C. Portrait collectif de l’APPCA et des chambres d’agriculture en 1955

Les années 1953, 1954 et suivantes, si elles sont celles de la survenue de problèmes récurrents qui se greffent facilement sur la mission de gérance des programmes de progrès technique que tente de s’assigner l’APPCA, voient également se construire la ligne durable de l’action de l’institution, du fait même de ces aléas. Dans une conformation délicate, l’APPCA, confinée entre l’administration et la profession, reconnue par les chambres départementales sans toutefois que directions nationales et aspirations locales s’ajustent volontiers, amenée petit à petit à se retrancher de la gestion des zones-témoins, poursuit en l’élargissant ce secteur d’intervention qui s’avère être une forme de rodage au vu des actions menées ensuite. Avant de présenter les grandes lignes de cette pérennisation, il convient de procéder à une étude aussi fine que possible de ce qu’est, en 1955, l’APPCA, entendue en premier lieu dans son acception restreinte d’assemblée de présidents.

Cet engagement durable, ressenti collectivement, et bien au delà du groupe restreint des présidents de chambre d’agriculture, est, du fait même de la structure de l’institution, porté par les présidents de chambre d’agriculture, censés représenter leur département à Paris. L’association à la parole des individus de la mention de leurs propriétés sociales s’est avérée éloquente, notamment dans le cas de Maurice de Solages, mais aussi par les coups de projecteurs fugaces tentés au fil du développement : qu’en est-il cependant de l’identité du groupe que forment alors les présidents des 90 départements métropolitains après les élections de février 1955 ? L’annuaire publié à l’automne – outil de communication, « curriculum vitae » des présidents de chambre d’agriculture et « manifestation de l’importance de [ces] compagnies » 2751 pour René Blondelle – est pour nous une formidable source. Il reste qu’il importe de garder en mémoire les biais qu’elle comporte : d’une part les notices publiées sont complétées par les présidents eux-mêmes, et sont donc le produit de leur représentation de leur propre position, avec ce que cela implique d’omissions et d’imprécisions ; d’autre part il s’agit exclusivement, à de très rares indices rétrospectifs près, d’une photographie, d’un instantané saisi au cours d’une carrière dont cet annuaire nous laisse ignorante. Largement évoquée à propos des présidents de chambre d’agriculture de 1952, la question de leurs trajectoires, et notamment sous l’Occupation, sera ici moins présente, laissant la place à un portrait plus axé sur les figures de « dirigeants paysans » dévoilées par l’annuaire. Un parallèle avec le Who’s who et le Bottin mondain permet, plus que de dresser de manière systématique un portrait concurrent, de pointer des divergences en terme d’identités publiques et de proposer des interprétations, mais aussi de mieux caractériser les unes par rapport aux autres des formes de notabilités distinctes.

Les élections partielles de 1955 renouvellent peu les chambres départementales d’agriculture dans leur composition. On ne compte que 171 nouveaux membres : 91 % des membres en fonction sont reconduits 2752. 78, soit 46 %, des 172 membres qui ne se représentent pas ou qui ne sont pas réélus appartenaient à la chambre d’agriculture dès avant la guerre : près de la moitié d’entre eux appartenaient à un organisme corporatif départemental de la Corporation paysanne – CROC ou URCA. Notons cependant que 94, soit 6,5 %, des membres élus pour la première fois en 1952 ne sont pas réélus en 1955. Seuls trois de ces 94 membres sortants avaient appartenu aux structures corporatives départementales entre 1941 et 1944. Seuls 14 des 171 nouveaux membres sont d’anciens corporatistes de rang départemental : depuis 1952, le poids relatif des anciens membres des URCA régresse encore un peu au sein des chambres départementales d’agriculture, fléchissant vers le taux de 20 % 2753. Dans le même laps de temps, quinze nouveaux présidents de chambre d’agriculture ont été élus, au cours des années 1953, 1954 et 1955 : les corporatistes sont presque aussi nombreux parmi les nouveaux élus qu’ils l’étaient parmi les sortants et leur poids relatif à l’APPCA ne recule guère, restant supérieur à 50 % 2754. Le tableau de 1952 n’ayant guère changé, ce n’est pas à une analyse du même type qu’il nous faut nous consacrer maintenant, mais bien plutôt à un portrait collectif d’un autre genre, faisant son miel des riches informations contenues dans l’annuaire des chambres d’agriculture de 1955.

Cela apparaît peut-être comme une lapalissade, mais il semble qu’il faille se demander en quoi les présidents des chambres d’agriculture se présentent comme des « dirigeants professionnels », dans quelle mesure ils s’accordent à l’image globale ou spécifique qui peut en être donnée 2755, voire aux attendus que l’évocation des dirigeants agricoles appelle. Pour ce faire, l’étude des taxinomies professionnelles employées par les intéressés est importante, autant que celle du cursus scolaire ou de l’inscription de l’activité par rapport au milieu familial. Les formes de distinctions spécifiques que sont les décorations viendront partiellement combler l’indigence des autres informations relatives à l’« excellence »professionnelle. Surtout, l’examen minutieux des responsabilités professionnelles énoncées dans l’annuaire sera effectué, avant d’aborder quelques uns des éléments discordants qui encouragent à une analyse plus fine.

Notes
2751.

Annuaire APCA 1955, lettre autographe de René Blondelle, pp. 5-8.

2752.

Voir Annexes. Dossier n° 12. Tableau 1 et graphiques 1 et 2.

2753.

Voir Annexes. Dossier n° 12. Graphique 6.

2754.

Voir Annexes. Dossier n° 12. Graphique 7.

2755.

Voir notamment : Pierre COULOMB et Henri NALLET, Le syndicalisme agricole et la création du paysan modèle... ouvrage cité ; Jean-Pierre PROD’HOMME, « Les relations entre les organisations professionnelles et les agriculteurs »... article cité ; Sylvain MARESCA, Les dirigeants paysans... ouvrage cité ; Bruno DUMONS, « Élites agricoles et médiateurs politiques. Recherche sur les élus des chambres d’agriculture... », article cité.