Les années 1953 et 1954, du point de vue de la gestion des actions de progrès technique et de la configuration plus générale du paysage professionnel agricole, sont celles d’une certaine désolidarisation qui se manifeste à la fois entre la profession et l’administration, et au sein de la profession elle-même, au niveau national comme avec les instances locales. En mai 1953, Louis Bidau, président de l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM), mais également président de la chambre d’agriculture des Basses-Pyrénées (Pyrénées-Atlantiques), avertit incidemment, en tant que président de l’AGPM, de ce qu’une action de vulgarisation de la culture du maïs est menée depuis quelques semaines par le ministère, qui a fait envoyer des sacs de semences sélectionnées dans les départements 2717. La position en retrait forcé qu’occupe alors l’APPCA apparaît très nettement lors de cet épisode somme toute anodin. Cette lettre de Louis Bidau fait prendre conscience aux services de l’APPCA de leur ignorance à propos de cette action particulière : les démarches engagées alors révèlent un intérêt particulier de l’institution pour ce programme. Des échanges de courrier sont entrepris avec les associations spécialisées pour connaître la liste des « vulgarisateurs-maïs » 2718. Connaissance n’est cependant prise des dispositions ministérielles que par une seconde circulaire, datée du 29 mai et annotée « confidentiel » 2719. Les raisons de l’intérêt marqué de l’APPCA sont transparentes : il s’agit à la fois d’un programme lancé par le ministère et diffusé auprès des DSA sans consultation de l’APPCA, qui met à disposition de douze départements un vulgarisateur engagé en tant qu’agent contractuel sur la base du statut présenté dans la circulaire du 2 avril, et qui établit que « dans 10 départements, des démonstrations culturales dont la réalisation a été confiée aux organisations professionnelles seront organisées pour vulgariser les méthodes permettant d’accroître les rendements, tant au stade cultural qu’au stade conservation » 2720. Concurrencée sur le terrain sur lequel elle s’immisce depuis peu mais résolument, l’APPCA tente de réagir.
Dès le 21 mai 1953, un questionnaire court est envoyé aux chambres d’agriculture des 70 départements concernés, dont l’AGPM avait communiqué la liste à Luce Prault ; il demande des précisions sur les quantités de semences réceptionnées, leurs variétés, et sur la manière dont les chambres d’agriculture ont éventuellement été informées et impliquées dans cette action 2721. Début juillet, seules 25 réponses sont parvenues à l’APPCA 2722. Reprenant le dossier en septembre, Luce Prault fait envoyer à nouveau le questionnaire dans les départements dont les chambres d’agriculture n’ont pas répondu : 19 nouvelles réponses parviennent alors à Paris avant la date limite du 10 octobre, quatre arrivant à l’APPCA avant fin novembre. Outre que ce corpus de réponses pointe la difficulté de procéder à une telle enquête de la part de l’institution, du fait de l’hétérogénéité de la forme des réponses 2723 et de leur décalage chronologique, il ressort nettement des réponses l’inanité d’un plaquage des oppositions parisiennes sur des situations locales régies par d’autres impératifs, comme nous l’avons déjà partiellement relevé.
Un tiers des chambres d’agriculture qui ont répondu se disent avisées dès les débuts de cette expérience et mêlées à sa mise en œuvre : en Côte-d’Or, Bénigne Fournier, président de la chambre d’agriculture, expose à l’APPCA « la collaboration totale et confiante de la Chambre d’Agriculture avec la Direction des Services Agricoles, pour l’expérimentation » 2724. Parmi celles qui sont restées en dehors de cette expérience, un certain détachement se lit. Ceux qui paraissent se satisfaire tout à fait d’être déchargés de la gestion de cette action sont les plus nombreux. D’autres, comme Martial Brousse, président de la chambre d’agriculture de la Meuse, justifient ce désintérêt : « la Chambre d’agriculture se préoccupe peu en Meuse de ces expérimentations au sujet de la culture du maïs. Elle estime que dans nos régions il y a des essais bien plus intéressants à faire pour obtenir des aliments du bétail en utilisant des plantes plus intéressantes eut égard à notre climat que le maïs. Si les services intéressés avaient demandé l’avis des représentants qualifiés de l’agriculture meusienne les quelques essarts utilisés pour ces essais de maïs auraient été mieux utilisés » 2725. Globalement, ce que révèle le plus nettement cette collection de réponses hétéroclites est la défaillance des relations de communication entre l’APPCA et les chambres d’agriculture, malgré un échange de courrier intense et une présence épisodique des présidents à Paris.
De nombreuses réponses ne sont pas signées, mais l’identification des auteurs s’avère possible dans la moitié des cas. Si celles-ci ont été généralement fournies par des personnes appartenant à la chambre d’agriculture, sur 21 questionnaires, onze ont vraisemblablement été complétés par le secrétaire administratif. Dans deux cas, un autre protagoniste est sollicité par la chambre pour répondre directement, procédure qui détourne l’ambition même du questionnaire qui vise pour l’APPCA à mesurer le niveau d’information et d’implication des chambres départementales : dans la Marne, le DSA adresse tardivement une réponse, qui contient d’ailleurs des reproches à l’encontre de la manière dont le ministère a mené ce programme ; dans le Puy-de-Dôme, le directeur de la coopérative de production et de vente de semences sélectionnées du Massif central se charge de répondre, indiquant que la prise en charge de ce programme a été le fait de la coopérative, mentionnant toutefois « que [la] chambre d’agriculture était au courant des expérimentations faites, [le] président [de la coopérative], Monsieur Marodon Félix à Entraigues, étant membre élu de cette assemblée » 2726. Dans l’ensemble se dégage d’ailleurs l’impression d’une imbrication dense des responsabilités prises dans l’application de cette initiative ministérielle : syndicats, coopératives, directeurs des services agricoles et chambres d’agriculture ont bien souvent partie liée, du fait des décisions locales dont les rouages sont rarement dévoilés, mais surtout d’une coexistence au sein du même immeuble – lot de bien des départements au début des années 1950 –, et de l’enchevêtrement des responsabilités 2727 qui favorise, au niveau strictement local, la circulation des informations, plus efficace apparemment qu’entre l’échelon départemental et national des chambres d’agriculture.
Une « affaire » éphémère qui se joue en juillet 1953 rappelle la rigidité légaliste évoquée plus haut, en dévoilant toutefois des subtilités autres. Un voyage est prévu par le Cercle national des jeunes (CNJ) de la CGA, qui n’est pas encore le CNJA, sur les fonds du Comité national de la productivité et de l’AFAP : ce projet intéresse les jeunes hommes et les jeunes filles résidant dans les zones-témoins, qui peuvent bénéficier, à raison de deux jeunes gens par zone, d’un voyage au Danemark pour les garçons et en Allemagne pour les filles 2728. Bien que l’organisation en ait été confiée au CNJ avec l’accord de l’APPCA et de la FNGPA, les rapports entre les organisateurs et ces deux derniers organismes se détériorent rapidement. Une altercation épistolaire a lieu parce que le CNJ, averti par l’APPCA des dispositions réglementaires et financières à observer vis-à-vis de la FNGPA – soit la gestion directe par cette dernière des fonds alloués –, ne tient pas compte de celles-ci et prend la responsabilité de diffuser une circulaire définitive sans en informer aucun des deux organismes centraux représentant nationalement les chambres d’agriculture et les groupements de productivité. Prévenu incidemment, Jacques de La Grandville, successeur temporaire mais actif de Jean Achard au sein du service zones-témoins, rédige à l’intention de René Blondelle une note rappelant à ce dernier les conditions du précédent accord, et appuie notamment sur le fait que les services de l’APPCA faisaient « de cette formalité une condition impérative » 2729. C’est encore Jacques de La Grandville qui écrit à André Lurton pour lui faire part avec vigueur du désagrément avec lequel l’APPCA vit cette outrecuidance 2730.
Il semble que l’APPCA, par le truchement de la FNGPA, joue dans cette affaire son autorité sur les groupements de productivité contre celle du CNJ qui « n’est pas fondé à leur envoyer des instructions » 2731 : l’enjeu est-il d’autant plus impérieux que les groupements de productivité sont porteurs d’une identité susceptible de rajeunir l’image de l’APPCA et de mordre ainsi sur le terrain du CNJ et des CETA ? L’APPCA exerce ici sa faculté de contrôle sur le réseau d’information circulant entre les chambres d’agriculture et la profession, pareillement avec les groupements de productivité agricole qui, au vu de la situation de dépendance administrative et financière de la FNGPA vis-à-vis de l’APPCA, sont en quelque sorte des services annexes à l’APPCA, représentant qui plus est les zones-témoins et leur exemplarité, laquelle est susceptible de rejaillir sur l’institution. Il ne faudrait négliger dans cet épisode ni l’importance de la captation des aides américaines, en ce qu’elles confèrent de pouvoir symbolique et d’ascendant concret, ni l’impact tu des divergences politiques au sein d’organisations qui se veulent respectivement apolitiques et unitaires. Dans une lettre au président de la FNGPA, Jacques de La Grandville raconte comment il a « saisi M. Blondelle de l’affaire et [comment celui-ci] a convoqué M. Lurton Président du Cercle National des Jeunes auquel il a très vigoureusement lavé la tête, profitant de cette occasion pour souligner le jeu inadmissible de l’échelon national de cette Organisation » 2732 : serait-il abusif de relier ce récit, à l’impression ressentie, à la lecture de la correspondance et des notes internes de l’APPCA au cours de ces années, d’une généralisation de la prise de responsabilité des administratifs ? Dans la foulée de Luce Prault, aux côtés des élus, cette forme de délégation, qui implique un gain d’efficience net, se banalise, mais inévitablement des risques de dispersion et de détournements se font jour, dont la canalisation débute seulement mais qui compliquent encore les relations entre les organisations cohabitant au 11bis rue Scribe.
À partir de l’été et de l’automne 1953, des rapports plus conflictuels se tressent autour de l’APCA et en son sein. Les manifestations d’agriculteurs de l’été 1953, procédant de l’effondrement des cours, concernent bientôt les viticulteurs du Languedoc ainsi que les éleveurs du Massif central 2733. Ces mouvements de protestation débouchent à l’automne sur la formation d’un courant dissident à l’intérieur de la FNSEA, autour de Roland Viel, délégué de la FDSEA du Puy-de-Dôme, qui fédère les petits exploitants du Massif central, de la Vendée et du Poitou au sein du Comité de Guéret. Quoique les chambres d’agriculture et l’APPCA, par leurs attributions, codifiées comme elles le sont depuis l’« Accord national agricole » du 8 février 1951, aient vocation à rester en marge de ces débats, l’implication de certains des présidents de chambre d’agriculture ne manque pas de semer le trouble dans les relations au sein de l’institution. Roland Viel, président de la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme, s’associe bientôt à Philippe Lamour pour former le Comité général d’action paysanne « qui se présente comme l’ébauche d’un syndicat national de petits et moyens exploitants » 2734 : il conviendrait d’examiner plus avant l’impact de ces lignes de partage au sein de l’APPCA ; contentons-nous d’en repérer quelques contrecoups.
Le mouvement dit d’« action civique », insufflé par René Blondelle en 1951, et qui consiste en une sorte de parrainage à double tranchant des candidats à la députation ou au Sénat, ou en une investiture directe des responsables syndicaux, rend plus difficile le positionnement de la FNSEA, qui peut difficilement s’opposer à un gouvernement auquel elle a donné sa caution. La double présidence de René Blondelle ne peut qu’apporter la confusion dans cette configuration : ainsi, en octobre 1953, le président de la chambre d’agriculture des Landes, Joseph Courau 2735, fait part à René Blondelle, à propos des « positions qui ont été prises ces temps derniers, par maintes Organisations agricoles », de ce qu’il serait « heureux de connaître [son] point de vue en la matière et particulièrement savoir si nos Compagnies, qui n’ont pas un caractère revendicatif, peuvent s’associer à de tels mouvements » et lui demande de lui indiquer quelles dispositions ont été prises par ses collègues 2736.
Lors de la session de novembre 1953, Pierre Hallé présente devant l’APPCA son rapport sur les zones-témoins et les secteurs encouragés, publié en condensé dans le compte rendu analytique de la session 2737, puis diffusé « à la demande de nombreuses personnalités » en texte intégral, sous le titre « les problèmes de la productivité en agriculture » 2738. Retraçant les étapes du développement des zones-témoins, il justifie notamment son opposition à la formule des secteurs encouragés, mise en place au printemps 1953, qu’il appuie sur l’expérience de la première année des zones-témoins, révélant deux problèmes majeurs, celui de la comptabilité et celui du manque d’agents techniques qualifiés. Surtout, il pose une question qui, si elle avait été débattue dès 1951 sans susciter de remous, n’avait pas affleuré depuis la création des zones-témoins : « est-ce que nous avons le droit, est-ce que nous avons le devoir de pousser les cultivateurs dans cette voie du progrès technique, ou bien est-ce que nous devons nous arrêter ? » 2739.
Plus qu’une réelle et profonde remise en cause de la course à la productivité, interprétation qui relèverait de l’anachronisme semble-t-il, nous assistons plus certainement à une réaction dubitative devant la précipitation des actions de vulgarisation entreprises sans coordination efficace et au rythme désaccordé du ressac des aides américaines, et plus immédiatement, des colères paysannes déclenchées par la chute des cours. Il n’est pas question dans le discours de Pierre Hallé de renverser la tendance – « nous n’avons pas le droit d’abandonner cet effort technique ; même s’il comporte des risques, nous devons le poursuivre » 2740 – mais de le faire en cherchant les moyens de faire baisser les prix de revient, notamment par le développement de la comptabilité et par l’élaboration d’« une politique réfléchie et nouvelle de l’économie de l’Union française » 2741, tâche qu’il assigne notamment à l’APPCA 2742. Or un autre bouleversement majeur susceptible d’avoir fortement infléchi le cours de l’histoire de l’APPCA, celui du retour à une dualité de présidence à la tête de la FNSEA et de l’APPCA, a lieu au printemps 1954. Surgissent alors des problèmes nouveaux, ou du moins qui s’étaient effacés depuis l’élection de René Blondelle au printemps 1952 : l’APPCA, en délicatesse avec le ministre, Roger Houdet, relativement aux nominations de celui-ci au comité national de la productivité, créé en février 1954 dans une configuration analogue à celle du commissariat au Plan 2743, se trouve marquée par cette opposition dans ses rapports avec la FNSEA nouvellement dirigée par Jacques Lepicard. Dans ces conditions nouvelles, quel peut être le devenir de l’investissement de l’APPCA dans le domaine du progrès technique ? Dans quelle mesure peut-elle se permettre de contrevenir à l’accord signé en 1951 en élargissant son domaine d’action, comme il lui apparaît essentiel de le faire ?
De la sorte l’obsession légaliste 2744 ne doit pas masquer d’autres conflits. L’enchevêtrement des fonctions, notamment syndicales, du canton à Paris, rend difficile mais cruciale l’harmonisation des positions pouvant être lues comme émanant de l’institution : les réunions préparatoires à celles du commissariat au Plan en témoignent. L’énergie que déploient les dirigeants de l’APPCA pour contrôler le réseau d’information circulant entre les chambres d’agriculture et les autres organisations est patente : il s’agit de court-circuiter les réseaux horizontaux par l’instauration de voies verticales prioritaires et rigides. Surtout, cette réaffirmation d’une autorité est sélective : ce sont les relations des chambres d’agriculture avec les organisations publiques (DSA) et « jeunes » (cercle national des jeunes de la CGA) qui sont visées. La tension entre représentation et expertise 2745 est exacerbée par la généralisation de la prise de responsabilité des « administratifs » au sein de l’APPCA. Luce Prault, l’ingénieur agronome passé par la DSA et par le ministère, mais également syndicaliste et membre de chambre d’agriculture, est l’incarnation de ce groupe des directeurs d’organisations professionnelles agricoles 2746, capables d’anticiper seuls sur la susceptibilité collective de la « Profession » et pas plus « apolitiques » que les élus qu’ils côtoient 2747.
Échec dont la « boîte noire » permet la description clinique de la situation délicate dans laquelle se trouve l’APPCA, confinée entre l’administration et la profession, reconnue par les chambres départementales sans toutefois que directions nationales et aspirations locales s’ajustent volontiers, l’étude de la gestion des zones-témoins par l’APPCA importe surtout par les mécanismes qu’elle permet de lire, utiles à la compréhension de l’histoire de l’institution comme de l’évolution ultérieure des actions de vulgarisation agricole 2748. Prise entre deux feux, dans une lutte contradictoire et déchirante pour gagner la reconnaissance des pouvoirs publics, mais aussi des chambres d’agriculture, l’APPCA a su faire fructifier une intuition inattendue : une part de sa légitimité découle dès le début des années 1950 de l’existence de conseillers agricoles dans les chambres d’agriculture et de la capacité de leur assemblée permanente à faire de la coordination des actions locales de conseil la matrice et le cheval de Troie de son retour dans le cénacle des organisations agricoles de rang national. Dès 1954-1955, tout en réclamant une reconnaissance de son rôle « naturel » en matière « de formation, de recrutement, de perfectionnement et d’encadrement des assistants techniques agricoles, ainsi que […] dans l’élaboration et le contrôle de l’exécution des programmes de vulgarisation » 2749, l’APPCA déborde de toutes parts l’« Accord national agricole » de 1951 en votant à nouveau des délibérations relatives à la politique générale agricole.
En 1952, l’APPCA vient d’être refondée : sa résurrection de 1948-1949 a été tardivement suivie de nouvelles élections, et les chambres départementales d’agriculture ont été renouvelées aux trois quarts. Les contradictions sont nombreuses entre cette irruption d’acteurs nouveaux dans une institution dont le rôle est en pleine mutation et les pesanteurs de l’entre-deux-guerres et de l’Occupation, répercutées et amplifiées au sein de l’assemblée permanente. Les présidents de chambre d’agriculture sont plus âgés, plus anciens dans l’institution, plus majoritairement passés par les instances départementales de la Corporation paysanne, plus impliqués dans les organisations professionnelles agricoles nationales. Pareille distorsion entre les chambres départementales d’agriculture et le groupe des présidents ne peut qu’avoir des répercussions sur l’action que l’APPCA entend mener au nom des chambres d’agriculture. La composition du bureau, véritable instance de décision de l’APPCA, accentue très nettement ce phénomène. L’investissement de l’institution dans le programme d’aide technique et financière de productivité autour des zones-témoins, résulte de l’impératif institutionnel de définir de nouvelles tâches et zones d’intervention à l’APPCA, de consolider une légitimité chancelante. L’assemblée permanente se forge un nouveau rôle en devenant un rouage essentiel entre ministère et chambres départementales, en constituant des dossiers techniques argumentés et fondés sur la consultation locale, en organisant son « système de publication » autour du « progrès technique » et de la promotion du « bon conseiller agricole ».
Cela ne se comprendrait guère sans la prise en compte des initiateurs de ces actions et sans un regard attentif porté sur le développement des services administratifs de l’APPCA et des chambres d’agriculture, qui s’organisent en parallèle avec « le progrès technique » et le conseil agricole pour pivot. De même, les conflits qui éclatent dès 1953 révèlent les difficultés d’une APPCA, dont les dirigeants sont marqués par la Corporation paysanne, à travailler avec les pouvoirs publics, notamment au paroxysme des manifestations agricoles de l’été 1953. Ils éclairent surtout la complexité de l’articulation de cette crise avec l’action entreprise dans les départements. Révélée notamment par la topographie des immeubles voués à l’agriculture dans les villes-préfectures, une forte interconnaissance et interdépendance lie les élus de la chambre d’agriculture, les ingénieurs de la direction des services agricoles (DSA), les dirigeants du groupement de productivité créé au sein de la zone-témoin et les conseillers agricoles aux statuts précaires. Les dirigeants de l’APPCA entérinent cette disjonction entre local et national en adoptant un double langage : tout en maintenant ce rôle nouveau de rouage souple et coordinateur vis-à-vis de l’échelon départemental, l’institution s’autorise, par la voix de son président, des tirades qui nient les complexes évolutions locales. Ainsi, pendant la session du 23 novembre 1954, René Blondelle relit devant l’assemblée une adresse récemment adressée au président du Conseil : « Les agriculteurs ont exprimé, à maintes reprises, leur volonté que la vulgarisation du progrès technique et la formation professionnelle agricole soient organisées avec leur concours et sous la direction des chambres d’agriculture assistées, à titre de conseillers, des fonctionnaires compétents. Or, tels qu’ils sont connus, les projets de l’Administration de l’Agriculture, conduisent, au contraire, dans ces deux domaines, à la multiplication de fonctionnaires irresponsables… » Et de conclure : « ces idées n’ont pas encore fait leur chemin en haut lieu. Les chambres d’agriculture agissent. Le président les en félicite » 2750.
Arch. APCA, Documentation générale (Journaux régionaux, Protection incendie, CETA, Vulgarisation) Liste de commissaires enquêteurs 1961, 1952-1955, lettre de Louis Bidau, président de l’AGPM, à Luce Prault, directeur des services de l’APPCA, le 7 mai 1953.
Ibidem, Liste de commissaires enquêteurs 1961, 1952-1955, lettre de H. Menesson, directeur de l’Association Générale des Producteurs de Blé et autres Céréales, à Luce Prault, directeur de l’APPCA, le 19 mai 1953.
Ibidem, Liste de commissaires enquêteurs 1961, 1952-1955, circulaire adressée par le ministère de l’Agriculture, aux ingénieurs en chef, directeurs des Services Agricoles, le 29 mai 1953.
Ibidem.
Arch. APCA, Circulaires mars 1953-décembre 1953, circulaire adressée par Marc Ferré, secrétaire de l’APPCA, aux présidents des 70 chambres d’agriculture concernées par le programme « Vulgarisation Maïs », le 21 mai 1953.
Ibidem, Liste de commissaires enquêteurs 1961, 1952-1955, dossier Vulgarisation Maïs, réponses individuelles des chambres d’agriculture.
Quoique le questionnaire soit prévu pour recueillir les réponses : seules 31 chambres sur 48 emploient ce moyen, neuf autres reproduisent plus ou moins fidèlement le questionnaire et huit dernières reformulent à leur façon les questions posées ; trois chambres accompagnent leur réponse d’une lettre explicative. Les deux premières questions, concernant le nombre de sacs reçus et les variétés qu’ils contiennent, peu visibles sur le questionnaire, sont négligées dans un tiers des cas.
Arch. APCA, Documentation générale (Journaux régionaux, Protection incendie, CETA, Vulgarisation) Liste de commissaires enquêteurs 1961, 1952-1955, dossier Vulgarisation Maïs, réponse de la chambre d’agriculture de la Côte-d’Or, le 23 mai 1953.
Ibidem, réponse de la chambre d’agriculture de la Meuse, le 23 mai 1953.
Ibidem, réponse de la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme, le 22 octobre 1953.
Notons incidemment que Thimothée Sarazin, président de la chambre d’agriculture de la Vendée est dit « Directeur honoraire des Services Agricoles de la Vendée et de la Charente-Maritime (depuis 1934) » dans l’annuaire des chambres d’agriculture publié en 1955 ; double identité rencontrée à cette unique occasion.
Arch. APCA, Zones-Témoins avril 1953-1955, circulaire adressée par le Cercle national des jeunes de la CGA, aux présidents des groupements de productivité agricole, aux DSA et aux présidents des chambres d’agriculture, [sans date, juillet 1953].
Arch. APCA, Zones-Témoins avril 1953-1955, note à l’intention de M. Blondelle, signée par J. de La Grandville, le 21 juillet 1953.
Arch. APCA, Zones-Témoins avril 1953-1955, lettre de Jacques de La Grandville à André Lurton, président du CNJ-CGA, [sans date, autour du 22-23 juillet 1953].
Arch. APCA, Zones-Témoins avril 1953-1955, lettre de Jacques de La Grandville à Alcide Evrard, président de la FNGPA, le 24 juillet 1953.
Ibidem.
Voir notamment : Gordon WRIGHT, La révolution rurale en France... ouvrage cité ; Michel GERVAIS, Marcel JOLLIVET et Yves TAVERNIER, Histoire de la France rurale, tome 4 : La fin de la France paysanne, de 1914 à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 1976, 666 p.
Michel GERVAIS, Marcel JOLLIVET et Yves TAVERNIER, Histoire de la France rurale... ouvrage cité, p. 528.
À ne pas confondre avec son homonyme, président de la chambre d’agriculture de la Gironde de 1960 à 1974, et président de la FNSEA à partir de 1956.
Arch. APCA, CA Landes Loir-et-Cher 1949-1965, lettre de Joseph Courau, président de la chambre d’agriculture des Landes, au président de l’APPCA, le 13 octobre 1953.
Documentation APCA, Chambres d’agriculture, n° 42, 15 décembre 1953, pp. 14-15.
Documentation APCA, Chambres d’agriculture, n° 44, 15 janvier 1954, pp. 1-8.
Ibidem, p. 5.
Ibidem, p. 6.
Ibidem, p. 7.
Ibidem, pp. 7-8 : « C’est une œuvre difficile, mais je pense qu’il est un devoir très important pour une Assemblée des Présidents des Chambres d’Agriculture, qui a vraiment la responsabilité de l’orientation technique de notre Agriculture, de poser ce problème, de le mettre à l’étude, de le réfléchir, de le creuser et d’arriver à donner à la profession agricole, par le canal des Chambres d’Agriculture départementales, un certain nombre de suggestions ».
Arch. APCA, Ministère de l’Agriculture (1) 1950-1955, lettre du ministre à René Blondelle, le 1er avril 1954 ; lettre de René Blondelle au ministre, le 13 avril 1954.
Arch. APPCA, Documents officiels (2) 1950-1955, double d’une lettre envoyée par Marc Ferré, secrétaire de l’APPCA, à différents ministres, le 7 juillet 1953 : « les chambres d’agriculture et l’APPCA sont les seules institutions qui, sur votre demande ou de leur propre initiative, ont légalement le pouvoir de dire, au nom de l’agriculture tout entière et à titre consultatif, quels sont les intérêts agricoles et de nommer, ou, le cas échant, de proposer les représentants de l’agriculture dans tous les comités, conseils, commissions, offices et, généralement, dans tous organismes collectifs constitués ou à constituer par les administrations publiques, en vue de connaître les intérêts de l’agriculture ».
Alain CHATRIOT et Claire LEMERCIER, « Les Corps intermédiaires », article cité, pp. 691-698 ; voir aussi Sabine SAURUGGER, « L’expertise, un mode de participation des groupes d’intérêt au processus décisionnel communautaire », dans Revue française de science politique, n° 4-2002, volume 52, pp. 375-401.
Voir notamment à ce sujet : Jean-Pierre PROD’HOMME, Agriculteurs organisés. L’exemple du département de la Marne, ouvrage cité, f° 185 et suivants.
Voir infra Chapitre 6. B. Un précédent Luce Prault ?, p. 691.
Voir notamment : Paul HOUÉE, Les étapes du développement rural... ouvrage cité ; Jean-François CHOSSON, Les générations du développement rural, 1945-1990, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1990, 291 p ; Hélène BRIVES, « La voie française… », art. cité.
Documentation APPCA, Chambres d’agriculture, n° 78, 15 juin 1955, pp. 16-17.
Chambres d’agriculture, 15 décembre 1954, p. 34.