L’idée qu’il faudrait présenter une image cohérente avec celle, collective, de l’institution semble être à retenir. Est-ce dans l’optique de souligner encore un ancrage rural que 33 présidents, soit 37 %, mentionnent dans l’annuaire un mandat de maire et la dimension de l’engagement municipal qui atteint 44 % si l’on y associe les adjoints au maire 2810 ? Cette répartition en termes de mandats politiques, révélant notamment un nombre consistant de sénateurs, relativement aux députés, ainsi qu’une poignée de conseillers généraux, diffère peu de celle présentée dans le Who’s who. Parmi les 42 notices, trois sur quatre recensent des mandats politiques : les sénateurs désignés sont les mêmes que dans l’annuaire, mais ils prennent soin de mentionner le groupe sénatorial auquel ils appartiennent, ce qui n’est jamais indiqué dans l’annuaire des chambres d’agriculture : il apparaît alors une certaine proximité avec le Centre national des indépendants et paysans, dont les deux variantes parlementaires sont représentées 2811. Les mairies sont rarement citées comme seul mandat mais viennent parachever des parcours souvent riches, reprenant notamment la liste des anciens sièges occupés – ainsi, en cumulant les informations données par les deux sources, il apparaît que 41 présidents se disent maire ou ancien maire, voire conseiller municipal.
Au marquage politique plus explicite et à une épaisseur de carrières dignes de professionnels de la politique, qui infléchissent sensiblement l’image donnée isolément par la première source, viennent s’ajouter des éléments biographiques tus dans le cadre de l’exposé des attributs du dirigeant paysan et président de chambre d’agriculture – dernier mandat qui, dans le Who’s who, est presque toujours indiqué en tête des mandats professionnels sur le lot des 42 notices. Ce sont, pêle-mêle : le « violon d’Ingres » qu’est la photographie pour Joseph Richer, président de la chambre d’agriculture de l’Ain, l’équitation et les concours hippiques pour René Blondelle, l’appartenance de Raymond Azibert, président de la chambre d’agriculture de l’Aude au Rotary Club de Carcassonne ; à celui de Nevers et au Cercle Républicain de Paris pour Achille Naudin, au Jockey-club pour le Finistérien Hervé Budes de Guébriant, toutes activités qui les font se démarquer sensiblement des caractéristiques attendues du « mode de vie paysan ». L’examen des mandats professionnels mentionnés dans le Who’s who ne permet certes pas de chiffrer des distorsions au vu de la faiblesse de l’effectif commun, cependant le lissage vers le haut des mandats apparaît assez évident en étudiant ces notices qui ne s’embarrassent guère des responsabilités locales.
Des remarques moins laconiques relativement à la carrière professionnelle sont à retenir : nous avons déjà développé l’exemple édifiant de Maurice de Solages. Ajoutons-y Marius Rodot, agriculteur, président de l’Union départementale de la CGA du Jura, administrateur de la Caisse d’assurances sociales de ce département, et président d’un « syndicat d’électricité », ainsi que maire et conseiller général, selon l’annuaire des chambres d’agriculture, ce président de chambre d’agriculture se révèle aussi avoir été « contrôleur aux Transports en commun de la Région Parisienne » entre 1922 et 1927 2812, ce qui donne une toute autre épaisseur à sa trajectoire. Quelques rares mentions éclairent fugitivement une activité professionnelle peu spécifiée. Dans la rubrique « œuvres et travaux », Joseph Richer est dit « militant syndicaliste agricole, [qui] a été à l’origine du Mouvement de la création des grandes laiteries coopératives dans l’Ain ». On apprend encore à la lecture du Who’s who que René de Tocqueville « a représenté la Fédération Nationale des Exploitants Agricoles et la Fédération Nationale des Coopératives laitières dans tous les congrès internationaux de la Confédération européenne de l’Agriculture ». Joseph Aveline est dit « Exportateur de reproducteurs de la race chevaline percheronne et bovine normande ». Enfin, Jean-Marie Courtot, président de la chambre d’agriculture du Territoire de Belfort, aurait « contribué à la modernisation de sa commune, à la création de diverses Coopératives agricoles départementales ». Enfin six carrières professionnelles sont « consacrées à l’agriculture », expression récurrente.
Notes discordantes également que celles relatives aux présidents de chambre d’agriculture appartenant à des familles issues de la noblesse : les plus illustres en sont Hervé Budes de Guébriant, René Clérel de Tocqueville, qui mentionnent leur ascendance dans le Who’s who, Christian d’Andlau-Hombourg et Maurice de Solages, mais l’on dénombre aussi Bernard Roux de Reilhac, en Charente, Augustin de Villeneuve-Bargemont, de la Somme, Jean de La Bruyère, dans la Drôme et le Haut-Saônois Jean de Maillard – ces deux derniers, ainsi que le petit neveu de « Alexis de Tocqueville, descendant de Vauban et de Malesherbes », étant nés à Paris, ce qui laisse supposer des phénomènes de double résidence 2813. Les mariages qu’ils font au sein de familles nobles sont autant d’indices d’une distinction dont l’annuaire des chambres d’agriculture ne dit rien 2814. L’examen particulier de leur propriétés sociales permettrait de saisir quelques unes des suites d’un mouvement engagé à la fin du 19e siècle quand « le syndicalisme agricole s’emparticule » 2815, dans l’optique de « reconversions » à considérer dans leurs nuances 2816. D’autres formes d’une différenciation sociale prononcée se lisent au travers de la présence de certains dans le Bottin mondain de l’année 1956 2817, qui est le lot d’un président de chambre d’agriculture sur cinq. Enfin, le fait de figurer aujourd’hui dans le Who’s who in France, XX e siècle 2818, comme dans d’autres dictionnaires moins récents, implique d’être entré dans le cercle restreint de ceux qui ont marqué durablement et sont devenus des « personnalités ».
Voir Annexes. Dossier n° 8. 1. tableau 26.
Pierre LEVÊQUE, Histoire des forces politiques en France. Tome 3 : 1940 à nos jours, Paris, Librairie Armand Colin, 1997, 511 p.
Who’s who in France, Paris, Éditions Jacques Lafitte, 1957, 2304 p.
Claude-Isabelle BRELOT, « Itinérances nobles : la noblesse et la maîtrise de l’espace... », article cité.
Monique de SAINT-MARTIN, « Les stratégies matrimoniales dans l’aristocratie. Notes provisoires », dans Actes de la recherche en sciences sociales, n° 59, septembre 1985, pp. 74-78.
Claude-Isabelle BRELOT, « Le syndicalisme agricole et la noblesse en France de 1884 à 1914 »... article cité, p. 202 ; voir aussi : Daniel MENGOTTI, « Noblesse et catholicisme social dans les campagnes », dans La noblesse et le catholicisme social de la Restauration à la première guerre mondiale, n° spécial du Bulletin de l’Association d’entraide de la noblesse française, juin 1992, pp. 64-121 ; Jean-Luc MAYAUD, « Noblesses et paysanneries de 1789 à 1914 : des rapports d’exclusion ? », dans Claude-Isabelle BRELOT [dir.], Noblesses et villes (1780-1914). Actes du colloque de Tours, 17-19 mars 1994, Tours, Université de Tours/Maison des sciences de la ville, 1995, 374 p., pp. 55-69.
Claude-Isabelle BRELOT, La noblesse réinventée... ouvrage cité.
Voir Annexes. Dossier n° 8. 1. tableau 28.
Béatrice et Michel WATTEL [dir.], Who’s who in France, 20 e siècle. Dictionnaire biographique des Français disparus ayant marqué le 20 e siècle, Levallois-Perret, Éditions Jacques Lafitte, 2001, 2040 p. (six présidents en exercice en 1955 s’y trouvent).