Chapitre 9. 1964-1974, l’AP(P)CA, lieu de la « condensation des contradictions » 3976

Premières élections depuis la création, en avril 1959, du Mouvement de coordination et de défense de l'exploitation familiale agricole (MODEF), les consultations pour le renouvellement général des membres des chambres d’agriculture de 1964 voient une compétition inédite faire irruption. En 1965, un mémoire est imprimé à l’APCA : portant le titre Les élections aux chambres d’agriculture en 1964, il est l’œuvre de Paul M. Bouju, alors maître de conférences aux instituts d’études politiques de Paris et de Lyon. Il s’agit vraisemblablement d’une commande de l’institution. Réalisée à partir des documents transmis par les chambres d’agriculture départementales et rassemblés par l’APPCA, mais aussi à partir d’interviews, cette enquête est d’une grande richesse. Son plan est celui d’une étude de sociologie électorale classique : l’auteur aborde d’abord l’électorat, puis le régime électoral, la préparation des élections, et enfin les résultats. À la première page se trouve le seul et unique passage concernant l’histoire des chambres et de l’APPCA, lorsque Paul M. Bouju écrit : « les chambres d’agriculture ont vu, depuis leur reconstitution en 1949, leur action s’amplifier considérablement ; et le développement de l’Assemblée permanente des présidents des chambres d’agriculture a permis une meilleure coordination des activités et surtout assure, à l’échelon national, la fonction consultative et représentative des intérêts généraux et spéciaux de l’agriculture » 3977. Ainsi l’étude des élections est coupée de celle de l’institution.

Or l’analyse des résultats des élections aux chambres d’agriculture ne peut faire l’économie d’une évocation de l’évolution des attributions de celles-ci et de leur assemblée permanente. Le décret de 1966 sur le développement agricole intervient alors que des scissions s’enchaînent au sein du syndicalisme agricole, révélant les aspirations de certains jeunes agriculteurs, « contre l’agrarisme » 3978 : en janvier 1965, des dirigeants de CDJA de neuf départements de l'Ouest fondent le Centre régional des jeunes agriculteurs de l’Ouest (CRJAO) ; la même année, la FDSEA du Puy-de-Dôme est exclue de la FNSEA ; en 1966, neuf FDSEA de l’Ouest imitent leurs homologues du syndicalisme jeune et fondent la Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles de l’Ouest (FRSEAO). Et tandis que la participation des dirigeants issus du CNJA à la politique agricole menée par le Gouvernement est patente – notamment lors de l’entrevue de mai 2968 entre le général de Gaulle et Michel Debatisse –, les dissidences se font plus manifestes. En juillet 1970, après que lors du congrès du CNJA à Blois, la tendance de gauche rate de peu la présidence, cette dernière s'organise en Interrégions paysans-travailleurs : la première rencontre nationale Paysans-Travailleurs a lieu en 1972, et l’Association nationale des paysans-travailleurs (ANPT) est créée deux ans plus tard. Dès lors, comment l’AP(P)CA concilie-t-elle son rôle renforcé aux côtés d’une FNSEA soucieuse de réaffirmer « l’unité paysanne », entre « défense de l’intérêt général agricole », formation des conseillers agricoles et péréquations ? L’image de l’APCA à la fin des années 1960 et les conditions de la succession de René Blondelle disent combien perdure le hiatus entre chambres départementales et assemblée permanente.

Notes
3976.

Jean-François CHOSSON, Les générations du développement rural… ouvrage cité, p. 165.

3977.

Paul M. BOUJU, Les élections aux Chambres d’agriculture en 1964…, ouvrage cité, f° 1.

3978.

Philippe GRATTON, Les paysans français contre l’agrarisme, Paris, Maspero, 1972, 224 p.