En réponse il est troublant de constater que le dossier « Structures. Éléments de base (4) » contient des articles résumant notamment les positions de l’Union des caisses centrales de la Mutualité agricole et du Conseil économique et social. Cela témoigne, au sein du dossier et apparemment dans le fil de la démarche suivie notamment par Claude Langlade-Demoyen, de la réunion des répertoires savant et militant 3751. Plusieurs thèmes liés sont évoqués dans ce dossier.
Une chemise intitulée « Structures : Et les formules étrangères » contient quelques coupures de presse et notes sur la colonisation paysanne allemande, le remembrement en Belgique et la réforme agraire italienne. Cette dernière, dont « le but […] est de distribuer des terres à des personnes qui en sont dépourvues ou insuffisamment pourvues, en faisant appel à l’expropriation des grands domaines » 3752, joue un rôle de repoussoir évident. De fait, dans ces liasses de documents assez disparates, dont un sous-dossier est même nommé « Éléments divers », se lit sans peine l’attachement à la propriété privée et la conscience confuse des menaces qui pèseraient sur elle. La référence à la doctrine sociale de l’Église n’est pas accidentelle. La présence d’une note reprenant le texte prononcé par Pie XII à Vienne en septembre 1952 réaffirmant la nécessité du dépassement de la lutte des classes et de la défense de la personne et de la famille est révélatrice, comme le sont les traits de stylo soulignant tel ou tel passage – ainsi ressortent le but qu’est « l’instauration d’un ordre organique unissant patrons et ouvriers » et, pour « la personne et la famille », « l’abîme où tend à la jeter la socialisation de toutes choses », et enfin la « dignité de l’homme » directement reliée au « droit de propriété privée ». Un article de Jean Madiran, dans la revue Itinéraires dont ce journaliste catholique, ancien secrétaire particulier de Charles Maurras sous l’Occupation, est le fondateur, vise à montrer combien les directions données par l’encyclique « Mater et Magistra » donnée par Jean XXIII le 15 mai 1961 semblent découler des propositions de Louis Salleron, théoricien de la Corporation paysanne, sur la réforme de la propriété 3753. La propriété comme droit de l’Homme et comme « droit utile » et menacé 3754 : c’est également le propos de Roger Millot, fondateur, en 1946, du Comité national des classes moyennes, conseiller économique et social depuis 1957 3755.
Luce Prault parti en retraite, l’anticommunisme n’a pas déserté les rangs de l’assemblée permanente. La proximité avec le CNIP est effective parmi les présidents de chambre d’agriculture qui sont parlementaires, et qui partagent une même hantise de la collectivisation de l’agriculture. Mais figure également dans le dossier « Structures. Éléments de base (4) » une lettre de Pierre Ritte, chef de service à la direction des relations publiques de l’APPCA, licencié ès-lettres, daté de juin 1960. Nous sommes à quelques semaines du départ en retraite de Luce Prault et l’un de ceux qu’il côtoyait à l’APPCA depuis 1953 lui écrit pour lui exposer les détails d’une communication de Guy de Rouville, président de l’Association sylvo-pastorale tarnaise, lors du congrès de la Fédération française d’économie alpestre à Bagnières. Né en 1915, Guy de Rouville est le fils d’Henry de Rouville, ancien président de la chambre d’agriculture du Tarn, qui opposa un refus sans ambiguïté à Luce Prault en novembre 1948 – père et fils ont participé activement à la Résistance au sein des maquis de Vabre 3756. Pierre Ritte communique le rapport incriminé, parsemé de traits de stylo et d’annotations, « expression linéaire et laconique de [s]on indignation ». C’est le soupçon qui guide la main de Pierre Ritte qui souligne d’un trait rageur le mot communauté, quand il signifie le caractère commun de certains problèmes, ainsi que l’expression « autorité "supra-communale" » qui désigne l’échelon cantonal ou inter-communal.
La question posée par Guy de Rouville paraît pourtant pouvoir rejoindre celle de l’APPCA quand il interroge l’auditoire ainsi : « Faut-il maintenir dans les Monts de Lacaune même au prix de sacrifices importants une population rurale qui représente le fonds solide de ce pays ou ne considérer son agriculture que sous le seul angle de la rentabilité immédiate ? ». Doublement délégitimé, comme industriel issu de la bourgeoisie protestante – « M. de Rouville s’est déclaré : "Industriel à Mazamet, propriétaire d’une exploitation agricole de 300 hectares" », « M. de Rouville, puissant industriel de Mazamet est marié à une demoiselle Schlumberger de la famille des banquiers protestants, industriels et gros propriétaires terriens, notamment 120 ha des meilleurs vignobles de Riquewihr » – et comme supposé sympathisant communiste – « Il a glorifié l’effort agricole de la Chine Populaire et d’Israël, qu’il connaissait bien puisqu’il en revenait. Et il a critiqué notre système social : "Nous vivons, a-t-il dit, dans un immobilisme juridique qui dure depuis 150 ans. La notion de propriété doit être réformée" » 3757 – Guy de Rouville incarne le second repoussoir pour les responsables, à l’APPCA, du dossier des « Structures », au premier rang desquels se place Claude Langlade-Demoyen, ex-secrétaire général du groupe paysan à l’Assemblée nationale.
La réponse de Luce Prault ne se fait pas attendre. Il y déclare : « J’ai connu jadis un M. de Rouville à Vabre Tarn qui fut je crois président de la CA de Tarn et de la Commission forestière de l’APPCA. C’était sans doute le Père de celui que vous avez entendu. Du Père j’ai conservé le souvenir d’un homme égoïste et dur. Je ne me rappelle pas son attitude sous l’Occupation mais il y a eu quelque chose ? […] Je ne crois pas qu’il soit bon de donner de la publicité à ce rapport qui est sans doute strictement personnel. Il y aurait lieu de communiquer de document à M. Langlade qui suit ces problèmes dans le groupe de travail que préside M. Forget. Au fond, je suis, vous le savez, très attaché au droit de la propriété, mais ce n’est pas un droit absolu que ce droit porte sur la terre, sur des maisons, ou sur des usines. Au projet de taxe sur les propriété foncières abandonnées il conviendrait d’opposer la demande de suppression des droits de mutation en cas de vente à des propriétaires agricoles riverains auxquels serait accordé prêt sans intérêts pour 75 % de la valeur d’acquisition remboursable en 10 ans. On pourrait aussi demander que les parcelles de terre sans propriétaire connu depuis 5 ans deviennent la propriété de la CA. A charge pour elle de les céder comme ci-dessus indiqué. Enfin il faudrait trouver une procédure de règlement accéléré de l’indivision. En effet beaucoup de terres abandonnées le sont parce que les héritiers n’ont pas résolu la succession : les terres restent ainsi sans être cultivées parce que non louées ou non vendues. C’est ainsi que dans l’intention de sauvegarder les droits des mineurs on les sacrifie. À la thèse de M. de Rouville il faut en opposer une autre. Je crois qu’il conviendrait aussi d’étudier des projets de réforme des structures industrielles : question qui devrait intéresser M. de Rouville » 3758. Faut-il insister sur ce « il y a eu quelque chose », lourd de sous-entendus révélant une connivence dans la condamnation des « résistants-terroristes » ? Ce qui n’empêche pas un malentendu discret de s’instaurer entre Luce Prault et ses jeunes successeurs, le premier avançant sans cesse des éléments de proposition issus du corporatisme de Louis Salleron, quand les seconds flagornent l’ancien directeur sur le terrain de l’anticommunisme, sans paraître partager le même engouement pour les solutions prônées par l’auteur des Six études sur la propriété collective.
Est militant qui « lutte activement pour défendre une cause, une idée » et/ou « qui prône l’action », et enfin tout « membre actif d’une association, d’un syndicat, d’un parti ». Le Robert.
Arch. APCA, Structures (1) Positions de l’APPCA et éléments de base, 1960-1962, Note sans titre ni date : lois des 12 mai, 21 octobre et 27 décembre 1950 : réforme agraire [Italie].
Jean MADIRAN, «"Mater et Magistra" et les idées de Louis Salleron », dans Itinéraires, [1961].
Étude des problèmes fonciers posés par l’acquisition des terrains à bâtir, Rapport présenté au nom de la section des économies régionales, par Roger MILLOT, président de la section, au Conseil Economique et Social, le 3 mai 1961, 71 f°.
http://www.annales.com/archives/x/millot.html
http://maquisdevabre.free.fr/mvorga-mnsp.htm
Arch. APCA, Structures (1) Positions de l’APPCA et éléments de base, 1960-1962, lettre de Pierre Ritte, chef de service à la direction des relations publiques de l’APPCA, à Luce Prault, le 24 juin 1960.
Ibidem, lettre de Luce Prault, directeur général honoraire de l’APPCA, à Pierre Ritte, APPCA, le 25 juin 1960.