Renouvellement et continuité

Une participation en (légère) hausse

Paul M. Bouju conclut après une quinzaine de pages de développement à un relèvement relatif du taux d’inscription sur les listes électorales en vue des élections aux chambres d’agriculture : la diminution du nombre des inscrits n’est pas aussi forte que celle de la population agricole active et inactive. Pour lui, « le nombre des abstentionnistes cachés ou primaires, que sont les non-inscrits, s’est réduit » 3981. L’auteur considère alors que « le "civisme" politique rural, avec un taux de participation toujours (inscription et votants) toujours plus fort dans les campagnes que dans les villes, se prolonge donc également dans le "civisme professionnel" dont le paysan prend d’ailleurs de plus en plus conscience » 3982. Notion complexe, le civisme renvoie habituellement à l’esprit civique, au sens de ses responsabilités et de ses devoirs de citoyen. Mais de quelle cité parle-t-on ici ? En opposant civisme rural et civisme urbain, que sous-entend l’auteur sinon le fait que la participation électorale procèderait d’un agrarisme bien compris ? Si cela peut être débattu à propos des élections politiques, comment tenir un tel discours à propos d’élections professionnelles ? Si d’aucuns considèrent ces dernières comme des « élections barbares » 3983, les élections aux chambres d’agriculture ne peuvent non plus y être assimilées : élections consulaires, comme celles des chambres de commerce et d’industrie ou des chambres de métiers, les élections aux chambres d’agriculture ne suscitent guère d’analyses qui sachent se départir du paradigme de l’unité. Pour Dominique Andolfatto, « l’histoire des élections consulaires se nourrit finalement d’un double débat de type politique : celui relatif au suffrage et à la représentation politique dans sa conception libérale, puis celui qui oppose "le peuple et les gros " pour reprendre l’intitulé d’un ouvrage de Pierre Birnbaum » 3984. On peut sans peine émettre une autre hypothèse que celle du « civisme professionnel » ou du « civisme rural » pour éclairer une participation effectivement en hausse.

La participation est relativement importante. Au suffrage des électeurs individuels, elle atteint 44,38 % : elle est de 46 % dans le collège des exploitants, de 31 % dans celui des propriétaires et de 42 % dans celui des salariés. Les délégués des groupements inscrits sur les listes idoines votent en revanche à près de 88 % 3985. La hausse n’est cependant que légère depuis 1959 : passant pour le scrutin des électeurs individuels de 42,4 à 45 %, soit une augmentation de 6 %. Paul M. Bouju cherche à rapprocher celle-ci de la participation aux élections cantonales, mais son raisonnement n’est guère convainquant puisque celles-ci voient depuis 1949 affluer en moyenne 56 à 67 % des électeurs inscrits. Il souligne que la participation aux élections des membres des chambres de commerce et des chambres de métiers est plus basse, puisqu’elle n’atteint lors des précédentes consultations que 25 et 40 %. Si « la géographie de la participation aux élections professionnelles reflète dans bien de ses traits les conclusions dégagées dans les études des grandes consultations politiques : forte participation du Nord et de l’Est, Bretagne ; zones de faible participation, localisées entre des zones plus fortes ; Creuse, Cantal, Charente-Maritime » 3986, des changements sont intervenus depuis 1959 : dans les départements où est apparue une certaine concurrence électorale, le relèvement du taux de participation est significatif.

La réforme du régime électoral en est un élément d’explication plausible. Après la désaffection de 1959, dont on a pu dévoiler les causes du côté des présidents de chambre d’agriculture, l’APPCA a procédé à une enquête auprès des chambres départementales. Seules 45 chambres d’agriculture ont répondu : quarante d’entre elles se sont prononcées contre le maintien du système électoral en vigueur en 1959, 23 contre le retour pur et simple à la loi du 3 janvier 1924. Malgré la faible participation des chambres d’agriculture, Paul M. Bouju considère ainsi qu’« une nette majorité se dessinait en faveur d’une réforme d’après les réponses aux questions posées » 3987. Celles qui se prononcent semblent très majoritairement pour le retour au panachage et au vote par circonscription pour les exploitants, ainsi qu’en faveur d’un renouvellement par moitié tous les trois ans. Soulevée, la question de la possible différenciation de la représentation du syndicalisme et des autres organisations, pour le suffrage des groupements, ne semble retenue que par un très petit nombre de chambres. En novembre 1960, l’APPCA vote une délibération par laquelle elle demande au premier ministre la modification du décret du 6 novembre 1958. Les changements sollicités vont dans le sens du retour au scrutin de liste par circonscription pour les exploitants agricoles et du maintien du scrutin de liste départemental pour les propriétaires non exploitants et les ouvriers agricoles, chefs de culture et régisseurs, ainsi que pour les membres élus par les groupements professionnels agricoles. L’APPCA se prononce également en faveur d’un renouvellement général des membres des chambres d’agriculture en février 1964 et d’un renouvellement de la moitié des exploitants dès 1967 3988. Le 18 avril 1961, paraît un décret relatif aux élections aux chambres d’agriculture qui reprend exactement ces dispositions.

Lors des élections de 1964, ce sont donc 2632 membres de chambre d’agriculture qui sont élus, dont 1610, soit 61 %, par les exploitants, 244, soit 9 %, par les salariés, 210, soit 8 %, par les propriétaires non-exploitants, et enfin 568, soit 21 %, par les groupements professionnels agricoles 3989. Le principe adopté en 1924 et maintenu jusqu’en 1955 de l’élection de quatre membres par circonscription électorale est rétabli : seule la création de circonscriptions 3990 explique l’augmentation du nombre d’élus de cette catégorie, avoisinant les 16 % selon Paul M. Bouju 3991. L’adjonction de deux collèges nouveaux amène l’élection de quatre membres supplémentaires au minimum dans chaque département puisque deux représentants des salariés et deux représentants des propriétaires non exploitants, au moins, doivent être désignés 3992. De même, le nombre des sièges réservés aux membres élus par les groupements agricoles est fixé au tiers de celui des membres élus par les exploitants. Ainsi, l’augmentation du nombre de sièges, significative, atteint 31 % et découle à la fois de la démultiplication des circonscriptions 3993 – la création d’une circonscription étant un acte politique susceptible de susciter une augmentation de la participation – et de la création de sièges attribués à ces catégories sociales ciblées, ce qui peut avoir également entraîné une participation plus massive d’électeurs plus certains d’être ainsi représentés 3994. De cet élargissement découle-t-il un considérable changement au sein des chambres d’agriculture ?

Notes
3981.

Paul M. BOUJU, Les élections aux Chambres d’agriculture en 1964…, ouvrage cité, f° 21.

3982.

Ibidem, f° 27.

3983.

Dominique ANDOLFATTO, L’univers des élections professionnelles. Travail et société au crible des urnes, Paris, Les éditions ouvrières, 1992, 223 p., p. 10.

3984.

Dominique ANDOLFATTO, « Les élections consulaires. Histoire politique et état des lieux », dans Politix. Revue des sciences sociales du politique, n° 23-1993, volume 6, pp. 25-43, p. 43.

3985.

BIMA, n° 183, 25 avril 1964.

3986.

Paul M. BOUJU, Les élections aux Chambres d’agriculture en 1964…, ouvrage cité, f° 90.

3987.

Ibidem, f° 31.

3988.

Chambres d’agriculture, 1er janvier 1961, pp. 8-9.

3989.

Voir Annexes. Dossier n° 11. Tableau 1.

3990.

Le décret du 18 avril 1961 confirme que « les circonscriptions électorales sont en principe les arrondissements. Des circonscriptions électorales différentes peuvent être établies par décret, après avis de la chambre d’agriculture intéressée, sur la proposition du ministre de l’Agriculture et du ministre de l’intérieur, six mois au moins avant les élections auxquelles le décret doit s’appliquer ».

3991.

Paul M. BOUJU, Les élections aux Chambres d’agriculture en 1964…, ouvrage cité, f° 35.

3992.

Selon le décret du 18 avril 1961, « le nombre des membres à élire par chacune de ces catégories est fixé par arrêté préfectoral en fonction du nombre d’inscriptions sur les listes électorales sans pouvoir inférieur à deux par catégories,ni, au-delà de ce nombre, être supérieur, pour les deux catégories visées, au tiers des membres élus conformément au paragraphe 1 er du présent article ».

3993.

D’une élection à l’autre, celle-ci est une manière de renverser indéfiniment les équilibres au sein de l’assemblée départementale, de contrer un système électoral favorisant l’inertie, de porter à Paris des responsables nouveaux.

3994.

Paul M. Bouju considère même qu’ils sont ainsi sur-représentés, en oubliant de rappeler ce qu’il détaillait au début de son mémoire, soit notamment le relatif faible taux d’inscription des salariés – avoisinant 60 % – par rapport aux exploitants, dont le nombre d’inscrits excède le nombre retenu lors du recensement de 1962.