ainsi, quelques-uns des présidents qui constituent la nouvelle APPCA se côtoient au sein des principales organisations du début des années 1950. D’autres occupent des fonctions importantes au sein de la Fédération nationale de la mutualité agricole, mais surtout des associations spécialisées, de l’Association générale des producteurs de lin à l’Union nationale des coopératives d’élevage et d’insémination artificielle de l’espèce bovine, en passant par la Fédération nationale des producteurs de légumes et celle des coopératives agricoles de transformation de la betterave industrielle.

En se fondant sur les taxinomies professionnelles relevées 2118, outre l’écrasante majorité d’agriculteurs, on remarque surtout l’absence d’indication de l’orientation de l’exploitation, dans 71 % des cas : 39 des présidents sont dits « agriculteur » ou « cultivateur », 19 autres « propriétaire-exploitant » ou « exploitant agricole », deux « ancien agriculteur » et enfin quatre « propriétaire agricole ». Nous n’avons rencontré de taxinomies susceptibles de renseigner sur l’orientation de l’exploitation que pour 22 présidents : neuf sont dits « vigneron » ou « viticulteur », huit seraient « éleveur » et cinq « horticulteur », « maraîcher » ou « arboriculteur ». Indications floues, trop peu explicites pour renseigner même sur les modes de faire-valoir. Ces biais peuvent toutefois être contournés partiellement.

En se fondant sur les mandats professionnels exercés, notamment dans des organisations ou organismes spécialisés, il est possible de déduire au moins un aspect de ce à quoi est consacrée l’exploitation, dans 75 cas sur 90. On trouve ainsi dans les rangs de l’APPCA, suivant une répartition en cinq grands types de production : 33 présidents qui produisent notamment ou principalement des céréales, sept qui se consacrent à la culture des betteraves ou à leur transformation, 37 qui sont éleveurs, quinze maraîchers, horticulteurs, arboriculteurs ou producteurs de pommes de terre et enfin treize viticulteurs. Les combinaisons sont multiples et les producteurs de céréales qui sont aussi éleveurs sont plus nombreux que les seuls dix présidents qui ne semblent être que céréaliers. D’autre part l’implantation de ces derniers ne coïncide pas avec les zones de grande production céréalière, notamment le Bassin parisien. En revanche, les sept betteraviers sont issus des départements de l’Aisne, des Ardennes, de la Marne, de l’Oise, du Pas-de-Calais, de la Seine-Inférieure et de l’Yonne, principales régions betteravières 2119. Parmi les éleveurs, une analyse fine des intérêts divergents de ceux-ci ne paraît guère possible, mais il convient de noter que la production dominante ou du moins celle que défendent les présidents au sein d’organisations professionnelles spécialisées est indéniablement la production laitière.

Les présidents de chambre d’agriculture se revendiquent cependant peu comme des producteurs, préférant mettre l’accent sur leur qualité d’exploitant – terme lourd de sens au sein des organisations nées à la Libération et qui choisirent d’exclure les propriétaires non-exploitants – sans doute aussi pour se distinguer de leurs prédécesseurs à la tête des chambres d’agriculture de l’entre-deux-guerres, parmi lesquels figuraient de plus nombreux propriétaires rentiers, dont quelques avocats ou médecins. La présence d’un vétérinaire, d’un professeur d’agriculture et d’un ancien directeur des services agricoles, ainsi que d’un ancien fabricant de fers à bœufs et d’un ex-commissaire de police ne suffit guère à préciser cette assertion. Peu de représentants des sections de preneurs comme de bailleurs de baux ruraux au sein de l’APPCA – deux preneurs et deux bailleurs –, mais l’élection à la fonction de secrétaire de l’APPCA du seul d’entre eux qui soit détenteur d’un mandat national, Marc Ferré, président de la section nationale des bailleurs de baux ruraux de la FNSEA, est sans doute l’information la plus significative. En outre, neuf experts agricoles et fonciers, dont les responsabilités dans les évaluations des comptes et montants des fermages sont importantes, se côtoient à l’APPCA 2120.

L’appréciation de ce que l’on pourrait résumer par leur capital économique et capital social 2121 – emprise foncière, niveau de fortune, parentèle et réseaux familiaux, appartenance à la noblesse ou à la « bourgeoisie agricole » 2122, diplômes et formation, décorations – est extrêmement complexe dans le cadre d’une étude englobant tous les départements. Les éventuelles conclusions ne peuvent venir que de la lente et laborieuse collecte d’indices partiels et biaisés. Les portraits individuels de présidents de chambre seront à ce titre plus éclairants que l’énumération lacunaire d’informations elliptiques. Quelques impressions s’en dégagent qui peuvent ici être évoquées. Si les présidents de chambre sont tous grands exploitants, ils sont d’autant plus dominants dans les régions où la grande propriété a une faible emprise. Et une part non négligeable d’entre eux sont, à l’échelle de la France de cette époque, de grands fermiers : outre René Blondelle, qui exploite 250 hectares plantés en betteraves dans le Laonnois, citons Louis Rémond, président de la chambre d’agriculture de Seine-et-Marne, qui exploite 310 hectares au titre de locataire 2123, sans doute déjà en polyculture 2124, ou encore Jacques Benoist, fils d’un des illustres frères Benoist, grands fermiers d’Eure-et-Loir 2125. Sept présidents appartiennent à une famille noble aux titres reconnus 2126. Sept ingénieurs agronomes 2127 et six ingénieurs agricoles 2128 se côtoient à l’APPCA. Les décorés du Mérite agricole 2129 représentent au moins les deux tiers de l’effectif, tout comme ceux que distingue l’attribution de la Légion d’honneur.

Si nous n’avons pu dénombrer qu’une quarantaine de maires ou adjoints au maire ainsi qu’une dizaine de conseillers généraux 2130, nous pouvons affirmer que six présidents de chambre siègent au Conseil de la République, et trois à l’Assemblée nationale 2131 : un président sur dix est donc parlementaire au début du printemps 1952. Trois des conseillers de la République siègent aux côtés des « républicains indépendants », deux sont « socialistes », et le dernier est un ex-député radical-socialiste, l’un des « Quatre-vingts » qui votèrent contre l’article unique de la loi constitutionnelle le 10 juillet 1940. On constate moins d’amplitude idéologique au sein du petit groupe des trois députés : Jacques Le Roy Ladurie, ex-ministre de l’Agriculture sous Vichy, siège au Centre républicain d’action rurale et sociale (CRARS), aux côtés de son homologue Jean Deshors, président de la chambre de Haute-Loire, et le troisième avec les Républicains indépendants. Trois présidents ont été sénateurs dans les années 1930, et siégeaient à la « gauche démocratique », à l’« union républicaine » ou à l’« union démocratique et radicale ». Deux sont d’anciens députés, dont un appartenait au groupe de la Gauche démocratique et radicale entre 1936 et 1940 ; l’autre est un proche de Paul Antier, fondateur du Parti paysan d’union sociale après la Libération, qui aurait eu pour vocation de « recycler la droite agrarienne maréchaliste » 2132, et élu député à la Constituante en octobre 1945. Cette situation est également celle des 18 simples membres de chambre d’agriculture qui sont aussi députés ou sénateurs, qui à l’exception de deux RPF et de deux MRP, siègent tous à proximité des Indépendants ou du Groupe paysan. Comparée à la situation de 1939 et à ses convergences agrariennes, voyant la coexistence, voire la cohabitation, d’élus de différents bords dans les chambres départementales et à l’APPCA, celle de 1952 est bien celle d’un glissement vers la droite.

Les rapports des préfets concernant les membres des FDSEA élus en février 1946 sont une mine d’informations au sujet des appartenances politiques, qui s’avère peu aisée à traiter. Les renseignements fournis sont très hétérogènes : si certains tentent de positionner les dirigeants dans le spectre des partis politiques, d’autres se focalisent sur leur attitude sous l’Occupation, sans forcément en aborder les diverses motivations. Surtout, les rapports préfectoraux sont doublement déformants, par la position dans le champ du préfet lui-même et par les impératifs de la fonction, dans la relation d’étroite interdépendance qui lie préfet et notables 2133. Ils pointent tout de même l’existence de quelques représentants de la gauche non communiste parmi les présidents de chambre d’agriculture, notamment dans les départements méridionaux, mais cette tendance semble en recul par rapport à l’entre-deux-guerres. Mais encore une fois, la plume du préfet biaise très fortement les informations relevant des opinions et des engagements, parfois jusqu’à nier une réalité indubitable. Ainsi Louis Richier, élu député « paysan » 2134 des Hautes-Alpes en octobre 1945 est toujours considéré par la préfecture comme « apolitique et ex-radical-socialiste » 2135 et Fernand Chardin est dit « d’opinions modérés [quand bien même] on le considérait avant guerre comme sympathisant au parti agraire (parti Dorgères) [sic] » 2136. La zone de convergence politique la plus évidente se situe dans la nébuleuse qui va du PPUS au Centre national des indépendants, qui agrège quelques héritiers du Parti agraire, des comités de défense paysanne ou du PSF et des nouveaux venus au PRL, et qui allie agrarisme et anti-communisme. À cet égard comme à bien d’autres, l’étude fine des trajectoires et des positionnements des membres de l’ « exécutif » de l’assemblée peut se révéler éclairante.

Notes
2100.

Voir Annexes. Dossier n° 7. Carte 1.

2101.

Jean-Pierre PROD’HOMME, « Les relations entre les organisations professionnelles et les agriculteurs », article cité, p. 50.

2102.

Annuaire INA 1957.

2103.

Bulletin d’information de la mutualité agricole, n° 101, septembre 1960, p. 3289.

2104.

Jean-Pierre PROD’HOMME, « Les relations entre les organisations professionnelles et les agriculteurs », article cité, p. 50.

2105.

Jean DARCET [dir.], Les conflits de générations, Paris, Presses universitaires de France, 1963, 190 p., p. 101.

2106.

Voir Annexes. Dossier n° 7. Tableau 1.

2107.

Voir Annexes. Graphiques 1 et 2.

2108.

Voir Annexes. Dossier n° 7. Carte 2.

2109.

Soit « toute personne ayant été nommée aux fonctions de membre, membre adjoint ou délégué du conseil national corporatif agricole, de la chambre syndicale nationale, de syndic régional ou syndic régional adjoint d’une union corporative agricole, ainsi que de membre ou délégué des groupes spécialisés par production ou catégories de production, membre ou délégué de la commission de l’organisation corporative paysanne ». Journal officiel de la République française, vendredi 13 octobre 1944, Ordonnance du 12 octobre 1944.

2110.

Pierre BARRAL, Les agrariens français de Méline à Pisani… ouvrage cité, p. 289.

2111.

Isabel BOUSSARD, Vichy et la Corporation paysanne… ouvrage cité, p. 362.

2112.

Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, listes des Comités régionaux d’organisation corporative (CROC), [1940-1941].

2113.

Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, anciennes listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1942.

2114.

Michel de GALZAIN, Histoire du Conseil général du Morbihan, Vannes, chez l’auteur, 1983, 367 p., p. 349.

2115.

Who’s who 1971.

2116.

Guide national agriculture 1951-1952.

2117.

Ce n’est pas le lieu ici de développer les rapports conflictuels et confus, très dissonants d’un département à l’autre, et entre Paris et les départements, de la CGA et de la FNSEA, des UD-CGA et des FDSEA. A ce sujet voir notamment, pour une approche synthétique et factuelle, utile au demeurant : Gordon WRIGHT, La révolution rurale en France... ouvrage cité, et Pierre BARRAL, Les agrariens français de Méline à Pisani... ouvrage cité.

2118.

Toutes sources confondues.

2119.

Annuaire betteravier, 1945-1946, Paris, Confédération générale des planteurs de betteraves industrielles, s.d., 284 p.

2120.

Annuaire des experts agricoles et fonciers de France et d’outre-mer. 1954.– Le Trait d’Union des experts agricoles et foncier, n° spécial, [1954], 40 p.

2121.

Voir notamment : Pierre BOURDIEU, « Le capital social », dans Actes de la recherche en sciences sociales, n° 31, janvier 1980, pp. 2-4.

2122.

Sylvain MARESCA, « Grandeur et permanence des grandes familles paysannes… », article cité, p. 36.

2123.

Arch. nat., F1a 4034 : Réponse des préfets à la circulaire n° 287 du Ministère de l’Intérieur sur la composition des fédérations départementales du syndicat des exploitants agricoles, février-mars 1946. Lettre du Préfet de Seine-et-Marne, le 6 mars 1946.

2124.

Arch. APPCA, Élections 1964. Bas-Rhin à Seine-et-Marne, 1964, Fiches individuelles des membres.

2125.

Rémy LEVEAU, « Le syndicat de Chartres (1885-1914) », dans Pierre BARRAL [dir.], Aspects régionaux de l’agrarisme français avant 1930.– Le Mouvement social, n° 67, avril-juin 1969, pp. 61-78.

2126.

Étienne de SÉREVILLE et Fernand de SAINT-SIMON, Dictionnaire de la noblesse française, [s.l.], La Société française au 20e siècle, 1975-1977, 1214 et 668 p.

2127.

Annuaire INA 1936.

2128.

Annuaire des ingénieurs agricoles 1928.

2129.

Gaëlle CHARCOSSET, « La distinction aux champs. Les décorés du Mérite agricole (Rhône, 1883-1939) », article cité.

2130.

En rassemblant des informations provenant de diverses sources, donc avec d’importantes lacunes à prendre en considération.

2131.

Chiffres fondés sur les listes publiées dans les différentes éditions des Dictionnaires des parlementaires ainsi que sur les bases de données en ligne de l’Assemblée nationale et du sénat, et non sur les seules informations recueillies sur les présidents, largement lacunaires quelle que soit la période considérée.

2132.

David BENSOUSSAN, « Le Parti paysan d’union sociale », article cité, p. 207.

2133.

Voir notamment : Jean-Pierre WORMS, « Le préfet et ses notables », dans Sociologie du travail, 1966-3, pp. 249-275 et Pierre GRÉMION, Le pouvoir périphérique. Bureaucrates et notables dans le système politique français, ouvrage cité.

2134.

Liste d’Union paysanne, adoubée par le Parti paysan d’union sociale (PPUS)

2135.

Arch. nat., F1a 4034 : Réponse des préfets à la circulaire n° 287 du Ministère de l’Intérieur sur la composition des fédérations départementales du syndicat des exploitants agricoles, février-mars 1946. Télégramme du préfet des Hautes-Alpes, 16 mars 1946.

2136.

Ibidem, Lettre du préfet du Loiret, le 6 mars 1946.