Progrès technique et publications

C’est au cours d’un échange entre Adolphe Pointier et Philippe Lamour, qui viennent tous deux d’être élus à la tête de la chambre d’agriculture des départements de la Somme et du Gard, en réunion du comité permanent général, qu’émerge le thème des publications de l’APPCA : le premier, posant « le problème des débouchés et celui de l’étude des progrès techniques réalisés à l’étranger », s’entend répondre par le second qu’il faut surtout « trouver une solution pour la diffusion et la vulgarisation du progrès technique, [pour lesquels] la question des publications est importante » 2568. S’exprimant à nouveau après une discussion sur les diverses initiatives prises et une intervention de René Blondelle qui « souhaite que les Chambres d’Agriculture réussissent une coordination qui a toujours échoué », Philippe Lamour défend sa croyance en la fonction coordinatrice d’une publication : « chacun veut faire quelque chose, mais personne n’en a les moyens. Le rôle principal des Chambres d’Agriculture serait de jouer un rôle de coordination des différentes initiatives, de continuer les expériences déjà entreprises, d’arriver à faire la sélection, par région et par spécialité, des meilleures méthodes de spécialisation, d’arriver à être un élément coordinateur et éducateur. Ne pourrait-on pas étudier plus spécialement des problèmes déterminés, par exemple : le système de publication ? Il serait souhaitable de désigner parmi les membres du Comité Permanent Général un certain nombre de délégués qui étudieraient plus spécialement une question bien déterminée. [...] En dehors de la partie documentaire, étude, etc., les Chambres d’Agriculture sont appelées à traiter la question de la formation professionnelle et du progrès technique, de la modernisation et de l’équipement collectif de l’agriculture » 2569.

Le 7 octobre 1952, Philippe Lamour présente au comité permanent général, une « note en vue de la création d’une revue générale de synthèse des questions agricoles » 2570 qui, réaffirmant la nécessité d’une culture générale agricole et de sa vulgarisation, fait le point sur les modes d’acquisition de ces connaissances et sur leur insuffisance. Selon lui, « le moyen le plus efficace, parce que relevant davantage de l’initiative individuelle et parce qu’étant le plus facile à alimenter est évidemment la lecture. Mais c’est précisément l’habitude la plus difficile à faire prendre à la plupart des agriculteurs. La vie isolée, la rudesse du climat, la fatigue physique conséquente aux travaux manuels pratiqués à l’extérieur et aussi une inéducation [sic] trop certaine détournent la plupart des agriculteurs de l’habitude de la lecture. Ils lisent peu ou mal et, s’ils lisent, c’est la plupart du temps n’importe quoi. Même le journal n’est souvent lu que le dimanche et l’hebdomadaire professionnel n’a souvent sa bande déchirée qu’au moment d’allumer le feu. Il est indispensable, dans un plan général, en vue du développement du progrès technique de combler une aussi grave lacune et d’en analyser les causes pour en définir les remèdes ». Aussi conclut-il à « la nécessité d’une publication destinée directement ou indirectement à l’information économique et à la diffusion des connaissances en vue du progrès technique ».

S’il réaffirme l’avantage qu’il y a à « alimenter la presse quotidienne et la presse professionnelle en éléments susceptibles d’intéresser les lecteurs paysans et de développer leur désir d’accroître leurs connaissances », il insiste sur le découragement qui naît de la dispersion des informations, et donc sur le bénéfice qu’il y aurait à ce « que ces éléments soient fournis par un organisme central équipé intellectuellement et matériellement pour assurer cette diffusion ». Philippe Lamour propose enfin un plan en quatre parties pour une revue qui comporterait des études d’intérêt général pour lesquelles serait fait appel à la fois « aux écrivains connus en matière économique, démographique, sociale, etc. André Siegfried, Halévy, Caziot, Sauvy, etc., [et] aux théoriciens et écrivains du mouvement agricole et paysan, Noilhan, J. Milhau, du Fretay, Fromont, etc. » ; des études de caractère particulier, abordant les problèmes techniques agricoles, les problèmes démographiques et sociaux, les problèmes économiques, financiers et fiscaux, l’équipement de l’agriculture et les problèmes internationaux ; une partie plus informative se faisant l’écho des évènements nationaux et internationaux ; enfin, une partie documentation proposant des tables analytiques des textes législatifs parus et, périodiquement, des articles et études de la revue, ainsi que des résumés des études et informations parues dans la presse concernant l’agriculture. Pour Philippe Lamour, « cette revue devra prendre un caractère de plus en plus attrayant pour aboutir, dans un proche avenir, à une revue publiée sur papier glacé et abondamment illustrée, et à devenir la grande revue nationale et internationale de l’agriculture française, synthèse des publications mondiales en matière agricole » 2571.

Dans ce long développement Philippe Lamour exprime une volonté apparemment partagée de déploiement éditorial. Des quelques pages de 1949 sur lesquelles des informations succinctes sont imprimées avec un souci d’économie évident aux nombreux fascicules que publie l’APPCA deux fois par mois dès 1953, sont cependant intervenus d’autres facteurs que la simple inspiration généreuse : une loi de finances a permis de renflouer les caisses des chambres d’agriculture et de l’APPCA 2572. Il reste que cette note présente la question des publications comme un problème réfléchi et, qui plus est, pensé en relation avec la thématique du progrès technique, en passe de devenir dominante. Le comité en approuve d’ailleurs la lettre lors de la réunion suivante, puisque « sur la proposition du Président, il est décidé que l’APPCA établira et diffusera un bulletin de presse concernant en particulier les problèmes relatifs à la formation professionnelle, au progrès technique, à l’équipement individuel et collectif de l’agriculture » 2573. Dès juillet 1952, est engagé comme chargé d’études adjoint Louis Mila, qui devient chef du service de la documentation des organismes installés rue Scribe 2574 : il est notable que cet homme soit ingénieur agronome, qui plus est le premier agronome engagé, hormis Luce Prault, et non pas bibliothécaire. Bientôt, la revue est largement diffusée, à la fois vers les chambres départementales, mais aussi en direction des agents techniques et des présidents des groupements de productivité 2575, enfin, suivant les thèmes traités dans les fascicules spéciaux, à l’endroit des services et cabinets des ministères concernés.

En ce même automne 1952, l’APPCA prévoit la création « d’un bulletin des zones et villages-témoins afin de créer une liaison entre eux » 2576. À partir d’octobre 1952, celui-ci est « adressé le 1 er et le 16 de chaque mois dans les départements intéressés, au Président de la Chambre d’Agriculture, au Secrétaire Administratif de la Chambre d’Agriculture, au Président du Groupement de Productivité, à l’Agent Technique du Groupement de Productivité et à M. le Directeur des Services Agricoles » 2577. De facture assez rudimentaire, ce bulletin est à la fois la voie par laquelle transitent des informations immédiates et émanant de la capitale, mais aussi un lieu de confrontation d’expériences locales, autour des zones-témoins, souvent extraites de bulletins de liaison locaux, gérés par des groupements, avec ou sans la collaboration de la chambre d’agriculture. C’est précisément la mission de la rubrique « Échos des zones-témoins » qui, entre avril 1953 et mai 1954, représente quelque 120 pages 2578 : y trouvent leur place les comptes rendus les plus divers, de la visite d’un ministre aux observations circonstanciées du vétérinaire sur l’hygiène des étables, de la dernière assemblée générale à la prochaine démonstration de machines agricoles ; ces écrits produits indifféremment par des membres de la chambre d’agriculture, par l’ingénieur en chef de la DSA ou par des acteurs locaux impliqués de près ou de loin dans la zone-témoin font également du bulletin un lieu de rencontre et de rapprochement des positions. Lieu d’émulation sur le terrain des expériences concrètes, ce bulletin l’est aussi simplement quand il encourage les groupements locaux à éditer quelques pages permettant d’augmenter la publicité de leur action technique exemplaire 2579.

Si comme le reconnaît volontiers un spécialiste de la presse des groupes de pression, des syndicats et des partis politiques, « une place à part doit être réservée à la revue Chambres d’agriculture publiée par l’Assemblée permanente des présidents des Chambres d’agriculture [car] elle fournit une importante documentation sur les problèmes agricoles et les points de vue des dirigeants de la profession » 2580 et accède ainsi selon lui au rang de publication savante, il reste que dans notre optique, cette revue permet une approche du référentiel proposé par l’instance nationale. Une approche thématique croisée de ces deux publications, sur le thème du progrès technique en général, vise à enrichir la perception du rôle que se crée alors l’APPCA.

Notes
2568.

Ibidem, p. 10.

2569.

Ibidem.

2570.

Arch. APCA, Comité Permanent Général, 1948 à mars 1954, projet de PV de la séance du 7 octobre 1952.

2571.

Ibidem.

2572.

Journal officiel de la République française, lundi 14 et mardi 15 avril 1952, loi de finances pour l’exercice 1952 du 14 avril 1952. 

2573.

Arch. APCA, Comité Permanent Général, 1948 à mars 1954, projet de PV de la séance du 4 novembre 1952.

2574.

Arch. APCA, Comité Permanent Général, 1948 à mars 1954, projet de PV de la séance du 1er juillet 1952, pp. 6-7.

2575.

Arch. APCA, Circulaires début 1952-février 1953, circulaire adressée par l’APPCA aux présidents des chambres d’agriculture, le 2 février 1953.

2576.

Arch. APCA, Comité Permanent Général, 1948 à mars 1954, projet de PV de la séance du 2 septembre 1952.

2577.

Arch. APCA, Comité Permanent Général, 1948 à mars 1954, projet de PV de la séance du 7 octobre 1952.

2578.

Arch. APCA, Zones-Témoins avril 1953-mai 1954.

2579.

Arch. APCA, FNCUMA à Groupement 1952-1965, double d’une lettre adressée par Luce Prault à Louis Kuchly, agent technique à Assenoncourt en Moselle, le 24 septembre 1953.

2580.

Jean MEYNAUD, Les groupes de pression en France, Paris, Armand Colin, 1958, 372 p., p. 134.