[Henri Chatras, secrétaire-adjoint 2335]
Né en 1904, à Pierrefontaine-les-Varans 2336, sur les plateaux du Doubs, Henri Chatras est venu au monde dans une famille d’agriculteurs, mais nombre de ses ascendants peuvent être considérés comme des pluriactifs. De son grand-père paternel, Alexis Chatras, fils d’un marchand de cuir et cultivateur et petit-fils d’un lieutenant des douanes devenu aubergiste et cultivateur, nous savons qu’il « fut d’abord ouvrier tanneur à Pontarlier, à la maison Lagier. Puis lorsqu’il épousa Françoise Bercin, de Sancey, il vint s’installer à Pierrefontaine-les-Varans, où il acheta une maison de ferme pour y exercer le métier de marchand de cuir ». Quand le commerce des pièces de cuir périclite, « la maison de Pierrefontaine, les bâtiments s’y prêtant, se transform[e] peu à peu en exploitation agricole : on acheta des vaches, à l’époque quatre ou cinq laitières suffisaient à faire vivre une famille, on cultiva quelques terres, et la reconversion fut faite » : on est aux alentours de 1870 2337. Alexis Chatras a eu quatre filles et un unique fils, Aly, né en 1852. « Tout comme son père Alexis, Aly Chatras [fut] cultivateur en même temps qu’il pratiqu[a] le négoce du cuir, du moins pendant un certain temps » : cette forme de pluriactivité serait en effet encore attestée sur un acte de 1901, où Aly Chatras fait état de sa qualité de « négociant en cuir ». Aly Chatras se marie en 1884 avec Félicie Daigniez, de Pierrefontaine, qui décède en 1886, après avoir donné naissance à une fille. En 1893, il se remarie avec Laure Tardy. Le père de celle-ci, Clovis Tardy, était voiturier, agriculteur et vigneron 2338 dans une commune viticole, Échevannes, distante d’une vingtaine de kilomètres. L’un de ses grands-oncles, Mauris Tardy, né en 1829 à Échevannes, qui serait parti en tant que missionnaire en Chine, aurait à ce titre été décoré de la Légion d’honneur 2339. Le frère de Laure Tardy, Léon Joseph Tardy, docteur en droit, diplômé de l’École des sciences politiques, est militaire, colonel d’artillerie 2340 et devient sous-intendant militaire de 2e classe 2341. Aly Chatras et Laure Tardy ont deux filles, nées en 1898 et 1899, puis deux garçons, Léon, né en 1902, et Henri, en 1904.
Que dire des premières années d’Henri Chatras, sinon l’évocation a posteriori d’« une rigoureuse éducation chrétienne » ainsi que « d’études interrompues trop tôt et d’un retour précipité à la ferme » 2342 ? Titulaire du certificat d’études, il aurait obtenu, à quatorze ans, le brevet agricole, préparé à École – commune du Doubs – chez les frères des Écoles chrétiennes. La guerre s’achève alors et il lui faut « tenir la ferme », dont son père, âgé de 66 ans et invalide, ne peut plus s’occuper. Ce retour sur l’exploitation parentale se serait effectué malgré d’autres aspirations : Henri Chatras aurait notamment passé quelques mois chez son beau-frère, Antonin Girardot, percepteur à Montmiret-le-Château. Il aurait également aimé devenir vétérinaire, comme son cousin, Henri Courtois. Ses sœurs s’étant mariées hors de Pierrefontaine et son frère aîné, Léon, étant devenu « commis de perception » 2343, Henri Chatras n’aurait pas eu d’autre choix que de rester sur l’exploitation de Pierrefontaine-les-Varans. Son père meurt en octobre 1923 : « dès novembre, Henri graissait les quelques machines, rangeait les voitures à échelles, cependant que sa mère vendait les bêtes et partageait les terres entre les voisins ; l’argent de la vente fut réparti également entre tous et au mois de mai Henri partit à l’armée à Besançon pour y être secrétaire au recrutement à l’état-major » 2344. À la fin de son service militaire, l’année suivante, il revient sur l’exploitation, qui aurait alors consisté en quatre ou cinq hectares, en fermage et en propriété. Il aurait alors emprunté « au crédit agricole 20 000 F à 5 % remboursables par quarts tous les six mois », afin, notamment, d’acheter quatre ou cinq vaches, des montbéliardes.
Le 27 juin 1927, il épouse Marthe Lapprand, de trois ans sa cadette. Orpheline de père depuis 1911 et de mère en 1926, elle sert à l’épicerie du village, tenue par sa tante, et avait fréquenté l’école de Baumes-les-Dames. Fille de cultivateurs installés sur une « très petite exploitation », elle apporte toutefois une dizaine d’hectares de terres en dot, accroissant ainsi considérablement l’exploitation de son époux, qui par ailleurs loue quelques hectares à sa sœur aînée, Marie. Durant cette année 1927, « le jeune Louis Pourchet, jeune mousquetaire qui parcourt le département en train et à bicyclette » 2345, administrateur délégué du Syndicat des agriculteurs du Doubs 2346, arrive à Pierrefontaine-les-Varans pour y fonder un syndicat agricole communal : Henri Chatras, âgé de 23 ans, en serait aussitôt devenu le secrétaire-trésorier 2347. Ce syndicat typique des syndicats-boutiques de l’entre-deux-guerre avait pour fonction « d’approvisionner les agriculteurs en sel pour les fourrages, en engrais, en scories pour les cultures et en paille à l’automne » 2348 : cela n’empêche pas ses fondateurs de faire figurer sur l’écusson syndical la devise « un pour tous, tous pour un ! », trahissant dans cette emphase « une bonne foi naïve » 2349. Henri Chatras devient dans la foulée administrateur de la principale fédération de syndicats : l’Union des syndicats agricoles du Doubs (USAD), présidée par René Caron, d’Arc-et-Senans, membre de la Confédération nationale des associations agricoles (CNAA) 2350.
Marthe Lapprand met au monde trois filles, Jeanne-Antide, en 1930, Thérèse, en 1932 et Anne-Marie en 1935. « La famille vivait dans la petite ferme l’existence des familles d’agriculteurs du haut-Doubs. Le long hiver se passait dans la grande maison qui rassemble granges, écuries et locaux d’habitation. Les autres saisons étaient consacrées aux travaux des champs. L’existence était modeste, mais le jardin, l’élevage de lapins, de volailles, de quelques porcs et surtout le lait des vaches fournissaient l’essentiel et permettaient de vivre » 2351.
Dès mars 1942, il est élu et nommé membre de l’Union régionale corporative agricole 2352. Au moment de la mise sur pied des structures locales de la corporation paysanne, il aurait été « syndic chargé de la répartition des chevaux » 2353, et est recensé comme président du syndicat corporatif de Pierrefontaine-les-Varans, en septembre 1943 2354. En décembre 1943, il est confirmé dans ses fonctions de membre de l’URCA 2355, tandis que « dans l’ombre il se dévoue avec d’autres au ravitaillement des maquis » 2356. Est-ce parce qu’il considérait « qu’il n’était pas question d’abandonner les agriculteurs dans cette période si grave » 2357 qu’il a accepté ces fonctions ? Dans l’hommage rendu à Henri Chatras par son petit-fils, en 2008, on lit : « De la guerre, les paysans sortirent, à quelques exceptions près, avec le sentiment du devoir accompli, ayant par leur travail continu, nourri tant bien que mal un pays endolori et exsangue. Mais la Libération provoque également une grave crise d’identité politique chez les agriculteurs de France qui ne renièrent jamais l’idéal d’unité professionnelle auquel ils aspiraient sans succès depuis très longtemps et qu’avaient matérialisé pour eux les corporations, désormais honnies » 2358. Était-ce la position d’Henri Chatras alors ?
À 41 ans, à la Libération, Henri Chatras se lance « dans le syndicalisme du renouveau », au sein de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) 2359. Le Paysan du Centre-Est, hebdomadaire agricole venu remplacer La Corporation paysanne en 1944, se saborde à la fin de l’année 1947 : il doit faire place à La Terre de chez nous, journal conçu à l’origine comme organe des organisations agricoles des départements de Bourgogne et Franche-Comté. Benoît de Saint-Seine, président de la FDSEA de Haute-Saône 2360 et délégué des organisations de ce département dans cette opération éditoriale, y renonce lors de la dernière réunion préparatoire et entraîne à sa suite les délégués des autres départements : Henri Chatras aurait alors « pri[s] la décision de partir seul » et le 16 janvier 1948, La Terre de chez nous paraît sous sa responsabilité, avec pour sous-titre « hebdomadaire franc-comtois des fédérations d’exploitants agricoles, de l’élevage et du lait » 2361. Au-delà de l’allant du nouveau gérant de ce journal, il faut souligner sa conception sans nuances de l’« unité paysanne » proclamée alors : « dans un département où les divisions ne doivent pas exister », Henri Chatras se félicite d’avoir réussi la fusion entre tous les organes d’information agricole du département, soit « une presse unique » 2362.
Quand il est à nouveau question de réunir les présidents des chambres d’agriculture à Paris, en novembre 1948, dix membres de la chambre du Doubs sont décédés, dont deux en déportation, et un autre est « frappé d’indignité nationale » 2363 : Henri Chatras, bien qu’extérieur à la chambre, devient rapidement l’interlocuteur principal de Luce Prault, durant toute la phase de refondation 2364, tandis que Francis Mamet, président l’Union des syndicats d’élevage du Doubs dans les années 1930, vice-président de la FDSEA, devient président de la chambre d’agriculture 2365. Le 20 mars 1950, lors de l’assemblée générale annuelle de la FDSEA du Doubs, Luce Prault présente un rapport sur « les chambres d’agriculture et l’organisation professionnelle agricole » aux côtés notamment de Pierre Leclerc, « président de la confédération générale de la betterave [sic] » 2366. En 1951, Henri Chatras est président de la FDSEA et secrétaire de la Coopérative agricole d’approvisionnement du Doubs, « Coopadou », ainsi que membre du conseil d’administration de la FNSEA 2367.
Élu à la chambre d’agriculture en février 1952, il est candidat à la présidence, se présentant comme mandaté par le comité d’entente CGA-chambres d’agriculture, et défendant la nécessité « pour donner une unité au programme d’action agricole et en assurer la continuité, que les mêmes personnalités restent à la tête de tous les organismes qui ont la charge de l’agriculture » 2368. Il réunit 17 voix sur vingt : parmi ses opposants se trouve Guy de Moustier 2369, qui « estime qu’une telle élection ne pourrait que nuire à l’unité » 2370. À l’APPCA, le 22 avril 1952, il est élu comme membre titulaire du comité permanent général pour la 5e région 2371, obtenant la majorité absolue, soit 43 voix sur 85 votants, dès le premier tour de scrutin 2372. Le 1er mai 1952, le comité permanent général l’élit secrétaire adjoint de l’assemblée : d’aucuns attribuent cette élection à son « esprit stratégique et pragmatique », à sa volonté de « défend[re] aux côtés des céréaliers les éleveurs de la petite agriculture et déjà la politique de montagne » 2373.
Voir Annexes. Dossier n° 7. 2. Dossier documentaire 5.
Who’s who in France, 1965-1966, Paris, Jacques Lafitte, 1965, 2796 p.
Pierre-Henri PRÉLOT, Henri Chatras. Une vie au service de l’agriculture comtoise, Besançon, Terre de chez nous, 2008, 96 p.
Ibidem.
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/leonore_fr
Pierre-Henri PRÉLOT, Henri Chatras… ouvrage cité.
Informations communiquées par Jeanne-Antide et Bernard Prélot, fille et gendre d’Henri Chatras, juillet 2008.
Pierre-Henri PRÉLOT, Henri Chatras… ouvrage cité.
Ibidem.
Ibidem.
Ibidem.
Annuaire Silvestre 1923, p. 169.
Pierre-Henri PRÉLOT, Henri Chatras… ouvrage cité.
Ibidem.
Ibidem.
Annuaire Silvestre 1923, p. 169.
Pierre-Henri PRÉLOT, Henri Chatras… ouvrage cité.
Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, anciennes listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1942.
Pierre-Henri PRÉLOT, Henri Chatras… ouvrage cité.
Arch. nat., F10 4994, archives de la Corporation paysanne, URCA du Doubs, lettre de Louis Pourchet, secrétaire général de l’Union régionale corporative agricole du Doubs, au secrétaire général de la Corporation nationale paysanne, le 3 septembre 1943. Liste des syndics corporatifs locaux jointe.
Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, nouvelles listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1944.
Pierre-Henri PRÉLOT, Henri Chatras… ouvrage cité.
Ibidem.
Ibidem.
Ibidem.
Arch. nat., F1a 4034, Réponse des préfets à la circulaire n° 287 du Ministère de l’Intérieur sur la composition des fédérations départementales du syndicat des exploitants agricoles, février-mars 1946. Lettre du Préfet de Haute-Saône, le 2 mars 1946.
Document dactylographié communiqué par M. André Nayener, journaliste à La Terre de chez nous.
Henri CHATRAS, « Aux paysans du Doubs », dans La Terre de chez nous, dimanche 18 janvier 1948.
Arch. APCA, CA Doubs à Drôme, 1949-1965, Liste des membres à la suite de l’élection de février 1939, commentaires de 1949.
Ibidem, double d’une lettre de Jacques Lockart, directeur de l’union générale des coopératives agricoles d’approvisionnement à Henri Chatras, le 27 décembre 1948.
Ibidem, procès-verbal de la session de la chambre d’agriculture du Doubs, le 5 décembre 1949.
La Terre de chez nous, dimanche 19 mars 1950.
Guide national agriculture 1951-1952, p. 89.
Arch. APCA, Procès-verbaux de sessions de la chambre d’agriculture du Doubs, 1950-1957, liste de présence de la session du 21 mars 1952.
Fils de Léonel de Moustier, l’ancien président de la chambre d’agriculture, Résistant mort en déportation. Mémorial des Compagnons de la Libération. Compagnons morts entre le 18 juin 1940 et le 8 mai 1945, Paris, La Grande Chancellerie de l’Ordre de la Libération, 1961, 579 p.
Arch. APCA, Procès-verbaux de sessions de la chambre d’agriculture du Doubs, 1950-1957, liste de présence de la session du 21 mars 1952.
Côte-d’Or, Saône-et-Loire, Ain, Jura, Doubs, Haute-Saône, Territoire de Belfort.
Chambres d’agriculture, avril-juin 1952, p. 38.
« Hommage au président Henri Chatras », dans La Terre de chez nous, samedi 16 avril 1994.