517 membres de chambre d’agriculture, soit 25 % d’entre eux, mentionnent au moins un mandat d’élu politique dans l’Annuaire des chambres d’agriculture publié en juin 1960 3548. Sur 625 mandats cités, 442 concernent le niveau communal – conseillers municipaux, adjoints, maires – et 106 se situent à l’échelon du canton – conseillers généraux. Seulement 40 mandats cités relèvent de la représentation parlementaire – à l’Assemblée nationale et au Sénat. La richesse des informations données par l’annuaire ne doit pas leurrer sur la difficulté qui existe, au vu des sources, pour reconstituer, même approximativement, un cursus des mandats professionnels et politiques dans un ordre chronologique strict, ce d’autant plus que les mandats politiques sont locaux. Les listes des conseillers généraux, pour la période 1959-1961 3549, et celles des députés 3550 et des sénateurs 3551, depuis les débuts de la Troisième République, permettent de mieux appréhender l’importance de l’engagement politique des membres et des présidents de chambre d’agriculture en 1960. 57 présidents, soit près de 63 %, mentionnent au moins un mandat politique, tandis que 460 membres, soit à peine 24 %, sont dans ce cas. Est-ce un biais des sources disponibles ? Y a-t-il une plus grande propension des présidents de chambre à occuper des mandats politiques ou des électeurs à voter pour des candidats détenant des mandats professionnels du type de celui de président de chambre ?
373 membres des chambres d’agriculture se disent maires, soit 18 % des membres et 33 % des présidents. Les données concernant les conseillers municipaux et les adjoints sont vraisemblablement très incomplètes : de la même façon que l’on fait plus volontiers mention d’un mandat de président de syndicat, on cite plus volontiers celui de maire, en appui à une légitimité revendiquée. La question soulevée par André Gueslin reste entière – soit celle d’une confusion entre les rôles du dirigeant du syndicat agricole et du maire, à la faveur d’un appauvrissement de l’environnement agricole, pour paraphraser son expression 3552. Toutefois la moitié des présidents qui se disent maire, le font vraisemblablement pour compenser une liste de fonctions dont le rayon d’action est celui du département, de la région, du pays, comme une caution locale, si l’on peut dire. S’agit-il là de la pièce maîtresse d’une implication dans les « réseaux de terroir » 3553 évoqué par Pascal Blas ? Pour cet auteur, ces réseaux sont « mis en place à partir du monde agricole et de ses organismes spécifiques », soit un « ensemble de liens qui se sont tissés entre les élus sénatoriaux et les élus municipaux, ce souvent par l’intermédiaire du conseil général » sur le mode du « système de circulation de services » 3554 et de la « circulation médaillière » 3555. Le modèle-type idéal de ce type de réseau reposerait sur le notable pris entre sociétés d’agriculture, syndicats d’électrification, caisse de crédit agricole, assurances mutuelles agricoles, syndicalisme agricole et chambres d’agriculture, même si « dans la plupart des cas, ces organismes ne sont pas directement présidés par l’édile qui occupe le point central du dispositif ; la direction en revient aux maires issus du milieu paysan qu’ils représentent, mais la charpente générale sert avant tout les intérêts de l’élément politique qui sait les utiliser » 3556.
D’après l’Annuaire des chambres d’agriculture de 1960, cent membres de chambre d’agriculture sont dits conseillers généraux 3557. D’après les données fournies par le Guide national de l’agriculture 3558, ils seraient près de 132 à siéger dans un conseil général. 68 chambres d’agriculture sur 90 comptent parmi leurs membres au moins un conseiller général : trente en comptent un seul, vingt en comptent deux, dix en comptent trois et huit en comptent quatre. Au maximum, les conseillers généraux ne constituent que 20 % des membres de la chambre 3559. On ne dénombre en revanche parmi les membres des chambres d’agriculture que quatre présidents de conseils généraux, dont Robert Gravier, président de la chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle, maire et sénateur indépendant depuis 1946. Ainsi, si 6 % des membres seulement sont des conseillers généraux, plus de 11 % des présidents sont dans ce cas. Dans les chambres départementales, 8,5 % des membres des bureaux sont conseillers généraux, contre 5,8 % parmi les autres membres.
Surtout, le fait que les trois quarts des chambres d’agriculture aient parmi leurs membres au moins un conseiller général suffit à donner à l’ensemble des membres un accès, une connexion avec l’assemblée départementale. Certes, ceux qui sont à la fois membres de la chambre et conseillers généraux cumulent les deux formes de représentation dominantes au niveau départemental, comme nombre de leurs homologues des chambres de commerce 3560 et se rapprochent ainsi de celui qui y est « l’arbitre de l’intérêt général », le préfet 3561. Partenaire important des chambres d’agriculture, le conseil général a, depuis la loi du 10 août 1871, des attributions importantes. Surtout, les connections constatées dans la majorité des chambres d’agriculture contribuent à augmenter la notabilité de chacun des membres du groupe, selon la définition du notable fondée sur l’accès à l’appareil administratif départemental que propose Pierre Grémion 3562. Mais le département est également« le cadre de formation de la représentation nationale tant pour l’Assemblée nationale que pour le Sénat » 3563.
Pierre GRÉMION, « Introduction à une étude du système politico-administratif local », dans Sociologie du travail, tome 1, 1970, pp. 51-73.
Annuaire APCA 1959.
Publiées dans les volumes du Guide national agriculture 1959-1961.
http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/
http://www.senat.fr/listes5R/index.html
André GUESLIN, « Les dirigeants agricoles dans leurs villages… », article cité, p. 84.
Dont on est en droit de discuter la spécificité par rapport aux modèles urbains.
Pascal BLAS, « Élites et édiles : le poids des réseaux », article cité, p. 49.
Gaëlle Charcosset évoque elle aussi les dimensions politiques du Mérite agricole : Gaëlle CHARCOSSET, « La distinction aux champs. Les décorés du Mérite agricole (Rhône, 1883-1939) », article cité.
Pascal BLAS, « Élites et édiles : le poids des réseaux », article cité, p. 50.
Voir Annexes. Dossier n° 9. Tableau 25.
À noter que certains volumes ont été publiés avant les élections cantonales de juin 1961 et d’autres peuvent l’avoir été après, même si les données qu’ils contiennent datent plus vraisemblablement d’avant cette date.
Voir Annexes. Dossier n° 9. Cartes 3 et 4.
Philippe BOUCHARDEAU, Histoire de la Chambre de commerce de Valence. Tome 1 : la formation du patronat drômois. Tome 2 : l’action consulaire, Thèse de 3e cycle en histoire, sous la direction de Pierre Guillen, Université de Grenoble III, 1981, 163-[43] p. et 801 p.
« À l’inverse de la commune, le département se caractérise par la dissociation des institutions de représentation élective (Conseil général) et de représentation fonctionnelle (chambres de commerce, chambres d’agriculture). L’exécutif de la collectivité locale est de surcroît aux mains de l’État et il revient au préfet d’être l’arbitre de l’intérêt général ». Pierre GRÉMION, Le pouvoir périphérique… ouvrage cité, p. 221.
« Pourrait déjà être défini comme notable, tout individu reconnu par l’administration ou une administration comme pouvant légitimement avoir accès au second niveau supérieur pour traiter d’un cas particulier par transgression de l’universalisme de la règle ». Ibidem, p. 167.
Ibidem, p. 221.