Durant toute l’année 1954, de multiples accrocs surviennent entre l’APPCA et le ministère, dans des circonstances très proches de celles de la crise d’avril 1953. En février 1955 encore, l’institution, se sentant contestée par une décision gouvernementale dans son « droit [...] de conserver la possibilité, par des collaborateurs de son choix, exerçant sous son contrôle et sous sa responsabilité, de rendre des services aux agriculteurs, du point de vue technique » 2868, vote par l’intermédiaire du CPG une délibération décrétant que « désormais, les chambres départementales d’agriculture et l’Assemblée permanente des présidents des chambres d’agriculture se trouvent dégagées de toute responsabilité dans ce domaine et qu’il incombe à M. le ministre de l’Agriculture, seul, de prendre les décisions nécessaires, sans que les chambres d’agriculture ou l’assemblée permanente aient préalablement à être consultées » 2869. Quoique des relations avec le ministère aient été renouées ensuite autour des zones-témoins, mais de façon nettement plus distendue, il apparaît que ce dégagement est symptomatique d’une période charnière pendant laquelle l’APPCA joue un investissement qui s’amplifie en faveur du progrès technique, et peut dorénavant se passer de l’appui qu’ont été les zones-témoins en terme de crédibilité et de réassurance locale.
La poursuite de cet engagement se fait d’abord par voie consultative : en octobre 1954, est diffusé un questionnaire par la voie de la revue, intitulé « Le conseiller agricole et la vulgarisation dans l’agriculture ». Motivée par la constatation de ce que « depuis mai 1954 2870 , le dépouillement des procès-verbaux de la session de mai des Chambres départementales a révélé que [les] réalisations [engagées par les chambres en matière de conseil agricole et de vulgarisation] étaient loin d’être les seules », l’enquête « a pour but de faire le point en ce domaine et de recenser, autant que possible, les besoins les plus immédiats » 2871. Les questions ressortent à la fois de la prospection – dans le but de connaître dans leurs développements les plus récents les initiatives des chambres départementales – mais aussi de la consultation générale concernant la vulgarisation – il est notamment demandé de donner des suggestions sur « le rôle, qui lors d’une réorganisation générale de la vulgarisation, pourrait incomber aux organisations professionnelles nationales et, plus particulièrement, à l’Assemblée permanente des Présidents des Chambres d’Agriculture » 2872. Les réponses en sont analysées en février 1955 et débouchent sur l’adoption d’une délibération lors de la session de mai. Outre que les présidents de chambre d’agriculture réunis insistent sur le fait « qu’aucune amélioration du niveau de vie des agriculteurs ne pourra être obtenue par la vulgarisation, l’assistance technique ou tout autre moyen, tant qu’une politique, assurant pour les produits agricoles des débouchés permanents à des prix rémunérateurs, n’aura pas été définie, adoptée, appliquée et suivie » – saillie typique de la tendance à l’élargissement du domaine d’action de l’APPCA à la défense de l’« intérêt général agricole », sensible dès les lendemains du remplacement de René Blondelle par Jacques Lepicard à la tête de la FNSEA –, la principale revendication est celle de la reconnaissance du rôle « naturel » de l’APPCA. Ainsi, les présidents réunis jugent majoritairement qu’un éventuel statut de la vulgarisation agricole « devrait réserver aux chambres d’agriculture et à l’Assemblée permanente des présidents de chambre d’agriculture, organes représentatifs de la profession agricole, la formation, le recrutement, le perfectionnement et l’encadrement des assistants techniques agricoles, ainsi que la plus large part dans l’élaboration et le contrôle de l’exécution des programmes de vulgarisation » 2873. Plus nettement encore que cette ébauche d’insertion des stratégies élaborées autour de la gestion des zones-témoins dans un projet plus général, des actions particulières montrent que l’expérience de l’Aide technique et financière de productivité n’a pas été stérile au vu des domaines d’interventions qu’elle fait émerger, à plus ou moins long terme.
Un premier rapport sur l’activité des services de l’APPCA, daté de mai 1956, témoigne du développement global de ceux-ci pendant l’année écoulée 2874. Outre le secrétariat, les archives et ce qui ressort de la gestion de l’immeuble et du personnel, on compte le secrétariat de rédaction de la revue, un service de documentation, constitué seulement de trois personnes et dont il est écrit qu’il « n’a pas la prétention de pouvoir répondre à tous les besoins d’ordre documentaire, notamment en matière de vulgarisation technique », et un service de liaison avec la presse. Surtout, il existe un service technique qui se penche sur la question des engrais de ferme, de la recalcification des sols, de la voirie rurale, mais principalement sur la vulgarisation : « si l’activité du Service, pour ce qui concerne les zones-témoins, a été, par la force des choses, réduite, l’effort commencé a été poursuivi en faveur de la vulgarisation » 2875, notamment par la création d’un comité d’études rassemblant les principales organisations professionnelles agricoles, par la création d’une « branche "travail" » et d’un service féminin – préoccupation inaugurée par la publication d’un supplément au bulletin Zones-Témoins, intitulé Famille paysanne et productivité dès 1953 2876. Ce service, constitué de cinq personnes, y compris Hubert Morhet qui le dirige, s’attache également à recueillir la documentation technique et commerciale concernant notamment l’épuration de l’eau et la robinetterie, et publie un bulletin Information technique « dans lequel sont évoqués les problèmes techniques revêtant un certain caractère d’actualité, ainsi que les problèmes de reconversion » 2877. Un lien direct avec les chambres d’agriculture s’établit par le biais de cette antenne parisienne, dans le cadre de la mise en application du décret instituant le Fonds national de péréquation : « l’étude préalable, par le service technique, des demandes de subventions présentées par les chambres d’agriculture, a permis de donner de nombreux conseils aux chambres sur la manière la plus efficace d’atteindre les objectifs qu’elles se proposent » 2878.
D’après l’annuaire des chambres d’agriculture daté de novembre 1955, seules 18 chambres emploient du personnel, au-delà du nécessaire personnel chargé de l’administration et de la comptabilité. Six chambres n’emploient qu’une personne supplémentaire, six autres en ont recruté deux, deux en comptent quatre chacune et quatre chambres citent 5 à 8 postes en plus du secrétaire administratif. Jean-Pierre Prod’homme évoque le « système agricole départemental » de la Marne comme un « important employeur » et un « exutoire pour certains des actifs éliminés des exploitations agricoles » 2879. Ce n’est pas tout à fait le cas encore en 1955 : la chambre d’agriculture de la Marne n’emploierait alors qu’un secrétaire administratif, un secrétaire responsable de la SICA et une personne en charge du service d’architecture. La chambre d’agriculture de la Marne est la seule pour laquelle l’annuaire mentionne des personnels non directement liés au « progrès technique ». Dans les 17 autres chambres, ce sont 50 agents techniques, conseillers agricoles et autres moniteurs de cours agricoles qui sont recensés. Quelques chambres se distinguent par l’importance du nombre de « conseillers » cités – pour employer un terme générique. Dans le Bas-Rhin, la chambre disposerait de sept conseillers techniques à demeure, comme celle de la Somme, dont le rôle précurseur et le statut de modèle normalisant a été déjà longuement évoqué. Ils sont six dans l’Orne à être présentés comme les conseillers techniques agricoles de la chambre d’agriculture. En Seine-et-Marne, sont cités trois conseillers techniques et un conseiller agricole. La chambre d’agriculture de l’Eure dispose de quatre « moniteurs conseillers techniques agricoles » et son secrétaire administratif est également directeur des cours professionnels agricoles de la chambre. Dans l’Aisne, trois « moniteurs cours agricoles » et un agent technique sont dénombrés. En Meuse, en Aveyron et en Haute-Loire, deux postes de conseillers agricoles semblent attachés à la chambre d’agriculture. En Finistère, en Vendée et en Seine-et-Oise, en Haute-Saône, dans le Nord et en Maine-et-Loire, un agent technique est cité dans l’annuaire de 1955 2880.
On notera sans peine que les initiatives telles qu’elles sont repérables à partir des sources concernent exclusivement la moitié nord de la France, à l’exception de la Haute-Loire et de l’Aveyron. Dans un long article publié en mai 1954, certains de ces premiers services techniques sont décrits et ce sont ceux qui sont les plus pléthoriques à cette date qui sont retenus. L’auteur de l’article les présente ainsi : « Plusieurs chambres d’agriculture, décidées à pallier l’insuffisance de formation professionnelle de leurs ressortissants et de les mieux armer dans la lutte économique qu’est obligée de soutenir l’Agriculture, ont pris l’initiative de mettre sur pied les organisations chargées, soit exclusivement, soit accessoirement, de la vulgarisation des techniques modernes de culture. Ces organisations sont loin d’être partout semblables, il faut voir là, sans doute, l’influence des hommes que se sont mis à la tête de ces mouvements, mais aussi l’adaptation d’une idée à la diversité de notre territoire et de la psychologie paysanne. Cette diversité nous pousse à passer en revue rapidement chacune de ces réalisations ».
Dans la foulée de la chambre d’agriculture de la Somme, la chambre de l’Eure aurait été la première à s’organiser 2881. Né à Rouen en 1899, son président, Gilbert Martin, « petit-fils d’un inspecteur primaire et fils d’un chirurgien, […] quitte le lycée de Rouen à quinze ans pour prendre la tête d’une exploitation agricole dans l’Eure » 2882. Conseiller municipal en 1925, il est élu maire du Theillement en 1929 2883 et membre de la chambre d’agriculture en 1933, au suffrage des agriculteurs de la circonscription de Pont-Audemer 2884. Syndic corporatif dans sa commune de Theillement en octobre 1943 2885, il semble être resté totalement en dehors des instances corporatives au-delà de cet échelon local. En 1945, il est vice-président du comité départemental d’action agricole, « président fondateur de la Confédération générale de l’agriculture » 2886 et président de la FDSEA de l’Eure dès sa constitution 2887, réélu en février 1946 2888. Il est membre de la commission nationale de la CGA et du conseil fédéral de la FNSEA en 1947. Quand il est réélu aux élections aux chambres d’agriculture de 1952, sur les listes des délégués des associations et des syndicats agricoles, il préside toujours l’Union départementale de la CGA 2889 mais plus la FDSEA, dont la présidence échoit à Bernard Pluchet, ancien syndic adjoint de l’URCA de l’Eure 2890. Lors de la session du 27 mars 1952, Léon Lauvray, président sortant, déclare ne pas souhaiter se représenter à la présidence et poursuit ainsi : « la chambre d’agriculture qui existait a fonctionné d’une façon normale jusqu’en 1940, puisqu’elle s’est encore réunie lorsque l’ennemi était encore sur la Somme. Cette fois-ci elle a été formée par l’Union fédérale [de la CGA] et par la Fédération des exploitants du départemental et doit donc être l’émanation de ces associations. C’est pourquoi, Messieurs, je vous demande de bien vouloir nommer un membre de la Confédération générale agricole du département ». Gilbert Martin est élu président, par 22 voix sur 25, et exprime d’emblée le sens qu’il donne à ce mandat : « l’équipe première de la CGA continue, et aidé par les anciens les plus actifs de la chambre d’agriculture et un groupe de jeunes ardents et plein de foi dans leur métier, avec eux, avec vous, j’espère faire œuvre utile » 2891.
Si 7 des 25 membres de la chambre d’agriculture de 1939 ont été réélus – parmi lesquels on rencontre aussi bien Léon Lauvray, ingénieur agronome, ancien président, ancien député ayant appartenu au groupe d’action démocratique et sociale, de 1928 à 1932, enfin ancien sénateur URD, à la veille de la guerre 2892, que Modeste Legouez, ancien « premier président des Jeunesses paysannes » de Dorgères en 1935 2893 et syndic régional de l’Eure de décembre 1942 à 1944 2894 – on compte en effet parmi les nouveaux membres cinq quadragénaires et quatre trentenaires. Parmi ces derniers, André Métayer, « président des Jeunes [de la CGA] », 31 ans, est aussitôt élu secrétaire de la chambre et « chargé du rapport sur l’éducation professionnelle » 2895. Les documents qui ont pu être consultés concernant la session de mai 1952 permettent de repérer les évolutions qui ont mené la chambre d’agriculture à redéfinir son rôle. Un rapport d’orientation présenté par le bureau rappelle d’abord les termes de l’accord du 8 février 1951 puis pose la question suivante : « Ceci dit, quelle mission la chambre d’agriculture devra-t-elle s’assigner, qui n’empiète pas sur les activités des autres associations, mais soit quand même efficace et constructive, justifie sa présence et les importants crédit mis à sa disposition ? » 2896. Éducation professionnelle et habitat rural sont alors désignés comme les deux axes principaux censés canaliser les actions de la chambre. Le rapport d’orientation précise ainsi : « Il est incontestable que l’évolution de la technique agricole ne peut porter ses fruits que si elle s’adresse à des jeunes agriculteurs préalablement préparés à s’assimiler les méthodes nouvelles et à les appliquer ; ceci est une affaire de formation professionnelle et la chambre d’agriculture a dans ce domaine un rôle important à jouer pour compléter l’insuffisance des moyens officiels » 2897.
Le « rapport sur la formation professionnelle et la vulgarisation agricole » est présenté par André Métayer : sans ambiguïté, il présente les actions envisagées comme le moyen de poursuivre et d’amplifier les actions de vulgarisation entreprises par la FDSEA, « aidée par tous les organismes agricoles », et dont la réalisation a « été confié[e] au Cercle départemental et aux cercles cantonaux des Jeunes ». Ainsi, les aspirations des responsables du Cercle départemental des jeunes de la CGA de l’Eure semblent avoir coïncidé avec les visées des dirigeants de la chambre d’agriculture, notamment de Gilbert Martin, dont l’exploitation agricole, le domaine du Val 2898, a été recensée en 1951 comme « installation-type »en polyculture et élevage 2899. La relation qu’en fait l’APPCA sans sa revue en 1954 est biaisée : elle n’évoque pas les Cercles des jeunes agriculteurs eurois comme initiateurs mais comme prescripteurs des actions de vulgarisation, son texte déplaçant le rôle de la chambre d’agriculture en amont de la création des cours professionnels qui pourtant découlent directement des « informations agricoles » du cercle départemental des jeunes. À l’occasion du changement de terminologie, les jeunes agriculteurs de l’Eure passent du statut de précurseurs à celui d’enquêtés. La discrète usurpation souligne le rôle des publications de l’APPCA, qui visent surtout à imposer une norme aux chambres d’agriculture, et donc à favoriser une émulation fondée sur un modèle tronqué, voire usurpé. Dans l’Eure, en 1954 et 1955, la collusion entre CDJA et chambre d’agriculture se confirme cependant. André Métayer, président du Cercle des jeunes cultivateurs de l’Eure 2900 demeure secrétaire de la chambre. Le secrétaire administratif de la chambre d’agriculture en 1955 est Francis Porchy, âgé de 35 ans 2901, « ingénieur ITA » et ancien responsable départemental du Cercle départemental des jeunes 2902. Déjà évoquées, les tensions existent entre Gilbert Martin et certains représentants de l’APPCA 2903. Derrière les impératifs divergents se cache une conception très différente du rôle de l’APPCA : le président de la chambre d’agriculture de l’Eure l’entendrait comme un organisme à même de soutenir et d’encourager les projets des chambres départementales, alors que la tendance à l’œuvre à l’APPCA est celle d’un discret détournement et d’une sourde normalisation. Le sujet sera à nouveau évoqué, mais signalons d’emblée que les singularités des projets sont gommées au profit d’un modèle prétendument universel et jugé potentiellement universalisable.
Depuis le début de l’année 1954, la chambre d’agriculture de la Mayenne assurerait ainsi le fonctionnement de quatre postes de conseillers agricoles chargés de « la vulgarisation des techniques rationnelles » : « la majeure partie de son budget a ainsi été consacrée au financement de ce dernier service ». On perçoit ici les limites d’une source telle que les annuaires des chambres d’agriculture, qui ne publient au mieux que les informations telles qu’elles ont été transmises par l’échelon départemental : la page de l’annuaire de 1955 concernant la Mayenne ne laisse en rien paraître ce récent déploiement technique et la présence de conseillers agricoles attachés à l’institution 2904. Pourtant, dès la fin de l’année 1954, d’après la revue Chambres d’agriculture, « les conseillers [de la chambre d’agriculture de la Mayenne] sont placés sous l’autorité du président de la chambre d’agriculture, assisté du directeur des services agricoles et du secrétaire administratif de la chambre : ils signent à leur engagement un contrat les liant pour un an à la chambre d’agriculture, ce contrat est renouvelable par tacite reconduction » 2905.
Hélène Brives traite du cas de la chambre d’agriculture de l’Orne, dont les premières actions de vulgarisation datent de 1953, et évoque « le formidable enthousiasme des débuts de la grande aventure de ces pionniers de la modernisation agricole, l’élan collectif aussi, contrastant avec la modicité des moyens de cette période de reconstruction » 2906. Elle cite longuement le témoignage du premier conseiller de la chambre d’agriculture, Pierre Allaire, qui contraste singulièrement avec la version que donne de cette période l’APPCA dans la revue Chambres d’agriculture, qui insiste plutôt sur « le concours d’industriels et de commerçants de la région, réunis en une association, l’ADAPTA (Association départementale d’aide à la productivité et à la technique agricole de l’Orne) » et qui évoque le conseil général de l’Orne comme décideur principal 2907, quand Pierre Allaire cite plutôt la DSA et la coopérative d’approvisionnement 2908. En 1955, six conseillers techniques agricoles ont été recrutés par la chambre d’agriculture, après un concours qu’elle organise elle-même.
La revue Chambres d’agriculture cite un autre département en exemple : « la création de postes de conseillers agricoles en Seine-Inférieure est toute récente, elle date de quelques mois seulement. Cette institution est certainement appelée à évoluer dans l’avenir, voici cependant comment la chambre d’agriculture a été amenée à cette réalisation. Devant les nombreux et importants problèmes que sollicite l’activité des chambres d’agriculture, la nécessité est apparue aux yeux du président, M. Jacques Lepicard, de créer un poste de conseiller technique, confié à un jeune ingénieur assurant à la chambre d’agriculture une collaboration confiante et exclusive. Ce premier projet visait essentiellement à l’étude approfondie des questions proposées périodiquement à l’examen des chambres par l’Assemblée permanente des présidents des chambres d’agriculture. Les crédits nécessaires furent portés au budget 1953 et une Commission spéciale fut nommée pour suivre cette expérience » 2909. Attribuée au président de la chambre, Jean Lepicard, membre de celle-ci depuis 1939, ancien syndic régional de l’URCA du département 2910 et président du Syndicat des planteurs de betteraves de la Seine-Inférieure 2911, l’initiative a sans doute une origine plus diffuse. La présence au sein de la chambre d’agriculture de Jean Rousselet, président du CETA de Motteville-Croixmare 2912 a pu également jouer, mais la présence à la tête de la FNSEA, à la date de la publication du dossier de la revue Chambres d’agriculture, de Jacques Lepicard, membre de la chambre d’agriculture et frère de Jean, explique le simplisme de l’hommage uninominal.
Les actions de conseil agricole mises en place par la chambre d’agriculture de la Somme restent celles qui sont le plus mises en avant. Surtout, l’APPCA vise à souligner le rôle de la chambre d’agriculture : « La première année, afin de familiariser les agriculteurs avec l’organisation mise sur pied, de leur démontrer l’utilité qu’elle présente pour eux, les frais de l’expérience sont entièrement supportés par la chambre d’agriculture. Ce n’est qu’un an après l’installation de conseillers qu’il est demandé une cotisation. À cet effet, la chambre d’agriculture propose aux agriculteurs de passer avec chacun d’eux un contrat aux termes duquel la chambre s’engage à leur fournir l’aide d’un conseiller en vue de la réalisation d’actions déterminées : fertilisation, alimentation de bétail, choix de semences, etc. En échange, l’intéressé s’engage à verser une cotisation ». La formule, qui diffère de celle adoptée dans les autres départements, semble avoir la préférence de l’APPCA. Le rôle de la chambre est également programmatique : « au stade départemental, le programme général est établi par la chambre d’agriculture, conseillée en cela par la direction des services agricoles ». Le recrutement semble enfin l’un des moyens pour la chambre d’agriculture de démontrer la plus-value de son action coordinatrice débutante : « la chambre d’agriculture de la Somme attache la plus grande importance au choix et à la formation des nouveaux conseillers ». À chaque étape du recrutement, la chambre d’agriculture est citée et présentée comme l’institution la plus légitime pour définir les critères du « bon technicien ». Pour exemple, on lit : « la chambre estime, en effet, qu’un homme trop jeune ne peut que très exceptionnellement prendre l’ascendant nécessaire sur des agriculteurs plus âgés que lui, trop âgé, il n’a plus l’allant suffisant », ou « la chambre d’agriculture de la Somme exige de bonnes connaissances techniques de base, mais aussi d’excellentes connaissances pratiques ». La chambre d’agriculture organise jury et sessions et chapeaute le « comité provisoire de direction » censé accueillir le conseiller et lui « préparer le terrain », enfin, « à chaque session ordinaire de la chambre d’agriculture (mai et novembre), les conseillers doivent présenter un rapport. Ce rapport est discuté : les membres de la chambre d’agriculture donnent leurs avis et leurs suggestions » 2913.
On voit combien le cas de la Somme est estimé se prêter bien à cette description idéale. Sans nier que le conseil agricole y a éclos grâce aux concours convergents de nombreux acteurs individuels et institutionnels, il est possible d’y montrer le rôle central qu’a su s’y tailler la chambre d’agriculture et de feindre que cette mission lui est « naturelle ». Sans oblitérer l’originalité de l’organisation locale et son ancrage social et territorial, il est possible de dégager les traits saillants du technicien et, partant, les missions potentielles de la chambre d’agriculture dans la sélection des conseillers – en amont, par la formation et le recrutement, en aval, par l’encadrement et l’élaboration des programmes. La profusion d’initiatives et l’inscription de la chambre d’agriculture dans un maillage organisationnel serré et enchevêtré fait qu’il est très difficile de percevoir, au milieu des années 1950, quelles peuvent être les influences des hommes et des groupes au sein des chambres ou en dehors, qui par leurs mandats au sein de groupements particulièrement innovants, ont pu infléchir l’action de leur chambre d’agriculture.
Aucun des présidents de chambre de 1955 n’a été recensé comme président d’un CETA à cette date, tandis que le vice-président de la chambre d’agriculture de l’Aisne, ainsi que les secrétaires des chambres du Tarn-et-Garonne et de l’Yonne et une quinzaine de simples membres de chambre départementales président un de ces centres dans une petite région de leur département 2914. Les membres des chambres d’agriculture, et a fortiori leurs présidents, semblent peu présents dans les organisations liées à la promotion du progrès technique dans l’agriculture, au vu des mandats professionnels cités dans l’annuaire de 1955. Seuls deux membres de chambre d’agriculture, Abel Hahusseau et Robert Brassamin, du Loir-et-Cher, sont dits appartenant à une organisation dont le nom évoque explicitement la vulgarisation, l’Association de vulgarisation « Grande Sologne », encore que ce constat soit vraisemblablement plus symptomatique de la lente apparition d’un vocable encore peu usité 2915 que d’une réelle absence des membres des chambres d’agriculture dans ce domaine flou qu’est la vulgarisation du progrès technique. Pour exemple, notons que trois présidents et douze membres de chambre appartiennent à des organisations agricoles promouvant l’insémination artificielle dans l’élevage, que quatre présidents et douze membres dirigent des groupements de défense sanitaire contre la mortalité du bétail, que deux présidents et treize membres font partie d’une Coopérative d’utilisation de matériel en commun (CUMA), qu’enfin trois présidents et cinq membres sont engagés dans une Société d’intérêt coopératif agricole, liée en général à l’habitat rural, plus rarement à d’autres aspects tels la désinfection des étables 2916. Les données ne sont pas exhaustives mais se repèrent dans l’Ain, l’Eure, le Calvados, la Manche, l’Hérault et les Bouches-du-Rhône, 17 membres de chambre d’agriculture qui sont à la tête d’installations-types 2917.
Les publications de l’APPCA ont une fonction d’orientation et de coordination qui ne peut être négligées. Les services techniques décrits dans les pages de la revue ne doivent être pris pour le fidèle reflet de la réalité vécue localement. D’autres expériences existent qui ne trouvent guère leur place dans la revue parce que, quoique tout aussi précoces, elles sont plus lentes, plus souterraines, moins conformes aux « diktats » de l’APPCA. Localement, par le biais de l’exemple savoyard approché d’un peu plus près, cette fonction à la fois d’adaptation et fondatrice du programme d’Aide technique et financière de productivité ne se dément pas. L’entretien que nous a consacré Gilbert Delaunay, ancien directeur de la chambre d’agriculture de la Savoie, compte pour beaucoup dans cette appréciation : interrogé en préambule de l’interview sur la date de son entrée en fonction, celui-ci nous entretint aussitôt de sa première expérience au sein de la zone-témoin de Bellecombe-en-Bauges 2918, aboutissant naturellement pour lui à une orientation de la chambre d’agriculture quasi-exclusivement vers la vulgarisation et le conseil, principalement dans les zones de montagnes 2919. Cette relation apparemment rectiligne a toutefois pris des détours qui se révèlent ambigus : comme nous l’avons montré, Gilbert Delaunay est finalement engagé par la chambre d’agriculture pour se charger de la zone-témoin mais aussi du CETA de Chambéry, « placé sous le patronage de la chambre d’agriculture, reconnaissant volontairement par là le rôle prépondérant de cette Compagnie en matière de vulgarisation et de coordination de la vulgarisation » 2920. Le CETA se développe alors que les actions menées à Bellecombe-en-Bauges se heurtent à de multiples résistances, tout en rencontrant des succès durables, notamment relativement à la lutte contre la tuberculose bovine et à l’assainissement des étables : « par contre ça a été vite, c’était ce qui était souhaité, sur l’ensemble, non pas de la montagne mais de l’avant-pays » 2921. Gilbert Delaunay résume d’ailleurs joliment l’action consolatrice qu’ont joué les CETA dans cette configuration, remettant toutefois les zones-témoins à leur place : « enfin le Bauju 2922 on l’a pas changé du jour au lendemain, mais disons que ça a été quand même l’élément déclencheur de la nécessité d’une action technique, aussi large que possible, donc les premiers CETA » 2923. Ce mouvement, pour schématiser outrageusement, greffé de Paris dans un village des Bauges, infiltre l’avant-pays et reprend de l’altitude, durablement, jusqu’aux années 1970, dans le bassin de l’Arvan et la Haute-Maurienne, par l’action de conseillers agricoles recrutés dans la foulée de l’engagement de Gilbert Delaunay 2924. En Savoie particulièrement, mais ce peut être vrai ailleurs, et le cas de la Somme n’est pas si éloigné, le fait que l’agent technique de la zone-témoin soit devenu, et ce jusqu’en 1986, secrétaire administratif puis directeur de la chambre d’agriculture, souligne encore la dimension fondatrice de cette action au niveau local. Dès lors, il convient de s’attarder sur la phase de développement de ces initiatives entre 1955 et 1960.
Arch. APCA, Comité Permanent Général, 1948 à mars 1954, projet de PV de la séance du 1er février 1955.
Ibidem, p. 21.
Voir : « Le Conseiller agricole et la vulgarisation dans l’Agriculture », dans Chambres d’agriculture, supplément Technique-Agriculture au n° 52, 1er mai 1954, pp. 1-22, p. 12, cité supra.
Documentation APCA, Chambres d’agriculture, supplément Technique-Agriculture au n° 61, 1er octobre 1954, pp. 11-13.
Ibidem.
Documentation APCA, Chambres d’agriculture, n° 78, 15 juin 1955, pp. 16-17.
Arch. APCA, Circulaires décembre 1955-mars 1956, rapport d’activité des services, mai 1955-mai 1956.
Ibidem.
Arch. APCA, Zones-témoins, avril 1953-mai 1954, « La femme aussi a un rôle à jouer dans les Zones-Témoins », dans Zones-Témoins. Famille paysanne et productivité, n° 28, 15 novembre 1953, pp. 1-3 ; préoccupation soutenue par le service zones-témoins dès cette date : « Il s’agit, en l’espèce, d’une expérience, et, en cas de succès, nous aurions l’intention de consacrer une partie de nos efforts à intéresser la population féminine des Zones-Témoins au progrès technique et à l’amélioration du standing de vie familial. Nous vous serions très reconnaissants, en conséquence, s’il vous était possible d’aider l’agent technique de votre Zone-Témoin dans la constitution d’un premier groupe actif de femmes et de jeunes filles », Arch. APCA, Zones-témoins, avril 1953-mai 1954, lettre adressée par M. Morhet, aux présidents des GPA et aux agents techniques des zones-témoins, le 17 novembre 1953.
Arch. APCA, Circulaires décembre 1955-mars 1956, rapport d’activité des services, mai 1955-mai 1956.
Ibidem.
Jean-Pierre PROD’HOMME, Agriculteurs organisés… ouvrage cité, f° 185.
Annuaire APCA 1955.
« Le Conseiller agricole et la vulgarisation dans l’Agriculture », dans Chambres d’agriculture, supplément Technique-Agriculture au n° 52, 1er mai 1954, pp. 1-22.
http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/biographies/IVRepublique/martin-gilbert-henri-albert- 1121899.asp
Ibidem.
Annuaire national agricole 1936.
Arch. nat., F10 4996, archives de la Corporation paysanne, URCA de l’Eure, listes des syndics corporatifs locaux [9 octobre 1943].
http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/biographies/IVRepublique/martin-gilbert-henri-albert-1121899.asp
Annuaire national agricole 1945, p. 157.
Arch. nat., F1a 4034 : Réponse des préfets à la circulaire n° 287 du Ministère de l’Intérieur sur la composition des fédérations départementales du syndicat des exploitants agricoles, février-mars 1946.
Guide national agriculture 1951-1952, p. 120.
Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, anciennes listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1942, nouvelles listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1944.
Arch. CA Eure, extrait du procès-verbal de la session extraordinaire du 27 mars 1952. (copie envoyée par Édith Duclos en mars 2008).
Jean JOLLY, Dictionnaire des parlementaires français… ouvrage cité, pp. 2 160-2 161.)
Gilles MARTINEZ, Le Centre national des Indépendants et Paysans de 1948 à 1962, Thèse de doctorat d’histoire, sous la direction de Serge Berstein, Université Paris X, 1991, 2 volumes, XIV-424 f°, f° 7.
Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, anciennes listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1942, nouvelles listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1944.
Arch. CA Eure, extrait du procès-verbal de la session extraordinaire du 27 mars 1952.
Ibidem, extrait du procès-verbal de la session ordinaire du 20 mai 1952.
Ibidem, extrait du procès-verbal de la session extraordinaire du 27 mars 1952.
Annuaire APCA 1955.
Guide national agriculture 1951-1952, p. 120.
Annuaire APCA 1955.
APCA, Annuaire des directeurs retraités, [Paris], [APCA], 1996, 32 p.
Guide national agriculture 1951-1952, p. 116.
Dès novembre 1952, des désaccords se font jour. Gilbert Martin déclare alors avoir envoyé une lettre de protestation au président Blondelle, pour lui signifier son désaccord quant au refus de l’APPCA d’appuyer la demande de la chambre départementale auprès de la Caisse centrale de prévoyance mutuelle agricole, pour une demande de prêt destiné à augmenter les crédits mis à disposition de la chambre d’agriculture par la DSA pour financer les actions en faveur de l’habitat rural. Arch. CA Eure, extrait du procès-verbal de la session ordinaire du 6 novembre 1952.
Annuaire APCA 1955.
« Le Conseiller agricole et la vulgarisation dans l’Agriculture », dans Chambres d’agriculture, supplément Technique-Agriculture au n° 52, 1er mai 1954, pp. 1-22.
Hélène BRIVES, « La voie française : entre État et profession, l’institution du conseil agricole », article cité.
« Le Conseiller agricole et la vulgarisation dans l’Agriculture », dans Chambres d’agriculture, supplément Technique-Agriculture au n° 52, 1er mai 1954, pp. 1-22.
Hélène BRIVES, « La voie française : entre État et profession… », article cité, p. 20.
« Le Conseiller agricole et la vulgarisation dans l’Agriculture », dans Chambres d’agriculture, supplément Technique-Agriculture au n° 52, 1er mai 1954, pp. 1-22.
Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, anciennes listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1942, nouvelles listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1944.
Guide national agriculture 1951-1952, p. 330.
Bulletin des centres d’études techniques agricoles (CETA), n° 21, juillet-août 1955, Liste des CETA, pp. 247-251.
« Le Conseiller agricole et la vulgarisation dans l’Agriculture », dans Chambres d’agriculture, supplément Technique-Agriculture au n° 52, 1er mai 1954, pp. 1-22, p. 13.
Bulletin des centres d’études techniques agricoles (CETA), n° 21, juillet-août 1955, Liste des CETA, pp. 247-251.
L’Association de vulgarisation « Grande Sologne » sera d’ailleurs ensuite désignée comme « Association de promotion « Grande Sologne », en 1959. Annuaire APCA 1959.
Annuaire APCA 1955.
André Lepeudry, membre de la chambre d’agriculture du Calvados, dirigerait ainsi une exploitation remarquée pour son « installation cidricole et [son] élevage sélectionné important ». Jacques Rafin, de la chambre d’agriculture de l’Eure, est cité comme exploitant des « pépinières du Roumois ». Dans l’Hérault, Julien Imbert est mementionné comme président de la cave coopérative "La Treille Biterroise", « installations-type » de Béziers. Guide national agriculture 1951-1952, p. 199.
Entretien avec Gilbert Delaunay, directeur honoraire de la chambre d’agriculture de la Savoie, mardi 25 mars 2003.
Ibidem : « contrairement à d’autres chambres d’agriculture qui ont monté des services économiques, de gestion, d’abattoirs, de choses comme ça, nous pas du tout, c’était essentiellement des conseillers agricoles pour sortir l’agriculture savoyarde de l’archaïsme, parce qu’elle était archaïque, comme on ne peut guère imaginer, guère imaginer ».
Arch. CA Savoie, Procès-verbaux de sessions 1952-1955, procès-verbal de la session du 6 janvier 1955.
Entretien avec Gilbert Delaunay, directeur honoraire de la chambre d’agriculture de la Savoie, mardi 25 mars 2003.
Habitant du massif des Bauges en Savoie (orthographe approximative).
Entretien avec Gilbert Delaunay, directeur honoraire de la chambre d’agriculture de la Savoie, mardi 25 mars 2003.
Ibidem.