Entre économie agricole et « vie rurale »

D’après le rapport sur l’activité des services de 1955, il existe à l’APPCA un service des expositions à l’état embryonnaire, qui a été constitué en 1954 pour commémorer le 6e centenaire de la naissance de Jehan de Brye. En 1957, un service agricole de radiodiffusion et de télévision est créé : après quelques hésitations du côté du ministère de l’Agriculture, tutelle des chambres d’agriculture, la tâche confiée à ce service est celle « d’établir des PROJETS de programme, uniquement destinés à une diffusion ÉVENTUELLE par les postes de la RTF, à l’exclusion de tous autres postes émetteurs, sous la condition de l’agrément préalable du ministre de l’Agriculture ». La direction en est confiée à Paul Garnier, ingénieur agricole recruté pour l’occasion 3036 : ancien membre de la chambre d’agriculture du Loir-et-Cher 3037, passé par le Syndicat agricole du Centre et ancien président de la Fédération des associations agricoles du Centre 3038, puis par le CROC du Loir-et-Cher dont il est délégué adjoint en avril 1941 3039, ce proche de Caziot est nommé directeur général de la Caisse nationale de crédit agricole (CNCA) en 1940 3040. En 1959, il est relaté comment « des décisions de principe avaient été prises afin de permettre à l’APPCA d’apporter sa collaboration, ses suggestions, ses critiques à la RTF sans s’immiscer en aucune manière dans l’administration et le fonctionnement de cet organisme national : à vrai dire, les résultats pratiques des accords intervenus entre la direction générale de la RTF et l’APPCA ont été fort décevants ; il est apparu très nettement que les services de la RTF n’entendaient pas donner suite aux suggestions qui pourraient leur être faites, ni faire la moindre place à la collaboration de l’organisation professionnelle agricole sous quelque forme que ce soit ». A contrario les programmes de Radio Luxembourg sont présentés en contrepoint, pour louer « la place relativement importante [qui est faite] à des informations ou chroniques agricoles bi-quotidiennes ».

Une collaboration s’engage entre l’APPCA et Radio-Luxembourg, à la demande de cette dernière qui « désire élargir le cadre de ses émissions agricoles et rendre de plus grands services d’ordre pratique à ses auditeurs ruraux ». Sont mis en place des programmes élaborés avec l’aide du service de l’assemblée permanente, dont « un journal parlé rural dans lequel sont insérées des informations d’ordre général, des indications météorologiques, des informations agricoles de caractère professionnel, économique, technique, social… et une revue des cours des grands marchés parisiens et provinciaux », ainsi qu’« une chronique des principaux marchés de Paris et de province concernant les produits de l’agriculture ». En 1959, l’expérience semble prometteuse et les responsables du service agricole de radiodiffusion et de télévision écrivent : « on ne saurait trop savoir gré à Radio Luxembourg d’avoir offert aux agriculteurs la possibilité d’être ainsi exactement informés, grâce à une collaboration permanente qui leur inspire une confiance justifiée ; grâce à Radio Luxembourg, l’APPCA et les organisations professionnelles agricoles disposent de moyens d’information et de diffusion précieux qu’il appartient aux chambres d’agriculture et aux groupements agricoles de mettre à profit le mieux possible ; ces moyens peuvent être améliorés, perfectionnés avec la collaboration de tous [et] il importe que les chambres d’agriculture notamment fassent parvenir au service de l’APPCA les échos, nouvelles, informations qui méritent d’être diffusées » 3041.

En 1955 déjà, un service de « répression des fraudes et contrôle de la qualité des produits et marchandises utiles à l’agriculture » intervient dans les litiges et publie, en liaison avec l’INAO, des monographies de produits. Deux ans plus tard, il semble que cette branche de l’activité des services de l’APPCA se soit divisée en deux segments. D’un côté, l’action en matière de répression des fraudes a consisté à faire reconnaître par les tribunaux, en se portant partie civile, que les fraudes, notamment dans le secteur des engrais et des produits phytosanitaires, « causaient un préjudice direct à l’Assemblée permanente des présidents des chambres d’agriculture et aux chambres d’agriculture en portant un préjudice direct et grave à l’action que poursuivent ces institutions professionnelles pour le développement d’un emploi rationnel et rentable des engrais et des produits phytosanitaires par les agriculteurs ; de telles fraudes, en mettant les agriculteurs en méfiance contre l’emploi de ces spécialités, contrariant gravement cette action, ce qui justifie l’attribution de dommages-intérêts ». Se développe également la publication des fascicules de la série « Fraudes » dans Chambres d’agriculture, notamment celles concernant les semences. Parallèlement, en collaboration avec le comité des appellations d’origine des fromages, d’autres fascicules sont édités. Surtout, Pierre Ritte, embauché dès 1953, est chargé de l’activité « origine des produits agricoles » : sa tâche est celle d’établir des « monographies de vins, fromages ou autres produits agricoles bénéficiant d’une appellation d’origine contrôlée » – les fascicules déjà publiés à cette date concernent le saint-nectaire, le pomerol, la clairette de Die, le vin de Reuilly, le muscadet, le vin de Seyssel et celui de Crépy. En s’engageant sur ce terrain, l’APPCA va dans le sens des nombreuses actions menées en faveur de la qualité des produits agricoles, de sa reconnaissance et de sa réglementation, notamment autour de l’INAO, à la jonction de l’action professionnelle et législative 3042. Ce faisant, elle va également à la rencontre des initiatives locales, souvent portées par les présidents des chambres d’agriculture, ou par les membres du bureau de celles-ci.

Pour exemple, André Laurent, secrétaire de la chambre d’agriculture de l’Ain, est évoqué comme exploitant d’une ferme-type dans la Bresse, à Saint-Étienne-du-Bois 3043 : secrétaire du Syndicat agricole de l’Ain depuis 1938, cet homme de 36 ans en 1955, a été « président de la Jeunesse agricole catholique pour la zone France non occupée par les Allemands, de 1940 à 1943 », vice-président national de la JAC de 1943 à 1947. Celui qui se serait « engagé au Maquis – Armée secrète [y aurait été] Combattant – Chef de trentaine » en 1944-1945, est en 1946 président-fondateur de la CUMA et de la coopérative d’approvisionnement de Saint-Étienne-du-Bois, et enfin secrétaire de la Fédération avicole de Bresse 3044. Il est élu membre de la chambre d’agriculture en février 1952 et en devient aussitôt secrétaire. C’est dans sa commune de Saint-Étienne-du-Bois que la chambre d’agriculture achète le domaine de Béchanne et y crée le Centre de sélection de la volaille de Bresse, « société de gestion à laquelle participent, outre les OPA de l’Ain, les deux chambres d’agriculture de l’Ain et de la Saône-et-Loire et la chambre de commerce et industries de Bourg » 3045, dont l’objet est de « détenir, conserver et améliorer les lignées de Gauloise blanche qui devaient fournir les parents des poussins de Bresse. Il produit aussi 70 % des poussins futurs AOC Bresse » 3046. Le rôle du secrétaire administratif et technique, Bernard Labrosse, « ingénieur ESA » 3047 est également perceptible : « en juillet 1954, Monsieur Bernard Labrosse est embauché en tant que secrétaire administratif et technique. Cette même année, plusieurs conseillers sont donc recrutés et la nécessité d’emménager dans des locaux plus vastes situés le long du Champ de Foire, au 4 avenue Maginot dans un immeuble appelé "La Maison de l’Agriculture" » 3048. L’impulsion semble en effet résulter de l’action des élus et des « administratifs », de leurs aspirations convergentes et de leurs compétences complémentaires.

À l’APPCA, dès 1955, un service « remembrement et échanges amiables » forme et oriente des agents d’échanges destinées à intervenir dans leurs départements, et projette la publication d’un bulletin d’information ; à ses côtés, a été créé un comité supérieur consultatif d’aménagement foncier. En 1957, cette action se poursuit : à la fin des années 1950, une seule chambre mentionne un service consacré au remembrement, mais de nombreux conseillers agricoles généralistes ont aussi pour tâche de favoriser les échanges amiables, tâche complexe dans laquelle l’APPCA pallie l’isolement des agents en organisant leur concertation et leur formation – il en sera question plus avant.

C’est encore Pierre Ritte qui est chargé, depuis 1957, de l’activité « Montagnes », qui symbolise à elle seule la volonté de l’APPCA de ne pas se limiter aux aspects strictement agricoles, mais bien de déborder sur l’ensemble des aspects de la vie rurale, et surtout de ne pas réserver la « modernité » et le « progrès » aux seules régions de plaine, quitte à accepter des formes de pluriactivité. Ainsi, les fascicules publiés touchent à la location des pâturages dans les domaines de l’État, au statut du fermage, aux producteurs de lait, au « transport du lait en montagne par tuyauterie en matière plastique », aux machines agricoles et à « l’activité des organismes français et étrangers d’économie montagnarde ». Est également relatée une expérience de 1957 : « en liaison avec l’activité propre à la rédaction du fascicule MONTAGNES, une entreprise d’artisanat rural féminin a été tentée par l’APPCA avec la chambre d’agriculture du Var dans le Haut-Var afin de restaurer les conditions les plus propices au maintien des populations agricoles. Après une session d’initiation organisée par la chambre d’agriculture du Var et la mutualité agricole de ce département en décembre et dans cette région, une vingtaine de filles et de femmes d’exploitants font actuellement chez elles, afin de se procurer ainsi des ressources d’appoint, des travaux : de confection de tapis de haute laine, à la main, de fabrication de poupées folkloriques, de sculpture d’objets domestiques en bois d’olivier » 3049. Le sous-service « Montagnes » suit également les questions relatives aux gîtes ruraux, aux villages retraites, aux réserves naturelles, ainsi que celles de médecine rurale. Cette dimension rurale apparaît toutefois moins après 1958, tant elle semble alors envisagée uniquement sous l’angle économique.

À l’APPCA comme dans les chambres d’agriculture, les actions menées en matière de vulgarisation, de formation, d’observation économique ou de promotion rurale entraînent un déploiement administratif important. Rapidement, le besoin d’étoffer les services techniques et administratifs s’accompagne de la nécessité de nommer un directeur, pour prendre en charge l’ensemble des actions : le surgissement de cet acteur aux côtés des élus de la chambre n’est pas sans susciter des remous. Et, à l’image de la trajectoire de Paul Garnier, peut se mesurer l’inanité d’une conception technocratique et apolitique de directeurs qui seraient interchangeables, ainsi que de la discrète perméabilité de la frontière élus-administratifs.

Notes
3036.

Arch. APCA, Circulaires février 1958-juillet 1958, rapport sur l’activité des services, année 1957-1958. (Organigramme p. 7).

3037.

Arch. APCA, CA Landes Loir-et-Cher, 1949-1965, Liste des membres à la suite de l’élection de février 1939, commentaires de 1949.

3038.

André GUESLIN, Histoire des crédits agricoles… ouvrage cité, tome 1, p. 563.

3039.

Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, listes des Comités régionaux d’organisation corporative (CROC), [1940-1941]

3040.

André GUESLIN, Histoire des crédits agricoles… ouvrage cité, tome 1, p. 563.

3041.

Doc. APCA, Rapport sur l’activité des services, année 1959-1960.

3042.

Voir à ce sujet : Gilbert GARRIER et Rémy PECH [dir.], Genèse de la qualité des vins. L’évolution en France et en Italie depuis deux siècles , Actes du Colloque franco-italien tenu à l’Institut universitaire de Fiesole, 31 mai 1991, La Chapelle de Gainché, Bourgogne publications, 1994, 142 p. ; Olivier JACQUET, Les Syndicats viti-vinicoles en Bourgogne de 1884 à la mise en place des AOC, thèse pour le doctorat d’histoire contemporaine, sous la direction de Serge Wolikow, Université de Bourgogne, 2005, 2 volumes, 575 et 237 p. ; Florian HUMBERT, « Contribution à la réflexion sur les processus contemporains de délimitation des vignobles français : la définition de l’AOC Bourgogne dans le Beaujolais (1930-1950) », dans Territoires du vin [en ligne], janvier 2010 - Privé et public ou l’enchevêtrement des pouvoirs dans le vignoble, 1 septembre 2009. Disponible sur Internet : http://revuesshs.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/document.php?id=621 ISSN 1760-5296 ; Claire DELFOSSE, La France fromagère (1850-1990), Paris, La Boutique de l’histoire, 2007, 271 p.

3043.

Guide national agriculture 1951-1952, p. 75.

3044.

Arch. CA Ain, Curriculum vitae d’André Laurent, document envoyé par Alain Ziller en février 2005.

3045.

Ibidem, « Les organisations professionnelles de l’Ain de 1945 à 1985 », notice historique rédigée par Bernard Labrosse, ancien directeur de la chambre d’agriculture, 9 p.

3046.

http://www.reussir-aviculture.com/actualites/relance-des-races-traditionnelles-le-centre-de-selection-de-bechanne-selectionne-les-poulets-des-regions&fldSearch=:23792.html

3047.

Annuaire APCA 1955.

3048.

Arch. CA Ain, notice historique, 1924-2001.

3049.

Arch. APCA, Circulaires février 1958-juillet 1958, rapport sur l’activité des services, année 1957-1958.