Quoique le texte de la loi d’orientation débute par ces termes, « la loi d’orientation de l’agriculture française a pour but, dans le cadre de la politique économique et sociale, d’établir la parité entre l’agriculture et les autres activités économiques », le scepticisme est palpable dans bien des cénacles agricoles, dont l’APPCA. Le 6 septembre 1960, les membres du CPG disent considérer que la loi promulguée un mois plus tôt « est certainement le texte le plus important » voté depuis le début de l’année. Deux réactions sont immédiatement observables. Les chambres d’agriculture sont bombardées de circulaires « leur donnant toutes précisions en ce qui concerne cette loi », et contenant notamment les interventions de René Blondelle au Sénat pendant les longues séances de discussion de la loi, et la revue Chambres d’agriculture s’enrichit de fascicules consacrés à l’explicitation du texte de la loi, du rôle de l’APPCA dans certaines dispositions prises, et des perspectives d’application. Car c’est surtout ce dernier aspect qui occupe l’APPCA. En rappelant les principaux articles de la loi, François Houillier présente d’emblée les délais d’application : ainsi s’ouvre un compte à rebours dont l’assemblée permanente montre qu’elle entend suivre le décompte avec attention 3658.
L’APPCA montre d’autre part une certaine volonté de participer au comité de gestion du Fonds d’orientation et de régularisation des marchés agricoles (FORMA). Créé conjointement par la loi de finances rectificative du 21 juillet 1960 et la loi d’orientation agricole du 5 août 1960, sous la forme d’un budget annexe, ce fonds, chargé d’assurer une organisation satisfaisante des principaux produits agricoles, « est l’héritier de différents fonds d’assainissement gérés sous forme de comptes spéciaux du Trésor dépendant du ministère de l’Agriculture » 3659. En octobre 1960, le ministre de l’Agriculture demande à l’APPCA « de désigner, conjointement avec les autres Organisations Professionnelles intéressées, sept représentants des producteurs agricoles ». La réponse de l’APPCA ne tarde pas et deux jours plus tard, une liste de sept personnes, établie avec le concours de la FNSEA, de la CNMCCA et du CNCA est arrêtée et communiquée au ministre 3660. Si pour cela il est tenu « compte du souhait formulé d’une représentation équilibrée des principales productions et régions » 3661, il apparaît surtout que les personnes choisies figurent parmi les principaux dirigeants de la Confédération générale des coopératives agricoles (CGCA), de la Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricole (CNMCCA), de l’APPCA, de la Fédération nationale de la coopération agricole et de la FNSEA, avec le président de la commission permanente de coordination des associations spécialisées, un secrétaire-adjoint et un des vice-présidents de la section des exploitants. Ils ont entre 49 et 64 ans, à l’exception de Fréjus Michon, affichant 36 ans tout juste. Tous, sauf ce dernier, qui était alors trop jeune, appartenaient au Conseil de l’URCA de leur département en décembre 1943, dont trois en tant que syndic adjoint, et un en tant que syndic régional – il s’agit de Marc Ferré, le représentant de l’APPCA, qui s’était également distingué par son appartenance à la COCP et au Conseil national de Vichy, en 1941. Enfin, tous sont membres d’une chambre d’agriculture et y occupent même des fonctions décisives : le plus jeune du groupe, Fréjus Michon, ancien président du CDJA de l’Isère, est secrétaire adjoint de la chambre d’agriculture de ce département, trois autres sont vice-présidents de leur chambre d’agriculture, et les trois derniers en sont présidents depuis 1952 et membres titulaires du CPG de l’APPCA, et même vice-président de celle-ci pour Marc Ferré.
Deux semaines après ces nominations, René Blondelle s’adresse à Henri Rochereau et s’inquiète de la date à laquelle « le Fonds de régularisation et d’orientation des marchés agricoles (FROMA) [sic] et son Comité de Gestion seront en état de fonctionner et à quelle date le Gouvernement envisage de fixer les prix indicatifs des produits agricoles » 3662. Alors que l’article 31 de la loi d’orientation agricole prévoit qu’« avant le 15 octobre 1961, le Gouvernement devra établir par décret, pour une période de quatre années, de nouveaux prix d’objectifs pour les produits qui en bénéficient, en procédant par étapes au rapprochement des prix pratiqués à la production en application de la politique agricole commune », René Blondelle se trompe d’une année en semblant considérer que la date butoir, dépassée, est celle du 15 octobre 1960, et évoque le « FROMA » plutôt que le FORMA. Cela ne pourrait-il pas trahir la volonté délibérée des dirigeants de l’APPCA de prendre en défaut le gouvernement et de pointer le plus tôt possible l’échec du gouvernement et du ministère à répondre aux promesses de la loi d’orientation, tout en jouant les bons élèves ? On observe d’ailleurs toujours une focalisation sur la fixation des prix d’objectifs, succédané de l’indexation des prix agricoles qui rend si nostalgique les dirigeants de la FNSEA et de l’APPCA. Et lorsqu’il s’agit de constituer un groupe de travail afin de préparer les textes d’application de l’article 38 de la loi d’orientation 3663, il n’est pas question d’y envoyer un élu des chambres d’agriculture, puisque c’est Claude Langlade-Demoyen, conseiller aux « relations extérieures » de l’APPCA, qui est désigné par René Blondelle 3664 pour représenter l’institution au ministère.
Le 24 novembre 1960, deuxième jour de la session de l’APPCA, c’est aussi Claude Langlade-Demoyen qui présente son rapport sur les récentes lois agricoles et leur application, dans le cadre du thème intitulé « obstacles à la parité dans le domaine intérieur ». Exposant les difficultés d’application de l’article 31 relatif aux prix agricoles 3665 et la nécessité de mettre en œuvre « deux mesures très importantes » de la loi que sont « l’établissement du rapport gouvernemental 3666 afin de remédier aux disparités constatées » et « l’évaluation des superficies optima des exploitations rentables en vue d’une amélioration des structures des entreprises agricoles », il conclut ainsi : « la loi d’orientation peut être un des premiers moyens d’obtenir la parité ou un des premiers obstacles à celle-ci ; pour que son application soit satisfaisante, il faudra d’abord respecter l’esprit de la loi, ensuite dégager les moyens financiers nécessaires et prendre les textes d’application, enfin consulter la profession » 3667. Dans le rapport suivant, la question de la parité n’est cependant évoquée que par le biais de « l’étude des termes de l’échange » et par Georges Ferté, présenté comme « président de la commission de coordination des associations spécialisées [de la FNSEA et] par ailleurs suppléant délégué de la chambre d’agriculture de l’Aisne », qui concentre son attention sur la question des débouchés, de la formation des prix et du fonctionnement des marchés agricoles. À cette date, l’APPCA est dans l’expectative. Cela conduit à des repositionnements dans le champ des organisations professionnelles agricoles, dans la mesure où dès l’automne 1960, au lendemain de la session de novembre, René Blondelle invite Marcel Deneux, le président du CNJA, à venir aux sessions de l’APPCA consacrées « à la recherche des obstacles à la parité que rencontrent les agriculteurs » 3668 : à la session du 31 mai et 1er juin 1961, Marcel Deneux compte parmi les personnalités présentes.
D’une manière générale, si l’on veut apprécier la réception de la loi d’orientation agricole à l’APPCA, il faut tenir compte d’un désaccord de fond. Dès juillet 1960, l’APPCA cherche à évaluer « dans quelle mesure, certaines des propositions faites par l’APPCA ont été retenues par les assemblées parlementaires ? » 3669. L’APPCA ne peut accepter le texte comme satisfaisant puisque celui-ci n’a pas pour pivot la question des prix agricoles, dont la fixation est pour l’assemblée permanente un moyen indispensable pour parvenir à équilibrer prix agricoles et prix industriels et donc permettre d’accéder à la parité. Derrière cela se joue la question de la conformité de la loi d’orientation à la « loi verte » 3670, le projet de loi-cadre conçu par l’APPCA au début de l’année 1960 3671. Ce texte définit une « politique [qui] repose – et la loi doit l’affirmer – sur la garantie donnée aux producteurs de recevoir le juste prix de leurs produits de manière que soit assurée, à parité entre toutes les activités économiques, la rémunération du travail fourni et des capitaux engagés » 3672. Deuxième point d’achoppement : la loi verte rédigée par l’APPCA prévoit des mesures de sauvegarde, soit « les moyens pratiques de suivre l’application concrète des principes qu’elle a retenu » 3673. L’absence de ce type de dispositions dans la loi d’orientation conduit à l’APPCA à une attitude de méfiance non tue : dès le 1er novembre 1960, le n° 207 de la revue Chambres d’agriculture titre sur le « calendrier d’application » de six des lois agricoles annoncées. Méfiance qui s’exprime également vivement à propos des conditions d’élaboration de la loi, puisque les rédacteurs de la note de juillet 1960 estiment que « la politique agricole semble déjà être élaborée et pensée en dehors des principes arrêtés et proclamés solennellement dans la loi » 3674, confirmant l’idée d’une prise de contact entre gaullistes et jeunes agriculteurs dès le printemps 1960 3675.
Encore et toujours, c’est la question de la consultation préalable de l’APPCA qui se pose. Même à propos des suites à donner au rapport du Comité Rueff-Armand – aux conclusions desquelles APPCA et FNSEA sont très hostiles 3676 –, l’APPCA entend être associée à l’« élaboration des différents projets de textes, décrets ou projets de lois qui pourraient constituer la suite logique de ces travaux », tout en accordant une importance décisive au fait que « la décision du Gouvernement puisse tenir compte de l’avis de l’Institution créée auprès des Pouvoirs publics pour représenter les intérêts généraux de l’Agriculture » 3677. Au fil de l’automne 1960 et de l’hiver 1961, René Blondelle réaffirme sans cesse le « vif désir de l’Assemblée d’être saisie pour avis des projets que la presse annonce comme étant en état de préparation », assemblée qui « souhaite ainsi oeuvrer efficacement en vue du bien commun » 3678. En cela la faible reconnaissance par les pouvoirs publics de la mission consultative de l’APPCA paraît en tout point identique à ce que l’on peut percevoir du début des années 1950.
Depuis janvier 1961, des « membres consultatifs » sont associés aux travaux du CPG. Ce sont les dirigeants des grandes OPA (FNSEA et sa commission de coordination des associations spécialisées, CNJA, CNMCCA, CNCA). René Blondelle s’en explique longuement : « depuis un an, une volonté accrue de collaboration entre les organisations nationales se fait sentir ; faut-il rappeler leur solidarité certaine face aux grandes manifestations de l’an passé, la recherche d’un texte commun pour inspirer la " charte " de l’agriculture française, le front unique face aux menaces contre la mutualité, etc… ? Le moment semblait donc propice pour " institutionnaliser " cette recherche de l’expression unifiée de la volonté paysanne. Pour ma part, je le souhaitais de toutes mes forces. C’était aller pourtant encore trop vite en besogne, d’autant plus que les Pouvoirs publics n’encouragent jamais les évolutions qui pourraient aboutir à leur opposer un interlocuteur unique […]. Au moment où de toutes parts se manifeste la volonté de regroupement face aux dangers de l’extérieur, au moment où par exemple, les différentes églises chrétiennes cherchent d’une manière active à se rapprocher […] faudrait-il que l’Agriculture française reste, elle, divisée ? » 3679. Il semble que l’APPCA a cherché à profiter de la brèche existant dans l’interstice temporel entre la loi d’orientation – qui est en somme une loi-cadre, c’est-à-dire « une loi dont les dispositions générales doivent servir de cadre à des textes d’application » 3680 – et les décrets d’application annoncés. Malgré l’amoindrissement de l’amendement présenté par René Blondelle et, partant, son échec à imposer un « canal unique de consultation », la volonté de l’APPCA de réintroduire cette possibilité est patente.
En mai 1961, René Blondelle adresse, au nom du CPG, au ministre de l’Agriculture, Henri Rochereau, une longue lettre sur « l’état des mesures d’application des dispositions de la loi d’orientation agricole ». Il commence par préciser que « le comité a constaté avec satisfaction que l’APPCA avait été régulièrement consultée par les soins du département placé sous [la] haute autorité [du ministre] sur plusieurs des projets de loi ou de décret annoncés dans la loi » 3681. Un point paraît devoir être souligné : aucun des projets de loi sur lesquels l’APPCA a été consultée n’a fait l’objet d’une enquête auprès des chambres d’agriculture 3682. Il semble au contraire que la réponse n’ait été débattue qu’au sein du CPG, sur la base des communications des administratifs de l’APPCA. Dans les années 1960, ces derniers ont apparemment pour habitude de s’appuyer en partie sur les procès-verbaux des chambres d’agriculture pour étayer leurs rapports 3683 : ce faisant ils perpétuent une forme de consultation passive qui ne diffère guère de celle mise en place dans Travaux des chambres d’agriculture au cours de l’entre-deux-guerres. Cependant il semble que cette forme de consultation se développe au détriment des enquêtes formelles. Cela tranche avec l’insistance de René Blondelle à présenter l’APPCA comme le pivot nécessaire de toute consultation sur les dispositions d’application de la loi d’orientation, sauf à faire reposer entièrement la légitimité de l’APPCA en matière de consultation sur sa représentativité et sur les compétences de ses experts, et non plus sur sa capacité à « faire remonter » les avis des chambres départementales et à les synthétiser. Or l’on a vu combien la distorsion était grande entre les membres des chambres d’agriculture, leurs présidents, et a fortiori les membres du CPG et du bureau de l’APPCA.
Dans cette lettre datée du 4 mai, René Blondelle fait part au ministre de la volonté du CPG de « connaître, pour ceux de ces textes qui n’ont pas encore été publiés, à quel stade d’élaboration ils sont parvenus, pens[ant] particulièrement au décret concernant les sociétés d’aménagement foncier ». Le ton se fait plus interrogatif quant aux dispositions n’ayant pas encore fait l’objet de projets de décrets, touchant à la production et aux débouchés, à l’organisation des marchés et aux prix et revenus, et enfin aux structures. Et le président de l’APPCA de conclure : « le Comité permanent général souhaite que l’assemblée soit en mesure d’examiner, sur la base d’une information officielle, dans quelle mesure depuis le 5 août 1960, le but de la loi d’orientation, à savoir "établir la parité entre l’Agriculture et les autres activités économiques, dans le cadre de la politique économique et sociale", a été atteint, et dans quelle mesure aussi l’Agriculture familiale a été mise en mesure "de compenser les désavantages naturels et économiques auxquels elle reste soumise comparativement aux autres secteurs de l’économie". Le Comité permanent exprime ainsi le souci constant qui l’anime de vous apporter à titre consultatif, tant en vertu du statut légal de l’APPCA, que des dispositions particulières de l’article 2 in fine de la loi d’orientation agricole, son concours le plus entier, et, nous l’espérons, le plus constructif » 3684. La réponse du ministre ne date que du 30 mai : précise et sèche, elle vise à montrer à René Blondelle que les travaux préparatoires ont progressé en dehors de la participation de l’APPCA.
Le 27 mai 1961, les producteurs de pommes de terre de la région de Pont-l’Abbé répandent des centaines de kilogrammes de leurs récoltes arrosées de gasoil dans les rues de la ville. À partir du 30 mai, des barrages sont dressés sur les routes du sud du Finistère. Le 31 mai, la demande du FORMA aux agriculteurs de souscrire des « contrats de report d’arrachage » pour enrayer l’engorgement du marché suscite un large mouvement d’opposition chez les maraîchers finistériens : le point culminant, relayé par les médias, en est l’enlèvement et l’incendie des urnes électorales dans quatre communes du département, lors du premier tour des élections cantonales, le 4 juin 1961, par des « militants des organisations locales » 3685. Parallèlement, le nord du département voit une reprise de la « crise de l’artichaut » autour de Saint-Pol-de-Léon, débutée un an plus tôt 3686 : dans la nuit du 7 au 8 juin, 3 000 à 4 000 agriculteurs investissent la ville de Morlaix, et quelques centaines d’entre eux occupent la sous-préfecture. Les meneurs de cette action d’éclat – Alexis Gourvennec, président du Comité de l’artichaut breton, administrateur de la FDSEA et membre de la chambre d’agriculture du Finistère 3687, et Marcel Léon, secrétaire-adjoint de la FDSEA du Finistère 3688 – sont arrêtés et incarcérés le 8 juin, devenant ainsi des « "martyrs" de la cause paysanne : convaincus du bien-fondé de leurs revendications, les agriculteurs accusent le gouvernement de ne pas vouloir appliquer de politique agricole et de porter atteinte aux droits syndicaux » 3689. Des manifestations sont organisées dans les cinq départementaux bretons et dans le Gers, puis gagnent à la fin du mois de juin le Sud-Ouest, le sillon rhodanien et quelques départements isolés où l’on voit des manifestations de soutien aux agriculteurs bretons. Henri Mendras et Yves Tavernier détaillent les formes d’action renouvelées observées alors : manifestations, meetings, sabotages – notamment de lignes téléphoniques – et barrages de routes sont fréquents et parfois associés aux mêmes lieux.
Le 12 juin, les dirigeants de la FNSEA « qui ont toujours craint la création d’une fédération bretonne susceptible de contrebalancer la puissante fédération du Bassin parisien » s’emparent du combat et adressent au premier ministre un « cahier minimum de revendications professionnelles » demandant l’application de la loi d’orientation agricole et la garantie d’un revenu agricole en constante amélioration. En écho, le lendemain, le CNJA réunit à Paris les responsables des CDJA de l’Ouest et se lance dans l’élaboration d’un « "cahier de revendications immédiates" portant essentiellement sur les questions sociales : augmentation de la retraite vieillesse pour les agriculteurs, création d’une allocation de sous-rémunération et de bourses de reclassement, enfin la création d’un droit de préemption en faveur des sociétés d’aménagement foncier » : ils sont reçus longuement par Michel Debré le 14 juin 3690.
Pendant ce temps, l’APPCA est occupée à converser avec le ministre de l’Agriculture des modalités des prochaines élections des membres de chambre d’agriculture et de la possibilité d’un report du renouvellement partiel prévu pour 1962 3691. Le 15 juin, toutefois, après que des présidents de chambre d’agriculture lui ont posé « la question de savoir quelle pouvait être la réaction des Chambres d’Agriculture départementales aux manifestations agricoles qui se sont déroulées ou se déroulent en Bretagne » 3692 et « après en avoir délibéré en Bureau de l’APPCA, le mardi 13 juin », le président de l’assemblée permanente communique aux chambres départementales la position prise : « Les Chambres d’Agriculture sont, dans le cadre de leur circonscription, des institutions professionnelles ayant le caractère d’établissements publics et appelées, compte tenu de ce caractère, à donner aux Pouvoirs publics tous avis sur les problèmes professionnels de leur compétence. Il leur appartient donc de signaler aux Pouvoirs publics, c’est-à-dire au Président dans chaque département, tous les incidents ou risques d’incidents, notamment la dégradation du climat social agricole, en attirant l’attention du représentant du Gouvernement sur les causes de cette dégradation et en particulier sur les retards apportés à l’application, dans son esprit, de la loi d’orientation agricole, voire sur les mesures qui en contredisent à la fois la lettre et l’esprit. C’est ainsi que le Bureau de la Chambre d’Agriculture du Finistère a pris la délibération dont je vous prie de trouver ci-joint copie 3693 . Ainsi que vous le savez, le Bureau est habilité, pendant l’intervalle des sessions, à délibérer des problèmes qui lui sont soumis et à faire connaître, soit par une délibération écrite, soit par une démarche, les conclusions de la chambre d’Agriculture à M. le Préfet. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir me faire connaître les démarches éventuelles qui auraient pu être ainsi entreprises par votre compagnie et, dans cette attente, je vous prie, Monsieur le Président et Cher Collègue, d’agréer l’expression de mes sentiments dévoués » 3694.
À la fin du mois de juin, devant l’ampleur de manifestations toujours plus nombreuses et qui gagnent toujours plus de départements, le premier ministre décide de convoquer une « table ronde agricole » à laquelle sont conviés l’APPCA, la FNSEA, la CNMCCA et le CNJA : « pour présenter "un front syndical uni" face aux pouvoirs publics, des dirigeants agricoles décident de confronter au préalable leurs points de vue. Mais l’entente est difficile : en effet, le représentant de l’APPCA, pour qui la politique agricole doit être essentiellement une politique de défense des prix et de soutien des marchés, se heurte aux jeunes agriculteurs, qui mettent en avant les réformes de structures et les mesures de protection sociale et aucun accord n’est intervenu, lorsque se tient le 29 juin la première "table ronde" présidée par M. Debré » 3695. Cependant, la plus grande réticence de l’APPCA n’apparaît guère dans la confrontation entre le communiqué commun des organisations professionnelles et la déclaration de René Blondelle à l’AFP, le lendemain : alors que les organisations professionnelles se contentent de lister les sujets abordés et d’annoncer les réunions prévues, le président de l’APPCA dit avoir « l’impression que les manifestations de désespoir des agriculteurs unanimes ont enfin emporté la conviction du gouvernement qui doit dès aujourd’hui rendre publiques non seulement sa volonté d’appliquer la loi d’orientation, mais des décisions effectives de soutien renforcé des marchés, c’est-à-dire du pouvoir d’achat des paysans » 3696. Le 29 juillet, le gouvernement déclare concentrer son action sur le soutien des marchés par l’intermédiaire du FORMA réformé et sur les « questions sociales » – allocations familiales, retraites, assurances maladie. Les dirigeants du CNJA et de la CGVM, notamment, ne cachent pas leur mécontentement face à des mesures jugées insuffisantes, tandis que les céréaliers du Bassin parisien semblent satisfaits et que la FNSEA refuse la possibilité d’une reprise de « l’action directe » et se lance dans une opération d’information de l’opinion publique : l’APPCA, appelée en renfort par la FNSEA, répond à l’appel notamment en éditant des « tracts de propagande conçus dans l’esprit même de la campagne d’information actuellement entreprise » 3697. Le 24 août 1961, Edgard Pisani remplace Henri Rochereau au ministère de l’Agriculture 3698.
Arch. APCA, Comité Permanent Général, juillet 1960 à octobre 1960 à février 1961, procès-verbal de la réunion du 6 septembre 1960.
Voir l’article de Jean-Claude MAITROT dans l’Encyclopaedia Universalis.
Voici, par ordre alphabétique, ces propositions : M. Michel Dalle, Région du Nord, Textiles et productions spécialisées, M. Gaston du Douet de Graville, Région de l’Ouest, M. Marc Ferré, Région du Centre et du centre ouest, Viande, M. Georges Ferté, Région de Paris et de l’Est, Grandes productions végétales, M. Pierre Martin, Région du Sud-Ouest, Vin, M. Fréjus Michon, Régions montagneuses, Lait et enfin Florent Nové-Josserand, Région du Sud-Est, Fruits et Légumes.
Arch. APCA, Ministère de l’Agriculture, 1960-1962, double d’une lettre des dirigeants de l’APPCA, de la FNSEA, de la CNMCCA et du CNCA, à Henri Rochereau, ministre de l’Agriculture, le 13 octobre 1960.
Arch. APCA, Ministère de l’Agriculture, 1960-1962, double d’une lettre de René Blondelle, Président de l’APPCA, à Henri Rochereau, ministre de l’Agriculture, cabinet du Ministre, le 26 octobre 1960.
Art. 38 : « Avant le 1 er juillet 1961, le Gouvernement devra déposer devant le Parlement, après avis du conseil supérieur de la coopération agricole, un projet de loi modifiant l’ordonnance n° 59-278 du 4 février 1959 relative à la coopération agricole, en la complétant par des dispositions concernant les sociétés d’intérêt collectif agricole, afin d’adapter conjointement le régime des coopératives agricoles et celui des sociétés d’intérêt collectif agricole aux exigences économiques et sociales d’une agriculture moderne ».
Arch. APCA, Ministère de l’Agriculture, 1960-1962, double d’une lettre de René Blondelle, président de l’APPCA, à la direction des affaires professionnelles et sociales, ministre de l’Agriculture, le 30 novembre 1960.
Le texte de cet article 31 correspond, mot pour mot, à l’article 24 rejeté par le Sénat le 19 juillet 1960.
En italique dans le procès-verbal de session.
Chambres d’agriculture, 1er janvier 1961, p. 40.
Arch. APCA, Centres Comités Cercles, 1952-1965. Lettres du 8 novembre et du 29 décembre 1960.
Arch. APCA, Circulaires, 1960-1960, note « Dans quelle mesure, certaines des propositions faites par l’APPCA ont été retenues par les assemblées parlementaires ? » de l’APPCA, le 19 juillet 1960.
En référence à la « loi verte » votée en 1955 en RFA.
Arch. APCA, Circulaires, janvier 1960-mai 1960, L’intérêt national exige une loi verte. Propositions de l’Assemblée permanente des Présidents des Chambres d’Agriculture, 4 et 5 février 1960.
Ibidem.
Ibidem.
Arch. APCA, Circulaires, 1960-1960, note « Dans quelle mesure, certaines des propositions faites par l’APPCA ont été retenues par les assemblées parlementaires ? » de l’APPCA, le 19 juillet 1960.
Pour Bernard Bruneteau, « tout le contexte d’élaboration des lois d’orientation va s’apparenter ainsi à une forme de modernisation conservatrice dans laquelle les gaullistes sont amenés à " piloter le changement " , après en avoir reconnu les vertus, pour mieux en contenir ses élans ». Bernard BRUNETEAU, Les paysans dans l’État… ouvrage cité, p. 43.
Doc. APCA, Compte rendu du XVe Congrès de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, 28 février et 1er mars 1961.
Arch. APCA, Ministère de l’Agriculture, 1960-1962, double d’une lettre de René Blondelle, président de l’APPCA, à Henri Rochereau, ministre de l’Agriculture, cabinet du ministre, le 25 janvier 1961.
Arch. APCA, Ministère de l’Agriculture, 1960-1962, double d’une lettre de René Blondelle, , président de l’APPCA, à Henri Rochereau, ministre de l’Agriculture., cabinet du Ministre, le 27 janvier 1961.
Arch. APCA, Circulaires, 1961-1961, note « A la recherche de l’unité », signée de René Blondelle et de la direction des relations publiques de l’APPCA, mars 1961.
Définition du Robert. La loi-cadre est abordée notamment par Nathalie JAS, « Déqualifier le paysan, introniser l’agronome, France 1840-1914 », dans Paysans malgré tout ! – Écologie & Politique, n° 31, 2005, pp. 45-55. Questions abordées par l’auteur de la journée du séminaire du Laboratoire d’études rurales « Histoire des sciences agronomiques » du 13 décembre 2003.
Arch. APCA, Ministère de l’Agriculture, 1960-1962, double d’une lettre de René Blondelle, président de l’APPCA, à Henri Rochereau, ministre de l’Agriculture, cabinet du ministre, le 4 mai 1961.
D’après les informations contenues dans Arch. APCA, Comité Permanent Général, juillet 1960 à octobre 1960 à février 1961 ; mars 1961 à juillet 1961, et dans Chambres d’agriculture.
La direction des relations avec les chambres d’agriculture fait reposer les rapports entre l’assemblée et les chambres d’agriculture en premier lieu sur « l’analyse des procès-verbaux et documents émanant des chambres d’agriculture ». Doc. APCA, Rapport sur l’activité des services, année 1962-1963. François Houillier, notamment, prend la suite de Luce Prault dans le dépouillement et l’analyse des procès-verbaux des chambres d’agriculture. Dès juillet 1960, il s’adresse ainsi à Jules Calloud, président de la chambre d’agriculture du Rhône : « J’ai tout particulièrement remarqué les rapports de M. Levrat sur les jus de fruits, de M. Nové-Josserand sur la situation économique de l’agriculture française face au marché commun, de M. Lasnier-Lachaise sur les cultures promises à l’expansion dans le département, de M. Rollet sur l’état sanitaire du cheptel, de M. de Rusquec sur la vulgarisation, de M. Desrue sur l’assistance technique, de M. Julien, agent économique sur son activité et de M. Mathieu sur le service de formation professionnelle. J’ai bien trouvé les réponses de la Chambre aux enquêtes ouvertes par l’APPCA sur la vulgarisation et sa coordination, la réforme du régime électoral des CA, le Fonds national de Péréquation des CA et le groupement foncier ». Arch. APCA, CA Rhône à Haute-Saône, 1949-1965, double d’une lettre de F. Houillier, directeur général des services de l’APPCA, à Jules Calloud, président de la chambre d’agriculture du Rhône, le 11 juillet 1960.
Arch. APCA, Ministère de l’Agriculture, 1960-1962, double d’une lettre de René Blondelle, président de l’APPCA, à Henri Rochereau, ministre de l’Agriculture, cabinet du ministre, le 4 mai 1961.
Henri MENDRAS et Yves TAVERNIER, « Les manifestations de juin 1961 », dans Les paysans et la politique sous la Ve République.– Revue française de science politique, volume XII, n° 3, septembre 1962, pp. 647-671, p. 651.
« Jusqu’en 1959, les crises de mévente de l’artichaut sont imputées aux "traîtres" qui, vendant les "drageons", étaient suspectés de favoriser l’extension hors du Léon de la culture de l’artichaut et donc de l’envahissement du marché. Leur vente interdite et la surproduction perdurant, les légumiers, avec à leur tête Alexis Gourvennec, attribuent les maux de l’agriculture à un manque d’organisation : le 20 janvier 1961, ils créent la société d’intérêt collectif agricole (SICA) de Saint-Pol-de-Léon, premier groupement français de producteurs de légumes ; son but est de contrôler les prix en assurant par elle-même la vente d’une bonne part de l’offre, ce qui est possible puisque le Finistère, outre des pommes de terre et des choux-fleurs, produit près de la moitié de la récolte d’artichauts du pays ». Jean-Luc MAYAUD, Gens de l’agriculture, la France rurale, 1940-2005, Paris, Éditions du Chêne, 2005, 311 p, pp. 128-129.
Annuaire APCA 1959.
Guide national agriculture 1959-1962.
Henri MENDRAS et Yves TAVERNIER, « Les manifestations de juin 1961 », article cité, p. 653.
Ibidem, p. 654.
Arch. APCA, Comité Permanent Général, mars 1961 à juillet 1961, copie d’une lettre de René Blondelle, président de l’APPCA à Henri Rochereau, ministre de l’Agriculture, le 7 juin 1961 ; lettre de Henri Rochereau, ministre de l’Agriculture au président de l’APPCA, le 23 juin 1961.
Il est notamment trouvé mention d’une « demande téléphonique de M. le président de la chambre d’agriculture du Tarn ». Arch. APCA, Bureau, décembre 1960-décembre 1962, réunion du 13 juin 1961.
Dans cette délibération, la chambre d’agriculture du Finistère prend la « défense des dirigeants incarcérés "promoteurs de la réorganisation des marchés dans leurs régions respectives" [et] "DEMANDE au Gouvernement de bien vouloir procéder dans les plus brefs délais, avec la collaboration des organisations professionnelles, à l’établissement des mesures d’application prévues et seules capables de permettre le retour à l’apaisement" » .
Arch. APCA, Circulaires, 1961-1961, circulaire de René Blondelle, président de l’APPCA, aux présidents des chambres d’agriculture, le 15 juin 1961.
Henri MENDRAS et Yves TAVERNIER, « Les manifestations de juin 1961 », article cité, p. 664.
Arch. APCA, Comité Permanent Général, mars 1961 à juillet 1961, annexes au procès-verbal de la séance du 4 juillet 1961.
Voir Annexes. Dossier n° 10. Documents 2 et 3.
Il témoigne, a posteriori des « réactions des milieux professionnels. Elles sont plutôt bonnes. Blondelle, Courreau [sic], Debatisse, Bruel, du Douet de Gaville [sic], Driant, Canonge, Prot [sic] se sont concertés. Il n’y a chez eux ni surprise ni hostilité. Peut-être un peu d’espoir : ils ont eux aussi, besoin que les manifestations paysannes s’arrêtent car, si elles menacent l’ordre public, elles menacent aussi l’ordre syndical. J’ai appris dès le premier jour à admirer – à me méfier de – à admirer cette capacité des leaders professionnels agricoles, de prendre la tête d’un mouvement qu’ils n’ont pas lancé, qu’ils ne savent pas maîtriser ». Edgard PISANI, Persiste et signe, Paris, Éditions Odile Jacob, 1992, 478 p., p. 134.