Élargissement des compétences

« Relations internationales »

Depuis le 2 mai 1935, il existe un Comité français des relations agricoles internationales (CFRAI), qui réunit les représentants des groupements ou institutions agricoles, dont la plupart des « grandes associations nationales et spécialisées », « qui ont convenu de se concerter régulièrement, au cours de réunions périodiques, en vue d’organiser et de coordonner leurs relations professionnelles et celles de leur groupement avec les organisation agricoles étrangères » : jusqu’à la veille de la guerre, ce comité a son siège au 11bis rue Scribe, à l’APPCA, et est présidé par Joseph Faure 3020. L’APPCA serait à l’origine de la création du CFRAI 3021.

La Commission internationale de l’agriculture (CIA), fondée à Paris en 1899 sous la présidence de Jules Méline, est animée après 1919 par le marquis Louis de Vogüé – président de la chambre d’agriculture du Cher et titulaire du CPG de l’APPCA de 1927 à 1933 –, sous le nom de Conférence internationale d’agriculture puis d’Union internationale des associations agricoles, « instance de grands notables » 3022. Après 1945, la Confédération européenne de l’agriculture (CEA) est l’héritière de la CIA : elle « limite son champ d’action à l’Europe occidentale », « prôn[e] la défense de l’exploitation agricole familiale et s’intéresse plus particulièrement aux problèmes sociaux et humains de l’agriculture européenne. Attachée aux valeurs culturelles occidentales, au droit de propriété, au concept de liberté et anti-communiste, elle refuse toute forme d’étatisation de l’agriculture » 3023.

Sa proximité idéologique avec les refondateurs de l’APPCA est d’autant plus manifeste que les appartenances le soulignent aisément. En 1951, Luce Prault est le conseiller du président de la CEA, le comte Christian d’Andlau 3024, qui devient président de la chambre d’agriculture du Bas-Rhin en 1952, succédant à son père Hubert qui la dirigeait depuis 1927. Abel Corbin de Mangoux, administrateur de la Fédération nationale de la propriété agricole (FNPA), en est l’un des vice-présidents, tandis que François Robin, président de la FNPA, est le premier vice-président de la commission spéciale pour la technique agricole, la science et les agents auxiliaires de l’agriculture au sein de la CEA. Henri Noilhan, ancien dirigeant du Parti agraire et paysan français des années 1930, ami de Luce Prault 3025, préside la commission spéciale pour l’économie rurale et la politique sociale, tandis que René Blondelle, président de la FNSEA puis, au printemps 1952, président de l’APPCA, est le troisième vice-président de la commission spéciale pour la coopération, la mutualité, l’association et le syndicalisme agricoles ainsi que le crédit agricole 3026. La présence du même René Blondelle, en mars 1952, dans la délégation française présente au palais de Chaillot pour l’organisation de la conférence préparatoire, « première étape pour la recherche de compromis ayant pour objectif le lancement d’une véritable conférence agricole européenne en vue de la mise sur pied d’une communauté agricole européenne » 3027, ainsi que l’implication des ministres et ex-ministres de l’Agriculture, Pierre Pflimlin et Camille Laurens, proches du Centre national des indépendants et paysans, soulignent encore l’implication des dirigeants nationaux de l’APPCA, élus et administratifs, dans les prémices de l’organisation agricole européenne.

Après 1952, un service des relations agricoles internationales démarre à l’APPCA. Ce n’est cependant qu’en 1955 qu’est recruté Georges Bréart, ingénieur agronome, comme « chargé de mission pour l’étude des problèmes de coordination internationale » 3028. Né le 8 août 1907 à Reims (Marne) d’un père négociant, il fréquente l’école des frères de Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle, à Momignies, puis le lycée Stanislas à Paris 3029, et enfin l’Institut national agronomique, dont il sort diplômé en 1927 3030. Il épouse Marie-Louise Leclerc en septembre 1931 : trois filles naissent de leur union dans les années suivantes. D’abord secrétaire général des unions ovines de France, d’Afrique du Nord et coloniale dès 1931, il est en 1937 directeur-adjoint du Centre rural à l’Exposition internationale de Paris, où il rencontre vraisemblablement Joseph Faure 3031 : la même année, il est recruté par l’APPCA où il devient chef de service. Directeur au ministère de l’Agriculture de 1942 à 1951, il publie en 1954 un essai intitulé Le fleuve blanc, essai sur l’économie laitière  3032.

Dès 1955, le service apporte son concours aux activités de la Confédération européenne de l’agriculture (CEA) contribue à la fondation d’une chambre agricole franco-allemande et publie le bulletin tricolore du Comité français des relations agricoles internationales (CFRAI), qui poursuit son action 3033. De fait les liens entre le service des relations agricoles internationales et le CFRAI sont étroits, le service n’étant que l’antenne de gestion du comité au sein des services administratifs de l’APPCA. Les pages qui lui sont consacrées dans le rapport sur l’activité des services rédigé au printemps 1957 débutent ainsi : « Rappelons que le Comité français des relations agricoles internationales (CFRAI), sans statut ni cotisation, est ouvert aux organisations agricoles à l’échelon national. Il constitue pour elles un lieu de rencontre, d’information réciproque et de confrontation de points de vue avant que ceux-ci ne reçoivent leur libre expression lors des réunions agricoles internationales. Il est présidé par le président de l’Assemblée permanente des présidents des chambres d’agriculture. Ses réunions sont mensuelles. Il publie tous les quinze jours un bulletin d’informations et de liaison ». En 1956, l’activité du CFRAI a consisté à tenter de « dégager le point de vue commun des organisations professionnelles françaises », soit l’APPCA, la CGA et la FNSEA avant tout, sur la question du Traité de communauté économique européenne. Le service a joué son rôle en participant à la rédaction des quatre fascicules hors série Europe-Agriculture de la revue Chambres d’agriculture sur le marché commun européen, ainsi que d’études monographiques sur l’agriculture des différents pays européens.

On voit ici la dimension de communication et d’information inhérente au service. Son premier rôle est d’informer, au niveau local, national et au-delà des frontières, des positions adoptées par les organisations professionnelles agricoles françaises sur les questions européennes. Ce faisant, l’APPCA s’octroie un pouvoir de contrôle sur la façon de présenter ces prises de positions, et est susceptible d’influencer au-delà des seules chambres d’agriculture. Lorsqu’« avec la collaboration de Paysans de la Loire, a été inaugurée en janvier 1957 la rédaction d’une page entière de journal format quotidien intitulée "Regards sur l’étranger" », le service a pour auditoire l’ensemble des abonnés de ce journal, organe de la chambre d’agriculture, de la FDSEA, du crédit agricole et de la mutualité sociale agricole du département. Précisant que « les flans de cette page peuvent être utilisés gratuitement par tout journal du même format tirant sur rotative », le service international de l’APPCA dévoile sa volonté d’étendre cette stratégie à d’autres départements. Lorsque le service des relations agricoles internationales de l’APPCA « assure la préparation et la diffusion d’émissions agricoles européennes hebdomadaires sur les ondes de Radio-Luxembourg, […] sous le patronage de la Confédération européenne de l’agriculture » et envisage la possibilité de faire de même sur Radio-Rome et Radio-Madrid, il fait montre encore d’une volonté de diffuser une vision des négociations européennes hors de l’institution.

Le service assure également le fonctionnement de la chambre agricole franco-allemande, en en assurant le secrétariat et en accomplissant le travail de documentation et de relations de celle-ci. À l’aide d’une rédactrice principale, d’un chargé d’études adjoint et d’un secrétaire-rédacteur, Georges Bréart étudie « chaque mois la presse agricole européenne de langue allemande (Autriche, Suisse, Allemagne, Luxembourg), les prises de position des organisations agricoles des pays de langue allemande, et rédig[e] à l’intention du bureau de l’assemblée et de la direction une revue de la presse agricole de langue allemande, qui a permis [au] Président d’être informé en temps utile des réactions de [ses] collègues européens ». Le service publie une chronique agricole franco-allemande, a présenté lors de la session de novembre 1956 un film réalisé par la chambre d’agriculture de Rhénanie, dont l’APPCA doit recevoir une délégation en juin 1957. Le rapprochement avec les chambres d’agriculture allemandes et des pays de langue allemande est à comprendre à la fois par le rôle joué par la République fédérale d’Allemagne (RFA) dans les négociations européennes depuis l’après-guerre, mais également par l’appartenance à la CEA de la Fédération des chambres d’agriculture allemandes (Verband der Landwirtschaftkammern) ainsi que de la Conférence des président des chambres d’agriculture d’Autriche 3034. Quoique le rôle des chambres d’agriculture allemandes et autrichiennes ne soit pas rigoureusement le même que celui des chambres françaises, ces deux pays sont les seuls en Europe occidentale qui présentent des institutions comparables portant le nom de chambre d’agriculture.

Ce serait sous l’impulsion de Georges Bréart qu’aurait été créée, en décembre 1956, l’Association pour le développement des exportations de produits agricoles et alimentaires en Sarre : rattachée économiquement à la France depuis 1947, la Sarre est réintégrée politiquement à la RFA en janvier 1957, après les Accords de Luxembourg d’octobre 1956, mais la réintégration économique n’est prévue que pour 1960. Par l’action de son service et de l’association sus citée, l’APPCA entend profiter des trois années qui la sépare de cette échéance pour « réunir tous les producteurs et exportateurs français intéressés par le marché sarrois et leurs organisations représentatives nationales ou régionales, dans un même effort à accomplir pour conserver et si possible améliorer la position des producteurs agricoles français sur le marché sarrois ». Le rapport précise que « les organismes ainsi créés, mis sur les rails, ne sont pas des services de votre assemblée : mis au monde, leur premiers pas ayant été guidés, ils doivent accomplir une tâche dont l’utilité est évidente, atteindre rapidement leur majorité et voir leur financement propre assuré par les organisations qui en font partie » 3035. Ce rôle de « pépinière » d’organismes et d’associations à vocation internationale est ainsi assumé : les trop faibles moyens accordés au service seraient la cause de ce fonctionnement à la lisière de l’institution. À la session de mai 1958, l’APPCA, lors du vote de son budget 1958, affecte le produit de deux décimes additionnels au financement d’un Service professionnel agricole international des chambres d’agriculture : les prévisions de dépenses au budget de 1958 sont fixées à 11 400 000 francs, soit 9 % de l’ensemble. Le service des relations agricoles international est ainsi « transformé, remanié et élargi pour constituer le noyau du nouveau service ».

Notes
3020.

Annuaire national agricole 1939, p. 45.

3021.

APCA, Avant-projet de la plaquette cinquantenaire des Chambres d’Agriculture, 1924-1974, Paris, APCA, [1975], 56 p.

3022.

Pierre BARRAL, Les agrariens français de Méline à Pisani, ouvrage cité, p. 363.

3023.

Gilbert NOËL, Du pool vert à la politique agricole commune. Les tentatives de Communauté agricole européenne entre 1945 et 1955, Paris, Economica, 1988, 453 p., pp. 48-49.

3024.

CEA, Composition de la CEA au 8 juillet 1951, Brugg, CEA, 1951, 22 p.

3025.

Voir infra Chapitre 6. B. ► Encart biographique Luce Prault, p. 691.

3026.

CEA, Composition de la CEA au 8 juillet 1951, Brugg, CEA, 1951, 22 p.

3027.

Gilbert NOËL, Du pool vert à la politique agricole commune… ouvrage cité, p. 262.

3028.

Arch. APCA, Comité Permanent Général, mars 1954 à fin 1955, projet de procès-verbal de la réunion du 1er mars 1955.

3029.

Who’s who in France, Paris, éditions Jacques Lafitte, 1965.

3030.

Annuaire INA 1936, p. 208.

3031.

Joseph Faure, 1875-1944… ouvrage cité.

3032.

Georges BRÉART, Le fleuve blanc. Essai sur l’économie laitière, Paris, Éditions Mazarine, 1954, 397 p.

3033.

Arch. APCA, Circulaires décembre 1955-mars 1956, rapport d’activité des services, mai 1955-mai 1956.

3034.

Xavier FLORÈS, Les organisations agricoles et le développement économique et social des zones rurales, Genève, Bureau International du travail, 1970, 608 p.

3035.

Arch. APCA, Circulaires février 1957-mai 1957, rapport sur l’activité des services, année 1956-1957.