Structuration institutionnelle en cours (II)

Sur le plan législatif, des bouleversements sont observables. Outre qu’en décembre 1966, l’Assemblée permanente des présidents de chambre d’agriculture (APPCA) devient l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), deux textes sont votés qui infléchissent beaucoup l’action des chambres d’agriculture et de leur assemblée permanente. Le 8 décembre 1966, paraît un décret obligeant les chambres régionales d’agriculture à se conformer aux limites des régions de programme : par-là même, les chambres d’agriculture confirment leur participation à la régionalisation, déjà entamée par la participation de ses membres aux Commissions de développement économique régional (CODER). Le 28 décembre 1966, est votée la loi sur l’élevage : elle implique la création, dans chaque département ou groupe de départements voué à l’élevage, d’un établissement d’élevage (EDE) ayant pour mission d’améliorer la qualité et la productivité du cheptel, et ayant un rôle coordonnateur des actions de développement. La plupart de ces établissements se constituent sous la forme de Service d’utilité agricole d’élevage de la chambre d’agriculture. Ces décisions sont complétées par les décrets des 14 mars et 14 avril 1967 autorisant la création de Services d’utilité agricole de type « structure d’accueil », associant les initiatives syndicales, coopératives et mutualistes, notamment au sein des comités de direction, ainsi que par le décret du 2 janvier 1968 permettant la création d’établissements ou services d’utilité agricole à compétences interdépartementales.

Dans les chambres d’agriculture, dès 1969, est constatable la diversification des secteurs d’intervention. Sur 58 chambres d’agriculture qui ont répondu à cette partie de l’enquête 69-4, 39 disent qu’il existe un Service d’utilité agricole d’élevage (SUAE) au sein de la chambre d’agriculture 4289. Dans ce domaine, services interdépartementaux et services d’utilité agricole à compétence interdépartementale (SUACI) se multiplient, au fur et à mesure que les chambres régionales d’agriculture s’organise et prennent de l’ampleur – citons notamment « Montagnes » qui fédère l’Ardèche, l’Isère et la Savoie ou le service interdépartemental de la race bovine charolaise. En 1971, les plus généralisés sont apparemment les services fonciers – notamment relatifs à la forêt, corrélativement aux CRPF auxquels les membres des chambres d’agriculture participent 4290 –, les services de formation professionnelle, d’études et d’observation économique et de « propagande en faveur des produits agricole » 4291.

Au niveau de l’APCA, l’une des orientations les plus significatives semble être la création, en 1969, d’une sous-direction du Plan, de l’aménagement du territoire et du développement régional. Dirigée par Bernard Gaye, ingénieur agricole et titulaire d’un « Master of sciences de l’Université de Géorgie (USA) », recruté en 1967, cette branche de la direction des affaires économiques et sociales est née dans le cadre de la préparation du 6e Plan : « le service a participé directement aux commissions de modernisation intéressant l’agriculture, telles la commission de l’Agriculture, la commission de l’Espace rural, la commission des industries agricoles et alimentaires, la commission de l’eau et à celles de portée générale, telle la commission de l’économie générale et du financement ». La question du devenir de l’agriculture dans les grandes aires métropolitaines en extension se pose et donne lieu à la création d’un « inter-groupe Aménagement du territoire » 4292. La mise en place des plans d’aménagement rural (PAR) organisés par le décret du 8 juin 1970 – 43 PAR sont agréés dès 1971 – génère des besoins au niveau départemental et régional : aussi, en 1972, « conscient de la mission d’appui technique auprès des chambres d’agriculture que l’APCA doit remplir, le ministère de l’Agriculture a passé une convention avec elle lui assurant le financement d’un agent contractuel affecté à cette tâche particulière » 4293. Autour des Organisations d’étude et d’aménagement (OREAM), l’APCA mobilise désormais quatre salariés et l’activité de la sous-direction semble très soutenue, au rythme des nombreuses réunions organisées dans les régions et des volumineux dossiers traités – notamment à propos des régions Aisne et Oise, Basse-Seine, Centre, Côte-d’Azur et Corse, Lorraine, Pays de la Loire et Rhône-Alpes. À mi-chemin entre les compétences, notamment sur le plan économique et juridique, voire l’expertise, et l’activité consultative, au sein des commissions de préparation du Plan, l’APCA semble avoir trouvé en la question de l’aménagement du territoire un terrain où se rendre utile auprès des chambres départementales et régionales d’agriculture.

Au tournant des années 1970, on assiste également à une nette accentuation de la dimension internationale de l’APCA. Les contacts avec le Parlement européen sont facilités par la présence en son sein de Charles Durand, président de la chambre d’agriculture et de la régionale du Centre. Jean-Claude Clavel, recruté en 1970 comme sous-directeur aux affaires internationales, a été désigné comme rapporteur sur les prix agricoles de la campagne 1972-1973 et ainsi qu’au comité consultatif des structures agricoles. Âgé de 42 ans, cet ingénieur agricole issu de l’École de Grignon a débuté en 1955 comme ingénieur à l’Association générale des producteurs de blé (AGPB), puis de 1959 à 1969, a été chef du service international puis sous-directeur de la FNSEA 4294.

Le 1er octobre 1971, est ouvert à Bruxelles un bureau de l’APCA dont la mission est « d’informer le plus complètement et le plus rapidement possible les organisations agricoles françaises sur tous les projets ou évènement concernant l’agriculture dans la CEE » : il doit servir « de relais pour toute demande d’information ou de contacts avec les instances de la CEE [et] apporte sa collaboration aux demandes d’exposés ou de sessions sur les problèmes communautaires ; [enfin] il seconde dans leurs travaux les membres du comité économique et social et assure des liaisons permanentes avec le COPA et le COGECA [Comité général de la coopération agricole de l’Union européenne] ». Les sujets traités par l’APCA sont nombreux. La PAC englobe « mesures socio-structurelles » et fixation des prix de campagne, ainsi que gestion des marchés par produits. Mais sont également abordés sous l’angle européen les questions de développement régional et les aides en faveur des régions agricoles prioritaires, comme la « politique de l’environnement » 4295. À l’évidence, après la mort de René Blondelle, survenue le 25 février 1971 à Bruxelles, à l’heure des négociations préalables à l’admission de la Grande-Bretagne et d’autres pays de l’Association européenne de libre-échange (AELE), et peu après que le Plan Mansholt ait donné le coup d’envoi de la réforme de la PAC 4296, l’APCA a éprouvé le besoin de renforcer et de réassurer sa présence au niveau décisionnel européen. Sans aller plus loin dans cette direction, il semble possible de suggérer que dans la continuité du transfert observé au début des années 1960, quand l’APPCA déplaçait ses revendications d’indexation des prix agricoles de Paris à Bruxelles, un véritable glissement se confirme : et si désormais, l’APCA était le médiateur entre l’échelon régional et l’échelon européen, alors qu’elle se posait en entremetteuse entre chambres départementales et ministère au moment de sa refondation ? À l’aube des années 1970, tout semble l’indiquer, même si l’échelon départemental ne peut guère être éclipsé : par le biais du Fonds national de péréquation des chambres d’agriculture (FNPCA), l’APCA joue toujours un rôle d’interface entre la rue de Varennes et les préfectures des départements.

Notes
4289.

Arch. APCA, Activité des chambres d’agriculture. Bilan, 1964-1971.

4290.

Journal officiel de la République française, jeudi 8 août 1963, loi n° 63-810 du 6 août 1963 pour l’amélioration de la production et de la structure foncière des forêts françaises, pp. 7350-7354.

4291.

Annuaire APCA 1970, p. 10-13.

4292.

Doc. APCA, Rapport sur l’activité des services, année 1970-1971.

4293.

Doc. APCA, Activités des services, 1972-1973.

4294.

Who’s who in France, 1977-1978.

4295.

Doc. APCA, Rapport sur l’activité des services, année 1971-1972.

4296.

« À la fin des années 1960, au cours desquelles se sont progressivement mises en place les organisations communes des marchés (OCM), la Commission est bien résolue à limiter les dépenses de la Politique agricole commune (PAC). Le gonflement incontrôlé d’excédents de produits céréaliers et laitiers entraîne en effet des dépenses d’intervention (prix garantis) et de soutien des marchés qui grèvent toujours davantage le budget communautaire. Dans le même temps, le nombre total d’agriculteurs actifs passe, entre 1950 et 1958, de 18 millions à 14,5 millions. La Commission propose donc, à travers le Plan Mansholt, de revoir en profondeur les structures de l’agriculture communautaire, ce qui ne manque pas de susciter le désarroi et le mécontentement des fermiers européens. La manifestation spectaculaire qui réunit près de 100 000 agriculteurs dans les rues de Bruxelles le 23 mars 1971 en est l’expression la plus visible ». www.ena.lu/fr/