Dans l’annuaire des chambres d’agriculture publié en 1955, sur les 90 présidents métropolitains, 82 indiquent une profession : parmi ces mentions, 17 cas de figure différents se rencontrent 2756. La prédominance du terme « agriculteur » est éclatante : 54 % des présidents l’emploient sans autre indication à leur propos, il représente 58 % des professions indiquées et 60 présidents y ont recours. À l’inverse, le terme « cultivateur » se distingue par son absence si l’on excepte l’unique « cultivateur et arboriculteur ». Sur l’ensemble de l’effectif, seul un président sur cinq fournit des précisions concernant ses productions, ce qui est de toute évidence trop peu pour pouvoir tirer des conclusions probantes. Toutefois, retenons que dix présidents de chambre d’agriculture se disent viticulteurs : la production de vin peut dans ce cas vraisemblablement être considérée comme une spécialisation. Seuls quatre élus se présentent comme « éleveurs », ce qui ne signifie vraisemblablement pas que les autres ne s’adonnent pas l’élevage, mais indique sans doute une spécialisation marquée, s’éloignant de la polyculture. Enfin, six horticulteurs, arboriculteurs ou maraîchers sont assez certainement engagés dans une spécialisation très particulière et caractéristique de certaines zones périurbaines. Cette rareté des précisions professionnelles signifie-t-elle que les autres présidents dirigent des exploitations plutôt orientées vers la polyculture associée à l’élevage ? Le fait que pas un seul président mentionne les productions dominantes des régions de grandes culture est patent : la spécialisation céréalière ou betteravière ne se rencontre à aucun moment. Soulignons enfin que six présidents n’indiquent aucune profession, tandis que deux d’entre eux se disent « professeur d’agriculture » et « Ingénieur TPE en retraite ».
Ces taxinomies imprécises masquent des cas de spécialisations avancées. Paul Simon, président de la chambre d’agriculture du Loir-et-Cher, se dit simplement « agriculteur » alors qu’il dirige l’« élevage des Halloirs, poussins d’un jour, Sussex, Gatinaise, Faverolles » 2757 à Bizy, commune d’Ouzouer-le-Marché. De même ses fonctions de membre suppléant du conseil d’administration du Syndicat régional betteravier du Loiret, de l’Eure-et-Loir, et du Loir-et-Cher 2758 suggèrent qu’une partie de son exploitation est consacrée aux cultures industrielles que sont les betteraves. La collecte des indices que sont les mandats professionnels détenus dans des organisations spécialisées par production permet d’affiner le constat. Le nombre de présidents pour lesquels l’orientation de l’exploitation est restée totalement inconnue est certes moindre qu’en 1927 2759 : l’enquête prosopographique repose en 1955 sur un matériau plus abondant et plus homogène, permettant une connaissance plus précise des mandats professionnels détenus. L’existence de l’Annuaire betteravier publié en 1945, les informations relatives aux mandats exercés dans les comités départementaux des céréales (ONIC) et à l’AGPB, aboutissent notamment à un gonflement du nombre des céréaliers et des betteraviers repérés au sein du groupe des 90 présidents 2760. La proportion des éleveurs reste extrêmement importante, en ce qu’elle apparaît très largement avec les fonctions occupées dans les coopératives laitières, fédérations d’éleveurs et syndicats d’élevage. Sans pouvoir comparer de façon univoque la situation de 1955 avec celle de l’entre-deux-guerres, il apparaît que les présidents de chambre d’agriculture ne semblent pas aussi en retrait du mouvement de spécialisation agricole en cours que ne le suggèrent les taxinomies professionnelles utilisées dans les pages de l’annuaire.
Sous l’angle du mode de faire-valoir, se distinguent à peine 17 indices relativement vagues : quinze présidents emploient le terme « exploitant » : s’agit-il alors d’insister sur le fait qu’ils cultivent eux-mêmes ou de signaler leur statut de fermier ? Les six présidents qui se disent propriétaires-exploitants le font sans doute pour se démarquer des propriétaires rentiers qui donnent toutes leurs terres en fermage. Les huit autres ne précisent pas s’ils sont propriétaires de tout ou partie des terres qu’ils exploitent : aucune allusion au fermage ni au métayage, ni à toute autre forme de faire-valoir indirect. Sur l’ensemble, 72 % des présidents ne donnent cependant aucune précision à ce propos. La position des chambres d’agriculture et de l’APPCA – en porte-à-faux face aux représentants des fermiers de la FNSEA, mais surtout face à ceux des dirigeants agricoles de l’après-guerre qui mirent en avant le terme d’« exploitant agricole » pour mieux signifier la volonté de se démarquer des organisations dirigées par les agrariens du début du siècle, assimilés aux propriétaires rentiers non-exploitants – l’explique en partie : pour l’APPCA notamment, l’intérêt est réel et palpable à se dégager de cette dichotomie-là, d’où la rareté des indices faisant référence au mode de faire-valoir.
Les notices des 42 présidents figurant dans le Who’s who, à la date de parution postérieure la plus proche, ne recèlent que peu d’indices : l’uniformisation sous la désignation « agriculteur » est encore plus évidente, et quatre des six présidents dont l’activité professionnelle n’est pas évoquée dans l’annuaire sont désignés comme ingénieur agronome, vétérinaire, agriculteur et éleveur. En confrontant les taxinomies de ces deux sources, pour un même président, on réalise combien leur indétermination est grande : un seul des quinze présidents qui se désignent comme « exploitants » dans l’annuaire, est aussi présenté ainsi dans les pages du Who’s who – cette constatation mettant en même temps en lumière la plus grande propension à user de ce terme dans une publication destinée à un lectorat agricole ou impliqué dans la politique agricole 2761. Dans seulement treize cas l’expression employée dans l’annuaire est strictement la même que dans la notice biographique, cette configuration excluant d’ailleurs toutes les associations de mots pour ne retenir que le terme générique d’agriculteur. Il reste que relativement à la remarque de Bruno Dumons, qui notait l’importance du corps des juristes au sein du groupe des élus aux chambres d’agriculture du Sud-Est en 1927, aucune mention de ce type de profession n’est faite dans l’annuaire, et seul Achille Naudin se dit « avocat à Nevers » entre 1911 et 1954 2762. Depuis l’entre-deux-guerres, le reflux est net : les présidents exerçant une profession juridique étaient alors minoritaires mais présents, quant en 1955 ils ne semblent plus avoir leur place.
La question des taxinomies, de leur signification et de l’évolution de celle-ci 2763 ne saurait en tout état de cause s’enrichir dans le cadre d’une coupe, si l’on en croit Jacques Rémy, qui, se penchant sur les classifications statistiques, énonce que « les principes et les pratiques de construction de la catégorie "agriculteur" varient, d’une époque et d’une institution à l’autre, invitant à considérer ces variations comme d’utiles indications sur l’évolution des politiques agricoles, des rapports de force entre groupes sociaux, des représentations de l’agriculture chez les agents impliqués » 2764. Outre l’indispensable épaisseur chronologique, il manque à cette brève approche une réelle pluralité de sources permettant un croisement nominatif, susceptible d’éclairer la complexité des structures socio-professionnelles, les formes de pluriactivité éventuelles ainsi que les « tromperies d’une lecture univoque des taxinomies professionnelles » 2765. De même, une étude de ces dirigeants ne peut faire l’économie d’une approche en termes de propriété, inaccessible au niveau national, et de mode de faire-valoir, puisque comme le montre Jean-Luc Mayaud, « la présence de la grande propriété ne prend sens que si son mode de faire-valoir est connu : cultivée directement ou confiée à quelque régisseur dirigeant des salariés, elle domine économiquement ; divisée en petites tenures pour sa location, elle s’efface » 2766. Parmi les quinze membres de la chambre d’agriculture du Rhône en fonction en 1955, d’après les listes des bailleurs et preneurs à fermage ou à colonat partiaire, six, dont Jules Calloud, président, sont répertoriés en tant que bailleurs et un seul en tant que preneur 2767. Peut-on cependant comparer les situations de Guy de Saint-Laumer, « bailleur à colonat partiaire (métayage) » à Corcelles-en-Beaujolais, ou de François de L’Escaille, « bailleur à ferme » à Chénelette, à celle de Jean Marduel, à la tête d’une « société civile immobilière du domaine des Tours » 2768 à Saint-Étienne-la-Varenne ? Joseph Mure, recensé comme « preneur », est dit « agriculteur » dans l’annuaire de 1955 : celui qui est secrétaire général adjoint de la Fédération des exploitants agricoles du Rhône et secrétaire adjoint de la chambre d’agriculture depuis 1952, est également président de la zone-témoin du Rhône. Cette situation de coexistence des fermiers et des propriétaires bailleurs dans le cénacle de la chambre et même au sein de son bureau est en elle-même significative, même si le constat ne peut guère être généralisé à un territoire métropolitain où les modes de faire-valoir sont très divers et peu comparables.
Un facteur saillant semble celui de la formation : la confrontation des données fournies par l’annuaire et par les notices du Who’s who permet d’identifier au moins un élément de l’itinéraire scolaire, général ou professionnel, pour 39 des 90 présidents métropolitains, soit 43 %. Suivant l’annuaire, sept présidents se disent « ancien élève » d’une école d’agriculture, dont un de l’Institut national agricole de Grignon, deux de l’Institut agricole de Beauvais et deux de l’École supérieure d’agriculture d’Angers. Quinze, soit 18 % du total, mentionnent leur titre d’ingénieur agricole, pour six d’entre eux, ou agronome, pour cinq d’entre eux. La confrontation avec les données des annuaires des ingénieurs agricoles et agronomes révèle une répartition légèrement différente : sept sont ingénieurs agronomes, issus de l’Institut national agricole et ont appartenu aux promotions 1894, 1901, 1910, 1919 et 1921 2769, sept sont ingénieurs agricoles, dont cinq ont été formés à Grignon et un à Rennes 2770, deux autres à l’Institut agricole de Beauvais 2771. Un président a suivi les enseignements prodigués à l’École supérieure d’agriculture d’Angers, un autre vient de l’École supérieure d’agriculture "La Félicité" à Aix-en-Provence. Trois présidents font enfin étalage de leurs humanités en citant leurs diplômes universitaires, en droit et en lettres : il reste que 64 présidents, soit 71 % de l’effectif, ne mentionnent aucun diplôme.
La consultation du Who’s who révèle que 13 de ces derniers ont suivi toutefois une formation professionnelle qu’ils jugent digne de formaliser en remplissant leur notice. De l’examen de l’ensemble des données relatives aux cursus scolaires proprement dit, il ressort peu de constantes : le parcours-type qui, du collège au lycée jusqu’à l’École supérieure d’agriculture, représente sans doute une sorte d’idéal, n’est attesté que par cinq présidents de chambre d’agriculture ; la diversité chorale des types de cursus déroute. Des constats peuvent toutefois être établis qui posent question. Des deux cursus-types rencontrés, le plus fréquent passe exclusivement par l’enseignement général, et pour les deux tiers par le lycée, l’université ou l’enseignement supérieur 2772. Est-ce à dire que l’acquisition d’une culture scolaire ou universitaire générale est vécue comme particulièrement valorisante et du fait qu’elle enrichit un portrait largement fondé sur des caractéristiques professionnelles agricoles ? Est-ce là une des manifestations de l’appartenance à une bourgeoisie agricole qui souhaite des rapprochements avec la bourgeoisie citadine 2773 ? Le jeune Ferdinand Barlet, lorsqu’il sort de l’École normale de Guéret, envisage-t-il son avenir dans l’agriculture ? Sa trajectoire se révèle intéressante. Il se dit « Instituteur public, puis instituteur chargé de l’enseignement post-scolaire dans le canton d’Aubusson, exploitant agricole à Saint-Maixant, Expert agricole agréé près les Tribunaux », témoignant d’une inflexion opérée en direction d’un retour à une activité agricole, que pratiquait son père, ou du moins à son assertion. Parmi les présidents à la trajectoire scolaire non-agricole, on repère cinq fils d’agriculteurs et deux fils d’éleveurs, tandis que les deux autres ne mentionnent pas la profession de leur père 2774 : s’agit-il alors de tempérer l’évidence d’un destin agricole par l’affirmation d’une certaine « distance à l’agriculture » 2775, et donc de justifier a posteriori une carrière par la seule inclination personnelle ?
Le décalage distinctif, vis-à-vis de la grande majorité des jeunes agriculteurs, se joue certes sur l’obtention de diplômes : sept des présidents qui, figurant dans les pages du Who’s who de l’édition 1957, évoquent un diplôme citent notamment le baccalauréat, et les titres de licencié ou de docteur sont mis en avant. Il reste que se manifeste avec évidence l’importance du passage par une formation proprement agricole, « qui tend à constituer l’activité agricole en métier » 2776. Mentions des écoles et des diplômes se complètent : aux côtés des ingénieurs agronomes, donc issus de l’INA, ceux qui sont issus des écoles supérieures d’agriculture mentionnent celles de Grignon, Angers ou Beauvais. Les formations agricoles semblent plus fréquentes chez les plus âgés des présidents, et les plus jeunes d’entre eux ne donnent aucun indice sur leur parcours scolaire. Deux raisons concurrentes semblent pouvoir l’expliquer : d’une part, les sources de la légitimité des dirigeants agricoles ont changé et reposent moins sur une caution académique, caution admise par les élites urbaines, mais d’autre part, collectivement, l’institution qu’est l’APPCA s’enorgueillit de compter parmi ses membres des anciens élèves des écoles d’agriculture et d’agronomie les plus réputées, « manifestation parmi d’autres de la position contradictoire de l’élite paysanne, groupe dominant d’une classe dominée » 2777.
Dans la moitié des notices du Who’s who seulement, l’identité du père est indiquée : cela ne surprend pas, Olgierd Lewandowski et Cyril Grange ont chacun montré la moindre familialisation des notices de cet annuaire, défini par l’excellence professionnelle justement, par rapport au Bottin Mondain surtout 2778. Quatre présidents alignent les noms de leurs père et mère sans toutefois aborder la question professionnelle. Parmi les autres, la prédominance agricole existe, sans toutefois être éclatante, puisqu’un tiers de la poignée de notices concernées consigne une profession paternelle éloignée de l’agriculture. Sans que cela soit bien probant au vu de l’effectif très réduit dont il s’agit, retient l’attention le fait que, à l’inverse des fils d’agriculteurs qui se prévalent d’un cursus généraliste, ceux dont le père n’est pas agriculteur mentionnent tous, sans exception, un passage dans une école supérieure d’agriculture.
Sylvain Maresca retient la spécialisation laitière, « qui remplace l’innovation dans l’ordre des caractères distinctifs » 2779, comme critère de l’excellence professionnelle dans les années 1970, mais en l’absence d’indications spécifiées, quelle autre mesure proposer de cette excellence ? Il faudrait sans doute connaître les prix décrochés par les exploitants-modèles que ne sauraient manquer d’être au moins quelques-uns des présidents de chambre d’agriculture 2780 : ceux-ci sont rarement mentionnés dans les notices publiées au niveau national, à l’exception de Joseph Aveline, président de la chambre d’agriculture de l’Orne, qui se dit, dans l’édition de 1957 du Who’s who, « Lauréat de la Prime d’honneur dans l’Orne » en 1925 et « Lauréat de la meilleure vache de France » 2781. En 1924, Jacques Benoist, président de la chambre d’agriculture d’Eure-et-Loir aurait été lauréat de la prime d’honneur pour la région du Nord 2782.
Parmi les signes extérieurs d’excellence professionnelle susceptibles de marquer une appartenance aux élites agricoles, locales au moins, figure en tête la médaille du Mérite agricole 2783, qui est une forme de reconnaissance par le régime en place pour services rendus à l’agriculture, mais qui signifie également une volonté délibérée de la part de l’intéressé d’objectiver une position. Parmi les 90 notices de l’annuaire des chambres d’agriculture édité en 1955, 42 symboles de cette décoration sont représentés, soit 47 % des présidents de chambre d’agriculture 2784. D’après cette source, dix le sont au grade de chevalier, accessible à partir de trente ans et de dix ans de services. 23 % ont atteint le second palier, celui d’officier, auquel on ne peut prétendre qu’après cinq ans d’ancienneté au grade de chevalier. Enfin, onze présidents, soit 12 %, ont été faits commandeur du Mérite agricole, après encore cinq années au moins, ce qui explique sans doute leur âge plus avancé, avec une moyenne de 69,5 ans. Il reste que ce pourcentage global de 47 % ne paraît pas démesuré : on eût attendu une nette majorité là où l’on a une petite moitié. La relative jeunesse de ceux qui n’ont pas encore, au vu de cette seule source, été distingués dans l’ordre du Mérite agricole, soit en moyenne 54,7 ans, peut en être la cause. Cependant, une comparaison avec le Who’s who de l’édition 1957 révèle que cinq des présidents qui ne signalaient pas cette décoration à leur actif à l’automne 1955, la citent à la fin de l’année suivante. Bernard Roux de Reilhac et Charles Durand, chevaliers, peuvent certes avoir été promus dans l’interstice qui existe entre les deux annuaires. Cependant, Gustave Ramel et Christian d’Andlau, officiers du Mérite agricole selon les notices du Who’s who, ou Joseph Aveline, commandeur, appartenaient nécessairement à l’ordre en 1955 : faut-il alors conclure à des approximations et à des oublis fâcheux au fil des pages de ces annuaires ? Ne faudrait-il pas préférablement se demander si, pour certains dirigeants locaux influents et confirmés dans cet ascendant depuis de nombreuses années, la détention d’une médaille dont l’obtention date, paraît aller de soi et n’a donc nullement besoin d’être réaffirmée ?
Plus nombreux au sein de l’annuaire, ceux qui disent avoir été décorés de la Légion d’honneur représentent 51 % de l’effectif : les trois quarts de ceux-ci ne sont cependant que chevaliers, alors que la moitié des détenteurs déclarés du Mérite agricole pouvait se targuer de l’être au grade d’officier. Seule une étude fine des dossiers, dans une optique longitudinale, pourrait permettre de déceler l’existence éventuelle de promotions accélérées, possible entre ces deux distinctions, que suggère la fréquence de leurs mentions. L’examen des conjonctions entre ces deux décorations 2785 pointe un groupe de 22 présidents qui, déclarant deux médailles, mentionnent précisément celles-ci. Dix présidents sont simultanément officiers du Mérite agricole et de la Légion d’honneur, et leur relative jeunesse, soit 57,2 ans, est frappante. Le plus décoré dans cette configuration est Louis Tardy, président de la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres, auquel son grand âge – 80 ans –, a permis d’accéder à la fois au grade de commandeur du Mérite agricole et de grand croix de la Légion d’honneur, tout en étant aussi officier de l’Instruction publique. Ces distinctions appuyées viennent souligner l’altitude d’une notabilité fondée désormais surtout sur une position décisive au sein du Crédit agricole, en tant que président de la Fédération nationale et administrateur de la Caisse nationale, mais également comme ancien président de l’Académie d’agriculture, membre de l’Institut de France, et professeur honoraire à l’Institut national agronomique et à l’Institut d’agronomie coloniale.
Quinze présidents mentionnent également une médaille militaire, dont les plus courantes sont les diverses Croix de guerre : les écarts d’âge vont alors de soi, quoique l’on puisse avoir été distingué pour faits de guerre lors des deux conflits mondiaux, comme Jean de La Bruyère, président de la chambre d’agriculture de la Drôme. Il reste que les dates auxquelles ces rubans ont été accrochés à leur veston importent, du fait même des changements politiques qui en gouvernent l’attribution, comme pour les autres décorations, d’une façon plus criante peut-être. S’agit-il de la Première Croix de guerre, instituée dès septembre 1939, de la Croix de guerre de l’État Français, créée par le gouvernement de Vichy en mars 1941, de la Croix de guerre dite « Giraud », datant de mars 1943, ou enfin de la Croix de guerre France Libre, citation à l’ordre des Forces françaises libres, instituée par le général de Gaulle en septembre 1942 et donnant droit au port de la Croix de guerre avec une palme en vermeil ? Aucune décoration mentionnée dans l’annuaire ne fait référence à un engagement dans la Résistance – précisons cependant que la Croix du combattant volontaire de la Résistance a été créée tardivement 2786. Le dépouillement de l’annuaire des médaillés de la Résistance française n’a permis d’identifier qu’un des 90 présidents : André Corne, président de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne depuis 1952, a été décoré en 1947 2787 mais ne mentionne pas cette médaille dans sa notice de l’annuaire des chambres d’agriculture de 1955.
Parmi les autres décorations mentionnées dans l’annuaire, citons les trois détenteurs des Palmes académiques, pour avoir « apporté une contribution exceptionnelle à l’enrichissement du patrimoine culturel » 2788. Le Who’s who, outre ce qui a été montré, ne révèle pas de tendances majeures, mais signale une variété plus grande de décorations, comme l’ordre de Nicham-Iftikhar ou de Ouissam Alaouite, et révèle un autre officier des Palmes académiques, ainsi que deux chevaliers. Dans l’ensemble, 69 % des présidents de chambre d’agriculture se prévalent de leurs décorations dans les pages de l’annuaire 2789 : malgré les biais partiellement dévoilés qui peuvent modifier cette répartition, le fait que ceux-ci soient en moyenne de dix ans plus âgés que leurs collègues apparemment non décorés incite à voir là au moins une tendance.
Agriculteurs distingués, les présidents de chambre d’agriculture de 1955 le sont, mais le niveau de distinction atteint obture le champ de vision. Les premières récompenses éventuellement obtenues, dans les concours agricoles locaux par exemple, ou les distinctions honorifiques départementales ne sont pas citées par des dirigeants soucieux avant tout d’apparaître comme des acteurs de rang national, susceptibles de rivaliser avec leurs homologues des grandes organisations agricoles, voire avec des dirigeants extérieurs à l’agriculture. Exploitation, formation spécifiquement agricole, excellence professionnelle et activité économique sont très peu renseignées et la confrontation des sources ne permet que de faire affleurer de trop rares indices. Ainsi, si Charles Desbois, président de la chambre d’agriculture du Loiret, se dit seulement « agriculteur » dans l’annuaire des chambres d’agriculture de 1955, l’annuaire des ingénieurs agronomes de 1936 le cite comme « apiculteur » 2790 et celui de 1957 comme « Fabricant de produits raticides » 2791. Profession, formation, filiation, décorations ont rythmé jusque-là ce rapide portrait du groupe clairement délimité que forment les présidents des chambres d’agriculture. Or, pour Jean-Pierre Prod’homme, « dans de nombreux cas, il semble que ce soit davantage par leurs engagements professionnels que les leaders participent au phénomène général d’ascension sociale, beaucoup plus que dans leur activité agricole, aussi bien conduite soit-elle. C’est dans l’exercice de leurs responsabilités qu’ils peuvent s’imposer et s’ils réussissent, gravir les niveaux successifs » 2792, tandis que Sylvain Maresca met en garde contre le risque de « sous-estimer l’influence des représentants paysans [en] ignor[ant] leur pouvoir dans la redéfinition des critères de la réussite professionnelle » 2793.
Voir Annexes. Dossier n° 8. 1. tableau 1 et 2.
Guide national agriculture 1951-1952, annonce publicitaire, p. 116.
Annuaire betteravier 1945-1946, p. 136.
Voir Annexes. Dossier n° 1. 2. tableau 3.
Voir Annexes. Dossier n° 8. 1. tableau 1bis.
Dans le Who’s who, trois notices sur 42 (7 %) seulement emploient le terme « exploitant » contre quinze sur 90 (16 %) dans l’annuaire.
Who’s who in France, Paris, Éditions Jacques Lafitte, 1957, 2304 p.
Notamment abordées dans : Pierre BARRAL, « Note historique sur l’emploi du terme "paysan" », dans Etudes rurales, n° 21, avril-juin 1966, pp. 73-81 ; Raymond HUARD, « " Rural ". La promotion d’une épithète et sa signification politique et sociale, des années 1860 aux lendemains de la Commune », dans Le monde des campagnes.– Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 45, octobre-décembre 1998, pp. 789-806.
Jacques RÉMY, « Qui est agriculteur ? Un monde à part ? », dans Pierre COULOMB, Hélène DELORME, Bertrand HERVIEU, Marcel JOLLIVET et Philippe LACOMBE [dir.], Les agriculteurs et la politique, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1990, 594 p., pp. 257-265, p. 257.
Jean-Luc MAYAUD, « Spécialisation pastorale et hiérarchies villageoises... », article cité, p. 428.
Jean-Luc MAYAUD, La petite exploitation rurale triomphante... ouvrage cité, p. 36.
Arch. dép. Rhône, 3556 W 48-49, Établissement des listes des bailleurs et preneurs à fermage ou à colonat partiaire (classement par canton puis par commune) : procès-verbaux de dépôt de liste, notes et correspondance. Arrondissement de Lyon et de Villefranche, 1946.
Ibidem.
Annuaire INA 1957
Annuaire des ingénieurs agricoles1955.
Institut agricole de Beauvais, Annuaire de la Société amicale des anciens élèves (octobre 1961), [Beauvais], [Institut agricole de Beauvais], [1961], 156 p.
Voir Annexes. Dossier n° 8. 1. tableau 3.
Sylvain MARESCA, « Grandeur et permanence des grandes familles paysannes… », article cité, p. 45.
Voir Annexes. Dossier n° 8. 1. tableau 4.
Sylvain MARESCA, Les dirigeants paysans... ouvrage cité, p. 34.
Ibidem, p. 46.
Sylvain MARESCA, « Grandeur et permanence des grandes familles paysannes... », article cité, p. 45.
Olgierd LEWANDOWSKI, « Différenciation et mécanismes d’intégration... », article cité ; Cyril GRANGE, Les gens du Bottin Mondain... ouvrage cité.
Sylvain MARESCA, Les dirigeants paysans... ouvrage cité, p. 38.
Jean-Luc MAYAUD, 150 ans d’excellence agricole en France… ouvrage cité.
Who’s who in France, Paris, Éditions Jacques Lafitte, 1957, 2304 p.
Jean JOLLY, Dictionnaire des parlementaires français… ouvrage cité, pp. 536-537.
Gaëlle CHARCOSSET, « La distinction aux champs : les médaillés du Mérite agricole (1883-1914) », article cité ; Jean-Pierre ROUSSEAU, Cent ans de Mérite agricole, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1988, 96 p. (préface de François Guillaume).
Voir Annexes. Dossier n° 8. 1. tableau 5.
Voir Annexes. Dossier n° 8. 1. tableaux 6 et 7.
En 1954 selon : http://www.fncv.com/decorations/10_croix_comb_resistance.html
Association nationale des médaillés de la Résistance française, Annuaire des médaillés de la Résistance française, Paris, [s.n.], [s.d.], 324 p.
Cité par : Jean BATTINI et Witold ZANIEWICKI, Guide pratique des décorations françaises actuelles, Paris, Charles Lavauzelle, 1998, 281 p., p. 116.
Voir Annexes. Dossier n° 8. 1. tableau 8.
Annuaire INA 1936.
Annuaire INA 1957.
Jean-Pierre PROD’HOMME, « Les relations entre les organisations professionnelles et les agriculteurs ».. article cité, p. 48.
Sylvain MARESCA, « L’excellence professionnelle chez les dirigeants agricoles », article cité, p. 49.